Après les vagues Covid-19, la vague de froid synonyme de blackout?

"Si l'obéissance est le résultat de l'instinct des masses, la révolte est celui de leur réflexion"
Honoré de Balzac, Maximes et pensées de Napoléon, Paris, 1838.
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Menaces de coupures sur le jus d’hiver

Sylvestre Huet


 
 
Ce matin, la ministre de la transition écologique Barbara Pompili est intervenue sur BFM TV pour évoquer le risque de coupures d’électricité en cas de grosses vagues de froid cet hiver. Pour y affirmer qu’il n’y aura «pas de black-out», autrement dit la France dans le noir. Et qu’il faudrait «diversifier nos sources d’électricité» au dépens du nucléaire. Qu’y a t-il de vrai et de faux et d’imprécis dans ce propos ?
Est-ce qu’il y a un risque de manque d’électricité ? Au point de devoir couper le jus à certains consommateurs afin d’éviter un black out total ? Voyons d’abord ce qu’en dit RTE, le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité, les lignes à haute tension, chargé de surveiller l’équilibre production/consommation. RTE, utilise des formules qui adoucissent le ton, sinon la réalité. «Dans l’ensemble, l’hiver 2020-2021 demeure toujours sous vigilance particulière et l’équilibre prévisionnel entre offre et demande d’électricité devrait rester tendu, notamment de mi-novembre à décembre en cas de froid précoce.»
  Des mots doux pour dire une réalité rude : en cas de vague de froid, il faudra demander à toutes les entreprises grosses consommatrices volontaires, et rémunérées pour cela, de stopper leur production, recourir à des importations massives, baisser un chouïa la tension, mais pas plus d’un chouïa sinon le réseau tombera comme un château de cartes, et, in fine, si tout cela ne suffit pas, opérer des délestages tournants épargnant uniquement les services essentiels. Autrement dit couper le jus des foyers et entreprises temporairement, ici puis là, afin d’éviter un écroulement général du réseau. Dans son vocabulaire magnifique d’euphémisme, RTE qualifie ces risques de coupures de «moyens post marché».

Se faire peur
  Joue t-on à se faire peur ? Pas certain. Bien sûr, pour que ce risque se réalise, il faudra cumuler tous les facteurs négatifs. Mais le principal, celui de la survenue d’une vague de froid, avec un anticyclone séjournant sur la France durant deux semaines, n’est pas prévisible. Il ne peut donc pas être exclu du raisonnement pour l’hiver cours, disons jusqu’à fin février. C’est la météo. On n’y peut rien. C’est ce qui est arrivé lorsque la consommation a connu son pic historique avec un maximum de 102 GW en instantané, à 19h le 8 février 2012, graphique ci-dessous. Et une consommation de 2,26 Twh, terawattheures, en un seul jour.
 
 
Ce graphique provient du site web de RTE. Il montre la consommation d’électricité en France métropolitaine du 1er février au 19 février 2012 lors d’une vague de froid.

Mais, dira t-on, si l’on a pu répondre à cette demande historique, pourquoi ne le referait-on pas ? Pour répondre à cette question d’évidence, regardons avec le graphique ci-dessous comment l’offre avait répondu à cette demande historique. Avec 59 GW de nucléaire, 14 GW d’hydraulique, 8 GW de gaz, 5 GW de charbon, 5,5 GW de fioul, 1,7 GW d’éolien, 0,6 GW de biomasse et… 7,3 GW d’importations. 
 
 
Graphique tiré du site web de RTE. On y voit l’origine de l’électricité produite en France du 1er février au 12 février 2012. Les chiffres qui apparaissent sont ceux à 19h30 le 8 février 2012 lors du pic historique de consommation à 102 GW

  Donc, un nucléaire au mieux de sa forme, avec presque tous les réacteurs à fond les ballons, une hydraulique assez élevée, merci les réserves des lacs, et un parc thermique utilisé massivement.       L’éolien ? 6,6 GW d’installés… mais peu de vents, donc une production très faible. Le solaire ? À 19h, il fait nuit, donc zéro production.

