Commentaire : merci, monsieur le professeur pour vos explications.
L'Union Européenne et son électricité "c'est comme l’histoire de ce type qui s’est jeté d’un immeuble de dix étages. À chaque étage, les gens l’entendaient dire : « jusqu’ici, ça va. Jusqu’ici, ça va. Jusqu’ici, ça va. "
Steve McQueen, Les Sept Mercenaires (1961), écrit par William Roberts
Les français vont-ils enfin prendre conscience, nos élus n'ayant pas la science infuse, qu'il est urgent, en dehors des urnes, de se mobiliser et d'exiger leur consultation (référendum?) sur ces choix décisifs pour l'avenir de la France et des générations futures?
En même temps, préparons-nous à payer l'enterrement et les frais annexes pour de très longues années...😱
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Cet article est la suite du Focus sur l’énergie de Jean-Pierre Riou. Il fait partie d’un triptyque sur la globalité du contexte énergétique. Ce dossier comprend deux autres parties :
- De l’énergie mondiale en général à la France d’aujourd’hui en particulier
- L’énergie et le monde de demain
L’alarme
Le 10 octobre 2018 les dix principales associations de professionnels du secteur électrique, réunis à Berlin, ont tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué commun.
Ce communiqué appelle à trouver d’urgence des solutions de stockage pour gérer la production croissante d’énergies intermittentes et alerte sur le risque de rupture d’approvisionnement qui menace l’Europe.
Il anticipe, le cas échéant, la fin de la solidarité européenne si des pays comme l’Allemagne ne parviennent plus à assurer leurs propres pointes de consommation.
Or les derniers bilans prévisionnels des gestionnaires de réseaux allemands redoutent précisément de ne plus être en mesure d’assurer l’adéquation offre demande d’ici 2 ans.
C’est dans ce contexte que la Belgique, qui se trouve confrontée à des impératifs de maintenance sur son parc de production, craint une rupture d’approvisionnement en raison de la diminution de sa capacité d’importation provoquée par les flux intermittents et non planifiés des éoliennes d’Allemagne du nord qui traversent son territoire en congestionnant son réseau pour être acheminés vers l’Allemagne du sud.
Et, en tout état de cause, ce n’est pas la France qui serait susceptible de l’aider en cas de grand froid anticyclonique puisque le gestionnaire du réseau européen (Entsoe) prévoit en tel cas des épisodes d’approvisionnement non assurés en France (Lost of load expected, ou LOLE), capacités d’importations comprises.
(Source Entsoe Winter Outlook 2018 2019)
C’est ainsi que les afflux massifs des surcapacités intermittentes européennes, éolien/photovoltaïque, perturbent le réseau, sans même avoir encore permis de réduire sensiblement les capacités pilotables européennes, et notamment aucunement en Allemagne.
Alors que l’Europe restructure à grands frais son réseau pour répartir ces surplus, comment a-t-elle pu s’infliger la menace simultanée et paradoxale de l’insuffisance de production malgré ses surcapacités, et de l’engorgement de ses lignes électriques malgré la multiplication de ses interconnexions ?
Les rendez vous manqués de l’intermittence
Le photovoltaïque cesse de produire dès que le soleil cesse de briller, et notamment bien avant la pointe de consommation hivernale française de 19 heures qui dimensionne notre système électrique.
Le facteur de charge de l’éolien est susceptible de s’effondrer jusqu’à moins de 1% de sa puissance installée quand le vent cesse de souffler, et fait ainsi varier la puissance du parc éolien français entre 61 MW le 06/08/2018 et 10 639 MW le 12/03/2018.
Il en va de même de la formidable puissance du parc intermittent éolien/solaire allemande qui est susceptible de n’être d’aucun secours en plein hiver, et capable de tomber notamment à moins de 1 GW de puissance les 11 et le 26 janvier derniers malgré 104 GW installés.
Or, les épisodes de grand froid entraînent une augmentation de la consommation. Cette augmentation est en France de 2 400MW par degré inférieur à zéro.
Et malheureusement, ces épisodes sont généralement anticycloniques, c’est-à-dire sans vent.
Et ces chutes de la production éolienne restent problématiques même en regard d’un prétendu « foisonnement » des vents au niveau européen comme le montre l’analyse de Sauvons le Climat.
