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accompagnés jusqu'aux portes par tout un cortège recueilli et chantant des litanies. Au bout de dix jours, leur mission achevée, ils revinrent et furent reçus à la porte du Marché et conduits à la Cathédrale avec tout l'appareil de dévotion que l'on peut imaginer. Et chose digne de remarque, leur retour coïncida avec la cessation brusque de la maladie.
Nos bons aïeux respirèrent et se crurent hors de peine. Pour témoigner leur gratitude au saint Protecteur, ils s'inscrivirent, en masse, sur les registres de la Confrérie de S.Gaon (19) établie pour cette
circonstance.
Mais ce ne devait qu'être une trêve.
La porte du Marché et son arc de triomphe.
Trois ans après, presque jour pour jour, voici que le 3 novembre 1635, le lieutenant particulier du Juge de Police vient annoncer à la Chambre de Ville qu'un homme venait de mourir en rae Pot, Lombard, de la terrible contagion de 1632! (20) Il n'ose pas, bien entendu, prononcer le mot fatal de Peste.
À cette effarante nouvelle, le maire Messire Jean Blondel, conseiller au Siège Royal, ses quatre échevins : Messires Richard Tassel, le peintre, Jérôme Véron, écuyer, l'avocat Pierre Leclerc et le conseiller de La Fontaine, avec le Conseil des Notables se concertent immédiatement sur les mesures que commande la situation. Ces mesures sont nombreuses et, à les lire dans les pièces d'archives, elles vous paraitront singulièrement sages et dignes d'une administration avisée et ferme, dont le rôle pour défendre la population menacée doit assurer aux malades, surtout aux indigents, les soins tant matériels que spirituels, s'opposer à la dissémination du contage [ temps écoulé entre la contamination par un agent infectieux et les premiers signes de la maladie qu'il provoque] en dedans et en dehors de son territoire, se procurer enfin les ressources financières qu'impose le nouvel état de choses.
Tout d'abord, on organise un Bureau de Santé composé d'Officiers municipaux appelés prévôts ou capitaines de santé. Leurs fonctions sont multiples. Ils doivent, en premier lieu, signaler les malades, identifier le mal dont ils souffrent et cela d'après le rapport de médecins déliés du secret professionnel, car la collectivité impérieusement menacée crée cette dérogation aux lois de la conscience.
Ensuite, ils doivent faire marquer d'une croix blanche les maisons infectées, en condamner les portes extérieures au moyen de barres de fer clouées et cadenassées. On engage de suite un serrurier, pour cette opération, au prix de vingt livres.
Il leur faut encore organiser l'évacuation des pestiférés pauvres, car seuls les gens aisés pouvant se faire soigner on le droit de rester chez eux, mais sous la condition expresse que leur porte soit barrée et cadenée, comme on disait alors.
Pour assurer cette évacuation, il est décidé que, suivant l'usage, on fera appel, dans la ville et les environs, à des agents subalternes lesquels seront, en outre, chargés de parfumer - nous dirions aujourd'hui : désinfecter - les locaux abandonnés et d'ensevelir les morts. Ces individus, généralement recrutés dans les bas-fonds de la société, portaient dans notre région le nom de saccards et de malgogets (21), dénomination qui en dit long! Ailleurs, on les appelait corbeaux ou escarrabins. En Italie, c'étaient les monatti [ monatto, sing., agent public qui, en période d'épidémie pestilentielle, était chargé par les municipalités de transporter les malades ou les cadavres dans les lazarets. Habituellement, les monatti étaient des personnes condamnées à mort, des prisonniers ou des personnes guéries de la maladie et donc immunisées contre elle... Vous pouvez lire les tristes exploits dans le livre de Manzoni] [ I promessi sposi]. Vêtus d'habits de treillis ciré, la tête engoncée dans une cagoule où était cousues des bandes de couleur jaune très voyantes, ils avaient une sonnette fixée à la jambe pour avertir les passants de leur présence et les engager à se détourner d'eux. Lorsqu'un "contagié", suivant le terme consacré, leur est indiqué, on voit, à la nuit tombante, une bande de ces farouches personnages se précipiter dans la maison du malade, l'enlever par la tête et par les pieds, le jeter à peine vêtu sur une mauvaise voiture qui n'avait rien de commun, je vous assure, avec les confortables véhicules des ambulances urbaines que vous connaissez, et l'emmener dans les locaux réservés en dehors de la ville (22).
