Sylvestre Huet
Produire son électricité avec des centrales nucléaires présente un bilan très contrasté d’avantages et d’inconvénients. D’un côté la nécessité de maîtriser le risque d’une perte de contrôle des réacteurs, la difficile gestion des déchets radioactifs, et pour ceux qui ne fabriquent pas eux-mêmes réacteurs et combustibles une dépendance absolue vis à vis des fournisseurs. De l’autre une électricité abondante et pilotable, aux coûts qui peuvent être très compétitifs… ou non en fonction des situations. Une grande économie de matières premières et d’espace. Des centrales pratiquement dénuées d’émissions de particules ou de gaz nocives pour la santé et l’environnement. Une balance à jauger en fonction des besoins et caractéristiques des pays et systèmes électriques, ce qui peut aboutir à dire oui ou non à cette technologie.
Toutefois, un aspect de l’énergie
nucléaire semble sans contestation possible : le fait qu’il permette
l’accès à une électricité à très faible impact sur le climat –
comparable, voire meilleure au MWh produit, à l’éolien, au solaire ou à
l’hydraulique. Un avantage massif, au regard du charbon et du gaz,
source de 80% de l’électricité mondiale et dont la combustion émet du
CO2, le gaz à effet de serre n°1 des émissions anthropiques provoquant
le changement climatique en cours. Dans les scénarios énergétiques, ceux examinés par le GIEC ou d’autres experts, le nucléaire fait donc partie des mix électriques envisagés pour atténuer la menace climatique.
L’ignorance des hostiles
Mais cet aspect est-il un fait connu,
partagé, permettant un débat public informé sur le sujet ? Une étude
sociologique réalisée par IPSOS pour le compte d’EDF depuis 2012 chaque
année semble montrer que non. Dans une mesure pour le moins alarmante
pour qui souhaite une décision citoyenne sur le sujet énergétique. A
partir d’une enquête réalisée par internet (1), confirmant les ordres de grandeurs d’autres études,
il est permis d’affirmer que l’ignorance règne plus que la connaissance
de ce fait. Que nos concitoyens sont victimes d’une grande tromperie
qui pèse sur leur réflexion.
L’ignorance est massive, puisque si l’on
additionne les « beaucoup » (44%) et les « un peu » (34%), on frôle les
80% des sondés attribuant aux centrales nucléaires une responsabilité
dans l’élévation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre,
et donc dans le changement climatique. Même une vision optimiste – pour
l’état des connaissances de nos concitoyens – parvient quand même à
constater que près de la moitié de la population se met le doigt dans
l’œil jusqu’au coude.
Je crois donc je sais
L’un des résultats les plus frappant de
l’enquête est la dépendance à l’opinion de la diffusion d’une
connaissance pourtant robuste, celle qui explique pourquoi le système
électrique français est « décarboné » à près de 90%. Un peu comme la
situation américaine où le vote Démocrate ou Républicain permet de
prédire votre opinion sur la cause ou la réalité du changement
climatique. L’enquête relie la position la plus hostile à l’usage de
l’électricité d’origine nucléaire avec l’ignorance la plus massive : 75%
des sondés se déclarant « tout à fait contre » l’utilisation du nucléaire croient que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup »
à l’effet de serre. La seule option de politique énergétique qui
rassemble des personnes majoritairement informées de la véritable
liaison entre nucléaire et climat est celle qui se déclare « tout à fait pour » cette source d’électricité. Les opinions moins tranchées se distribuent entre ces deux extrêmes.
Un psycho-sociologue y verrait une magnifique illustration du « biais de confirmation »
qui encourage les individus à écarter toute information susceptible de
mettre en cause leur croyance. Si l’on croit que l’énergie nucléaire,
c’est mauvais, alors il faut qu’elle soit mauvaise aussi pour le climat…
que l’on veut préserver.
Le souci climatique est très fort
Ce n’est pas par négligence du dossier
climatique que les sondés en arrivent à partager massivement cette
ignorance d’une des caractéristiques principales de l’électricité
d’origine nucléaire. Ils sont en effet plus de 90% à considérer le
changement climatique comme « très préoccupant » ou « assez préoccupant ». Plus encore : ils sont près de 90% à considérer que pour choisir les énergies à utiliser « lutter contre le changement climatique » est soit « très important » (49%) soit « plutôt important ».
On pourrait donc s’attendre à ce que nos concitoyens fassent l’effort
nécessaire pour comprendre l’origine première du problème – l’émission
massive de gaz à effet de serre issus de la combustion du pétrole, du
charbon et du gaz. Et donc se rendre compte de ce qu’une centrale
nucléaire ne fait pas partie du problème mais, éventuellement, de sa
solution.
Il convient toutefois de noter que cette
enquête, après d’autres, confirme que la population française n’est pas
dans l’unanimité à ce sujet. Une grosse majorité affirme, en accord avec
les climatologues, que nous vivons un changement climatique
anthropique, causé par l’homme, mais ils ne sont que 67% en 2017 (et
n’étaient que seulement 55% en 2012).
