Le mythe de la transition énergétique : le roi est nu

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

25/07/2016

TransitionEnergétique
Chacun a en mémoire ce conte d’Andersen « Les habits neufs de l’empereur » dans lequel aucun courtisan n’ose dire qu’il ne voit pas les habits de l’empereur, faits par des charlatans dans un tissu soi-disant invisible pour les sots. Jusqu’à ce qu’un enfant ose dire tout haut dans la rue : « Mais le roi est nu ». Cette fable s’applique bien à la Transition énergétique : chacun en commente l’habillage : séduisant ou affreux, économique ou hors de prix,…. Et pourtant il n’y a pas d’habits. Vous allez comprendre l’analogie.
L’opposition la plus active, la mieux organisée et souvent gagnante contre la Transition énergétique est celle qui s’exerce contre les éoliennes. Un argument souvent répété en faveur des éoliennes est en substance : « Il faut bien choisir entre les inconvénients (légers) des éoliennes et les risques (graves) du nucléaire ». Un blog de René Longet dans l’Hebdo y revient. En creusant la question on débouche sur deux constatations plutôt étonnantes : d’abord la transition énergétique n’a pas été calculée. Pire, ahurissant : elle n’est même pas définie. La documentation de l’administration fédérale se limite à indiquer des objectifs mais ne donne pas de plans opérationnels pour la réaliser. C’est un grave défaut de la transition énergétique : elle nous vend du vent, au sens propre et au sens figuré. Il n’y a pas besoin d’être expert, il suffit de lire cette documentation : on n’y trouve pas de programme concret de mesures pour réaliser les objectifs. Explications.
Un débat lancé sur Internet
René Longet tient un blog dans l’Hebdo. Il a publié le 17-07-2016 un article intitulé « Diaboliques éoliennes ? » dans lequel il répète l’argument souvent utilisé que les inconvénients des éoliennes sont négligeables par rapport  aux risques du nucléaire.
Cet article a suscité une série de commentaires intéressants. Certains citoyens éclairés ne se laissent plus prendre par n’importe quelle bonne parole bien-pensante. Il y a un argument favorable aux thèses de M. Longet, que j’aimerais reprendre ici. Un internaute qui se désigne ahebdo déclare : « Il semble parfois qu’une nouvelle génération de Don Quichotte guerroie contre les éoliennes. ».
En somme les opposants à la Transition énergétique ne seraient que des doux rêveurs, des Don Quichotte attardés. C’est passer à côté de la réalité.
Deux questions essentielles occultées par la Transition énergétique
1ère question essentielle : la Transition énergétique, dite aussi Stratégie énergétique 2050 (SE 2050) est-elle faisable, comment et à quel coût ? Aucune étude sérieuse ne dit comment la faire et quel sera le coût. Au contraire, toutes les études sérieuses montrent que ce n’est pas faisable, du moins pas dans l’avenir planifiable (20-30 ans). Les déclarations prétendant le contraire sont des rêveries, politiques ou idéologiques. Parmi tous les éléments de preuve, juste deux ici : 1) la Suède avait décidé de sortir du nucléaire, déjà avant Tchernobyl, en y mettant deux conditions : montrer que c’est possible à un coût acceptable et sans augmenter la consommation de fossiles. Elle n’a pas réussi à en faire la démonstration, elle a annulé le décret de sortie du nucléaire et décidé de renouveler ses anciennes centrales nucléaires par des nouvelles. Qui a entendu parler de cette décision de la Suède ? 2) Eduard Kiener, l’ancien directeur de l’OFEN, socialiste et plutôt réservé sur le nucléaire est formel : les objectifs de la SE 2050 ne sont pas réalisables (ses analyses et interviews sont disponibles). Les causes principales de cette non réalisation résident à la fois dans les coûts de la concentration d’énergie très diluée (vent et soleil) et dans le fait qu’aucune technique de stockage n’est disponible dans le volume nécessaire pour compenser l’intermittence de ces mêmes énergies : un stockage par pompage-turbinage nécessiterait 20 X le volume d’eau de Grande Dixence (Nant de Dranse ne fait que 1/10 du volume de GD).
Le risque est grand qu’on dégrade fortement nos paysages et qu’on provoque des nuisances importantes, pour ne remplacer… qu’une petite fraction des kWh nucléaires qui nous sont nécessaires.
