Publié le 12 juillet 2017
Auteur : Hervé Nifenecker
Commentaire : La question qui convient d'être posée et la seule : luttons-nous contre le réchauffement climatique et pour la diminution des émissions de CO2 ou contre le nucléaire? Parce que cela n'est pas la même chose
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Monsieur le Ministre, ne vous faites pas d’illusion, le passage de 75 à 50% de nucléaire ne permettra d’arrêter que très peu de réacteurs et coûtera très cher.
Le passage de 75 à 50% de la part du nucléaire d’ici 2022 correspondrait à une baisse de sa production de 148 TWh compensée par une augmentation correspondante soit de la production thermique gaz soit des productions éolienne et solaire. Dans le premier cas les émissions annuelles de CO2 augmenteraient de 53 millions de tonnes, en totale opposition avec les engagements pris par la France à la COP21. Dans l’autre cas il faudra faire face à l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque et assurer les besoins lors de périodes sans vent ni soleil. Seuls le nucléaire et l’hydroélectricité peuvent assurer ces besoins sans émission de CO2. La puissance des ouvrages hydroélectriques ne pouvant être augmentée significativement d’ici 2022, la réduction de la puissance[1] nucléaire conduirait à de gros risques de blackout. Pour assurer à tous moments que le réseau électrique pourra faire face aux demandes d’électricité des Français on ne pourra pas diminuer significativement le nombre de réacteurs opérationnels. Dans ces conditions, pour diminuer la production d’électricité nucléaire il faudra diminuer la production de chaque réacteur (en terme savant on diminuera le facteur de charge des réacteurs). EDF qui devra utiliser ses réacteurs dans des conditions non optimisées perdra de l’argent qu’on peut estimer à 5 Mds€ par an. Inversement il faudra acheter 148 TWh de production éolienne et solaire, ce qui amènerait à une augmentation globale du coût de la production électrique de plus de 50%.
Le Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, Nicolas Hulot, a rappelé son intention de ramener la part du nucléaire de 75 à 50% dans le Mix électrique en arrêtant 17 réacteurs d’ici 2025. A-t-il bien vérifié si cette réduction pourrait se faire tout en respectant les objectifs de la COP21 ? Nous tentons ici de répondre à cette question d’une façon concrète à mille lieues des considérations idéologiques.
La situation du mix français en 2015 est présentée sur le Tableau 1
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Caractéristique de la production d’électricité française en 2015.
Les émissions totales de CO2 pour la France entière y compris les secteurs du transport, du chauffage des bâtiments, de l’industrie et de l’agriculture atteignaient 285 Mt en 2015. La contribution du secteur de production d’électricité contribue à 8% du total
L’option fossile
Sans aucun doute, la réduction de la part du nucléaire est possible s’il s’agit simplement de remplacer les centrales nucléaires par des centrales à gaz, à charbon ou à lignite comme l’Allemagne l’a fait en grande part, même si, pour donner le change écologique, elle a prévu d’augmenter la production éolienne et photovoltaïque. Dans cette hypothèse, en supposant la production totale inchangée et que les centrales remplaçant le nucléaire sont toutes des centrales à cycle combiné à gaz (CCG), on obtient le Tableau 2 reflétant le nouvel équilibre de la production électrique.
Nucléaire | Thermique | Hydraulique | Éolien | Solaire | Total | |
Production TWh 2015 | 269 | 182 | 59 | 21 | 8 | 539 |
Proportion % | 50 | 34 | 11 | 4 | 1 | 100 |
Puissance GWe | 42,1 | 28,4 | 25 | 10 | 6 | 100 |
Facteur de charge % | 73 | 73 | 28 | 24 | 14 | |
CO2 Mt | 78 |
Caractéristiques de la production d’électricité française en supposant le remplacement de centrales nucléaires par des centrales à gaz, moins émettrices de CO2 que les centrales à charbon encore majoritaires en 2015. Les autres contributions sont supposées inchangées. La référence pour la diminution de la part du nucléaire est 2015. Les émissions de CO2 pour la France entière atteindraient 338 Mt/an. La contribution du secteur de production d’électricité contribuerait à 23% du total
La production fossile est passée de 34 à 182 TWh, soit une augmentation de 148 TWh. Selon le taux d’émission de CO2 des CCG de 0,36 kg de CO2/ kWh donné par RTE[2] , ceci correspond à une émission totale supplémentaire de 53 Mt de CO2 /an, soit 19% de nos émissions totales actuelles de 285 Mt et une multiplication par 3,5 des émissions du secteur électrique.