Les limites du stockage
Georges Sapy a brillamment montré dans The European Scientist que si le stockage d’électricité à l’échelle d’un pays était techniquement envisageable, on ne disposait d’aucun modèle économique viable en vue.
Or l’hypothèse de nouvelles périodes prolongées de froid intense et sans vent ne saurait sérieusement être écartée, tandis qu’aucun scénario crédible de stockage ne prétend y faire face.
Pour répondre aux pointes de consommation, la France et la Grèce ont choisi de financer un mécanisme d’effacement de la demande. Ce mécanisme rémunère les capacités certifiées permettant de faire face aux pics de consommation par une production supplémentaire ou un effacement de la consommation.
Les appels d’offre de ce mécanisme, mis en place en 2017, ont retenu une rémunération de 10 000€ le MW effacé en 2018 et de 17 000€ le MW pour 2019. A ces effacements de puissance (MW) s’ajoute la possibilité de rémunérer des effacements d’énergie (MWh).
Tandis que l’Allemagne et la Belgique ont opté pour des subventions aux centrales thermiques chargées de rester en réserve stratégique du réseau.
Ce qui a interdit à l’Allemagne de fermer un seul MW de son parc pilotable malgré le développement d’un doublon intermittent de 104 000 MW éolien/solaire.
Car elle n’apparaît pas en mesure d’assurer ses propres pointes de consommation à la moindre réduction de sa puissance.
C’est la raison pour laquelle la centrale allemande ultramoderne d’Irsching 4 et 5 s’est vu refuser à plusieurs reprises l’autorisation de fermer ses portes malgré de lourdes pertes, en raison d’un taux de charge inférieur à 1% sur l’année 2017.
De la pénurie aux excès
Mais la surcapacité, liée à son doublon intermittent, qui a fait de l’Allemagne le 2ème exportateur mondial d’électricité 2017, alors que son solde export était nul jusqu’en 2002, est déjà à l’origine de grandes difficultés pour tout le système électrique européen.
Le priority dispatch
Car dès que le vent souffle ou que le soleil brille, cet imposant doublon intermittent produit du courant indépendamment de tout besoin local en bénéficiant de conditions d’injection prioritaires sur le réseau, ou « priority dispatch ».
Cette priorité a été supprimée pour les nouvelles installations par la Commission européenne en novembre 2016. L’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) et le Council of european energy regulator (CEER) viennent d’ailleurs de réclamer que l’abolition de ce privilège soit étendue aux capacités existantes.
Mais, en tout état de cause, leur priorité d’appel sur le « merit order », en raison de leur coût marginal nul, casse les règles nécessaires à la santé du marché de l’électricité en effondrant les cours dès que le vent souffle, et impose aux gestionnaires de réseau la mise en œuvre de parades coûteuses afin d’assurer la fermeté des programmes commerciaux.
Du redispatching …
Ces parades incluent notamment la rémunération de producteurs éoliens pour qu’ils arrêtent leurs machines, et l’ordre de redémarrage aux centrales thermiques plus proches du lieu de livraison de ces programmes.
Clean Energy Wire rapporte qu’en 2015, ces mesures de redispatching auraient coûté 402 millions d’euros à l’Allemagne.
Pour 2017, le gestionnaire du réseau européen « Entsoe » chiffre ce surcoût à 747 millions pour le seul gestionnaire Tennet.
… au countertrading
A ce redispatching, s’ajoutent les coûts du countertrading qui consiste en un échange entre 2 gestionnaires de réseau dans le sens inverse au flux contraignant, rendu nécessaire pour permettre la décongestion.
Jusqu’au casse tête des loop flows
Et par delà ces coûts, c’est la sécurité de l’ensemble du réseau européen qui est compromise.
Car lors des périodes ventées, des afflux massifs d’énergie éolienne en provenance d’Allemagne du nord débordent largement des lignes allemandes, aussitôt congestionnées, pour atteindre l’Allemagne du sud.
Et ces flux non planifiés empruntent d’improbables trajets par le nord ouest en traversant la Belgique et la France, ou par l’est, via la Pologne, la République tchèque, la France, et enfin la Suisse avant d’être livrés en Italie, comme l’illustre la carte ci-dessous.
Source Swissgrid
Ces flux non planifiés, ou non nominés, sont dits « en boucle », ou loop flows, car ils reviennent dans la même zone d’enchères (en l’occurrence l’Allemagne) après en être sortis, et avoir fragilisé l’alimentation des pays qu’ils ont ainsi traversés gratuitement.
