Collectif La Brique
12 juillet 2016
Lundi 4 Juillet à Lille se tenait une espèce de meeting – c'est du moins comme cela que le machin était présenté – initié par le collectif « Hé ho la gauche », la réunion des derniers soutiens à François Hollande. Car oui, il y en a. En dépit d'un important dispositif visant à ne faire entrer que les membres du parti, La Brique a pu s'y infiltrer. Et constater à quoi ressemble une thérapie de groupe pour s'auto-persuader qu'on est de gauche, et galvaniser les foules en soutien à un candidat qui n'existe pas.
on a compté pas moins de 21 véhicules de police et de CRS. Devant la salle du Gymnase, quelques gorilles s'occupent des entrées. Identifiables par leur brassard rouge, ils scrutent avec méfiance les passants : seuls les membres du parti qui ont reçu leur confirmation par internet peuvent entrer. Sur le trottoir d'en face, un comité d'accueil d'une centaine de personnes ne désarme pas dans leur opposition à la loi travail et à l'utilisation répétée du 49.3. Certaines d'entre elles tentent une approche ; on s'invective et on se réclame de la démocratie des deux côtés à coups de « gauchistes ! » contre « traîtres ! ». Une pancarte est arrachée par le service d'ordre du PS.
Il y a quelques années, on aurait eu peine à croire que ce genre de scène décrive autre chose qu'un meeting du Front national. Quand retentissent les slogans : « P comme pourri, S comme salaud, à bas, à bas le parti socialo ! », on comprend que c'est pourtant bien le parti socialiste qui a pris ses quartiers ici ce lundi soir, sous bonne escorte. Plus exactement, « Hé ho la gauche », un groupe de radicalisés créé à l'initiative de Stéphane Le Foll, qui tente de rassembler les derniers forcenés croyant en une « gauche » incarnée par François Hollande pour la prochaine présidentielle.
Les premiers militants PS sont copieusement hués : « hé ho, la droite ! », interpellent ironiquement les manifestant.es pour qui l'accès est barré. Le PS a en effet inventé le meeting sur invitation : impossible de pénétrer dans la salle du Gymnase sans présenter son laisser-passer. Certain.es, venu.es par curiosité ou en ignorant les consignes (mais qui sont ces gens ?), sont gentiment repoussé.es ; celles et ceux qui affichent une quelconque sympathie pour la CGT sont méchamment refoulé.es. Astuce : avec un air gentil, en expliquant que vous vous êtes inscrit.e pour le premier meeting en mai (annulé), et en connaissant le nom d'un.e secrétaire de section, vous parvenez à passer après environ dix minutes de palabres et trois barrages : un premier pour vérifier que vous ne faites pas partie d'un collectif hostile - et il y en a beaucoup - un deuxième pour la liste des inscrit.es ; et un troisième pour un contrôle des sacs et des poches.
A priori, avec un tel filtrage, pas de risque d'être emmerdé. Environ 250 personnes sont placées dans la salle, dont une partie d’élu.es et leurs collaborateurs. Les premiers rangs sont gratinés de vieux notables. Le reste ? Quelques MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes), et beaucoup de personnes âgées. Les présents ont un immense privilège : apercevoir les guest stars que sont les ministres Patrick Kanner et Stéphane Le Foll, toujours de mèche, ainsi que Pascale Boistard et Clotilde Valter. L'occasion aussi d'apprendre qu'elles sont secrétaires d’État. Tout ce beau monde est entré discrètement par une porte dérobée. Bernard Roman est le premier à prendre la parole, puisqu'il paraît qu'on est dans « sa » circonscription. Première vanne, devant un public acquis à sa cause : « Ce meeting n'est pas à sens unique ». Et pour poursuivre sur ce registre, quoi de mieux qu'un facétieux clin d'œil au 49.3, avec une minute de silence en hommage à Michel Rocard, le spécialiste du court-circuit démocratique ? Roman reprend la parole, quand un jeune enseignant se lève et brandit un carton rouge sur lequel est inscrit « 49.3 Citoyen ». Il explique appartenir au Front de gauche et souhaite poser une question sur les passages en force répétés du gouvernement. Son voisin de devant, genre de personnage qu'au collège on appelle « gros fayot », se lève pour le masquer à la vue des ministres. Héroïque, il fait rempart, debout sur sa chaise. Heureusement que le ridicule ne tue pas, car le risque de mort subite était réel.
