Publié le 30.11.2018
Le raisonnement cartésien, scientifique et rationnel que j’essaie de tenir, me conduit à défendre le nucléaire.
Les inconvénients du nucléaire, en particulier les déchets et le risque d’une catastrophe, sont réels, très connus et médiatisés, et font souvent plus peur que ceux du manque d’énergie ou des énergies fossiles.
Pourtant, le manque d’énergie est potentiellement catastrophique pour les humains. Pourtant, les énergies fossiles sont clairement plus dangereuses.
La radioactivité fait très peur, mais elle existe à l’état naturel : en particulier, en France, en Bretagne, dans le Massif Central, en Corse ou dans les Vosges.
Le rayonnement cosmique est radioactif. En médecine nucléaire, on administre volontairement aux patients des produits radioactifs. On irradie couramment des aliments pour mieux les conserver, évitant ainsi l’usage de pesticides.
De nombreux aliments sont naturellement radioactifs ; les bananes le sont même suffisamment pour être détectées par les douanes.
L’être humain est naturellement radioactif : environ 8 000 becquerels pour un adulte. Évidemment, cela ne signifie pas que la radioactivité soit sans danger ; cela dépend du type de rayonnement et surtout de la dose.
Le débat sur les seuils de dangerosité existera toujours, mais il me paraît aberrant de considérer la radioactivité comme dangereuse quelle que soit la dose, comme le font certaines associations qui alarment les populations en avançant le fait d’avoir relevé des taux de radioactivité supérieurs à la « normale » : le niveau peut être largement supérieur au taux naturel « normal » sans pour autant dépasser les normes et poser problème.
Bien sûr, le nucléaire peut être dangereux. Mais la bonne question est de savoir s’il est plus ou moins dangereux que les autres possibilités.
Au regard des inconvénients présentés par les énergies fossiles et du manque d’énergie, le rapport bénéfice/risque me paraît être largement en sa faveur.
Cigéo, une solution raisonnable
La pollution sous la forme de déchets nucléaires concentrés, emballés, confinés, connus, maîtrisés et à longue durée de vie, me semble préférable à la pollution dispersée, incontrôlée, et à durée de vie infinie des énergies fossiles.
Le mercure, par exemple, un poison largement issu de la combustion du charbon, se retrouve dans les océans et dans la chair des poissons que nous mangeons, et sa durée de vie est infinie.
En France, dans le cadre du projet Cigéo, on s’apprête à stocker des déchets nucléaires dans des souterrains, à environ 500 mètres de profondeur, dans une couche de roche argileuse imperméable choisie pour ses propriétés de confinement sur de très longues échelles de temps ; cette couche est stable depuis 150 millions d’années [1] .
Cette solution me paraît raisonnable et absolument sans danger pour les populations riveraines. Elle ne plaît, bien sûr, pas aux antinucléaires, puisqu’elle leur enlève l’argument qu’on ne sait pas quoi faire des déchets.
Quinze réacteurs nucléaires ont été entièrement démantelés dans le monde. Le démantèlement du réacteur de la centrale de Maine Yankee aux États-Unis, d’une puissance de 900 MW proche de celle de la plupart des réacteurs français, a été effectué en huit ans pour un coût raisonnable de 500 millions de dollars.
Aujourd’hui, des vaches paissent paisiblement à l’ancien emplacement et je boirais leur lait sans crainte. Il est donc faux d’affirmer que le démantèlement est impossible.
Certes, le risque d’une nouvelle catastrophe nucléaire ne peut pas être totalement exclu malgré les énormes précautions désormais prises. Les controverses sur les conséquences des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima existeront toujours.
D’après l’Organisation mondiale de la santé, la catastrophe de Tchernobyl a fait quelques milliers de morts [2] , mais le charbon tue des centaines de milliers de personnes chaque année.Les énergies fossiles représentent, en nombre de morts, plusieurs centaines de Tchernobyl chaque année !
Les rejets radioactifs dus à la catastrophe nucléaire de Fukushima auront sans doute un impact sur la santé, mais on peut lire sur le site internet de l’Organisation mondiale de la santé que « les risques prévus sont faibles pour l’ensemble de la population à l’intérieur et à l’extérieur du Japon ».
Le rapport de 2013 du Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants [3] [4] affirme qu’« aucun décès, aucune maladie grave ayant un lien avec des radiations, n’a été observé parmi les travailleurs et l’ensemble de la population à la suite de l’accident de Fukushima », « aucune conséquence perceptible des radiations n’est à prévoir parmi le public exposé ou ses descendants », « l’accident de Fukushima n’a fait aucune victime, décès ou malade, du fait des radiations émises, et que dans l’avenir, les conséquences de ces mêmes radiations seront trop faibles pour être discernables » ; un rapport écrit par 80 experts de dix-huit pays, confirmé en 2015, et largement ignoré des médias français.
Ceux qui se méfient de ces sources d’information trop officielles peuvent se rendre sur le site Wikipedia[5] : on peut y lire que 45 à 55 personnes sont mortes du fait de l’accident ou de l’évacuation du secteur de Fukushima, moins de 20 personnes ont été gravement blessées ou fortement irradiées, moins de 1 000 personnes ont été blessées légèrement ou faiblement irradiées. C’est trop, mais c’est aussi dérisoire face aux maladies dues aux autres sources d’énergie.
On me dira que ces rapports rassurants émanent de personnes en conflit d’intérêts, sous l’influence du fameux lobby nucléaire, et que d’autres rapports concluent à des conséquences bien plus importantes.