La couverture de l'édition de 1840. Francesco Gonin (1808-1889).
Car on ne soigne les pestiférés à l' Hôpital St-Laurent, dont la situation en pleine agglomération constituerait un foyer particulièrement dangereux pour la salubrité. Un compte de cette époque fixe le salaire de ces saccards à une livre tournois par transport.
Ces locaux réservés extra muros dont nous venons de parler, ce sont de petites cabanes, le plus souvent de construction rudimentaire, faites de planches mal jointes, couvertes de paille et de chaume, plus ou moins grandes suivant le nombre de malades qu'on leur affectait, mais toutes destinées à être brûlées après le décès de leurs hôtes éphémères. On les désignait sous le nom de loges ou de maisonnettes de santé.
Dans la même séance du Conseil, on résolut donc d'installer d'abord une vingtaine de ces "loges" dans le vallon de la Bonnelle, au nord et à une demi-lieu de Brévoines, aux alentours de ce qui est le Moulin de St-Sauveur (23). C'était un endroit prédestiné à cet usage, depuis qu'un chanoine de la Cathédrale, Claude Félix, au début du XVIe siècle, avait fondé là, au cours d'une contagion de même nature, une chapelle sous ce vocable de "Saint-Sauveur" pour rappeler - dit l'acte de fondation - aux malades qu'ils devaient s'en remettre à l'assistance du Christ comme à leur unique médecin et espérance. Cette chapelle, disons-le en passant, était située à quelques pas de la rive gauche de la Bonnelle près du moulin actuel, dans ce qui est un verger clos de murs. Elle fut démolie en 1850, et de toutes ces constructions, loges et chapelle, il ne reste plus que quelques appellations cadastrales : Champ des Prêtres, Pré de la Grande Maison, Champ des Maisonnettes (24).
Ces divers points de programme établis, on s'occupa parallèlement et conjointement du Service Médical. En vertu de cette grande loi de l'isolement que savaient si logiquement appliquée nos pères, il fallait, pour les "contagiés" indigents, des médecins exclusivement attachés à leur personne et n'ayant plus de communication avec les gens bien portants (25). À cette époque, la Faculté était représentée à Langres par douze docteurs en médecine (26). Il y avait, en plus, dix chirurgiens-barbiers (27) chargés, comme vous le savez, de faire les petites interventions courantes : la saignée, la pose des ventouses, l'ouverture des abcès, l'application des appareils, etc., etc., toutes opérations jugées comme étant un travail mercenaire et inférieur par les Médecins, retranchés derrière leurs diplômes et leur dignité. Reconnaissons loyalement que les chirurgiens, depuis lors, ont bien pris leur revanche. Un peloton de neuf apothicaires (28) venait compléter le bataillon sanitaire de la ville.
De toutes ces doctes personnages je ne retiendrai que le nom du Dr Nicolas Thibault, l'auteur estimé d'un Traicté des Eaux de Bourbonne (29), et qui mourut à 97 ans ; celui du Dr Humbert, chargé précisément du service des pauvres susdit ; celui, enfin, du chirurgien François Demongeot (30), l'un des chaînons de cette belle dynastie médicale éteinte, de nos jours, dans la personne dévouée et sympathique du Dr Amédée Demongeot de Confévron (31) dont les Langrois de ma génération peuvent encore se souvenir.
Les apothicaires qui devaient fournir les médicaments furent les sieurs Humbert Jacob et Nicolas Clément.
Pour les soins spirituels, les RR.PP. Capucins, établis auprès du champ de Navarre depuis l'an 1606, offrirent spontanément leurs bons offices. Nous verrons plus tard comment l'administration urbaine sut récompenser leur zèle.
