René Char, Fureur et mystère, page 86, Editions Gallimard, nrf, 2017
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Courrier adressé à Mme le Préfet, aux services préfectoraux compétents et à Mme / M le commissaire enquêteur dans le cadre de l’enquête publique pour l’installation d’un second méthaniseur à Langres.
Blandine Vue*01/07/2019
* Docteur es Lettres, spécialiste des paysages, lauréate de la fondation Nicolas Hulot pour mon travail de sensibilisation du grand public aux paysages et milieux de Haute-Marne. Auteur d’Histoire des paysages, Actes- Sud, ouvrage inscrit au programme des concours de l’Éducation Nationale.
Source : Opale, Dossier de demande d’enregistrement pour une unité de méthanisation agricole collective
Mesdames, Messieurs,
Je n’aurais rien eu contre l’installation de méthaniseurs il y a 10 ans, avant de voir ce que donnaient toutes ces prétendues installations d’énergie « renouvelable » dans notre territoire.
En ce qui concerne les méthaniseurs, je regrettais que les fermes ne soient pas équipées pour récupérer le méthane des fumiers d’hiver pour leur chauffage.
Mais dans le cas des méthaniseurs industriels de grande taille, l’obligation de les alimenter toute l’année conduit à un système aberrant, destructeur d’environnement, énergivore, qui transforme l’agriculture en un monstre à deux tête : nourrir et produire de l’énergie, dont la première tête ne tardera pas à être coupée.
Pour alimenter un méthaniseur, le fumier doit être facile à ramasser, les bouses de vaches parsemées dans les pâtures ne conviennent pas. Un méthaniseur industriel doit être alimenté toute l’année, ce qui sous entend le soutien de l’agriculture actuelle dans laquelle les vaches passent 12 mois sur 12 sous les tôles des hangars, alors que dans notre région, elles passaient, il y a quelques années 7 mois dehors, s’alimentant seules, sans aucune dépense d’énergie, et rejetant leurs excréments dans les prés, sans qu’on ait à curer, entasser, charger, décharger, recharger, épandre.
Ce mode d’exploitation, je le côtoie au quotidien dans mon village, où trois grosses exploitations, on ne peut plus dire fermes, ne sortent plus les vaches. Ce qui était pâtures derrière les hangars, il y a quelques années, est transformé en champs de maïs. Pendant la canicule, les vaches sont jour et nuit sous les tôles, des ventilateurs géants et énergivores tentent en vain d’assurer la fraîcheur qui était jadis dispensée par des arbres qui ont été coupés pour faciliter le travail des engins qui ont remplacé les vaches sur les terres.
Elles mangent l’herbe enrubannée de plastique et l’ensilage conservé sous bâche de l’année passée pendant que le maïs pousse dans leur ancienne pâture et que dans les prés restants on fauche, fane, andaine, bottelle, enrubanne, rassemble, charge, transporte, puis décharge, empile… l’alimentation destinée à l’année suivante où on dépilera, distribuera… avant de curer…, et d’aller brûler les plastiques dans une décharge sauvage au dessus du village qui en meurt d’asphyxie, 2 cancers d’enfants pour 70 habitants, un autre au village voisin ! Alors que la nature a conçu les vaches avec la faucheuse devant et l’épandeur derrière ! Sans aucune consommation de pétrole ! Elles savent en faire plus que les tracteurs, avec de l’herbe et de l’eau comme seul carburant !
Le stockage de ces ballots enrubannés, bottes de foin, ensilage demande des surfaces en constante augmentation et engendre une artificialisation des sols. De même que l’extension des bâtiments destinés à héberger le bétail. Les installations de méthanisations avec leurs espaces de passage, pesée… sont elles même responsables de bétonnage et goudronnage, dont on devrait également estimer le coût énergétique !
On dépense pour l’alimentation des bovins enfermés plus de deux fois plus d’énergie que ce qui serait indispensable sous notre climat. C'est-à-dire que les agriculteurs se tirent une balle dans la tête et pas seulement dans le pied. L’énergie qu’ils dépensent aujourd’hui, ils ne l’auront plus dans 30 ans pour travailler, chacune de ces années qui comptent énergétiquement double, les prive d’une année de travail mécanique à pétrole à l’avenir. La chute sera dure ! Mais ils peinent d’autant plus à ouvrir les yeux, que le système les pousse dans le mauvais sens. Ce système est suicidaire, même si on souhaite le voir disparaître, on préférerait vivre l’évolution plus sereinement que dans cette ambiance jusqu’au-boutiste, apocalyptique et ravageuse dont on est prisonnier malgré soi.
