Crédits carbone : le système type "compensation", efficace ou non?



Commentaire : quand la "magie" verte des pseudos écolos sauveurs du monde et au-delà, montre ses limites.

 “finance gap”*
Définition : un gap est l'écart qui sépare le cours de clôture d'une séance de bourse ou de cotation des différents actifs (monétaires, financiers, matières,…) et le cours d'ouverture de la séance suivante. Le gap est utilisé dans l'analyse technique par les investisseurs qui considèrent que le cours de clôture précédant le gap fait office de support en cas de baisse de la valeur de l'actif ou inversement de résistance en cas de rebond des cours.
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Ne dites plus compensation : de la compensation à la contribution

César Dugast Renaud Bettin et du cabinet de conseil Carbone 4
12/07/2019




À l’origine, les “crédits carbone” ont été créés pour permettre aux 37 pays et entreprises engagés dans la limitation de leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du Protocole de Kyoto de se mettre en conformité avec les plafonds d’émissions qui leur étaient imposés.

En cas de dépassement du “cap” d’émissions, les obligés pouvaient alors contrebalancer leurs émissions excédentaires en finançant un projet bas carbone ayant lieu dans un pays non contraint par le Protocole, et revendiquer la possession de la réduction.
Puis vint le temps du marché volontaire de la compensation carbone. Tous les acteurs, et notamment les entreprises, ont eu massivement recours à cet instrument pour “compenser” leurs propres émissions.
Nul besoin réglementaire ici ; il s’agissait d’acheter autant de crédits carbone que ce que l’entreprise émettait sur un périmètre donné, pour avoir le droit de revendiquer une “neutralité carbone” de bon aloi. L’intégralité des émissions d’une entreprise pouvait alors disparaître derrière un zéro magique, tant qu’elle formulait le vœu pieux de “réduire les émissions au maximum avant de compenser”. 

 
Le terme “compenser” renvoie à un imaginaire trompeur
Mais ce mécanisme pourtant vertueux (en tant que levier de financements additionnels pour la finance climat) souffre depuis plusieurs années d’une réputation dégradée, liée à son utilisation abusive et à un certain nombre d’écueils structurels.


1. Une non-réduction chez soi est équivalente à une réduction chez quelqu’un d’autre : FAUX
Certes, le dérèglement climatique étant un problème planétaire, une tonne de CO2 émise chez soi ou ailleurs aura le même effet sur le climat. Mais pour viser la neutralité carbone mondiale en 2050, nul ne peut se soustraire à ses propres efforts de réduction.
Chaque secteur, chaque entreprise doit se placer sur une trajectoire de décarbonation compatible avec un réchauffement limité à 1,5°C/2°C, et l’effort ne peut pas être “externalisé”. Acheter un crédit carbone, c’est-à-dire cofinancer le projet de réduction de quelqu’un d’autre, est une pratique à encourager, mais qui ne pourra jamais se substituer à ses propres efforts. 


2. Une émission chez soi peut être immédiatement contrebalancée par une réduction ou une séquestration carbone ailleurs : plutôt FAUX.
En termes de temporalité, réduire ailleurs plutôt que chez soi est en effet équivalent si le projet financé induit une réduction immédiate des émissions. Mais c’est faux, par exemple, lorsque le crédit carbone est issu d’un projet forestier : la séquestration du CO2 a lieu sur des décennies de croissance de l’arbre, et non pas à la date d’achat du crédit. À l’heure de l’urgence climatique, où les fenêtres temporelles d’action sont si minces, la nuance est de taille. Par ailleurs, il n’est jamais garanti que le carbone stocké restera en place (c’est-à-dire dans l’arbre) suffisamment longtemps, car les forêts ne sont jamais à l’abri des aléas climatiques (incendies, vents violents…) de maladies ou de la déforestation liée à une activité humaine. 


3. L’achat d’un crédit carbone permet de soustraire autant d’émissions de son propre bilan d’émissions de gaz à effet de serre : FAUX
C’est même interdit par tous les organismes de référence (UNFCCC, Science Based Targets Initiative, Bilan Carbone, ISO 14064, GHG Protocol…) faisant autorité sur le reporting climat des organisations. C’est d’ailleurs pour cela que Carbone 4 préconise l’adoption d’une nouvelle comptabilité carbone afin de rendre compte plus justement des impacts sur le climat (voir plus loin). 


4. La compensation carbone incite à se défausser de ses propres obligations : VRAI
C’est la rengaine habituelle : la compensation comme achat de conscience, version XXIème siècle des indulgences de l’Église catholique au Moyen Âge, etc. Et ce n’est pas étonnant : dès lors qu’un dispositif laisse miroiter l’idée qu’il est possible d’annuler ses mauvaises actions (les émissions) par l’achat de bonnes actions (crédits carbone bon marché), il est d’emblée très tentant de ne pas consentir à ses propres efforts de réduction sur sa chaîne de valeur.
Aujourd’hui, après plus de quinze années d’existence de cet instrument, une large majorité d’entreprise reste réticente à utiliser la mal-aimée compensation carbone. Et c’est bien dommage, quand on connaît la valeur et la robustesse des marchés volontaires du carbone, et leur capacité à lever des fonds pour le développement bas carbone, la transition écologique et l’amélioration des conditions de vie des populations.