Les magistrats municipaux renforcèrent en outre la Milice bourgeoise. Les services de guet et de garde aux portes et aux remparts, dits "de la Pallette" (32), sont rendus obligatoires pour tous, à quelque classe qu'ils appartiennent. Aucune exception n'est admise.
À suivre...
Docteur Michel Brocard, La grande peste de Langres au XVIIe siècle, conférence prononcée le 20 avril 1926, pp.13-17. Langres. AU MUSÉE, 1926.
19. Inventaire des titres et papiers appartenant à la Fabrique de St-Pierre et St-Paul de Langres, 1726, art.1er, Confrairie de St-Gaond, in Bib. Mun. de Langres, Mss.n°63 f.3. - La rue de la Trésorerie, de la Crémaillère, portait en 1676 le nom de rue St-Gaond, évidemment en souvenir du saint protecteur.
20. Délibération municipale . Ces délibérations ont disparu avec les Archives de la Ville, lors du grand incendie de 1892. Mais l'avocat Edouard Brocard, bibliothécaire de la Ville, et depuis maire de Langres, 1851-1859, en avait fait une copie que nous possédons, et qui lui servit, en partie, pour deux articles du "Messager de la Hte-Marne" intitulés : La grande peste de Langres de novembre 1635 à la fin de 1637, année 1849, n°276, et La Police pendant la peste, année 1852, n°735. Copie et articles susdits servent de référence générale à ce qui suit, sauf indications particulières.
21. Cf. Du Cange : Glossarium ad scriptores mediœ et infimœ latinitatis.., t. VII, p.231, 2e col.., et La Curne de Ste-Palaye : Dictionnaire historique de l'ancien langage français, t. IX.
22. L.Lallemand : Les maladies épidémiques en Europe, in Revue des Questions historiques, 1909, p.418.
23. Abbé Daguin, Notes manuscrites sur l'histoire de Langres, XI, p. 221-224.
24. Section F. du plan cadastral.
25. Léon Lallemand, op. cit., 1909, p.55.
26. C'étaient les docteurs : Nicolas Ancel, Nicolas Bonnet, mort de l'épidémie, Robert Deguinand, Claude Demongeot, Jean Guéniot, François Gousselin, Julien Le Moyne, Louis Jaupié, Nicolas Mauparty, Guillaume Méat, Nicolas Thibault, Nicolas Urson et Nicolas Louot. Reg. paroissiaux de St-Pierre, St-Martin et St-Amâtre de Langres.
27. C'étaient les sieurs : Antoine Boillot, Simon Boisotte, André Catillon, Nicolas Comtet, François Demongeot, Mamès Floriot, Jean-Gilles François, Jean Mollot, Philibert Petitot et Pierre de Vaux, lieutenant de Monsieur le chirurgien du Roy, ibid.
28. C'étaient les sieurs : François Ancel, Antoine Bournot, Nicolas Clément, Gaspard Esprit, Jacques Heudelot, Humbert Jacob, François Montallot, Prudent Philpin et Jean Voillerault, ibid.
29. Petit traicté des Eaux et Bains de Bourbonne, par M.N. Thibault, Docteur en médecine et Doyen de ladite Faculté à Langres - A.Lengres, chez I.Boudrot, imprimeur de Monseigneur l' Evesque et de la Ville, rue des Frères Prescheurs, M.DC. LVIII. Publié dans la" Bibliotheca Borvoniensis" du Dr E.Bougard, p.199-226.
30. Fils d' Etienne Demongeot aussi chirurgien, devint chirurgien-juré et lieutenant du premier chirurgien du Roy en 1645, il mourut le 24 nov. 1684.
31. Fils de Nicolas-Hubert D. C. et de Geneviève-Louise Viney, 1803-1894, conseiller d'arrondissement du canton de Langres, chevalier de la Légion d'honneur. Il épousa Elisabeth Jannard, dont postérité encore représentée.
32. Inventaire sommaire des archives communales de Langres antérieures à 1790. Troyes, 1882, l.234, 412.
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