Dans le Tableau 2, nous avons supposé que le niveau de production est maintenu constant et que les facteurs de charge sont les mêmes pour les centrales à gaz et pour les centrales nucléaires, puisque, dans le cas présenté, les deux types de centrales sont amenés à fournir la production de base[3]. On constate que la puissance nucléaire a baissé de 21 GW, soit un tiers de la puissance installée en 2015. La puissance des installations thermiques n’augmente que de 5 GWe, mais leur facteur de charge augmente de façon importante.
Il faut aussi tenir compte de la perte du revenu d’EDF correspondant à 148 TWh à. environ 33€/MWh[4], soit près de 5 Mds d’euros alors qu’il faudra faire face au coût de 148 TWh fournis par des centrales à gaz à un coût d’environ 70 €/MWh pouvant être valorisée au même tarif que le nucléaire, soit 42€/MWh , ou encore une perte supplémentaire de 4 Mds d’euros pour un surcoût total de 9 Mds d’euros, soit encore une augmentation de près de 30% de la part production d’énergie dans le budget d’EDF.
Le choix de remplacer le nucléaire par une production d’origine fossile est en opposition frontale avec les engagements pris lors de la COP21 et serait très coûteux.
L’option renouvelable
Si on refuse l’option de remplacer purement et simplement le nucléaire par du fossile, la première proposition à laquelle on pense est, bien entendu, d’augmenter la part de l’électricité renouvelable. L’hydroélectricité ne semble guère pouvoir se développer davantage en France, d’autant moins que les changements des précipitations et la fonte des glaciers pourraient diminuer la ressource.
La LTECV[5] a fait le choix de développer l’éolien et le solaire, surtout photovoltaïque (PV). La demande d’électricité est maximale en hiver, en soirée. La production photovoltaïque est pratiquement nulle dans ces conditions. C’est donc essentiellement l’énergie éolienne qui devra se substituer à l’énergie nucléaire pour en diminuer la part dans le Mix électrique en période hivernale.
Pour donner un exemple pratique du mécanisme par lequel la production éolienne pourrait remplacer une partie de la production nucléaire pour la ramener à 50% dans le Mix, nous prendrons l’exemple du mois de Décembre 2016. Cette période de l’année correspond à la fois à une forte demande et à une forte production éolienne.
La Figure 1 représente les variations journalières de la consommation d’électricité et celles des productions nucléaire et éolienne.
Figure 1
Consommation et productions nucléaire et éolienne pendant le mois de Décembre 2016.
Données de Eco2mix de RTE(http://www.rte-france.com/fr/eco2mix /eco2mix -telechargement)
La consommation du mois de Décembre 2016 a atteint 50 TWh, la production nucléaire 37 TWh soit 73%, et la production éolienne 1,4 TWh soit 2,8%. L’exercice consiste à augmenter la production éolienne et à diminuer d’autant la production nucléaire pour l’amener à 25 TWh. La production éolienne devra donc augmenter de 37-25=12 TWh pour atteindre 13,4 TWH, soit une multiplication de la production actuelle par 9,6. La puissance actuelle du parc éolien étant de 11 GW elle deviendrait donc d’environ 105 GW (50 000 éoliennes de 2 MW).
Figure 2
Production nucléaire journalière observée en Décembre 2016, et telle qu’elle serait diminuée
de la production d’un parc éolien de 105 GW
Sur la Figure 2 on a reporté la production nucléaire journalière durant le mois de Décembre 2016 et celle qui serait obtenue en remplaçant partiellement la production nucléaire par une production éolienne 9,6 fois plus importante que celle enregistrée réellement. La part de la production nucléaire dans le Mix de Décembre 2016 passerait ainsi de 73% à 50%. L’observation de la Figure 2 permet de faire des constats intéressants :
Le 31 décembre (journée, par hasard, très peu ventée), la production nucléaire du scénario « 50% de nucléaire » n’est que légèrement diminuée par rapport à l’actuelle passant de 1,27 TWh à 1,17 TWh soit une diminution de 8%, soit encore, pour une puissance nucléaire de 63 GW, une diminution de 5 GW. En d’autres termes la puissance du parc nucléaire ne peut pas être diminuée sérieusement si l’on veut faire face à la demande dans tous les cas. Le passage d’une part du nucléaire de 73% à 50% ne pourrait pas être accompagnée de la fermeture de plus de 5 réacteurs ! En fait il serait prudent de ne pas diminuer le nombre de réacteurs.
La production nucléaire mensuelle passant de 37 à 25 TWh, c’est donc que cette diminution correspond à une baisse de facteur de charge du nucléaire passant de 73% à 50%.
La contribution des frais variables (essentiellement le combustible) étant faible dans le coût du MWh nucléaire (de l’ordre de 20%), la dégradation du facteur de charge du nucléaire se traduit directement par une perte de recettes et une augmentation du coût du MWh qui passerait ainsi de 42 €/MWh (tarif ARENH[6]) à 57 €/MWh à moins de vouloir provoquer la faillite d’EDF.