2e question essentielle : les risques du nucléaire justifient-ils une interdiction de cette technologie? Non, si on est informé. On sait faire des réacteurs qui même en cas de défaillance ne contaminent pas leur environnement. Des erreurs graves de sécurité ont été commises à Tchernobyl (concept de sécurité défaillant avec un coeur potentiellement instable) et Fukushima (4 dispositifs de sécurité manquants, proposés par la Suisse elle-même et refusés). Aucun réacteur correctement équipé n’a jamais contaminé son environnement. Il n’y a jamais de débat sur ce point, la condamnation du nucléaire tient du procès sommaire. Quant aux déchets nucléaires, dont on dit qu’il n’y a pas de solutions; si tous les déchets spéciaux étaient gérés aussi bien que les déchets nucléaires, il n’y aurait pas de contamination comme celles du mercure de la Lonza à Viège ou de la décharge de Bonfol.  L’inventaire fédéral des sites contaminés en Suisse indique 38 000 sites par des déchets spéciaux et zéro site par des déchets nucléaires. C’est une preuve du soin avec lequel les déchets nucléaires sont isolés de la biosphère.
L’interdiction du nucléaire est aussi logique qu’une interdiction de la chimie en Suisse à cause des accidents de Bhopal (Indes 1984) ou de Seveso (Italie 1976).
La transition énergétique : ni chiffres ni programme concrets
Mais alors comment la SE 2050 a-t-elle été calculée ? Que valent les documents de l’administration et le message du CF ? Chacun se dit : il y a bien eu des calculs, il n’est pas possible qu’on nous propose un tel projet sans l’avoir évalué ? Peut-être que les experts ne sont pas d’accords entre eux, situation bien banale. C’est là que le citoyen conscient tombe sur une surprise énorme :
la SE 2050 n’a pas été calculée, pour la simple raison qu’elle ne contient que des objectifs, mais pas de plans opérationnels.
Il n’y a pas de programme avec les mesures à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs. On nous dit bien qu’on fera essentiellement appel à des Cleantechs (dont les éoliennes et le solaire) complétées par des économies, voire par des restrictions d’énergie, et des taxes. Remarquez, lesCleantechs sont très bien, mais si on veut résoudre tous les problèmes avec seulement cela, c’est aussi réaliste que de vouloir nourrir un pays avec des jardins potager, sans agriculture et sans chaîne de distribution. Mais surtout pas de détails sur quoi, combien  et à quel coût. Pour comparaison : si la SE 2050 était un projet de maison à construire, son architecte ne donnerait que le cahier des charges, mais pas les plans ! Ceci est vérifiable sans être spécialiste, il suffit de lire (quelques centaines de pages) la documentation de Mme Leuthard. Cela a d’ailleurs été confirmé par Giovanni Leonardi, ex-CEO d’Alpiq dans une conférence publique à l’EPFL le 26 février dernier.
Wanted: des politiciens responsables et un vrai journalisme d’investigation
Comment se fait-il, au final, que tant de politiciens défendent donc l’indéfendable ? Il semble que cela soit lié à l’addition de deux éléments : une large ignorance des dossiers techniques et la conviction que défendre la SE 2050 rapporte des voix. Faire des voix, cela peut-il primer sur la recherche de solutions conformes à l’intérêt général?  Il est de la responsabilité d’un grand parti de vérifier la pertinence d’un projet de loi. Le PS, parti de M. Longet, est un grand parti. C’est aussi le parti d’Eduard Kiener. Il n’a pas été écouté dans son propre parti, malgré ses efforts personnels. Des politiciens lucides, et courageux ont cependant osé dénoncer les faiblesses de la SE 2050. Ils ont osé être impopulaires, certains les traitent de populistes. Ils se reconnaîtront.
En absence d’un vrai journalisme d’investigation sur ce sujet (exception en Suisse allemande avec la Weltwoche, la Baslerzeitung et Finanz und Wirtschaft, et en Suisse romande avec lesobservateurs.ch sur Internet), l’opinion publique va encore rester piégée longtemps. Lueur d’espoir : la grave débâcle de l’hydraulique, qui résulte d’un mauvais traitement de toutes ces questions, est un signal d’alarme qui pourrait conduire à une réévaluation sérieuse de tout le dossier.
En savoir plus
Quelques-unes des analyses qui montrent que la Transition énergétique n’est pas réalisable :
La décision de la Suède d’annuler la sortie du nucléaire :
Conférence de Giovanni Leonardi, ex-CEO Alpiq, 26-02-2016,EPFL (la SE 2050 n’a pas de plans opérationnels) :
 Article publié sur :
jfd / 25-07-2016

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