Les dynamiques territoriales de la centrale de Fessenheim (4) : décrypter les retombées fiscales du nucléaire

par Meyer Teva
publication 01/11/2017 

L’apport économique de l’industrie nucléaire envers ses territoires est un serpent de mer de toutes les discussions sur l’avenir des centrales en France. Si la question de l’emploi est la plus régulièrement évoquée, celle des retombées fiscales des centrales est souvent occultée. Le difficile décryptage des budgets locaux, les modifications récurrentes du code général des impôts et les transformations successives du mode de financement des collectivités locales ne facilitent pas la tâche. De plus, les exploitants des centrales nucléaires sont tiraillés entre deux dynamiques. S’ils peuvent avoir intérêt à communiquer sur leurs contributions aux budgets communaux, intercommunaux et départementaux, ils doivent en même temps faire face aux accusations récurrentes d’une forme de corruption institutionnalisée par ces flux financiers.

Cet article propose de décrypter, par le détail, les retombées fiscales de la centrale nucléaire de Fessenheim en essayant d’en saisir les structures, les volumes et les destinataires.

1- Structure du budget : importance de l’épargne et des investissements
L’élection d’Emmanuel Macron et la suppression de la taxe d’habitation votée le samedi 21 octobre par l’Assemblée nationale ont remis le financement des collectivités locales au-devant de la scène médiatique, comme la suppression de la taxe professionnelle par Nicolas Sarkozy l’avait fait sept ans auparavant. Pour simplifier, les recettes budgétaires des communes françaises peuvent être divisées en deux grands groupes. Premièrement, les communes se financent grâce aux recettes de fonctionnement. On y retrouve les produits du prélèvement des taxes et impôts locaux (taxes foncières, cotisation foncière des entreprises, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, etc.), de la vente de biens et de services ainsi que les transferts financiers provenant de l’État (Dotation globale de fonctionnement, attributions de péréquation et de compensations fiscales, etc.). Deuxièmement, les budgets communaux sont abondés par des recettes d’investissement. Ces derniers sont alimentés par des dotations et subventions ainsi que par les emprunts consentis par les municipalités.
Le schéma ci-après présente la structure du budget moyen des communes françaises en 2015. Les produits de fonctionnement représentent une très large majorité des recettes (83%). Les impôts locaux constituent plus de 50% des recettes tandis que 15% proviennent de transferts de l’État. Enfin, en moyenne, les emprunts représentent 6% des recettes des municipalités françaises.



Le profil de la commune de Fessenheim, présenté ci-après, est bien différent. Si la part des impôts et taxes est équivalente (56%), celle des recettes de fonctionnement (63%) est minorée par l’importance de l’épargne (31%) dans les produits d’investissement. Qui plus est, les transferts de l’État sont bien moindres (4%), et la commune n’a pas eu recours à l’emprunt cette année.




Comme pour les recettes, les dépenses des communes peuvent sommairement être divisées en deux groupes. D’une part les dépenses de fonctionnement qui se composent essentiellement des frais de personnel ainsi que des achats et charges externes comme les consommations de chauffage ou d’électricité des locaux communaux. D’autre part, les dépenses d’investissement qui se constituent principalement des subventions et des investissements d’équipement. Comme le premier schéma le montre, les frais de personnel représentent plus du tiers des dépenses communales. L’investissement constitue moins d’un quart de celles-ci tandis que le remboursement de la dette équivaut à plus de 6% des dépenses. Les dépenses consomment presque la totalité des recettes ne laissant qu’une très faible part de fonds de roulement aux communes.

Le cas de Fessenheim est à nouveau différent. Les frais de personnel prennent deux fois moins de place dans les dépenses totales tandis que l’investissement représente près de 50% de celles-ci. Qui plus est, les recettes totales sont bien plus importantes que les dépenses, permettant à la commune de disposer d’une large épargne

2- Une fiscalité locale structurée par présence de l’industrie nucléaire
En 2017, la présence de l’industrie nucléaire influence de trois manières les revenus fiscaux des collectivités territoriales. Premièrement, l’implantation d’une centrale permet aux communes, aux intercommunalités et aux départements de prélever des taxes propres à cette industrie (a). Deuxièmement, la présence d’une centrale implique l’implantation d’autres équipements eux-mêmes assujettis à une taxation propre (b). Troisièmement, les centrales sont redevables d’un ensemble de taxes au même titre que toutes autres usines (c).
a. Les impôts propres à la présence d’une centrale nucléaire
La suppression de la taxe professionnelle (TP) en 2010 s’est accompagnée de la création de nouvelles impositions locales devant permettre de neutraliser le manque à gagner pour les collectivités. Il en va par exemple de l’Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), perçue depuis la suppression de la TP, par certaines communes et intercommunalités disposant sur leur territoire d’infrastructures particulières telles que les éoliennes, les barrages hydroélectriques, les gazoducs ou encore…les centrales nucléaires.