Alors que le coût du MWh nucléaire augmenterait significativement il faudrait aussi payer les MWh fournis par les éoliennes, soit, pour l’éolien terrestre, 88,6 €/MWh[7], beaucoup plus pour l’éolien off-shore[8].
On peut ainsi estimer le budget électricité à la production dans les deux cas considérés pour le mois de Décembre:
Dans le cas actuel les 37 TWh produits par les réacteurs, au coût de 42 €/MWh sont valorisés à 1,5 Mds d’euros.
Dans le cas « 50% de nucléaire », la part de la production nucléaire (25 TWh) est valorisée à 1,4 Mds d’Euros[9] et celle de la production éolienne (augmentée de 12 TWh) à 1,2 Mds d’Euros, conduisant à une valorisation totale de 2,6 Mds d’Euros soit une augmentation de 60% du MWh à la production. Il faudra aussi compter des investissements considérables dans le réseau de distribution pour l’adapter à une multiplication des centres producteurs d’électricité. Le prix de l’électricité payé par le consommateur sera aisément doublé.
La production thermique fossile restant inchangée, ce remplacement du nucléaire par de l’éolien serait sans effet sur les émissions de CO2.
Ces valeurs sont calculées pour le seul mois de Décembre. Pour l’année un calcul similaire sur l’ensemble de l’année conduit à une augmentation du budget de production de l’électricité de l’ordre de 11 Mds d’Euros[10].
Conclusion
La réduction de la part du nucléaire de 75 à 50% sans faire appel aux combustibles fossiles est possible par une multiplication par un facteur 10 de la production éolienne, sous condition toutefois que des instabilités ingérables du réseau n’apparaissent pas à ce niveau d’injection d’énergies intermittentes. Mais elle ne permet pas de diminuer substantiellement le nombre de réacteurs en France. Elle en diminue la production par une diminution du facteur de charge. Les réacteurs devraient fonctionner dans des conditions de puissance très variables, ce qui n’est un facteur favorable ni sur le plan de l’économie, ni sur celui du vieillissement des équipements, ni sur celui de la sûreté. Cette « transition » serait sans effet pour les émissions de CO2, donc la protection du climat, et coûterait très cher au consommateur qui verrait sa facture d’électricité quasiment doubler !
Nous osons espérer que le Ministre soumettra sa proposition à une véritable expertise scientifique (et non à celle d’organisations militantes antinucléaires) pilotée par les Académies des Sciences et des Technologies.
[1] Rappelons que la production d’énergie (exprimée en Wattheures, Wh) d’une centrale est égale au produit de sa puissance (exprimée en Watts) par la durée de cette production. La production s’exprime habituellement en multiples du Wh :kWh, MWh, GWh, TWh. Les puissance sont également exprimées en multiples du W :kW, MW, GW.
[2] http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-co2
[3] En réalité, compte tenu des coûts de production plus élevés pour le gaz que pour le nucléaire, les exports baisseraient de l’ordre de 20 à 30 TWh, au détriment de la balance commerciale française
[4] Le prix du MWh reçu par EDF dans le cadre de l’ ARENH est de 42€/MWh. Les économies réalisées en absence de production sont d’environ 20%, soit 8 €/MWh
[5] Loi pour la Transition Écologique et la Croissance Verte
[6] « Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique » créé par la loi NOME du 7/12/2010, laquelle oblige EDF à vendre un quart de sa production nucléaire audit tarif ARENH, actuellement fixé à 42 €/MWh.
[7] Prix moyen constaté par la Commission de Régulation de l’Électricité (CRE) en 2016
[8] De l’ordre de 220€/MWh
[9] A raison de 57€/MWh
[10] En 2015 la production nucléaire atteignait 478 TWh pour une production totale de 529 TWh (78%). La production nucléaire devrait donc passer à (529/2)=264 TWh. Au tarif de 42 €/MWh les 478 Twh sont valorisés à 20 Mds d’euros. Au tarif de 57 €/MWh les 264 TWh seraient valorisés à 15 Mds d’euros. La production éolienne (nous négligeons l’augmentation possible de la production photovoltaïque, beaucoup plus onéreuse) de 21 TWh devra être portée à 214 TWh (soit un facteur 10), l’augmentation de production de 193 TWh étant valorisée à 16 Mds d’euros. Dans le cas actuel les 478 TWh nucléaire sont donc valorisés à 20 Mds d’Euros et dans le cas où le nucléaire serait ramené à 264TWh, la même quantité d’électricité de 478 TWh serait valorisée à 31 Mds d’Euros soit une augmentation de 55%
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