Déchets nucléaires, rejets du charbon : concentrer ou diluer les déchets ?

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Par Jean-Jacques Ingremeau
27/11/2017


Jean-Jacques Ingremeau. (Crédits : DR) 

La gestion des déchets du charbon pose des problèmes bien plus importants que celle des déchets issus du nucléaire. Dans les deux cas, elle est un fardeau pour l'humanité, et implique à l'avenir de ne produire que des déchets que nous savons gérer. Par Jean-Jacques Ingremeau, docteur en physique des réacteurs, membre de l'Association française pour l'information scientifique (Afis).
Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique, a récemment annoncé repousser l'objectif de 50% d'électricité d'origine nucléaire dans le mix électrique français. En effet, il privilégie la fermeture des dernières centrales à charbon françaises, et la non-ouverture de nouvelles centrales thermiques, au fait de fermer des réacteurs nucléaires.
Revenons un instant sur cette décision du point de vue des déchets générés par ces deux sources d'électricité, en comparant d'une part les déchets nucléaires, et d'autre part les déchets et rejets du charbon. Cette comparaison est pertinente, car le charbon est la première source d'électricité dans le monde (39% en 2015). Au niveau européen, il représente 26% de la production d'électricité et plus de 44% pour l'Allemagne. Aux Etats-Unis, 34% de l'électricité vient du charbon, et plus de 70% en Chine. A l'échelle mondiale, les déchets de la production d'électricité sont avant tout des déchets issus du charbon, à l'exception de la France, où les trois quarts de l'électricité sont d'origine nucléaire.

"Moins mauvaise des solutions"
D'un côté, le nucléaire produit, entre autres, des déchets dits Haute Activité radioactive à Vie Longue (HA-VL). Pour gérer ces déchets, la solution française, actée par la loi de 2006, consiste à concentrer ces déchets dans une couche d'argile à 500 m de profondeur. Cela vise à les protéger des agressions extérieures et les isoler à long terme de la biosphère, sans nécessiter d'action humaine au-delà d'environ un siècle. C'est le projet Cigéo, dans la Meuse, que Mr. Hulot qualifie de « moins mauvaise des solutions ».
Un élément fondamental pour appréhender ce type de déchet est le fait que l'énergie nucléaire est une énergie extrêmement dense. Pour fixer les idées, 1kg d'uranium naturel, (mal) brulé dans un réacteur nucléaire actuel, permet de produire autant d'énergie que 10 tonnes de charbon. Ainsi, lorsqu'une centrale nucléaire consomme quelques dizaines de tonnes de combustible par an, une centrale à charbon équivalente a besoin de quelques millions de tonnes de charbon.

C'est parce que cette énergie est si concentrée qu'elle conduit à un déchet lui aussi concentré, et aussi dangereux. Mais, point positif, cette concentration limite les volumes de déchets associés ; de l'ordre de la taille d'une piscine olympique pour les déchets Haute Activité français. Volume qui est gérable, et compatible avec une solution de traitement.

Cendres, gaz et poussières
A l'opposé, les centrales à charbon utilisent un combustible énergétiquement peu dense, avec des déchets moins concentrés : les cendres qui sont récupérées, et les gaz et poussières rejetés dans l'atmosphère.
Les cendres représentent en moyenne 15% du poids initial du charbon. C'est-à-dire que pour une centrale équivalente à un réacteur nucléaire, cela représente quelques centaines de milliers de tonnes par an. Une partie de ces cendres est recyclée, de l'ordre de la moitié, essentiellement dans les matériaux de construction. Le reste est stocké en surface, souvent proche du lieu de production. Or, dans ces cendres, on trouve des métaux lourds (arsenic, mercure, plomb), dont les risques sanitaires sont bien connus.
Si des technologies existent pour stocker ces cendres, des accidents ou défauts de mise en œuvre peuvent arriver. Par exemple, sur le millier de sites de stockage américain, 38 étaient identifiés en 2013 par l' EPA (Environmental Protection Agency) comme ayant des fuites et contaminant l'environnement (notamment les nappes phréatiques).

Néanmoins, ces cendres sont la partie la mieux traitée des déchets du charbon. Étant relativement concentrées, elles peuvent être manipulées et stockées dans des conditions adaptées. Ce qui n'est pas le cas des gaz et poussières, trop peu denses, qui sont rejetés à la cheminée, puis dilués dans l'atmosphère. On y retrouve des cendres sous forme de particules fines, des métaux lourds, des oxydes de soufre (conduisant à des pluies acides), des dioxines (cancérigènes), de l'ammoniac, des goudrons (cancérigènes), du monoxyde de carbone, de l'oxyde d'azote, etc. Cette pollution est transportée au gré des vents et impacte la santé des populations à des centaines voire milliers de kilomètres de son lieu de production. La mortalité attribuable actuellement à cette pollution atmosphérique en Europe est évaluée à quelques dizaines de milliers de morts par an.