On se pince pour savoir si c'est bien Denise Cacheux qui a lancé à l'encontre du militant FG un élégant « Ta gueule ! » C'est bien elle. Le jeune homme est finalement dégagé sans ménagement par le service d'ordre. Bilan : une chemise à jeter, encore un tout beau symbole du quinquennat et de belles images pour la télé.
L'objectif de ce raout est d'« expliquer », de « faire de la pédagogie ». Il faut « défendre notre bilan », martèle Le Foll, « il faut qu'on compte sur nous, il faut qu'on soit fiers ». Dans un élan de lucidité, il reconnaît qu'« on ne peut pas compter sur les autres pour le faire ». Car il s'agit de « répondre à un doute ». Un doute ? Allons donc. Qui oserait dire que l'action de ce gouvernement ne n'inscrit pas dans l'histoire et les combats de la gauche ? « La faute aux médias simplificateurs », ose Martine Filleul. Conviction sincère ou méthode Coué, les orateurs prétendent ici représenter « la gauche » et entendent bien le répéter : « Notre modèle social a été conforté » ; « On est fidèles aux valeurs de la gauche » ; « On n'a pas trahi les valeurs de gauche » ; « Le bilan des socialistes au pouvoir n’est pas mauvais ». Qui pourrait d'ailleurs en douter ? Des affiches célébrant le 80e anniversaire de la victoire du Front populaire garnissent les murs : vous voyez bien que l'esprit de Léon Blum est parmi nous !
En toute honnêteté, c'est chiant à mourir. Chacun.e y va de l'explication de sa mesurette, qu'on est dans l'impossibilité de replacer dans une quelconque volonté générale de transformer la société et de combattre ses inégalités, si ce n'est de manière ponctuelle ou sectorisée. Les applaudissements sont mous et convenus. Sauf quand Patrick Kanner révèle un scoop : il est « un ministre heureux... 5-2 ! Et je n'y suis peut-être pas pour rien ». La veille, l'équipe de France de football a battu l'Islande par 5 buts à 2. Grâce à lui, indubitablement. Ce moment aura au moins eu le mérite de déclencher des applaudissements nourris. Un petit malaise s'empare de la salle quand Pascale Boistard évoque les progrès de l'égalité homme/femme, tandis que Bernard Roman regarde ses pieds : pensait-il à sa petite devinette ? Bien sûr, il y a eu des difficultés, mais « nous avons hérité d'un pays avec un déficit de 7% du PIB » justifie Kanner. À part ça ? RAS. Ça va mieux. Une chose est certaine : la droite, c'est encore pire, c'est « la régression absolue » pour Le Foll. « Laissons la honte à d'autres, pour Kanner. À ceux qui ont pointé du doigt les fonctionnaires, qui ont stigmatisé les pauvres, qui ont insulté les quartiers populaires – rappelez-vous du fameux karcher –, qui ont sacrifié l'éducation ».
Dès lors, il n'y a guère que les « grincheux » (hé ho les Grincheux, on retourne au boulot) et les « chafouins » pour oser contester l'action « de gauche » du gouvernement. Par exemple, celles et ceux qui se sont détourné.es du PS et attendent dehors, ceux que l'on entend distinctement crier dès que la porte de la salle s'ouvre ? « Ne vous laissez pas impressionner par je ne sais quelle gauche qui aurait une sorte d'imprimatur et qui serait donneuse de leçons à d'autres (…) les thèses des frondeurs et autres » dit Kanner ; « et ceux dehors là, qui décernent des brevets en orthodoxie » surenchérit Le Foll,« cette idée que nous serions contraires aux engagements qui ont été pris, que nous aurions été même des traîtres ! Je voudrais vous rappeler, en regardant cette affiche de Léon Blum, que lui aussi a été traité de traître ». On lui dit qu'en 1936, le Front populaire était soutenu à sa gauche, notamment par le Parti communiste ? Et que les insultes, principalement antisémites, qu'a reçues Léon Blum, venaient de l'extrême-droite ?