Appelée IFER-nucléaire et redevable par l’exploitant de la centrale, cet impôt est calculé en multipliant la puissance électrique des réacteurs (exprimé en mégawatt) par un indice fixé par l’État et revalorisé chaque année. Le tarif de l’ IFER fixé au 1er janvier 2017 est de 3 084 € par mégawatt. Prenons le cas de la centrale de Fessenheim qui compte deux réacteurs dont la puissance électrique est de 920 MW chacun. Le montant de l’ IFER pour Fessenheim est donc en 2017 de (920 x 2) x 3084 soit 5,6 millions d’euros. Le produit de l’impôt est réparti à parts égales entre le département et la commune où l’intercommunalité si la municipalité fait partie d’une intercommunalité à fiscalité professionnelle unique. Dans le cas de Fessenheim, qui appartenait en 2016 à la Communauté de commune de l’Essor du Rhin (fusionné au 1er janvier 2017 avec la Communauté de commune du Pays de Breisach) disposant d’une fiscalité professionnelle unique, 50% de l’argent est versé au département du Haut-Rhin et 50% à l’intercommunalité.

b. Les impôts entraînés indirectement par la présence d’une centrale nucléaire
L’implantation d’une centrale nucléaire entraîne la construction d’infrastructures connexes dont les exploitants sont assujettis à des impôts spécifiques. C’est le cas des pylônes et des transformateurs électriques.

L’imposition forfaitaire annuelle sur les pylônes, créée en 1980, est redevable par les exploitants de lignes électriques qu’ils supportent, soit Réseau de Transport d’Électricité (RTE) dans le cas des lignes à très haute tension qui quittent les centrales nucléaires. Le montant de cet impôt équivaut à 2 318 € pour les pylônes supportant des lignes électriques dont la tension est comprise entre 200 et 350 kilovolts et à 4 631 € pour ceux supportant des lignes électriques dont la tension est supérieure à 350 kilovolts. Il est versé en totalité au profit des communes où sont situés les pylônes, sauf si l’intercommunalité décide de se substituer aux municipalités.



La présence d’une centrale nucléaire augmente naturellement le nombre de pylônes installés dans les communes hôtes, comme la carte suivante le montre bien dans le cas du Haut-Rhin. Une estimation rapide réalisée en recoupant les bases de données de RTE et les cartes topographiques du village montre que la commune de Fessenheim compte près de 35 pylônes THT, ce qui représente environ 150 000 € abondant entièrement au budget municipal.

Comme son pendant dédié aux centrales nucléaires, l’ IFER sur les transformateurs électriques a été instituée en 2010 suite à la suppression de la TP. Comme les lignes THT et les pylônes, les transformateurs sont des éléments du réseau de transports d’électricité. Ils permettent de moduler la tension de l’électricité entre la sortie de la centrale et le consommateur. Redevable par les exploitants de ces infrastructures, soit à nouveau RTE, elle s’élève à environ 146 000 € pour un transformateur dont la tension amont est supérieure à 350 kilovolts et de 50 000 € pour ceux dont la tension est comprise entre 130 et 350 kV. Dans le cas d’un village appartenant à une intercommunalité à fiscalité unique, comme c’est le cas de Fessenheim, le produit de l’impôt va entièrement à l’intercommunalité. On compte deux transformateurs de plus de 350KV à Fessenheim en sortie de la centrale nucléaire et du barrage hydroélectrique de la commune, ainsi qu’un autre petit transformateur. Le montant de l’ IFER allant à la communauté de commune de l’Essor du Rhin est alors d’environ 350 000€.

c. L’influence du nucléaire sur les prélèvements fiscaux communs à toutes les communes françaises
Les centrales sont assujetties à un ensemble de taxe locale au même titre que toute autre usine, nucléaire ou non. Créée en 2010 afin de compenser la suppression de la taxe professionnelle, la Contribution économique territoriale (CET) se compose de deux prélèvements : la Contribution foncière des entreprises (CFE) et la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

La Contribution foncière des entreprises est calculée en multipliant la valeur locative cadastrale du site imposé par un taux déterminé par la commune ou l’intercommunalité. La valeur locative correspond au loyer annuel théorique que pourrait produire un bien s’il était loué. Pour des locaux industriels, comme une centrale nucléaire, cette valeur repose sur le prix de revient des sols, terrains, constructions, matériels et outillages utilisés. Or, les centrales sont par nature des infrastructures intensives en capitaux. Le montant de la CFE est donc, mécaniquement, très élevé dans le cas des réacteurs nucléaires. Le produit de cet impôt est versé entièrement aux communes ou aux intercommunalités si celles-ci ont opté pour une fiscalité unique, comme c’est le cas pour la Communauté de commune de l’Essor du Rhin. Selon les informations glanées sur internet, la centrale de Fessenheim payait environ 3 millions d’euros au titre de la CFE en 2016.

