Avoir une politique énergétique… ou ne pas en avoir !

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par Loïk Le Floch-Prigent
 Publié le 24.07.2017 

Quelques jours après l’annonce du plan climat du gouvernement, le point de vue de l’ancien président d’Elf Loïk Le Floch-Prigent.

L’annonce du « plan climat » en France était attendue depuis l’arrivée du nouveau ministre Nicolas Hulot au gouvernement de la République, il n’y a donc pas eu surprise sur l’objectif numéro 1 à savoir la décarbonatation du pays à un horizon d’une vingtaine d’années en mettant en préparation la fin des véhicules diesel et essence pour 2040. N’insultons pas l’avenir et regardons plutôt sereinement ce qui doit guider nos décisions collectives et, en l’occurrence, comment doit se définir une politique énergétique.
En supposant que l’objectif climat est un impératif absolu, que la COP 21 a défini le cap mondial et qu’il convient de montrer à la planète que ce qui a été écrit est souhaitable et faisable, comment les autres impératifs de la vie des français et de la place de la France dans le concert des nations vont en être affectés ? Pour l’instant ce qui importe a l’air d’être le rôle de phare du pays dans un univers incrédule ! Pourquoi pas ? Et on pourrait défendre que dans les périodes de transformation de la société un choc est nécessaire pour faire réagir et progresser, et que ce choc vient d’avoir lieu !

Comme dans toutes les actions que j’ai entreprises je suis néanmoins partisan du diagnostic partagé par le plus grand nombre sur la situation de départ. L’enthousiasme médiatique ne me suffit pas, je veux savoir si un accord existe sur la réalité de notre position énergétique et sur les conséquences des orientations retenues, je ne le pense pas !

Une population croissante conduit à une augmentation des besoins énergétiques sauf si l’on réalise de façon continue des économies à un ratio plus élevé encore. Force est de constater qu’au niveau mondial la population croit plus vite que les réalisations d’économies. Ce que pourront faire 60 millions de français aura peu d’impact sur la situation mondiale en particulier l’Afrique qui manque cruellement d’énergie et qui va voir sa population doubler d’ici 2040 , passant de 1 à 2 milliards. Non seulement il n’y aura pas d’économies réalisées sur ce continent mais les installations carbonées s’étendent et vont se poursuivre pour des raisons de survie. Nous ne pourrons pas changer le monde en modifiant la circulation à Paris !

Pour cette population croissante, l’impératif est l’éducation pour échapper à un véritable péril démographique, et la pénurie énergétique, l’intermittence, les délestages électriques quotidiens font partie des écueils évidents pour stabiliser ces pays. Aujourd’hui cela passe par le gaz pour centrales électriques et le butane-propane pour la cuisine domestique, et ceci représente un progrès pour eux et pour la planète car c’est participer à la lutte contre la déforestation et pour la biodiversité ! Il n’y a donc pas UNE solution mondiale aux problèmes liés au climat, mais DES solutions adaptées à chaque réalité. Permettre aux indiens installés avec des petits âtres au charbon dans les zones minières de s’éclairer et de faire la cuisine à partir de grandes centrales électriques…(au charbon !) conduit à limiter à 5% les émissions carbonées de ces zones de peuplement ! Cela mérite réflexion…et action !

Prenons donc l’argument de l’exemple donné au monde avec prudence car la règle de base de l’écologie est celle du Professeur René Dubos en 1978 à la conférence de Stockholm « think globally, act locally ».

Ce qui est vrai pour la France n’est donc pas forcément bon pour le monde, et le problème revient à savoir si la politique énergétique envisagée est bonne ou non pour le pays lui-même.

Pour cela il aurait été nécessaire de faire un diagnostic, en s’abstenant de l’idéologie rampante qui fait de nous des citoyens honteux de prendre la voiture et non le vélo ou d’aller passer des vacances en prenant place à bord d’avions ! La pollution induite par ces actes barbares nous fait frémir et nous sommes ainsi préparés à prendre le train-électrique- et nous orienter ensuite vers le deux-roues sans moteur et la marche à pieds.

Le pays a des exigences énergétiques et industrielles, nous ne supportons ni les pannes de courant ni les obstacles à la mobilité, même lorsque ce sont les intempéries qui les causent , plus de 80 ans de service universel ont fait de nous des enfants gâtés, nous n’avons aucune envie de faire marche arrière ! En conséquence toute transformation de source d’énergie doit garantir une disponibilité et un prix auxquels nous avons souscrit. La montée des énergies solaire et éolienne dans notre mix électrique ont déjà conduit à une augmentation du tiers de notre facture individuelle. Il n’y a pas eu encore révolte car la CSPE de nos factures est presque invisible, sauf pour les initiés, mais sa croissance va vite la rendre insupportable et elle sera inéluctable si nous acceptons la construction des fermes d’éoliennes en mer qui augmentent le prix d’un facteur 20 au moins ! Il est clair que la façon dont nous avons défini la « transition énergétique » au niveau national est indigeste pour le pays tout entier et pour chaque individu en particulier.