Comble du ridicule et retour de boomerang de la communication pour les nuls : un sympathisant demande au ministre de l'agriculture si, vraiment, « ça va mieux ». Et hop, remettons une couche d'éléments de langages ! « Oh vous savez quand on a dit ça, des [bons] chiffres venaient de sortir » Depuis, on se rassure, la situation est revenue à la normale : la loose hollandienne. Fort heureusement, la soirée s'achève sur une note chaleureuse : un porte-parole de l'Union des démocrates et des écologistes (sic) transmet le « salut » de Jean-Luc Benhamias et de Jean-Vincent Placé : ça fait plaisir !
À l'issue de la réunion, le comité d'accueil est devenu comité de sortie. L'ambiance oscille entre hostilité et moquerie : toujours des « hé ho, la droite ! » et des « tout le monde déteste le Parti socialiste ! » d'un côté ; de l'autre, les derniers specimens du PS sortent penauds et le regard hagard, se demandant ce qu'on peut bien leur reprocher. Certain.es s'emportent : « extrémistes ! », quand d'autres prennent ça à la rigolade. Quelques-un.es brandissent l'inusable menace Le Pen : « Vous verrez quand l'extrême-droite sera au pouvoir », ou la menace de la droite : « Vous serez content quand la droite sera au pouvoir ? » ; « Elle l'est déjà », réplique une sympathique manifestante. Stéphane Le Foll s'est vite éclipsé par une porte dérobée, les autres membres du gouvernement suivent. Dernier parti, un Patrick Kanner tout sourire est exfiltré par une voiture de police, sous la protection de vingt CRS bloquant la rue. Il ne faudrait pas que les quinze derniers manifestants festifs, soutenus par des voisins aux balcons s'approchent de son véhicule.
Ainsi se présente le PS en 2016. Tournant à vide pour rassurer quelques irréductibles, fermant la porte à la rue qui clame sa colère depuis des mois et se mobilise au moindre événement estampillé « gauche gouvernementale ». La rue, qui se demande bien ce qui a pu amener des gens à se faire élire sur des attentes de gauche pour finalement imposer un projet commandé par le patronat.
Toute contestation est qualifiée d'extrémiste. Avec une rhétorique qui reprend l'habituelle rengaine d'un bilan calamiteux mal perçu à cause d'un problème de communication. En somme, tout cela ne serait qu'un immense malentendu qu'il convient de lever en faisant un peu de « pédagogie » à l'attention des électeurs qui ne comprennent décidément rien à rien. Permettons-nous d'émettre une hypothèse audacieuse : et si le peuple n'était pas idiot et qu'il se souciait de ses intérêts et du respect ses valeurs ?
En 2012, le PS détenait l’ensemble des pouvoirs. Six ans plus tard, il a perdu un nombre considérable d’élus et de militants, et toutes les élections intermédiaires. Ses hiérarques s'accrochent pourtant à l'astre mort qu'est le PS : oui oui, les jeunes sont la priorité du quinquennat, les chômeurs vont mieux, les réfugiés se portent comme un charme, la loi travail protège les salariés, les chercheurs ont des moyens suffisants et les militant.es écologistes assigné.es à résidence peuvent ainsi réduire leur bilan carbone. Pendant ce temps, l'état d'urgence et le football ont neutralisé la menace terroriste tandis que le pacte de responsabilité a embelli le marché du travail.
Aucun de ces échecs patents n’a stoppé la fuite en avant libérale du gouvernement. La « loi travail », votée en juillet, en marque l'ultime étape sous forme de recul sans précédent en termes de droits sociaux.
Patrick Kanner a utilisé une drôle de formule lundi soir pour justifier l'idée que le bilan du gouvernement n'était pas reconnu à sa juste valeur : « Chose avalée n'a plus de goût ». Et quand rien n'est digéré, ça fait passer le goût du pain ?
Crédit photos (sauf la deuxième) : Julien Pitinome / Collectif OEIL
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