Mais ces autres rapports émanent bien souvent de militants antinucléaires dont l’objectivité n’est pas davantage acquise, tant ils veulent montrer les dangers de ce qu’ils combattent.
Les associations qui luttent contre le nucléaire perdraient tout intérêt (et donc financements et emplois) si elles se mettaient à confirmer les chiffres officiels. Je pense que les chiffres de l’ UNSCEAR et de l’OMS, qui sont des émanations de l’Organisation des nations unies, sont les plus fiables.
En tout état de cause, les conséquences de Fukushima – évacuation des résidents et pollutions radioactives – sont graves mais à replacer dans le contexte d’un séisme et d’un tsunami qui ont tué au moins 15 000 personnes et envoyé des tonnes d’objets et de polluants dans la mer dont les conséquences sur la santé ne sont pas quantifiables.
Ce séisme a d’ailleurs provoqué la rupture du barrage hydraulique de Fujinuma causant plusieurs morts – des dizaines de milliers de personnes sont mortes au XXe siècle à cause de ruptures de barrage, soit bien plus qu’à cause d’accidents nucléaires – et personne ne demande l’arrêt de la production d’électricité par ce moyen.
Environ 100 000 personnes ont dû être évacuées du secteur de Fukushima, soit moins de 20 % des 550 000 personnes qui ont perdu leur habitation à cause du séisme et du tsunami.
La construction du barrage des Trois Gorges en Chine, qui sert également à produire de l’électricité, a nécessité l’évacuation de plus de dix fois plus de personnes que la centrale nucléaire de Fukushima.
Après cette catastrophe, le Japon a mis à l’arrêt ses centrales nucléaires qui produisaient environ 28 % de l’électricité japonaise.
Ce manque de production a été très peu compensé par des économies d’électricité, mais l’a été largement par une production accrue d’électricité au gaz, fuel et charbon, entraînant des émissions de CO2et de divers polluants [6] . Il est plus que probable que les conséquences sur la santé de ces émissions soient pires que celles de la radioactivité de la centrale nucléaire de Fukushima.
On peut faire un parallèle avec la comparaison entre les moyens de transport : l’avion fait plus peur que les autres parce que les catastrophes aériennes sont spectaculaires, mais c’est pourtant statistiquement le plus sûr.
Actuellement, les pays qui arrivent à produire une large part d’électricité non issue d’une énergie fossile polluante sont ceux qui ont développé le nucléaire et/ou qui ont la chance d’avoir une géographie permettant l’hydroélectricité (la France, la Suisse, la Suède, la Norvège, le Brésil, le Canada) [7] .
Une industrie sûre et contrôlée
Je pense que, en France, cette industrie est surveillée plus que toute autre [8] [9] , en particulier par l’Autorité de sûreté du nucléaire dont les commissaires, irrévocables durant les six ans de leur mandat, ne plaisantent pas et ont le pouvoir de faire fermer une centrale.
L’industrie nucléaire est également très surveillée par les associations antinucléaires, qui ne manquent pas de diffuser des communiqués anxiogènes au moindre dysfonctionnement, les médias adorant les reprendre avec des titres choc destinés à générer un maximum de « clics » sur le Web.
Mon opinion est qu’on aura moins de problèmes avec le nucléaire que sans. Sur les 1 200 scénarios répertoriés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), seuls huit affirment qu’on peut limiter le réchauffement planétaire à 2 °C sans nucléaire.
L’Agence internationale de l’énergie estime que, depuis 1971, le nucléaire a évité le rejet de l’équivalent de deux années d’émissions mondiales de CO2au taux actuel [10] .
Je ne prétends pas pour autant que le nucléaire est exempt d’inconvénients, et qu’il sera une solution miracle au problème de l’énergie.
Il serait sans doute préférable de n’utiliser ni énergies fossiles ni nucléaire, c’est-à-dire que des renouvelables. Est-ce possible ? Aucun scénario ne le prétend, sauf en réduisant drastiquement notre consommation d’énergie, avec des conséquences énormes.
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Crédit photo : @edf Didier Marc
Cet article est extrait du livre « Transition énergétique, ces vérités qui dérangent » paru en 2018 aux éditions Deboeck.
Références :
[1] Francis Sorin,Déchets nucléaires : où est le problème ?, EDP Sciences, 2015.
[2] Organisation mondiale de la santé,Effets sanitaires de l’accident de Tchernobyl, 2006, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs303/fr/
[3] Report of the United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation to the General Assembly, « Sources, effects and risks of ionizing radiation », 2013.
[4] Global Electrification, « Fukushima : peu ou pas d’impact des radiations sur la santé humaine »,Lettre géopolitique de l’électricité, n° 61, 20 mars 2016.
[5] Wikipédia, « Conséquences sanitaires et sociales de l’accident nucléaire de Fukushima ».
[6] Frédéric Livet,L’Effet de l’accident de Fukushima sur la production et la consommation d’électricité du Japon, Association « Sauvons le climat », 2013.
[7] Commissariat général au développement durable, Chiffres et statistiques, « L’évolution du mix électrique dans le monde entre 1980 et 2010 », avril 2013.
[8] Bertrand Barré,Le Nucléaire, débats et réalités, Ellipses, 2011.
[9] Way Kuo,Fiabilité de l’énergie renouvelable et nucléaire, Éditions ISTE, 2015.
[10] « World Energy Outlook 2014 », International Energy Agency, 2014.
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