«L’écologisme est une idéologie de combat dressée contre l’économie de marché»

Bruno Durieux
30 Juin 2019 


Commentaire :   Bruno Durieux est économiste, homme politique et sculpteur. Point de vue.
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« L’écologisme a imposé le principe de précaution ; sait-on que Hans Jonas, son inspirateur, voyait dans le communisme le meilleur des régimes pour maîtriser le consumérisme de son humain prédateur et sauver la planète ? »


Bruno Durieux. © Sipa Press
 

A une étudiante catastrophée par sa critique du « catastrophisme vert ​», Bruno Durieux répond en marge d’une conférence qu’elle a raison de vivre la question écologique comme l’affaire de sa vie, mais s’interroge ​: « ​Comment la convaincre que cette cause dépend d’autres valeurs, elles aussi primordiales ​? La question écologique s’impose aujourd’hui comme une priorité car la paix est assurée, la démocratie règne, les libertés résistent, la connaissance progresse, la prospérité est là. ​» Cette jeune fille pourra lire Contre l’écologisme, une critique argumentée de cette idéologie, un « ​hyper-malthusianisme contemporain ​», à l’hégémonie médiatique écrasante. Ou cette page de l’Opinion dans laquelle l’auteur démontre pourquoi « ​cet écologisme qui méprise la croissance est une menace grave pour la nature et l’environnement. ​»

« ​Les récentes élections européennes l’ont confirmé ​: les mouvements écologistes disposent de positions culturelles et médiatiques écrasantes. L’Union européenne a beau traverser une crise exceptionnellement grave, on a d’abord parlé d’écologie, pendant la campagne, dans les programmes, pour la composition des listes, dans les joutes électorales.

Les difficultés qui minent l’Union européenne passent au second rang. Le Brexit ​? Ca ne nous concerne pas directement. La crise migratoire ​? Elle passera. Le délitement du couple franco-allemand ​? Regrettable mais passager. La pression des « ​populismes ​» ​? A réduire, bien sûr. L’échec de Schengen ​? A remettre à plat. L’évanescence politique de l’Union sur la scène internationale, sa transparence vue des Etats-Unis ou de Chine, son impuissance dans la guerre commerciale qui s’installe ​? Bien embarrassant. En revanche, le climat, la biodiversité, les énergies renouvelables, voilà de vrais, sérieux et solides enjeux européens ​!

Les urgences ​? Régler la dette climatique, décarboner, verdir, convertir l’économie européenne, ses entreprises, ses consommateurs ; les libérer du productivisme, de la croissance à tout prix, du consumérisme pollueur, etc. Les priorités ? La chasse au carbone, par des taxes, des tarifs, des impôts, des quotas, des interdictions, des obligations, des rationnements. Zéro carbone en 2050 et l’élimination des pesticides en prime. Une banque européenne du climat ; mille milliards d’euros pour le climat.

Hégémonie. L’hégémonie de l’idéologie écologiste dans l’opinion est impressionnante. Il n’est pas question ici de contester l’importance de la question environnementale, ni de discuter la priorité qui lui revient. Il n’est pas question de nier le réchauffement climatique ni l’effet de serre anthropique (même si s’en protéger passe certainement par des politiques moins coûteuses, plus diversifiées et moins obsessionnelles qu’un objectif zéro carbone). Il n’est pas non plus question de négliger les solutions apportées par l’« ​écologie positive ​», celle qui relève les défis environnementaux en se fondant sur le progrès technologique et les mécanismes de l’économie d’entreprise et de marché. C’est l’écologisme comme idéologie politique qui inquiète, c’est son imprégnation dans les politiques européennes et notamment françaises qui préoccupe. Car il multiplie les victoires politiques, des victoires qui portent effet.

Les mouvements écologistes ont imposé le principe de précaution dans la Constitution ; sait-on que Hans Jonas, son inspirateur, voyait dans le communisme et la règle du « à chacun selon ses besoins », le meilleur des régimes pour maîtriser le consumérisme de son humain prédateur et sauver la planète de ses prélèvements et de ses déchets ? L’écologisme a eu raison de la culture des OGM en France ; elle est proscrite mais on n’a pas interdit leur consommation ; on pourra les importer. L’écologisme a eu aussi raison de l’exploitation des gaz de schistes en France ; mais on pourra toujours les importer des Etats-Unis par méthanier.

Notre électricité est décarbonée grâce à nos centrales nucléaires ; mais celles-ci doivent laisser la place aux énergies intermittentes ; l’écologisme allemand s’est débarrassé de son électricité nucléaire mais achète la nôtre pour soulager ses usagers tout en emplissant l’atmosphère du CO2 et des particules fines de son charbon. La France est en flèche contre les pesticides ; ce qui ne nous empêche pas d’importer chaque année davantage de fruits et légumes de pays qui y recourent ; nos agriculteurs sont à la peine et notre balance commerciale agroalimentaire hors boissons, autrefois excédentaire, est désormais déficitaire.


