Suisse : La sortie du nucléaire aura un prix climatique

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Bernard Wuthrich
Publié mardi 15 novembre 2016


Commentaire: Nos amis suisses n'ont pas la chance au contraire de la France... de posséder un ministre magicien du nom de Nicolas Hulot et de son merveilleux "plan climat"
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La sortie du nucléaire nécessitera le renforcement du réseau de transport d'électricité.
© GAETAN BALLY


La fermeture rapide de trois centrales suisses sur cinq exigera une hausse des importations. Or, celles-ci proviendront très vraisemblablement d'énergie polluantes, du moins en partie. Le dilemme est grand.

A court terme en tout cas, l'acceptation de l'initiative «Sortir du nucléaire» ne sera pas neutre du point de vue du CO2. Diverses études le démontrent. Il est communément admis que la fermeture de Beznau I et II et de Mühleberg en 2017 ne pourrait être compensée que par une hausse des importations, comme c'est d'ailleurs déjà le cas cet hiver avec l'arrêt prolongé de Beznau I et de Leibstadt.

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Et que va-t-on importer? Du charbon allemand et du nucléaire français, comme l'affirment les adversaires de l'initiative? C'est vraisemblable. Mais cela risque de ne pas suffire, prévient la Commission fédérale de l'électricité (ElCom) dans sa dernière newsletter. Plusieurs centrales françaises vont être mises à l'arrêt pour révision et les capacités d'importation du courant allemand risquent d'être limitées. L'ElCom mise donc sur un apport complémentaire d'électricité en provenance d'Italie.
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«Ces importations ne pourront se faire que sur la base du mix électrique de ces pays. Il n'y a pas de filtre possible: si on importe de l'électricité allemande, on aura le mix allemand», affirme Wolfgang Denk, directeur européen de l'ONG Energy for Humanity. Or, le mix électrique allemand est composée à plus de 42% de lignite et de charbon et celui de l'Italie est dominé par le gaz naturel (35%) et le charbon (13%), l'hydraulique s'intercalant entre les deux avec 22%.

«Un non-sens écologique»
Wolfgang Denk n'est pas neutre, l'ONG pour qui il travaille se déclarant ouvertement favorable au maintien de la technologie nucléaire. En revanche, Philippe Jacquod l'est. Professeur d'énergie et de technique environnementale à la HES du Valais, il vient de publier, en collaboration avec Laurent Pagnier, doctorant en physique théorique à l'EPFL, une étude qui tente de chiffrer le bilan carbone de la sortie rapide du nucléaire en Suisse. «Nous sommes des scientifiques, nous n'avons pas d'agenda politique», insiste-t-il.

La Suisse devra augmenter de près de 60% ses importations en hiver mais devra réduire ses exportations de 40% durant l'été

Ils ont développé un modèle mathématique qui permet d'identifier les ressources de remplacement de la production des trois vieux réacteurs suisses, soit 13% de l'électricité d'origine suisse. Ils ont pris comme référence l'année 2015, lors de laquelle les trois sites ont fourni 5,3 TWh (un térawattheure équivaut à un milliard de kWh) de courant. Partant du principe que les ressources renouvelables ne pourront remplacer cette énergie d'ici à fin 2017, ils ont analysé l'évolution des échanges avec les pays voisins et reporté les chiffres de 2015 sur l'année 2018, qui sera théoriquement le premier exercice privé du courant de Beznau et Mühleberg.

Selon ce modèle, la Suisse devra augmenter de près de 60% ses importations en hiver mais devra réduire ses exportations de 40% durant l'été. Or, l'essentiel de la compensation se fera par l'achat de courant dans les pays voisins, c'est-à-dire du charbon allemand, du nucléaire français et du gaz italien. «C'est hypocrite, un non-sens écologique», déplore le conseiller aux Etats Beat Vonlanthen (PDC/FR), ancien président de la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie.
Un bilan carbone en hausse de 11%

«Le charbon me dérange, parce qu'il émet beaucoup de gaz à effet de serre et contribue au réchauffement de la planète», relève Philippe Jacquod. L'augmentation de production d'énergie à base de charbon estimée équivaut à une hausse des émissions de CO2 de 4,4 millions de tonnes, soit 0,54 tonnes par habitant. Ainsi, sans possibilité de compensation par des énergies renouvelables, l'empreinte carbone de la Suisse s'accroîtrait de 11%.

Energy for Humanity a procédé à une extrapolation similaire, mais l'a projetée sur les treize ans qui séparent 2016 de 2029, date de fermeture du dernier site nucléaire suisse en cas d'acceptation de l'initiative. Il estime l'augmentation des émissions de CO2 nécessaires pour les besoins de la Suisse à 50,8 millions de tonnes durant cette période.

