Qui achète qui ? La question n’épuise assurément pas la subtilité des organisations humaines. Mais y répondre offre un robuste aperçu de leur hiérarchie. Début août, une dépêche de l’agence Bloomberg annonçait : « Le groupe Goldman Sachs a embauché M. Anders Fogh Rasmussen, ancien premier ministre du Danemark et ex-chef de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), afin de surmonter les obstacles politiques auxquels se heurte la banque depuis qu’elle est entrée au capital d’une entreprise publique l’an passé (1). »L’information se savoure comme un distillat des raisons qui fondent le discrédit du monde politique.
Il y a d’abord la trajectoire: Chef de gouvernement partisan du moins d’impôts et de la guerre en Irak, M. Rasmussen démissionne en avril 2009 pour prendre la direction de l’OTAN. Son mandat échu, il crée un cabinet de conseil baptisé en toute sobriété luthérienne Rasmussen Global et enchaîne les conférences tarifées (40 000 dollars la prestation de base) par l’intermédiaire d’une société domiciliée en Andorre — une principauté dont le climat fiscal accommodant délecte cet ancien ministre des impôts. Le voici donc au service de Wall Street.
Mais il y a surtout le contexte. Si Goldman Sachs a ressenti l’urgence de s’acheter un ancien premier ministre danois, c’est que la colère gronde à Copenhague contre la banque d’affaires, soupçonnée d’avoir grugé le contribuable. L’histoire est édifiante. Début 2014, l’exécutif danois autorise Goldman Sachs à prendre une participation de 18 % dans le capital de Dong, la compagnie publique d’énergie. La décision provoque la fureur populaire et la démission de six ministres du Parti populaire socialiste (écosocialiste) opposés au projet. Fin mars 2014, la presse danoise révèle que le prix de la participation aurait été largement sous-évalué: Un projet de champ géant d’éoliennes, connu de Dong et de Goldman Sachs, n’aurait pas été pris en compte dans le montant de la transaction. Exaspérés, les Danois balaient la coalition au pouvoir emmenée par les sociaux-démocrates. Soucieux de refermer cet embarrassant dossier, le nouveau gouvernement libéral a promis de divulguer certains documents relatifs à la vente, jusque-là jugés trop sensibles pour être communiqués aux parlementaires.
Une nouvelle tempête s’annonce. Le réseau d’obligeances et de connivences tissé par M. Rasmussen lors de ses mandats publics ne sera pas de trop pour protéger la banque privée. Cela tombe bien: L’actuel premier ministre danois était le ministre des finances du nouveau conseiller de Goldman Sachs.
Commentaire: « L’enfant croit au Père Noël. L’adulte non. L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote ».
Pierre Desproges (1939-1988)
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