Ne parlons pas des conditions de vie des vaches qui finissent leur vie sous les tôles quel que soit le temps, avec la nuisance du bruit et des infrasons des ventilateurs sous prétexte qu’ils font partie du « bien être animal », ne riez pas, c’est officiel !!, parce que le bien être animal n’est plus dans le pré, sous les buissons, mais sous les ventilateurs installés pour compenser piètrement la surchauffe des tôles dans des bâtiments qui ont souvent été conçus pour l’hiver !
On ne se soucie pas plus des conditions de vie des habitants des villages, quand les fermes, qui étaient jadis vides et calmes en été, sont remplies de vaches qui tapent toute la nuit dans les cornadis, de désileuses, mélangeuses, karchers, fosses à lisier bassées, qui devraient être vides en été, ventilateurs bruyants ! Fenêtres ouvertes, on est réveillé au milieu de la nuit par les coups dans les cornadis, la désileuse à 6 heures et demie. Fenêtres fermées, la résonance des infrasons des ventilateurs s’ajoute à celle des éoliennes, et il est encore plus impossible de vivre. Le corps souffre de toute façon de cette folie !
Construire des méthaniseurs industriels, prétendus écologiques, qui ont besoin de fumier 12 mois sur 12, c’est instituer ce système d’élevage comme « écologique ». On marche sur la tête.
Si encore le fumier suffisait ! Car là où les méthaniseurs ont poussé, les champs de maïs aussi. Pas seulement pour alimenter les vaches emprisonnées. Pour alimenter le méthaniseur dont le régime ne se contente pas de fumier ! Prairies retournées, vaches enfermées, culture énergivore, polluante, épuisante pour les sols, gourmande en eau et pompant une eau qui ne descend plus dans les nappes (on a de la chance ici, on ne l’arrose pas encore !), engendrant un important tassement des sols, notamment lors de sa récolte… Il en découle une érosion des sols d’autant plus importante que le maïs est semé après l’hiver. Qu’on n’aille pas prendre l’alibi d’un éventuel couvre-sol hivernal qui devra être semé puis détruit ! Autant de travail mécanique et de tassement des sols supplémentaires !
Nos campagnes se transforment en usines à gaz, au propre et au figuré ! Le paysage s’est totalement bouleversé en quelques années. Pas dans le bon sens ! Dans certains villages, le paysage est coloré en colza / maïs ! On perd en qualité environnementale et paysagère d’année en année. Champs de colza destinés aux agro-carburants, maïs alimentant les méthaniseurs et vaches enfermées pour co-alimenter les méthaniseurs, et autres arguments aberrant, entraînent des retournements de prairies à un degré jamais vu en 50 ans, malgré les officielles interdictions de les retourner.
Voir
Méthanisation : le modèle allemand décliné sur l'exploitation de Stefan Rüdebusch
La « valorisation de la biomasse » n’est rien d’autre qu’un terme politiquement correct pour ne pas parler de surexploitation des forêts et autres ressources, de destruction radicale des milieux. Les coupes à blanc sont légion, les bosquets privés disparaissent, les coteaux sensibles à l’érosion sont mis à nu, les berges sont dépouillées. Les tronc trop jeunes coupés en bouts de 2 mètres destinés au broyage s’alignent le long des chemins et des routes, pendant que ceux qui achètent les granulés sont persuadés qu’ils proviennent des déchets de taille (qui eux sont brûlés sur place car personne ne veut se déplacer pour les chercher !)
C’est dans cette logique cyniquement menteuse, qui comme beaucoup d’autres utilise « l’environnement » et « la lutte contre le réchauffement climatique » pour faire passer l’inacceptable, que s’inscrivent les méthaniseurs industriels. Les agriculteurs allemands en sont revenus, et ont compris qu’un méthaniseur industriel consommait plus d’énergie qu’il n’en rendait. Polluait énormément, car l’étanchéité ne dure pas 5 ans et les fuites de méthane deviennent vite catastrophiques… Ne peut-on pas profiter de leur recul et de leur expérience pour comprendre que l’écologie n’est pas industrielle, qu’elle est naturelle ! Produire de l’énergie ne devrait en aucun cas dépendre du ministère de l’écologie, mais du ministère de l’industrie.
