Un jus décarboné à 92% en octobre

Sylvestre Huet


La COP-24, à Katowice, souligne l’urgence d’une politique climatique sérieuse. Le dernier rapport du GIEC rappelle que celle-ci passe, entre autres, par une décarbonation presque totale de la production d’électricité. Un objectif mondial pour 2050. Aussi, il n’est pas inutile de regarder comment la France y parvient déjà.

RTE – la filiale d’EDF qui gère le réseau à haute tension – vient de publier les chiffres de la production et de la consommation d’électricité en France métropolitaine pour le mois d’octobre 2018

Avec une production décarbonée (1) à 94 %, l’objectif mondial est donc atteint avec… plus de trente années d’avance. Comment ?

 


Avec un parc de production où le socle nucléaire (48%) et hydraulique est accompagné de capacités complémentaires en ENR (énergies nouvelles renouvelables : éolien, solaire, bioénergies) ainsi qu’en gaz et charbon.

Mais les capacités de production et la production, ce n’est pas tout à fait la même chose

Pour les ENRI – les éoliennes et le photovoltaïque intermittents par nature – c’est la météo et la présence/absence du Soleil qui commande. Pour l’hydraulique, c’est en partie la météo – plus il pleut plus la production est importante. Mais aussi des mises en réserve de précaution de capacités de production pour assurer la sécurité du système, à court ou moyen terme (au jour le jour, les « marges journalières » calculées par RTE). Le nucléaire est piloté lui aussi – il ne fonctionne pas toujours à
pleine capacité pour accompagner l’alternance jour/nuit ou la baisse de consommation le week-end.

  

Et des réacteurs peuvent être arrêtés, plus ou moins longtemps, pour des opérations de maintenance et de recharge du combustible, des arrêts programmés en priorité sur les mois de faible consommation. Quant aux centrales à gaz, charbon et fioul, elles sont utilisées pour compléter l’offre d’électricité en face de la demande, domestique et pour l’exportation.

Du coup, le graphique de la production est assez différent de celui des puissances installées, puisque le nucléaire a fourni 77,7% de la production en octobre (72% sur l’année 2017). Les énergies renouvelables – hydraulique, solaire et éolien – ont représenté 17 % de la production. Les énergies fossiles 5,4 %.

Trou d’air économique




La production éolienne fut plutôt bonne en octobre, en hausse par rapport à l’an dernier. Toutefois, elle ne peut s’affranchir de l’intermittence qui donne à sa courbe au pas de temps de 30 minutes cette allure erratique, sans connexion avec les évolutions de la demande. Elle peut monter jusqu’à 70% de la puissance installée, mais également descendre à 1% de cette puissance (un maximum à 9 046 MW, un minimum à 166 MW). Et passer de 10% à 70% de facteur de charge en quelques heures ce qui n’est supportable pour l’équilibre du réseau que grâce aux autres moyens de production pilotables. 


 



L’évolution de la consommation apporte une double information. D’une part la stabilité globale. Et d’autre part la confirmation du « trou d’air » économique », avec l’accélération de la baisse de la consommation des grands sites industriels directement reliés au réseau haute tension. Avec une baisse de près de 3,5% en sept mois, qui révèle l’échec de la politique macro-économique du gouvernement en ce domaine crucial. Le solde mensuel des échanges commerciaux a représenté 13,8 % de la production.

Un système pré-adapté à la crise climatique
Il est intéressant de comparer la performance climatique du système français à celle de nos voisins. Un exercice assez facile à faire à l’aide du site web electricitymap.org qui en donne une idée assez précise en temps presque réel. Ci-dessous, une image du site le 7 décembre à 11h39. Avec un zoom sur la situation polonaise, logique puisque la COP-24 s’y déroule en ce moment même.

 


En résumé, si votre pays est en vert, c’est que son système électrique est climato-compatible. En marron clair vous avez encore des efforts à faire. En marron foncé vous êtes vraiment un gros émetteur de CO2. Bien sur, le site donne la situation à un instant donné. Si le vent se met à souffler très fort sur des pays très équipés en éoliennes, ils peuvent passer au vert momentanément. En revanche, la Suède, la Norvège ou la France sont en vert tous les jours de l’année et à n’importe quelle heure.

Mais soyons honnêtes : le résultat français doit peu, voire rien, à une politique climatique conduite après l’alerte des climatologues. Il est en effet pour l’essentiel obtenu par une production d’origine nucléaire. Or, elle provient de décisions prises en 1973-74, 1979 et 1981, par les duos Pompidou/Messmer, Giscard/Chirac, Giscard/Barre et Mitterrand/Mauroy. Le premier rapport du GIEC date, lui, de 1990. Aucun rapport, donc, puisqu’il s’agissait de réagir à la hausse brutale du prix du pétrole – le principal moyen de production d’électricité et de chauffage en 1973. Mais une sorte de pré-adaptation à la crise climatique. L’enjeu futur consiste donc à conserver cette qualité dans la durée.

(1) Les calculs de la part décarbonée peuvent varier suivant que l’on intègre les émissions des bioénergies (bois-énergie, déchets, biogaz) ou non. J’ai choisi de ne pas les intégrer car le carbone du bois provient de l’atmosphère et y retourne, idem pour les déchets, à la différence du carbone fossile qui vient du sous-sol.


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