La CVAE est calculée par une équation complexe prenant en compte le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée de l’entreprise selon un barème progressif. En 2016, son produit était réparti entre les régions (25%), les départements (48,5%) et les communes ou intercommunalité (26,5%). Selon la communication d’EDF, la centrale nucléaire de Fessenheim payait en 2016 environ 3,2 millions d’euros au titre de la CVAE. La région Grand-Est a donc touché environ 800 000€, le département du Haut-Rhin 1 552 000€ et la Communauté des communes de l’Essor du Rhin 850 000€.

Finalement, comme toute usine, les centrales nucléaires sont assujetties à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette dernière est calculée en multipliant la moitié de la valeur locative cadastrale de l’entreprise taxée par un taux voté par la commune, l’intercommunalité et le département qui touche tous trois une part. Au total, la centrale de Fessenheim a versé en 2016 2,1 millions d’euros au titre de cette taxe, majoritairement au département du Haut-Rhin, les taux étant de 13,17% pour le département, 5,27% pour la communauté de communes et 0,4% pour la commune de Fessenheim. À ce titre, le village affiche un des taux les plus faibles du Haut-Rhin, où le taux moyen est d’environ 11%.

d. État des lieux des retombées fiscales de la centrale de Fessenheim
Le schéma ci-après synthétise la totalité des taxes imputables à la présence de la centrale et payées par EDF pour la plus grande partie (environ 14 millions d’€) et RTE pour une très faible part (environ 500 000€). Comptablement, le principal bénéficiaire de ces revenus est la Communauté de communes de l’Essor du Rhin qui a opté en 2012 pour une fiscalité professionnelle unique et qui donc, se substitue aux communes pour percevoir la majorité des impôts jusqu’à sa fusion en 2017. Toutefois, comme le permet la loi, le passage à la FPU a été amorti pour la commune de Fessenheim par la mise en place d’une attribution de compensation payée par l’intercommunalité. Celle-ci permet de reverser le montant des produits de fiscalité professionnelle perçus l’année précédant le passage au régime de la FPU. Négociée directement avec les représentants des autres communes, elle s’élève à environ 5 millions d’euros par an. Ainsi, la commune de Fessenheim bénéficie d’approximativement 6,6 millions d’euros de recettes budgétaires imputables à la présence de la centrale, contre 1,7 pour l’intercommunalité. Si la région Grand-Est ne touche qu’une faible part des retombées (800 000€), le département du Haut-Rhin bénéficie d’une enveloppe bien plus imposante s’élevant à environ 5,7 millions d’euros.





3. Fessenheim, une commune budgétairement exceptionnelle
La commune de Fessenheim capte un peu moins de la moitié des retombées fiscales imputables à la présence de la centrale nucléaire. Près de 6,6 millions d’euros abondent au budget d’une municipalité dont le nombre d’administrés était de 2 359 lors du recensement de 2014. On retrouve ici une double particularité de la géographie française des énergies. Premièrement, le parc nucléaire a été implanté par l’État dans des territoires majoritairement ruraux et faiblement peuplés, autant pour des raisons politiques que pour limiter les conséquences d’un accident. Deuxièmement, avec 36 681 communes en 2017, la taille moyenne des municipalités françaises est relativement petite par rapport aux autres pays européens. Les retombées fiscales du nucléaire se retrouvent donc concentrées entre peu d’habitants.

En conséquence, et comme la carte suivante le montre bien, la commune de Fessenheim dispose de recettes budgétaires, par habitant, parmi les plus élevés, si ce n’est les plus élevés du département. Seule la municipalité de Chalampé, située une dizaine de kilomètres au sud, parvient à rivaliser avec Fessenheim grâce à l’implantation en 1974 d’une très grande usine chimique.



L’exceptionnalité de Fessenheim est encore plus criante lorsqu’on analyse ses revenus au regard de ceux perçus par les communes démographiquement identiques, comme la carte suivante le propose. Alors qu’une majorité des communes haut-rhinoises perçoivent moins d’argent que leurs semblables, Fessenheim montre une aisance budgétaire que seul Chalampé semble concurrencer.




Conclusion 
Cette analyse soulève plusieurs questions quant à l’influence territoriale du nucléaire en France. Les communes accueillant une centrale bénéficient indéniablement de retombées fiscales exceptionnelles, bien au-dessus de la moyenne des collectivités locales françaises. Il sera nécessaire, dans de futurs articles, de réfléchir à l’influence de ces revenus sur les pratiques d’aménagement et de gestion du territoire par les élus ainsi que sur la perception de cette manne par les habitants. Plus prosaïquement, il conviendra de s’interroger sur les conséquences d’un futur arrêt de la centrale sur les finances locales, l’ensemble des impôts et taxes prélevés étant liés au fonctionnement de l’infrastructure et non pas à sa seule présence. Cet élément vient souligner à nouveau l’impérieuse nécessité d’une réflexion territoriale à l’échelle locale pour accompagner les potentiels changements de politique énergétique en France.

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