C’est une folie de nourrir avec une dépense énergétique insensée, des vaches sensées produire des fumiers énergétiques. Les bilans annonçant la faillite énergétique des méthaniseurs industriels prennent en compte la production de maïs, mais pas le surcoût énergétique de l’élevage tel qu’il doit se pratiquer pour fournir un fumier et des lisiers 12 mois sur 12 !
C’est également considérer les vaches non plus comme de productrices de lait et de viande (ce qui choque déjà certains), mais aussi, et surtout, comme des potentielles centrales énergétiques. C’est sympathique quand un agriculteur allemand récupère la chaleur des murs de ses stalles en hiver pour chauffer son logement, ça le serait si on installait des circuits de récupération de chaleur sous les fumières en hiver pour alimenter directement un chauffage au sol, ou avec une récupération domestique du méthane pour le chauffage hivernal... Ça l’est beaucoup moins quand la dimension industrielle s’installe, quand on ajoute à l’agriculture en place des facteurs destructeurs à tous niveaux pour alimenter la production d’énergie.
Il faut utiliser l’énergie de l’existant raisonnable, pas distordre le système pour produire de l’énergie.
L’agriculture doit récupérer son énergie perdue, celle des tanks à lait, par exemple, réapprendre à en utiliser de moins en moins, mais pas devenir une productrice d’énergie, ce qui se fait forcément par le biais d’une industrialisation des campagnes, d’une perte de biodiversité, d’une consommation énergétique insensée et sans commune mesure avec le peu d’énergie récupérée. L’agriculture évolue, mais, globalement pas dans le bon sens. Alors qu’elle devrait évoluer vers une plus grande sobriété et une plus grande autonomie, elle accélère sa vitesse pour foncer plus vite dans le mur. Et quand le prétexte de cette accélération est la production d’énergie dite « verte », on entre dans le plus pur cynisme !
Les méthaniseurs industriels ne sont que des entreprises de verdissage de la production énergétique, comme tout ce qu’on nomme actuellement « énergies vertes », l’énergie verte, c’est celle de la photosynthèse, des processus naturels, pas celle de l’industrialisation !
Les méthaniseurs industriels sont en outre souvent installés par des personnes dont les considérations sont plus pécuniaires qu’environnementales, et ne les empêchent pas, par exemple, de brûler un tas de pneus sur la colline qui domine le méthaniseur. L’écologie devrait au contraire être une démarche de fond holistique ! Sans cette démarche globale, on peut être dans le doute en ce qui concerne la sincérité écologique des projets. D’ailleurs les personnes qu’on voit sur les vidéos postées dur Internet parlent avant tout de l’argent qu’elles gagnent !
Un méthaniseur a déjà été autorisé à Langres, c’est un de trop. Un second engendrerait sans aucun doute une dégradation importante de la qualité du paysage. Ces installations sont une aberration énergétique, environnementale, paysagère, ce sont des verrues dans le paysage, et Langres, ville d’art et d’histoire, n’en a pas besoin ), faisant fi de toutes les considérations concernant le bien-être animal dont on nous parle tant, le respect du vivant et des sols. Elles entraînent en outre des nuisances pour les alentours, bruits, passages de bennes, fuites de méthane, sans compter les risques d’explosion.
Il me semble par conséquent inconcevable que l’Etat puisse cautionner une telle dérive en acceptant ce projet. De même que tout autre du même ordre.
Il serait plus raisonnable de comprendre sérieusement et d’oser avouer fermement qu’on ne peut s’en sortir que par une réduction drastique de notre consommation. Et non en surconsommant dans l’agriculture, pour produire l’énergie nécessaire à la surconsommation agricole. On en est au stade où l’agriculteur cultive du maïs ou du colza pour produire l’énergie qui va alimenter les tracteurs qui cultivent le maïs et le colza qui vont alimenter les tracteurs qui cultivent… A quoi cela sert-il, sinon auto entretenir l’aberration ? Pomper des subventions ? Même si l’inutile boucle énergétique est bouclée, restent les sols dégradés, monopolisés pour la production énergétique au détriment des milieux équilibrés et de l’alimentaire, la pollution, le temps perdu, le bruit, les dégradations paysagères, de qualité de vie animale et humaine…
Nos sols méritent mieux, nos vaches méritent mieux, le temps des hommes mérite mieux, notre région mérite mieux !
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