L'off-shore en marche

Jacques Treiner
3 juil. 2018
Blog : Le blog de Jacques Treiner

 
Le gouvernement a décidé de soutenir la construction de parc éoliens off-shore, pour un montant de 25 milliards d'euros. Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Quelques règles de trois permettent de voir que le coût, ramené à l'énergie produite, se monte à plus de 10 fois celui du Grand carénage. L'éolien 10 fois plus cher que le nucléaire ? Beau sujet d'article pour Jade Lindgard, n'est-ce pas ?

Le débat organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) sur la politique énergétique du pays vient de se terminer. Des milliers de contributions émanant d'associations et d'individu ont été déposées, et la CNDP a répondu à toute question posée. Sans exagérer l'importance de ce genre d'exercice, on peut s'étonner que Mediapart n'en ait pas parlé.
Curieusement, ce débat a été ponctué par - au début - la publication de deux rapports et - à la fin - par une décision gouvernementale qui illustre de façon étonnante, en le confirmant, le contenu des deux rapports.

Le premier rapport est le rapport de suivi de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). La SNBC, commandée par Ségolène Royal et adoptée en 2015, identifie les "bonnes pistes" de décarbonation de notre économie. Prenant acte que l'électricité, en France, est décarbonée à 95%, la SNBC identifie les "bons" dossiers comme étant celui du chauffage des bâtiments (responsable de 40 % des émissions des gaz à effet de serre (GES) et celui de la mobilité (responsable de 24 % des émissions). Aucun de ces dossiers n'est facile à mettre en oeuvre. François Hollande, au début de son mandat, avait fixé comme objectif 500 000 rénovations thermiques au bout de 5 ans, et nous en sommes à moins de 150 000 (en réalité, moins de 100 000 rénovations dont on a vérifié les performances). D'une part, la profession n'est pas bien structurée pour prendre en charge la variété des techniques à mettre en oeuvre pour rénover l'existant : la plupart des entreprises sont de petite taille et se spécialisent dans une technologie particulière, alors qu'une rénovation exige la collaboration de différents corps de métiers. D'autre part, des mécanismes de financement originaux ("tiers investisseur") doivent être mis en place, car la plupart des familles ne peuvent prendre en charge le coût des travaux. Quant à la mobilité, elle touche à la structure des villes et à la politique foncière. Le développement du périurbain crée d'emblée un besoin de mobilité qui n'est satisfait aujourd'hui que par le pétrole. Le travail ne manque pas pour imaginer comment s'en passer, ou tout au moins diminuer son usage.

Comme c'était prévu, un premier bilan a été publié 3 ans après l'adoption de la SNBC, et il est mauvais : globalement, nos émissions de GES ont augmenté en 3 ans de 3,6 %, avec +6% pour les transports, +11 % pour le bâtiment et +3% pour l'agriculture ! Pourquoi ? Tout simplement parce que plus de la moitié des 9,4 milliards d'euros d'aides publiques pour une société bas carbone sont allés au secteur électrique (soutien à l'éolien et au solaire PV), qui n'est responsable que de 6 % des émissions de GES...

Le deuxième rapport récemment publié confirme le fourvoiement de la politique publique en matière d'énergie. Il s'agit d'un rapport de la Cour des comptes, publié en avril, sur la politique de soutien aux énergies renouvelables. Les titres des parties du rapport sont évocateurs : "Un soutien financier très élevé et déséquilibré", "Un volume global des charges de soutien à venir mal anticipé", "Des dispositions qui nécessitent encore des ajustements", "Une absence de transparence des engagements budgétaires", "Une politique énergétique cloisonnée". Et puisque la Cour des comptes ... compte, on apprend que la somme des dépenses à venir correspondant aux engagements de soutien aux énergies renouvelables (EnR) électriques passés avant 2017 se monte à 121 milliards d'euros. Sans aucune incidence sur les émissions de GES.

Venons-en à la décision gouvernementale, celle, annoncée le 20 juin, de soutien à la construction de parcs éoliens off-shore de 3 GW de puissance installée, pour un montant de 25 milliards d'euros. Comme, au départ, ce devait être 40 milliards d'euros, Nicolas Hulot a présenté ce soutien comme ... une économie. Passons sur l'argument du publicitaire qui prétend vous faire gagner de l'argent en vous vendant 12 € une paire de chaussette qui d'habitude en vaut 15, et posons-nous la question : 25 Mds d'€, est-ce beaucoup, est-ce peu, pour 3 GW d'éolien ?

La bonne mesure est de rapporter cette somme à la quantité d'énergie électrique que les parcs vont produire. La puissance moyenne de l'éolien onshore se situe entre 20 et 25 % de la puissance installée (le vent n'est pas toujours optimal). Les vents off-shore étant plus forts et plus réguliers, disons que la puissance moyenne sera de 33 % de la puissance installée, soit ici 1 GW. Ce parc produira donc environ 9 TWh par an. Prenons une durée de vie de 25 ans (c'est optimiste, car l'eau de mer est corrosive), la production totale sera donc de 225 TWh. Le coût est donc de 25/0,225 = 111 €/MWh. A quoi comparer ce chiffre ? Par exemple, au coût de production d'un MWh aujourd'hui : 42 €/MWh.

Mais il y a une comparaison plus intéressante. C'est celle du Grand Carénage, cet ensemble de travaux destinées à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires d'au moins 10 ans.
Il s'agit de 55 Mds d'€. Comme le parc produit 420 TWh par an, en 10 ans, il aura produit 4200 TWh. Le coût du Grand Carénage, rapporté aux MWh produits, est donc de 55/4,2 = 13 €/MWh !


Autrement dit, le gouvernement vient de décider de mettre en place une technologie qui coûte 9 fois plus cher que la modernisation du parc électronucléaire. En comptant les coûts de raccordement du parc éolien envisagé, soit 15 Mds d'€, pris en charge par RTE (encore une "victoire", puisqu'il était auparavant à plus de 200€/MWh !), c'est bien plus de 10 fois le coût du Grand carénage. Et toujours sans aucun effet sur nos émissions de GES. A ce compte-là, on peut gager que le prochain rapport de bilan de la SNBC sera aussi mauvais qu'aujourd'hui.

Comment le pouvoir actuel peut-il "en même temps" faire des déclarations irréprochables sur l'urgence climatique et faire des choix de politique énergétique aussi démentiels ??

Je suggère à Jade Lindgard d'imaginer une explication, pour autant que le problème la concerne un tant soit peu.

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