Compétitivité. L’idéologie écologiste affecte la compétitivité du site France et entrave la croissance économique. Elle est doublement pénalisante : par la demande du fait des hausses des prix, taxes et tarifs « écologistes » qui amputent les pouvoirs d’achat ; par l’offre en raison des handicaps de compétitivité que subissent nos entreprises pour les mêmes raisons, auxquelles s’ajoutent d’innombrables réglementations « écologistes ». Ce constat ne trouble pas les mouvements écologistes. C’est précisément leur objectif.

L’écologisme, qu’il le proclame ou non, est un anticapitalisme. « L’écologie est la nouvelle ligne d’affrontement avec le capitalisme », selon la députée socialiste Delphine Batho. « L’écologie politique est incompatible avec le capitalisme » pour la députée européenne EELV Michèle Rivasi, qui ajoute : « Le capitalisme entraîne la mort de la planète. Nous devons changer de modèle ». L’activiste canadienne Naomi Klein proclame : « En présentant les enjeux climatiques comme une guerre entre le capitalisme et la planète, je n’affirme rien qu’on ne sache déjà. » Pour elle, la seule issue sérieuse à la crise climatique est l’abandon du système capitaliste et « la décroissance comme impératif de survie ».

Anticapitaliste, l’écologisme prône en effet la décroissance. En cela, il s’oppose à l’autre anticapitalisme historique que fut le communisme et qui, au contraire, voulait la croissance économique pour en redistribuer les fruits au prolétariat. La comparaison de ces deux idéologies anticapitalistes éclaire la nature de l’écologisme.

La décroissance rêvée par les écologistes n’est pas seulement un non-sens politique pour des mouvements qui se réclament de la gauche. C’est un contre-sens du point de vue même de l’ambition environnementale

Ils ont en commun la « générosité », l’empathie de leur projet. L’un veut mettre un terme à l’exploitation de l’homme par l’homme, l’autre à l’exploitation de la planète par l’homme. Leur projet est un bouleversement radical du système économique et social. L’un et l’autre bénéficient du soutien des intellectuels et des « people » ainsi que de la bienveillance des médias. Chacun admet l’éventualité du recours à une forme de dictature, celle du prolétariat pour le communisme, celle de la décroissance pour l’écologisme (car nul n’imagine nos sociétés adhérer sans contrainte à un tel objectif).

Mais ils se séparent sur la croissance et l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie : le communisme rejette la « décroissance productive » et la « frugalité heureuse » chères aux écologistes. De là vient que le communisme eut longtemps un large soutien populaire tandis que l’écologisme suscite une profonde méfiance dans cet électorat. Et proclamer que la transition écologique est « solidaire » ne suffit pas à le rassurer. Comment d’ailleurs classer l’écologisme à gauche ? Il fustige la consommation alors que les milieux populaires aspirent à plus de pouvoir d’achat ; il plaide pour la décroissance alors qu’elles revendiquent l’emploi et la sécurité de l’emploi.

Décroissance. La décroissance rêvée par les écologistes n’est pas seulement un non-sens politique pour des mouvements qui se réclament de la gauche. C’est un contre-sens du point de vue même de l’ambition environnementale. Car il suffit d’observer le monde pour voir que ce sont les pays riches qui défendent le mieux leur environnement quand les conditions écologiques les plus catastrophiques se trouvent dans les pays pauvres. Indira Gandhi déclarait déjà dans les années soixante-dix que « l’environnement ne saurait être amélioré quand règne la pauvreté ». Or on ne connaît pas d’autre voie pour lutter contre la pauvreté que la croissance économique.

Les écologistes objectent que la croissance est contrainte par les limites physiques de la planète. Ils ignorent ou veulent ignorer que les ressources dont l’humanité dispose ne connaissent pas d’autres limites que celles de l’intelligence humaine. Hyper malthusiens contemporains, ils n’ont pas, deux siècles plus tard, l’excuse d’un Malthus à qui on ne saurait reprocher de n’avoir pas vu les immenses ressources du progrès scientifique et de la technologie révélées depuis. Il n’est donc pas paradoxal de soutenir que l’écologisme qui méprise la croissance est une menace grave pour la nature et l’environnement. Il était incorrect de soutenir, au début du XXe siècle et longtemps après encore, que le communisme serait un fossoyeur de la question sociale (et des libertés). On se permet de soutenir ici que l’écologisme, à son tour, pourrait être mortel pour la question environnementale (et les libertés).



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