Mobilités : le monde rural peut-il se désintoxiquer du tout-voiture ?

Nabil Bourassi  
11/12/2018


D'après l'Union routière de France (URF), plus de 90% des ménages vivant dans des communes de moins de 5.000 habitants (moyenne des trois dernières années) sont motorisés. (Crédits : Régis Duvignau)

Alors que sévit la colère des "Gilets jaunes", la question des mobilités en zone rurale a jusqu'ici été largement sous-traitée par les pouvoirs publics. Pourtant, la loi d'orientation des mobilités espère apporter des solutions alternatives au tout-voiture. Mais le problème semble être bien plus profond.
"Qu'ils roulent à l'électricité" va-t-il devenir le "qu'ils mangent de la brioche" de 1789, pour reprendre la phrase attribuée à Marie-Antoinette (même si cela est contesté par les historiens) alors que le peuple, révolté, réclamait du pain. Avec les "Gilets jaunes", c'est le prix du carburant qui semble avoir cristallisé la colère du peuple, comme si le gouvernement avait sous-estimé la dépendance d'une partie d'entre eux aux motorisations thermiques. Pourtant, beaucoup de Français s'étaient déjà émus de la décision de limiter à 80 km/h certaines nationales, assimilé à la vision d'un "président des villes", et premier symptôme d'une fracture territoriale. 


Des chiffres implacables
Et cette fracture se retrouve de manière implacable dans les chiffres. D'après l'Union routière de France (URF), plus de 90% des ménages vivant dans des communes de moins de 5.000 habitants (moyenne des trois dernières années) sont motorisés. 50% de ces mêmes ménages sont même équipés d'un deuxième véhicule. 70% des ménages de l'agglomération parisienne est équipé d'un véhicule d'après l' URF. D'après la ville de Paris, ce chiffre tombe à 37% des ménages parisiens intra-muros.
Le constat est clair : les zones rurales sont totalement dépendantes de la voiture, avec tous les inconvénients que cela comporte pour le budget, l'environnement, mais également pour les populations fragilisées. D'après Wimoov, un organisme qui promeut les mobilités auprès des populations fragilisées, les seniors sont moins mobiles en zone rurale qu'en agglomération. Ils sont ainsi 49% à se déplacer quotidiennement, contre 65% pour ceux installés dans les grandes villes.
Pour tous les observateurs, la question de la mobilité motorisée est quasiment consubstantielle à la vie en zone rurale. Pour Marie Huyghe, chercheur associé au CNRS, « la voiture c'est satisfaisant, facile, rapide et encore peu chère pour de nombreux ménages. En zone rurale, il y a une culture automobile qui se traduit par un usage automatique de la voiture ».
D'après la chercheuse, il y a une fatalité pour ces ménages à être équipé d'une voiture même s'il faut relativiser leur usage :
« Il est difficile d'envisager la disparition de la voiture aujourd'hui, mais il est possible d'en limiter son usage en développant des solutions multimodales comme le vélo ou la marche à pied, pourvu que les collectivités locales sécurisent des voies spécifiques comme des pistes cyclables ou tout simplement des trottoirs, et accompagnent leur usage ».


Le casse-tête des transports en commun

Reste la solution des transports en commun... Pour les communes, c'est un immense casse-tête économique. Elles ont eu beau s'associer à travers des communautés de communes pour mutualiser les moyens, la mayonnaise n'a jamais pris... D'après l'observatoire de la mobilité créé par l'Union des transports publics, l'espace desservi par les transports en commun a augmenté de 25% entre 2014 et 2016 pour atteindre les 40.000 km². Paradoxalement, la population desservie n'a quasiment pas augmenté. Résultat : le coût des transports en commun a explosé mais sans effet sur la population.
 
Pour Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône, les pouvoirs publics ont tardé à prendre la mesure du problème : « Aucun gouvernement n'a su jusqu'ici apporter une réponse satisfaisante, il y a pourtant urgence à répondre aux problématiques posées par les mobilités en zone rurale ». Le député La République en Marche fonde toutefois de grands espoirs sur la loi d'orientation sur les mobilités (LOM) et qui est actuellement en cours de discussion au parlement. Il espère que celle-ci permette notamment de « faciliter l'expérimentation de solutions de mobilités en zone rurale », explique-t-il à La Tribune.
Jean-Marc Zulesi, qui a participé aux assises des mobilités pour préparer la LOM, rappelle que désormais les collectivités territoriales peuvent être assistées dans leurs initiatives en matière de mobilités.
« Nous avons fondé French Mobility, un guichet unique pour faire remonter les verrous réglementaires à l'expérimentation. French Mobility déploie aussi des appels à manifestation d'intérêts en coordination avec l' ADEME afin d'accompagner les collectivités désireuses d'expérimenter une solution innovante de mobilité. » 


Les mentalités pas encore convaincues par le covoiturage
Jusqu'ici, les Mobitechs, ces startups spécialisées dans les solutions de mobilité, ont surtout émergé en agglomération pour profiter d'une densité de population très forte, seul moyen de mutualiser les usages et amortir les investissements. C'est vrai pour l'autopartage mais également pour le covoiturage qui a besoin de massifier les flux pour créer un usage et des points de contacts pertinents. Jean-Marc Zulesi, lui, pense que cette dernière solution est parfaitement transposable en milieu rural : « Nous avons démontré que le covoiturage était tout à fait opérationnel grâce à des expérimentations, il faut maintenant vaincre l'obstacle des mentalités ».
Le député croit également à la navette autonome qui peut permettre de "résoudre la question du dernier kilomètre". Mais il reconnaît que « cette solution en est encore au stade expérimental ». 


L'étalement urbain, le vrai sujet ?

En réalité, les Mobitechs sont encore très peu nombreuses à avoir trouvé des modèles pertinents y compris en agglomération. Pour les spécialistes, l'étalement urbain est un autre obstacle au développement de mobilités alternatives. La densité de population des zones rurales est extrêmement faible, par conséquent il est très difficile d'y développer une capillarité de transports en commun qui soit efficiente et rentable.
« Historiquement, cela a commencé dans les années 1960-70 avec la démocratisation de la voiture et l'installation des ménages dans des espaces de plus en plus éloignés des pôles urbains. Aujourd'hui, les territoires ont été construits autour de la voiture », rappelle Marie Huyghe.
D'après elle, « les plan locaux d'urbanisme ont souvent été très permissifs quant à l'urbanisation de nouveaux espaces », avant de relativiser : « Je pense que les discours évoluent, mais le travail est loin d'être terminé ».
Pour la chercheuse, la culture du tout voiture n'est pas un problème mais une conséquence d'une politique urbanistique. Il faut donc traiter le problème par la racine : « Il s'agit de sortir du modèle de l'étalement urbain pour adopter notamment une stratégie de réhabilitation des centres-bourgs, et remettre en cause le modèle du lotissement très consommateur d'espace ». La voiture individuelle comme Totem des mobilités en zone rurale a encore de beaux jours devant elle... 


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