Electricité : l’hérésie de l’ouverture à la concurrence

Philippe Naszalyi  
 01/07/2019 



Promesse de prix plus bas pour les consommateurs français, la libéralisation du marché de l’électricité avec l'ouverture à la concurrence d'EDF favorise au contraire la hausse spectaculaire des tarifs et la multiplication des abus en tout genre.

« C’est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles », écrivait en son temps Montesquieu bien loin d’imaginer que l’Europe ferait de la concurrence « libre et non faussée » son dogme absolu. Or, qu’on le veuille ou non, le marché peut bien être libéralisé depuis 2007, l’électricité n’en demeure pas moins du fait de son mode de distribution être, ce que les économistes appellent, un monopole naturel. C’était donc une vue de l’esprit ou une croyance totémique de penser que par les mêmes fils pouvait circuler un courant différent selon les concurrents et vendu à des prix variés.

Un kWh d’EDF ressemble étrangement à celui d’un autre opérateur d’autant qu’il est produit au même endroit et souvent par le même fournisseur. La récente hausse des prix est venue couper le coups à cette croyance en plaçant les consommateurs devant les réalités qui s’imposent aux mirages des illusions perdues. Depuis 2007, le tarif de l’électricité n’a d’ailleurs baissé qu’une fois en 2016…et si peu ! Les tarifs prometteurs ne le sont qu’au prix d’un tour de passe-passe que paie de fait, la collectivité.


L’ouverture à la concurrence, synonyme de dérives
À cette publicité trompeuse, il faut ajouter les pratiques commerciales frauduleuses de certains nouveaux entrants qui, pour gonfler leur portefeuille de clients, n’hésitent pas à franchir la ligne jaune. Depuis plusieurs années, Jean Gaubert, Médiateur de l’énergie, n’a ainsi de cesse de les dénoncer. Dans son viseur, le démarchage à domicile, une technique commerciale particulièrement agressive, s’exerçant souvent sur des populations très fragiles, le plus souvent confiée par les opérateurs à des sous-traitants rémunérant leurs commerciaux en fonction du nombre de contrats signés — ou plutôt arrachés, à force d’abus de langage et autres subterfuges : la porte ouverte à toutes les dérives.

En 2016 déjà, le Médiateur dénombrait ainsi pas moins de 1.140 litiges liés à ces méthodes contestables. Un chiffre en hausse de près de 20% l’année suivante, pour atteindre 1.519 cas rapportés. Et si « au cours de l’année 2017, les fournisseurs Engie et Direct Energie ont été sanctionnés par les autorités compétentes pour leur pratiques douteuses », relève Jean Gaubert, et qu’en mars dernier Engie a écopé d’une amende record d’un million d’euros au profit d’EDF du fait, selon la cour d’appel de Versailles, « de négligences fautives », rien ne semble freiner le phénomène.

« Hausse des litiges », « méthodes commerciales douteuses », « fausses promotions », « offres pas si vertes », agressivité d’un démarchage ciblant tout particulièrement, et avec un cynisme assumé, les personnes âgées, vulnérables ou en grande précarité énergétique... : tout y passe, ou presque. Autant de « pratiques controversées, parfois mensongères, (qui) sont autant de facteurs susceptibles de faire perdre confiance aux consommateur », souligne Jean Gaubert, selon qui « le fonctionnement du secteur reste confus pour bon nombre de Français et certains fournisseurs jouent sur cette méconnaissance pour conquérir des parts de marché ». Plus d’un Français sur deux (56%) ayant été démarché en 2018 pour changer d’opérateur, contre « seulement » 36% l’année précédente, il y a urgence à intervenir pour que cesse cette loi de la jungle.


Des tarifs hors de contrôle
Les pratiques commerciales des nouveaux acteurs de l’électricité ne sont pas la seule conséquence délétère de l’ouverture du secteur à la concurrence. Contrairement à la promesse originelle, les prix de l’électricité en France n’ont pas baissé; pis, ceux-ci ont dramatiquement augmenté. C’est la conclusion d’une étude menée par l’Insee, selon laquelle les tarifs à la consommation de l’électricité ont progressé de près de 50% en dix ans. Et cela n’est pas près de s’arrêter, avec la hausse de 5,9% des tarifs réglementés appliquée depuis le 1er juin — la huitième en dix ans ! Un nouveau coup de massue pour les consommateurs français, vivement dénoncé par l’Association nationale de défense des usagers (CLCV), selon qui la moitié de cette nouvelle hausse ne correspond pas à l’augmentation des coûts d’EDF, mais à des compensations accordées aux opérateurs alternatifs n’ayant pas accès autant qu’ils le souhaiteraient à l’énergie nucléaire.

«On est dans un système un peu fou où l’on augmente les prix (d’EDF) pour faire vivre la concurrence», alerte ainsi François Carlier, délégué général de la CLCV, qui avec l’ UFC Que Choisir devaient saisir le Conseil d’État contre une hausse des tarifs qu’ils jugent « injuste et anormale », voire franchement « illégale ». Un avis partagé par la très sérieuse Autorité de la concurrence, qui estime que cela revient à « faire supporter la charge financière aux consommateurs plutôt qu’aux fournisseurs » et apparaît « donc contraire à la volonté du Parlement de proposer aux consommateurs des tarifs réglementés permettant de leur restituer le bénéfice de la compétitivité du parc nucléaire historique »


Les contre-exemples allemand et britannique
L’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité a donc tout du jeu de dupe. Suffisamment pour faire changer de pied nos décideurs ? Agrippés à leurs préjugés idéologiques, les défenseurs du tout-concurrence n’hésitent pas à brandir comme autant de hochets les exemples, soi-disant réussis, de libéralisation de pans entiers de l’économie chez nos voisins européens. À commencer par celle du secteur ferroviaire; pourtant, l’ouverture des trains et réseaux ferrés allemands à la concurrence s’est traduite par « un coût social élevé », menant à des milliers de postes supprimés au sein de la Deutsche Bahn, ainsi qu’à des problèmes de ponctualité et de qualité du service. Idem outre-Manche, où la privatisation du rail britannique est désormais remise en question par 60% des habitants, et ce après de nombreux conflits sociaux, grèves et accidents, parfois meurtriers.

Comme la liberté de déplacements, l’accès à l’énergie devrait être un droit inaliénable.


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