Ce qui irrite tout particulièrement la Suisse qui ne fait pas partie des accords de couplage de marché (ou flow based market), qui consiste à coupler la capacité de transport correspondant aux MWh concernés par la transaction.
Dans l’extrait ci-dessous, la Commission fédérale de l’électricité suisse (ElCom) en déplore la situation et en dénonce le risque.
(Source Commission fédérale de l’électricité (ElCom) janvier 2018)
Le rapport de décembre 2017 de l’ ElCom attirait l’attention sur les risques liés à ces flux non planifiés responsables de la multiplication des violations des normes de sécurité (N-1).
Ce rapport dénonçait la surcharge des transformateurs en pareil cas, et le « danger bien réel » d’un effet en cascade en cas de déclenchement des dispositifs de protection.
Selon l’ ElCom, c’est également la sécurité d’approvisionnement de la France et de l’Italie qui serait alors menacée.
Car ces flux non planifiés diminuent les capacités d’importation des pays traversés.
Les transformateurs déphaseurs, évoqués plus haut par la Suisse, permettent d’empêcher ces flux indésirables de franchir les interconnexions frontalières.
La République Tchèque avait averti de son intention de se protéger par de tels dispositifs, la Pologne vient de s’en équiper, c’est aujourd’hui la Belgique qui se protège également contre ces flux nord/sud.
Quand les directives vont à l’encontre de la sécurité
En visant particulièrement le blocage des excédents aléatoires allemands ces mesures de protection compromettent bien évidemment la pérennité du rêve européen d’ « intermittence interconnectée ».
En toute logique, le Conseil de l’Union européenne s’est efforcé de limiter l’utilisation de tels dispositifs de sécurité, notamment par le 7ème paragraphe de l’article14 de ses propositions du 20 décembre 2017 qui prévoit : « Les gestionnaires de réseau de transport [] ne limitent pas le volume de la capacité d’interconnexion à mettre à la disposition des [] opérateurs du marché afin de résoudre les problèmes de congestion à l’intérieur de leur propre zone d’appel d’offres [] ou afin de gérer les flux sortant et rentrant dans la même zone d’appel d’offres sans avoir été programmés, sauf disposition contraire du paragraphe 7aou 7b. »
Pour autant, le Conseil ne dit pas comment en gérer les risques.
Car le réseau européen n’est pas conçu pour assumer une telle intermittence, ainsi que le remarque l’Union for the Co-ordination of Transmission of Electricity (UCTE), dans son rapport concernant la panne géante d’électricité qui a affecté l’Europe le 4 novembre 2006, dont un extrait est traduit ci-dessous :
« À l’origine, l’infrastructure de transport européenne interconnectée avait pour fonction de former la colonne vertébrale essentielle à la sécurité d’approvisionnement en Europe continentale. A cette fin, le système s’est développé au cours des 50 dernières années dans le but d’assurer une assistance mutuelle entre les autorités nationales.
Cependant, il y a eu un changement fondamental de paradigmes au cours des une ou deux dernières décennies. L’infrastructure de transport européenne n’est plus seulement un outil d’assistance mutuelle, elle s’est retrouvée au cœur de modifications de volumes d’énergie toujours croissants à travers l’ensemble du continent. Les développements de ce marché entraînent des échanges énergétiques transfrontaliers et sur de longues distances (pour des objectifs commerciaux de court terme).
D’autres flux d’énergie transcontinentaux résultent de la vitesse et du succès du développement de la production régionale intermittente d’énergie peu prévisible (énergie éolienne).
Ces développements n’étaient pas pris en compte dans la conception initiale du système. »
L’analyse de la chronologie de cette panne géante pointe la responsabilité de la production décentralisée des éoliennes, celles-ci ayant amplifié les déséquilibres lors des efforts visant à rétablir la tension, en se déconnectant automatiquement lorsque la fréquence descendait en dessous de 49,5 Hz et provoquant des surtensions en se reconnectant automatiquement dès que l’équilibre était rétabli.
Un réseau à contre emploi
Début 2015, déjà, le rapport Derdevet observait que le facteur déterminant pour le dimensionnement du réseau européen ne résultait plus désormais de la nécessité « d’acheminer du courant vers les consommateurs locaux, mais de le refouler vers les niveaux de tension supérieurs pour le répartir sur l’ensemble des territoires. »
Et ce nouveau défi s’accompagne d’une fragilisation croissante du système électrique, dans la mesure où les capacités intermittentes augmentent plus rapidement que les solutions permettant de s’en débarrasser.