Puissance pilotable
 
  
 
  Parc de production au 1er septembre 2020 à son maximum théorique de capacité, pleine charge pour toutes les installation, photovoltaïque à midi heure solaire sans nuages.

  Qu’est-ce qui pourrait nous empêcher de rééditer cette performance ? Après tout, la puissance totale du parc de production était en 2012 de 126 GW… et elle est de 133 GW au 1er septembre 2020. Oui, mais ce n’est pas le même parc. La puissance pilotable, celle qui répond à la commande humaine (si elle est disponible techniquement) a fortement diminué, tandis que la puissance intermittente, celle qui fonctionne lorsque la nature le veut: vents, soleil et hydraulique de fil de l’eau, a augmenté. En 2012, nous disposions de 27,7 GW de charbon, gaz et fioul. Contre 18 GW aujourd’hui, soit 10 GW de moins, avec hausse du gaz et réduction forte du charbon et du fioul, une politique liée à l’impératif climatique, visant à décarboner le plus possible la production d’électricité. Une situation météo similaire à celle de février 2012 ne se traduirait que par une faible augmentation de la production éolienne, et un solaire toujours à zéro à 19 heures.
  La formule de Barbara Pompili – «il faut se tourner vers d’autres sources d’électricité» – trouve ici sa limite technique… et d’honnêteté intellectuelle. Car elle aurait dû dire « vers le gaz », qui est la seule source d’électricité pilotable accessible en ce cas de figure météo. Donc vers une source carbonée, contribuant fortement aux émissions de CO2 et au changement climatique. Le choix du gaz, donc de la menace climatique et d’une facture de plus en plus élevée pour la France qui n’en produit pas, est indissociable de la volonté de remplacer le nucléaire par les éoliennes et le solaire. Un choix que l’on peut partager – par crainte du risque nucléaire – ou non – par conviction que ce risque est maîtrisable. Mais qu’il n’est pas honnête de cacher. 
 
 
  
  Le parc de production en 2012 était seulement de 126 GW, mais avec une contribution des centrales thermiques classiques, fioul, charbon, gaz, de 27 GW.
  En outre, le parc nucléaire sera nettement moins productif. Il y manque les 1 800 MW de la centrale de Fessenheim, fermée sur décision gouvernementale à un moment vraiment mal choisi. Et, surtout, la synergie redoutable entre une accumulation d’arrêts pour maintenance ou visites décennales et les conséquences inattendues de la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 diminuent sérieusement ses capacités pour cet hiver. Quel rapport entre le coronavirus et les centrales nucléaires ?

Casse-tête
  Paradoxe : c’est la baisse de la consommation d’électricité qui en est la cause. Lors du confinement, la chute de la demande, environ 13 TWh selon RTE, du fait de l’arrêt de productions et d’activités économiques s’est répercutée surtout sur la production nucléaire, puisque les productions éoliennes et solaires sont prioritaires sur le réseau, un mode de subvention efficace. EDF a donc bridé ses centrales.   Faisant ainsi une démonstration involontaire de la souplesse de son parc de réacteurs, capable de diminuer sa production pour répondre à une évolution totalement imprévue et de reporter dans le temps une capacité de production.
  Mais diminuer la production d’un réacteur, en baissant sa puissance, signifie ralentir le rythme des fissions des atomes d’uranium. Or, si l’on conservait les dates prévues à l’origine pour le remplacement des combustibles usés cela signifierait jeter à la poubelle toute la partie de ce précieux combustible qui n’aurait pas été utilisée. Les ingénieurs spécialistes es-calculs de neutronique d’EDF ont donc concocté un nouveau calendrier, visant tout à la fois la consommation maximale du combustible et, tant que faire se pouvait, d’éviter d’avoir à recharger les cœurs des réacteurs au plein cœur de l’hiver.
  Par exemple des réacteurs ont été très peu sollicités durant l’été afin de prolonger jusqu’à la fin de l’hiver les cœurs en service. Cela avait un coût : un recours accru aux centrales thermiques à gaz et charbon, et des importations massives durant l’été et en septembre, mois traditionnellement très exportateurs pour la France. Cet exercice, s’apparentant à un casse-tête, ne pouvait pas se finir avec un miracle. Même avec une gestion habile de l’ensemble des réacteurs durant l’été de façon à permettre à certains cœurs de fonctionner durant les mois décisifs, novembre à février, il est impossible de rééditer l’exploit de 2012 avec presque tout le parc en production au moment du pic de consommation.