Mais, plus grave encore, plutôt que de se mettre à l’écoute de ces nouvelles formes d’énergie plus souples, plus locales, plus intermittentes et de redéfinir leur utilisation, on a poursuivi le modèle centralisé d’origine et l’on sature le réseau par vent fort et soleil au risque de perturbations mortifères. On n’a pas voulu faire le diagnostic, on n’a pas tenu compte des réalités, et lorsque les vents et le soleil sont en sommeil, heureusement !, comme en Février 2017, les installations thermiques au charbon et au gaz se mettent en route, sauvant ainsi des populations entières du noir absolu. Il ne sert à rien d’avoir raison idéologiquement lorsque la réalité vous prend à la gorge, les dérèglements climatiques fustigés par ailleurs sont dans les deux sens, et il peut faire froid ou on peut avoir des orages énormes lors de saisons aléatoires !

La politique définie par la loi de « transition énergétique » n’est donc pas celle de l’efficacité puisqu’elle défend une idée sans prise sur la réalité : les énergies éoliennes et solaires sont intermittentes, le problème du stockage électrique n’est pas encore traité et les éoliennes marines sont sous-optimales.

Par ailleurs puisque l’objectif essentiel est la décarbonatation et que les énergies nouvelles ne vont pas permettre d’avoir du courant tout le temps, on pouvait imaginer que le temps était venu de rétablir l’intérêt du nucléaire ! Eh bien non , on garde l’objectif essentiel de diminuer de 75 à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique national ! Décarbonater, réduire le nucléaire et satisfaire les français c’est la quadrature du cercle , nous devons le faire, nous le ferons donc ! Faisons donc des économies…oui mais pas d’électricité puisque les voitures vont être électriques à horizon vingt ans ! Grace au numérique nous avons désormais des instruments de simulation ,utilisons les et nous verrons que c’est tout bonnement impossible ! La voile, le vélo, la marche à pieds…tel est notre avenir et ce sera bon pour notre santé, à toute chose malheur est bon !

Nous venons de vivre en Allemagne, chez nos voisins, cette disparition accélérée des centrales nucléaires, résultat ? La construction de centrales à lignite, et l’augmentation des pollutions dans leur pays…et le nôtre, par vents d’Est !

Mais on n’a regardé là qu’une partie de la réalité ! Notre industrie est aujourd’hui centrée sur l’énergie et son utilisation, par exemple 16% de nos emplois industriels tournent autour de l’automobile…carbonée ! Nous avions une industrie thermique- électrique brillante avec Alstom, mais nous l’avons cédée en 2015 aux …américains de General Electric ! Nous n’avons pas de production de panneaux solaires, ils sont chinois, nous avons voulu initier la fabrication d’éoliennes, trop tard, échec, nous avions une industrie nucléaire, nous en gardons quelques lambeaux que nous essayons contre vents et marées de rétablir ! Nous avions une zone de compétitivité économique, notre électricité d’origine nucléaire qui nous permettait des coûts nationaux inférieurs à la concurrence ! Demain nous aurons à payer le courant hors de prix d’éoliennes en mer construites par nos concurrents…quel progrès pour le pays ! Nos centrales charbon peuvent se transformer en centrales déchets ligneux écologiques ! Qui s’en soucie , l’essentiel est de bannir le mot charbon !

Tout cela est délirant, on le voit bien, et les idéologues comme leurs commentateurs sont coupables de se satisfaire de postures, d’effets d’annonce et de cocoricos qui abusent le peuple !

Reprenons le chemin des réalités et du diagnostic partagé, nous avons fait le choix de la voiture diesel, du nucléaire et cela a structuré notre pays. Nous n’avons pas pris les virages à temps, et nous avons résisté contre le véhicule hybride, le véhicule électrique, contre l’électricité produite et utilisée localement, c’est vrai ! Le choc pétrolier de 1973 aurait pu modifier notre politique énergétique profondément, cela n’a pas été le cas, nous sommes partis avec notre esprit de système sur une politique centralisée autour du nucléaire et sur la voiture diesel qui nous différenciait des autres constructeurs avec une consommation moindre tout en exigeant une ristourne par rapport à l’essence.

Promoteur à ces moments là du solaire, des centrales à gaz, des raffineries à essence sans plomb (et donc peu de diesel), d’un mix électrique plus équilibré, des unités agricoles méthane…j’ai ramé à contre-courant une grande partie de ma vie d’industriel. Je ne suis donc pas un défenseur acharné du maintien du mix actuel énergétique, tout en restant persuadé de l’exigence du maintien d’une compétence thermique-électrique dans notre pays ! Mais arrêtons de dire des bêtises, d’en préparer, d’orienter la population française vers l’absence de solutions dans le seul but de plaire au piéton parisien. Remettons-nous à l’ouvrage, observons bien où nous en sommes, quels sont nos atouts, quelle est notre industrie, comment nous allons nous en sortir dans un monde difficile qui craque de toutes parts, comment nous allons redresser la situation de notre industrie exsangue, la politique énergétique est un tout qui nous concerne directement, elle n’a rien à faire de proclamations ou de déclarations d’intentions nobles, mais illusoires.
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