Le spectre d’une fuite en avant
Le réseau européen tend à élargir encore le marché du MWh en synchronisant son réseau avec des connexions de plus en plus lointaines.
Cette fuite en avant permet d’espérer des gains croissants aux acteurs de plus en plus nombreux de la bourse du MWh dont la volatilité des cours est accrue.
Mais elle cherche dangereusement son équilibre à travers la mutualisation des problèmes, en multipliant du même coup les difficultés à maintenir la fréquence du réseau à la valeur impérative de 50 Hz.
Favorisant les déviations …
C’est ainsi que tout le réseau continental européen a notamment supporté, ce printemps, des déviations continues de la fréquence provoquées par le déséquilibre de la région Macédoine, Monténégro, et particulièrement Serbie et Kosovo, qui ont entraîné une déviation de 6 minutes sur toutes les horloges électroniques européennes.
Celles-ci, contrairement aux horloges à quartz, se régulant sur la fréquence du réseau.
Et l’Entsoe est encore contraint de prendre des mesures chaque fois que cette déviation excède la minute, afin d’assumer ce problème qui n’est toujours pas résolu.
Et les oscillations
De même, ces flux d’électricité sur des distances de plus en plus longues, lorsqu’elles sont combinées avec une forte impédance sur le réseau, favorisent l’apparition d’oscillations entre zones, telles que celles du 1 12 2016 ou du 3 12 2017, qui dégradent notamment les conditions de contrôle de la sécurité, en rendant le critère de stabilité habituel (N-1) insuffisant.
Le rapport Entsoe rappelle, dans ses conclusions sur ce problème, que le traitement du transport d’électricité sur de longues distances doit s’entourer de précautions supplémentaires.
Sécurité d’approvisionnement et roulette russe
La spécificité du système électrique tient à la difficulté de maintenir strictement la fréquence de 50 Hz sur tous les points de son réseau, et de générer en permanence la quantité exacte d’électricité consommée.
Mais le pari d’une intermittence croissante de son alimentation ne semble pas susceptible d’assumer le prix de son échec.
Le prix des coupures en série qui ont sanctionné l’expérience australienne en ce sens en donne la mesure.
Car les déclenchements en cascade des systèmes de sécurité européens ne sauraient être exclus.
Le blackout de mars 2015 qui a privé d’électricité 76 millions de turcs en témoigne.
Et le rapport de l’Entsoe le concernant identifie formellement la responsabilité des aléas de l’énergie éolienne dans la détérioration des conditions d’exploitation du réseau turc par rapport à ses limites de sécurité, dans les mêmes termes que le rapport de l’ UCTE au sujet de la panne de 2006.
La guerre du gaz aura bien lieu
La transition énergétique européenne exige une vision à long terme et des garanties afin de ne pas investir dans des infrastructures qui seront obsolètes demain, notamment si le pari de l’intermittence se solde par un échec.
L’objectif climatique comme la nécessité se libérer des contraintes géostratégiques d’importation des énergies fossiles ont amené le Commissaire européen à l’énergie Miguel Arias Cañete à affirmer qu’il faudra rapidement se passer du gaz et, d’ores et déjà, ne plus investir dans ses infrastructures dont « on ne saura bientôt plus que faire ».
Il critique vivement le projet de gazoduc Nord Stream 2 devant relier l’Allemagne avec la Russie. Car l’Allemagne s’apprête à devenir la plate forme européenne du gaz en 2035, dans un jeu personnel et dangereux.
L’analyse de M.A. Cañete est confortée par celle de France stratégie qui considère fermement qu’il faut « cesser de recourir au gaz d’origine fossile. » « Parce qu’on ne peut attendre pour agir de savoir si le pari du gaz renouvelable sera gagné. »
Or, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que le pari de l’intermittence le sera.
Et par delà les risques et surcoûts induits par l’instabilité qu’elle génère, il ne conviendrait pas d’ignorer les conséquences de la perte de compétitivité ainsi imposée au système de distribution d’électricité par rapport à son rival historique, celui de distribution du gaz.
Ainsi que le renforcement de la dépendance à celui ci qu’entraîne mécaniquement le développement de l’intermittence.
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