Facteurs favorables
  Dans sa dernière note sur le sujet, RTE note avec satisfaction que les travaux d’EDF durant l’été se sont bien déroulés et que les perspectives de production nucléaire pour l’hiver se sont légèrement améliorées, «évitant un risque majeur de déséquilibre durant l’hiver». Des facteurs favorables viennent améliorer la situation, comme des lacs de montagnes pour la plupart très bien remplis et une nouvelle interconnexion entre la France et la Grande-Bretagne.
  Mais le gouvernement a dû doubler la prime données aux industriels qui acceptent de se voir couper le jus en cas de déséquilibre. Et RTE compte sur des importations massives en provenance des voisins, un palliatif qui ne pourra pas se perpétuer lorsque l’Allemagne aura fermé ses dernières centrales nucléaires et entamé (enfin !) la réduction de son énorme parc de centrales à charbon. Pourtant, «l’appel aux moyens post-marché est probable en cas de températures significativement inférieures aux normales de saison, et le recours au délestage ciblé de ménages ne peut être exclu dans ce cas.» Des délestages évidemment destinés à éviter «un risque de black-out sur l’ensemble du pays», précise RTE

Les hivers des années 1950 et 1960
  In fine, où en est le risque de coupures ? Il demeure réel. Mais suspendu à la météo. Laquelle ne peut se prévoir au delà de 15 jours. Dans le climat actuel, des vagues de froid prolongées, d’au moins deux semaines, sont moins probable que dans le climat des années 1950 et 1960. Les hivers de cette époque, en 1954, 1956 ou 1962-63 feraient chuter notre système électrique. Mais le climat actuel peut tout de même produire des hivers similaires à ceux de 2012, et surtout 1987 et 1985 – ce n’est pas si ancien – ce dernier étant au delà des capacités actuelles du système électrique.
   
 
  Les grands hivers de 1956 ou 1962/63 sont très improbables aujourd’hui, en raison du réchauffement climatiques, mais ceux de 2012, et surtout 1985 ou 1987, demeurent possibles, même si leur probabilité de survenue à diminué.
  Cette situation peu glorieuse souligne la nécessité d’une approche plus raisonnable des besoins électriques du pays que le « yaka installer des éoliennes et des panneaux solaires » devenu le mantra de dirigeants politiques négligeant les réalités techniques.   

  La production électrique d’origine éolienne n’est pas pilotable : cela signifie qu’elle ne peut pas suivre la demande, mais suit… la météo. Exemple avec la production du mois de septembre 2020, avec près de 15 jours en début de mois marqués par une production très faible, puis deux vagues de forte production, séparées par un creux de trois jours. Cette courbe n’a rien à voir avec celle de la demande, quelque soit la période considérée (horaire, journalière, hebdomadaire).
  Surtout lorsqu’on prétend s’engager dans une électrification massive des transports routiers avec l’interdiction de la vente de voitures à moteurs thermiques en 2040. La légèreté coupable avec laquelle des gouvernements et des majorités parlementaires gèrent ce sujet s’est révélée avec le report de dix ans de l’objectif d’une diminution à 50% du nucléaire dans la production, relativement à la loi TECV (transition énergétique pour la croissance verte) de 2015. Il est plus que temps, pour éviter de prendre des risques majeurs avec notre système électrique, de fonder les décisions sur les réalités techniques et non sur des discours politiciens.

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