Réinventer la sémantique pour réinventer notre rapport à la finance carbone
Pour gagner la bataille climatique, chacun doit faire les efforts nécessaires pour réduire ses émissions à des niveaux compatibles avec un réchauffement de +1,5°C/+2°C. Mais dans un esprit de solidarité, et parce que les flux financiers en faveur du climat doivent absolument se multiplier, le financement de la transition au-delà des son périmètre doit également être encouragé.
Or, tant que la compensation sous-entendra qu’il est possible de “posséder” des réductions d’émissions effectuées par d’autres pour cacher ses propres émissions, les critiques et la méfiance perdureront, à juste titre.


Nous proposons de passer d’une logique de “possession” des réductions à une logique de “contribution” aux réductions.
Jusqu’ici, les marchés volontaires du carbone étaient utilisés comme une manière de compenser ses émissions afin d’atteindre un statut « neutre en carbone » à sa propre échelle. Aujourd’hui, cette vision hors sol, déconnectée de l’objectif de neutralité des territoires, devient caduque, génératrice de peu d’avantages concurrentiels, et de plus en plus remise en question par l’opinion publique.

Pour redonner ses lettres de noblesse à la compensation, il s’agirait de reconsidérer les marchés volontaires du carbone comme ce qu’ils ont toujours été : des instruments efficaces de stimulation de l’action vers l’atteinte d’un net zéro territorial.
C’est la position défendue par Carbone 4 depuis 2018, tant dans son activité de conseil qu’à travers ses travaux menés dans le cadre de Net Zéro Initiative.

Dans les faits, cela invite à valoriser les contributions d’une entreprise à l’atteinte de la neutralité territoriale de manière séparée de sa propre empreinte carbone. Chaque organisation aurait alors trois comptabilités à suivre en parallèle :

  • Ses émissions de GES sur l’ensemble de la chaîne de valeur, qu’elle doit piloter et réduire à des niveaux compatibles avec les trajectoires d’émissions 1,5°C/2°C ; 
  • Ses contributions à la réduction d’autres acteurs, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de réduction ; 
  • Ses contributions au développement des puits de carbone mondiaux, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de séquestration.
Contrairement à la “compensation”, il n’est ainsi pas immédiatement possible d’annuler la première catégorie (les émissions induites) sous prétexte qu’un effort est fait sur les deux autres. Il est plus sain de considérer que ces trois axes sont séparés, non fongibles et à piloter dans le temps de manière ambitieuse. Communiquer sur “une contribution à la neutralité territoriale” et non plus sur « sa propre neutralité » apporte plusieurs avantages : 


  • Plus collectif : parce que le défi de la neutralité mondiale, dont on ne mesure pas encore l’importance, ne se relèvera que par une contribution collective et équitable, qu’il est important de quantifier selon les contributions et efforts de chacun. 
  • Plus précis : les émissions d’une entreprise sont comptablement séparées des autres contributions positives qu’elle peut mener par ailleurs (aider les autres à réduire ou augmenter les puits de carbone). Autrement dit, il s’agit de graver dans le marbre que les émissions d’une entreprise ne disparaissent pas de l’atmosphère sous prétexte qu’elles contribuent à la réduction des émissions des autres ou à l’augmentation des puits de carbone ! 
  • Plus positif : compenser annule les mauvaises actions, contribuer valorise les bonnes ! 
  • Plus juste : acheter un crédit carbone, c’est avant tout soutenir un projet. Une contribution semblable à un acte de philanthropie climatique qui devrait, à l’instar du mécénat, se désintéresser du prix du carbone (si ce n’est dans la mesure de ses moyens) et davantage s’intéresser à la transparence sur l’utilisation des fonds et la justification des marges des intermédiaires.

Cette position est par ailleurs totalement en phase avec le futur des marchés carbone post-2020 esquissé par l’Accord de Paris, qui stipule que seuls les pays hôtes seront en droit de revendiquer la possession des réductions d’émissions visées dans leurs NDC.

Passer de la compensation à la contribution n’est pas qu’une affaire de sémantique.

C’est la condition sine qua non de l’assainissement de l’imaginaire autour de la finance carbone volontaire, qui inhibe depuis trop longtemps la nécessaire augmentation des flux financiers à destination des projets bas carbone pour combler le “finance gap”*.
Libérer la parole, oser réinventer les concepts à la lumière des nouveaux impératifs climatiques, tout en conservant le meilleur des instruments existants, seront des atouts incontournables pour dessiner le futur cadre de pensée de l’action climatique.


 

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