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Les partisans de l'initiative ne semblent cependant pas voir le problème. Mardi, l'Alliance climatique, qui regroupe 67 ONG environnementales et sociales, a déclaré que l'initiative n'avait «pas d'impact sur le bilan carbone de la Suisse». Son directeur, Christian Lüthi, estime que la décision appartient aux consommateurs. Déjà aujourd'hui, ils ont le choix entre le tarif le meilleur marché, produit à base de nucléaire ou de charbon, ou un prix un peu plus élevé garantissant que l'énergie consommée est d'origine renouvelable. «Il y a assez de courant vert sur le marché européen. Les consommateurs peuvent choisir», suggère-t-il.

Un acheminement difficile
Pas si simple, réplique l'Association des électriciens suisses (AES): «L'énergie produite par les éoliennes et les panneaux solaires allemands est destinée en priorité aux consommateurs allemands, car elle est lourdement subventionnée par les collectivités publiques. La Suisse n'en profite pas», déclare son président, Kurt Rohrbach. L'ElCom est du même avis. Elle relève que «l'électricité produite à l'étranger et importée» n'a pas la stabilité de celle qui est produite en Suisse même si les installations appartiennent à des entreprises suisses. La commission relève en outre que «l'Allemagne a du retard dans l'aménagement des lignes de transport acheminant l'électricité des parcs éoliens du nord du pays vers les grands centres de consommation au sud», de sorte que rien ne garantit qu'elle puisse parvenir jusqu'en Suisse.


La sortie rapide du nucléaire n'est pas gratuite en termes de CO2
Philippe Jacquod et Wolfgang Denk parviennent finalement à une conclusion similaire: la sortie rapide du nucléaire n'est pas gratuite en termes de CO2, ce qui laisse à réfléchir au moment où la conférence sur le climat COP22 de Marrakech s'inquiète de voir qu'il y a trop toujours trop d'émissions de CO2 dans le monde (LT du 15.11.16). «La question est de savoir ce que l'on privilégie: le danger que représente l'énergie nucléaire ou le réchauffement climatique. Si l'on privilégie le premier, alors OK, on ferme les centrales et on en assume les conséquences. Si l'on privilégie le second, alors on n'arrête pas le nucléaire», résume Wolfgang Denk.

Le réseau Swissgrid doit être renforcé
L'autre question est la capacité du réseau suisse à digérer une hausse durable des importations. Swissgrid, la société nationale du réseau, est-elle prête à faire face? Son directeur général, Yves Zumwald, a expliqué en octobre qu’un certain nombre de conditions devraient être remplies pour répondre à l’arrêt anticipé des deux réacteurs de Beznau et de celui de Mühleberg.

«Les répercussions d’une mise hors service de Beznau I et II peuvent être, en partie, minimisées par l’installation d’un transformateur 380/220 kV à Beznau», explique-t-il. Pourquoi? Parce que l’électricité importée est acheminée sur le réseau 380 kilovolts alors qu’il est distribué aux consommateurs en 220 kV. Comme le réacteur I est à l’arrêt depuis dix-huit mois et que la production a été ralentie durant l’hiver 2016-2017, Swissgrid a accéléré l’acquisition de ce transformateur. Il sera mis en service en mars 2017. Cela réduira le risque de coupures de courant dans la région zurichoise, mais il ne peut exclure des interruptions temporaires si le réseau doit être exploité à la limite de ses capacités.

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Pour Mühleberg, c’est plus compliqué. La tension pourrait être augmentée de 220 kV à 380 kV sur la ligne reliant Bassecourt au site bernois, qui devra être équipé d’un transformateur identique à celui de Beznau. «Une mise en œuvre de ces deux mesures d’ici à la fin de 2017 n’est pas réaliste compte tenu des procédures d’autorisation», avertit Yves Zumwald. Des solutions transitoires devraient être trouvées afin de maintenir la tension dans la région de Berne.

Des procédures accélérées
Cet argument technique pourrait favoriser la recherche d’un compromis. Si l’initiative est acceptée le 27 novembre, les équipements ne seront pas prêts. La décision de fermeture en 2017 que communiquera le Conseil fédéral devrait pouvoir faire l’objet d’un recours. Du coup, certains antinucléaires ne s’opposeraient pas à ce que le site bernois reste actif jusqu’en 2019 comme le prévoit son propriétaire.

Les oppositions qui retardent chaque projet de plusieurs années ne nous permettront pas d’être prêts dans des délais six courts

Yves Zumwald considère par ailleurs que l’acceptation de l’initiative nécessiterait l’accélération des procédures d’autorisation pour la nouvelle ligne 380 kV Chamoson-Chippis, ralentie par des oppositions de riverains qui demandent qu’elle soit enterrée, et Chippis-Bickigen (BE). Il rappelle qu’un même transformateur 380 kV/220 kV sera monté à Chippis en 2018. «Pour que l’infrastructure soit prête à fin 2017, les procédures relatives à l’extension du réseau devraient être très nettement accélérées. Mais les oppositions qui retardent chaque projet de plusieurs années ne nous permettront tout simplement pas d’être prêts dans des délais si courts», a-t-il averti. Par ailleurs, la décentralisation de la production oblige Swissgrid à «repenser» son infrastructure de réseau.

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