Plus on est jeune et plus on ignore
L’analyse du détail par tranche de
population fait percevoir une dégradation de la culture scientifique
inversement proportionnelle… à l’âge. Plus on est jeune et plus on se
trompe. Entre 18 et 24 ans, 63% de la population est persuadée du
caractère climaticide des centrales nucléaires. Et encore 55% des 25 à
34 ans. Curieusement, les jeunes sont aussi plus massivement convaincus
que les vieux (75% des moins de 25 ans contre 50% des plus de 65 ans) du
caractère anthropique du changement climatique. Autrement dit, la
préoccupation climatique ne conduit absolument pas à la connaissance de
la physique du climat, laquelle nous dit qu’une centrale nucléaire n’est
pas une cause du changement climatique.
Les femmes se distinguent mal, avec un score de 57% persuadées que les centrales nucléaires émettent « beaucoup »
de gaz à effet de serre, mais c’est là un résultat qui trouve sa source
dans… l’hostilité qu’elles marquent puisqu’elles sont 51% à se déclarer
tout à fait contre ou contre leur utilisation, alors que seuls 39% des
hommes sont dans ce cas.
Le
bilan des « pour/contre » l’utilisation du nucléaire pour l’électricité
est proche du match nul, avec 46% de contre contre 42% de pour. Les
raisons invoquées par les uns et les autres pour choisir les énergies à
utiliser sont diverses : emplois, protection de l’environnement, santé
publique, coût… et lutter contre le changement climatique. Mais peut-on
considérer que cette dernière raison est envisagée à bon escient lorsque
tant de citoyens se trompent aussi lourdement sur la relation entre
centrales nucléaires et émissions de gaz à effet de serre ? Le graphique
ci-dessus montre en effet que les citoyens les plus soucieux de lutter
contre le changement climatique sont également les plus opposés au
nucléaire. Une opinion qui serait tout à fait respectable si elle ne
s’accompagnait pas d’une ignorance largement partagée sur la véritable
relation entre nucléaire et climat.
L’électricité allemande et française
Pour comprendre l’enjeu de l’origine de
l’électricité, une comparaison des systèmes électriques allemand et
français est utile. En voici une, effectuée le 10 avril à près de 11h,
au moment de l’écriture de cet article, à l’aide d’un site web qui présente en temps réel des systèmes électriques et leurs émissions de gaz à effet de serre :
Ce
jour là et à cette heure là, le système électrique allemand est dans
une situation assez représentative de ses performances moyennes, proche
(en termes d’émissions de gaz à effet de serre) de l’année 2017 montre
le graphique ci-contre. Avec 40% de renouvelables et 14% de nucléaire,
il affiche une émission de CO2 de 387 g/kWh, due pour l’essentiel à ses
centrales à charbon. Une performance menacée à court terme, puisque
toutes les centrales nucléaires seront fermées d’ici 2022 et il est peu
probable que les renouvelables parviendront à compenser toute la perte
de production d’ici là.
Un graphique permet de mieux comprendre les émissions de CO2 du système électrique allemand et leurs évolutions depuis 2000, de 640 g/kWh à 500 g/kWh en 2017 :
A
la même heure et le même jour, voici le système français. Avec son mix
formé surtout du nucléaire, de l’hydraulique, auquel s’ajoutent un peu
d’éolien et de solaire, il est décarboné à 93% et n’émet que 60 g de CO2
par kWh. Une performance durable, puisque fondée sur des moyens de
production susceptibles de se perpétuer pour des décennies. Elle
correspond à celle que l’on attend en moyenne des systèmes électriques
des pays développés d’ici 2050 si l’on veut s’approcher des objectifs
climatiques fixés lors de la COP-21 à Paris en 2015, limiter le
réchauffement à 2°C de plus en moyenne planétaire qu’avant la Révolution
industrielle. Elle pourrait toute fois se dégrader si la diminution de
la puissance nucléaire était compensée par un mix gaz/renouvelables
comme le prévoit la loi sur la transition énergétique votée par le
Parlement sous François Hollande.
Un débat public vérolé
Pourquoi la population française est-elle
à ce point dupée sur une caractéristique majeure et décisive pour la
politique climatique de son système électrique ? La question interroge
l’école, les formations supérieures, la presse, mais aussi les discours
des responsables politiques et militants. Tout responsable politique
doit se demander s’il s’exprime clairement sur ce sujet. Tout
journaliste concerné doit se demander si ce qu’il dit et écrit (ou pas)
contribue (ou pas) à maintenir les citoyens dans cet état d’ignorance ou
à l’informer correctement. Que l’on soit en désaccord avec
l’utilisation de cette énergie parce que l’on n’est pas convaincu que
les pratiques des industriels comme le dispositif public de contrôle du
risque nucléaire par l’Autorité de Sûreté Nucléaire sont efficaces pour
nous protéger est respectable. Et peut constituer une raison pour
refuser cette source d’électricité. Mais que le débat public soit vérolé
par une ignorance aussi criante de la capacité de l’énergie nucléaire à
apporter une solution pérenne et massive à une fourniture d’électricité
climato-compatible est une tare pour la vie démocratique.
(1) Enquête IPSOS sur un échantillon
représentatif de la population de 1389 personnes de plus de 18 ans
vivant en France, réalisée du 15 juin au 6 juillet 2017. Le
questionnaire, l’analyse et les graphiques proviennent de Jérome Cubilié
des Études et Recherches d’EDF.
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