Régis de Castelnau
25 juillet 2016
Commentaire: Les voies de la Justice étant impénétrables comme bien d'autres, un cours de droit est le bienvenu. Pour ne plus raconter n'importe quoi accoudé au zinc...
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Nice: ce n’est pas à la justice de dire le vrai dans deux ans.
Consécutif au carnage de Nice, l’affrontement entre le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et la policière municipale Sandra Bertin révèle l’exacerbation des contradictions politiques qui traversent la société française. Il y aurait, dit-on, deux vérités qui s’affrontent, chacun prenant parti pour celle qui l’arrange en fonction de ses choix politiques, de ses affinités personnelles, ou de ses appartenances de réseaux. L’alternative serait, paraît-il, entre Cazeneuve menteur ou Bertin menteuse.
Double défausse
La réalité est en fait plus prosaïque : face à la catastrophe, chacun essaie d’éviter d’être mis trop lourdement face à ses responsabilités. En se défaussant sur celui d’en face, d’autant que la question de la sécurité à Nice est institutionnellement partagée entre l’État et le maire qui exerce d’ailleurs cette compétence au nom de l’État. Pour faire encore plus simple, c’est patron de la police nationale contre patron de la police municipale, autrement dit parole contre parole. L’observateur de bonne foi a donc le plus grand mal à privilégier l’une ou l’autre. Surtout que chaque camp va convoquer ses témoins, qui François Molins le procureur du tribunal de grande instance de Paris, qui Sandra Bertin fonctionnaire territoriale secrétaire générale de son syndicat.
Il semble quand même qu’une commission d’enquête parlementaire pourrait être une bonne solution. Ce n’est pas pour l’instant l’option été choisie, mais, de part et d’autre, conscient du problème, on a annoncé triomphalement avoir « saisi la justice ». Vieille ficelle qui fonctionne toujours en ce qu’elle permet de dire : « laissons la justice suivre son cours ». Et parce que le public connaît mal les mécanismes mis en mouvement.
Des procédures à n’en plus finir
Alors de quoi s’agit-il ? Bernard Cazeneuve nous a dit vouloir déposer plainte en diffamation. La belle affaire ! Voilà une procédure qui relève de ce que l’on appelle le droit de la presse qui, dans notre pays, encadre la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu des procédures particulièrement minutieuses, où il est très facile de se casser la figure. Il faut savoir que le juge du siège ne joue qu’un rôle d’arbitre et n’use pas de pouvoirs d’investigation sur la réalité de ce qui a été affirmé. Chacune des parties lui soumet ses arguments, à charge pour lui de dire si la diffamation est constituée. La décision n’implique pas une vérité factuelle disposant de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, si Guy Bedos dit que Nadine Morano est une conne et ajoute en ricanant « qui mange les petits enfants » et que, poursuivi par sa cible, il est relaxé, cela ne voudra pas dire que Nadine Morano « est une conne qui mange les petits enfants ». Bernard Cazeneuve nous a indiqué« attendre avec sérénité », les suites de la procédure qu’il a engagée. Il peut effectivement être serein, puisque dans le meilleur des cas, si cette procédure ne se casse pas la figure en route, l’affaire sera examinée en première instance dans deux ans, en appel dans trois, et en cassation dans quatre. Il n’est peut être pas tout à fait exclu qu’il ne soit plus ministre de l’Intérieur à ce moment-là…. L’ironie de l’histoire serait que Nicolas Sarkozy soit alors président de la République et Eric Ciotti ministre de l’Intérieur…
Face à cette terrifiante attaque nucléaire à la visée strictement médiatique, Madame Bertin et ceux qui l’entourent ont préparé une contre-mesure tout aussi terrifiante. Elle a annoncé vouloir « faire un signalement au procureur pour faux en écriture publique ». Bigre, là c’est du lourd.
Qu’est-ce que c’est qu’un « signalement au procureur » ? L’article 40 du code de procédure pénale fait obligation aux fonctionnaires de porter à la connaissance du procureur les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale. Fort bien, le procureur de Nice, dépendant hiérarchiquement de la place Vendôme, va donc recevoir un courrier dont il fera ce qu’il voudra. La gamme de ses possibilités va de l’ouverture d’une information judiciaire à un envoi direct à la corbeille. Et c’est cette solution qui risque d’être adoptée, car l’on ne voit pas très bien où résiderait le « faux en écriture publique ». Il faut d’abord qu’il y ait ce que l’on appelle un acte authentique, c’est-à-dire ayant valeur probante et dont celui qui s’en prévaut n’a pas à démontrer l’authenticité. Tous les actes créateurs de droit émanant des autorités publiques, ou des officiers ministériels, ont cette qualification. On ne voit pas très bien non plus, jusqu’à présent dans cette polémique, ce qui serait susceptible de la recevoir. Rappelons aussi que lorsque le faux ou l’usage de faux en écriture publique est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, on est en présence d’un crime justiciable de la cour d’assises ! Un marteau pilon pour écraser une mouche? Tout cela n’est pas très sérieux et la sortie de Madame Bertin sur ce point relève de la rodomontade.
La vérité, rien que la vérité
Ce nouvel épisode, non pas de l’instrumentalisation de la justice, mais de l’utilisation du droit en surfant sur l’ignorance juridique de l’opinion publique est désolant. Ce n’est pas un aspect secondaire de l’épisode qui est en train de se dérouler. Quoi qu’en dise le président de la République, le peuple français n’a pas besoin pour aujourd’hui d’une vérité judiciaire pour l’instant inatteignable. Et dont on sait qu’elle peut entretenir des rapports parfois lointains avec la réalité. Quel intérêt de savoir dans quatre ans si Madame Bertin a diffamé des fonctionnaires ? Ce qui n’établirait pas nécessairement qu’elle a menti. Ce dont nous avons besoin en urgence, c’est d’une vérité factuelle, et qui soit politique et opératoire. La tension a franchi un cap dans notre pays depuis le massacre de Nice. Le tir de barrage sur « l’unité nationale obligatoire » et l’interdiction de mettre en cause la responsabilité de l’État et de ceux qui le dirigent n’ont servi à rien. La confiance des Français envers leurs dirigeants est en cours d’effondrement et une clarification s’impose. Il est dramatique d’en laisser l’exigence au Front national.
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