Par kWh, le charbon tue 100 fois plus que le nucléaire

A titre de comparaison, l'accident de Tchernobyl a tué, directement ou du fait des cancers induits, quelques milliers de personnes selon les différentes évaluations de l' UNSCEAR et de l'OMS. Les ordres de grandeur sont les mêmes, entre l'impact sanitaire annuel d'une partie des déchets émis en fonctionnement normal par les centrales à charbon européennes, et l'accident nucléaire le plus grave de l'histoire. Rapporté à la quantité d'énergie produite, la seule pollution atmosphérique du charbon actuel tue de l'ordre de 100 fois plus que le nucléaire historique par kWh.

À l'échelle mondiale, la pollution atmosphérique liée au charbon est encore bien plus préoccupante. En Chine, il est estimé que la pollution atmosphérique liée au charbon conduit à environ 300.000 morts prématurées chaque année (hors grisou et silicose associés à l'extraction dans les mines). À l'échelle mondiale, les différentes évaluations parlent de l'ordre de 700.000.

Ces résultats sont très sensibles à la technologie ou l'âge de la centrale à charbon ; une centrale récente pouvant émettre jusqu'à environ 50 fois moins de cendres que les plus anciennes. Là encore, concentrer le déchet pour réduire son impact sanitaire. Mais même si l'impact sanitaire pouvait être réduit d'un facteur 10, voire 100 par rapport à la situation actuelle, en renouvelant les centrales à charbon, à l'échelle mondiale, cela resterait des dizaines de milliers de morts de trop.

Le cas du CO2
Ces ordres de grandeur correspondent évidement à une situation « normale », ne prenant pas en compte des éventuels accidents d'exploitation (incendie, combustion lente d'un terril, rupture d'un stockage de cendre). En comparaison, l'Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) est tenue de démontrer, sous l'œil attentif de l'Autorité de Sûreté Nucléaire, qu'en fonctionnement normal, la gestion des déchets nucléaires ne conduira à aucune conséquence environnementale significative, et a fortiori aucun impact sanitaire. De même des dispositions sont prises pour réduire le risque d'accident et leurs conséquences.
Mais les éléments précédents ne prennent pas en compte un autre déchet, très peu dense du charbon : le CO2. Sa combustion est le premier émetteur de CO2 anthropique avec un tiers des émissions totales, dont le lien avec le changement climatique en cours est désormais prouvé. En comparaison, le nucléaire émet de l'ordre de 100 fois moins de CO2 par kWh. Et là aussi, ceux qui génèrent cette pollution et profitent de cette électricité ne sont pas nécessairement ceux qui en paieront les conséquences, l'effet du changement climatique étant mondial, et retardé dans le temps. Dans ce domaine, l'évaluation des conséquences est encore plus incertaine. On mentionnera juste l'ordre de grandeur de la centaine de millions de réfugiés climatiques liés uniquement à la montée du niveau de la mer dans le siècle à venir.

Il y a là, entre le déchet nucléaire de Haute Activité et le CO2 du charbon, les deux extrêmes des déchets de l'énergie. D'un côté un déchet nucléaire extrêmement dense, très dangereux localement, mais de faible volume, manipulable, et que l'on peut conditionner et enfouir profondément sous terre. De l'autre, un gaz non-manipulable, tellement dilué dans l'atmosphère qu'il est sans impact sanitaire direct, mais dont les effets sur le climat affectent l'ensemble de la planète.

Un lourd fardeau pour l'humanité

De même, s'il était possible de concentrer toutes les cendres des centrales à charbon du monde en une seule zone, ces quelques dizaines de milliards de tonnes de cendres accumulées depuis un siècle tueraient assurément toute vie à l'échelle locale. A la façon d'un colis de déchet nucléaire de Haute Activité, 5 minutes sans protection ni alimentation en oxygène dans la cheminée d'une centrale à charbon (i.e. soumis à ses déchets) est assurément mortel.

Dans les deux cas, ces déchets sont un lourd fardeau pour l'humanité. Dans les deux cas, il va falloir gérer dans la durée et d'une façon respectueuse de l'homme et de l'environnement les déchets concentrés qui sont déjà produits. Il n'y a cependant plus rien à faire pour les déchets dilués qui ont déjà été émis, sinon s'adapter à leur présence et à leurs conséquences. C'est un enjeu universel ; ne produire que des déchets que l'on sait gérer.

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