L’économie de l’éolien, de plus en plus concentrée, n’est pas alternative

Grégoire Souchay (Reporterre)

Commentaire : ou comment comprendre pourquoi l'éolien n'est que du business, uniquement du business.  et définitivement du business.

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Le secteur de l’énergie éolienne concerne de multiples acteurs aux rôles bien spécifiques, du « turbinier » à l’exploitant en passant par le développeur et l’« agrégateur ». Avec la dérégulation du marché de l’énergie, le secteur n’échappe pas non plus à la concentration et à la financiarisation.

Cet article est le troisième d’une série en cinq volets.
. volet 1 : « L’éolien signe la fracture entre deux visions de l’écologie »
. volet 2 : « Les éoliennes : pourquoi si hautes ? comment ça marche ? combien sont-elles ? ».

Il n’était peut-être pas nécessaire de commencer par l’atelier spécifique sur les « bridages acoustiques » et la différence entre les « balourds aérodynamiques et massiques ». Et pourtant, c’est bien de cela dont on parlait, ces 19 et 20 septembre, à Paris, pour cette 8e édition du colloque national éolien dédié aux « solutions concrètes pour la France de demain ». Un rendez-vous organisé par l’association France énergie éolienne, qui regroupe 90 % des acteurs de l’éolien en France. Comprenez : des entreprises de la filière venues du monde entier, et qui investissent et travaillent sur le territoire français.

Bienvenue dans un monde où tout est bleu, comme le ciel, et blanc, comme les machines. Un rendez-vous au croisement entre le monde des ingénieurs, des techniciens et des commerciaux. Ici, comme dans beaucoup d’autres sphères, on croise essentiellement des hommes blancs en costume, plutôt jeunes. La plupart ne travaillent dans le domaine que depuis moins de cinq ans : « La filière est encore jeune », m’explique-t-on. Si jeune qu’on n’hésite pas à utiliser de nombreux gadgets pour la promouvoir, de la clef USB au casque de réalité virtuelle pour visiter une éolienne en passant par la vidéo collaborative pour décrire « son expérience » de l’éolien.

Lors du 8e Colloque national éolien, à Paris.

Le discours introductif d’Olivier Perot, directeur de Senvion et président de l’association organisatrice, France énergie éolienne (FEE), ne laisse aucun doute sur les affinités du moment : « Des forces puissantes sont en marche », lance-t-il d’emblée au public, avant de faire un éloge du « progrès » dont « des philosophes à la noix nous disent que c’est un mot dépassé ». Pour lui, c’est clair, « l’éolien est le moteur de la transition énergétique qui est en marche ». Clairement, on est plus proche de la « start-up nation » que de l’écologie politique, même si l’objectif commun est « de vivre dans un monde où notre énergie ne met plus en danger les générations futures ».

Regardez le clip réalisé au colloque éolien
https://www.youtube.com/watch?v=e2T7eKBiN-w&feature=youtu.be

Difficile d’échapper à la communication omniprésente et d’obtenir des informations claires. On est là pour se vendre, se faire bien voir, certaines entreprises n’hésitant pas à jouer des codes sexistes les plus traditionnels pour attirer d’éventuels clients, même si l’on échappe aux outrances du Salon de l’automobile. Ici, on est entre professionnels pour parler business et rencontrer de potentiels investisseurs. Se croisent les trois grandes familles de l’industrie éolienne : constructeurs, développeurs et exploitants, auxquels s’ajoutent des fournisseurs de service spécialisés.

« L’éolien te force à avoir beaucoup de compétences »
Les constructeurs, ou « turbiniers », impossible de les manquer. Avec leur déploiement de maquettes et de films promotionnels, ils sont là pour vendre leur machine, le dernier modèle de la gamme 2 MW ou la super-éolienne de 4 MW terrestre (retrouvez les explications techniques dans notre précédent article). Entreprises imposantes au rayonnement international, les plus importantes en France sont les Allemands de Senvion, Nordex et Enercon, les Danois de Vestas. À eux quatre, ils représentent 80 % des éoliennes installées dans le pays. Il y a aussi des noms plus connus, comme Siemens, qui vient de fusionner avec l’Espagnol Gamesa, ou les États-Uniens de General Electric Renewable Energy. Manquent à l’appel Goldwind (Chine) et Suzlon (Inde), encore peu présents en Europe.

Et la France ? Seul le groupe Vergnet, basé à Ormes, dans le Loiret, produit des éoliennes de moyenne puissance (20 kW). Placé en redressement judiciaire le 31 août dernier, il est en attente de repreneur, peut-être par le groupe chinois Sinovel. Pour les éoliennes plus puissantes, Poma-Leitwind, branche du leader italien des remontées mécaniques, démarre seulement cette année la construction des premières éoliennes de 1 à 3 MW « made in France » dans ses usines de Savoie et de l’Isère.

Viennent ensuite les développeurs, plus nombreux : de la petite PME du fond du Lauragais à des grands groupes, des passionnés de l’environnement aux affairistes sentant le filon, il y a vraiment de tout. Ce sont les développeurs qui réalisent des études de potentiel éolien, repèrent les territoires les plus intéressants et les moins contraignants. Eux également qui rencontrent sur place les propriétaires de terrains et les élus, puis réalisent toute la procédure de concertation, les réunions d’information, la présentation du projet, jusqu’à sa concrétisation. Un travail qui nécessite une grande polyvalence, dit Charles Strauss, chargé d’étude chez H2Air : « Il faut une quinzaine de spécialistes, dans l’environnement, le commercial, le juridique. » Bien sûr, tous ne fonctionnent pas ainsi, certains préférant confier à des entreprises spécialisées des tâches nécessaires à l’élaboration d’un projet : études d’impacts, concertation, BTP… Le plus souvent, pour réduire le risque financier, ils créent une société de projet pour chaque parc envisagé. Ces sociétés appartiennent à l’entreprise mère qui est responsable si la filiale fait défaut.

Effet pervers des recours en cascade contre tous les projets : certains n’ont pas la capacité financière d’aller au bout et se tournent donc vers les plus gros développeurs qui, en échange de leur garantie, prennent des parts dans les projets.

« Un grand travail en amont de concertation »
Enfin on trouve les exploitants. Car beaucoup de développeurs n’ont pas la capacité ni la volonté d’entretenir des parcs, avec la logistique, la maintenance et l’infrastructure nécessaires. C’est ainsi qu’aussitôt construit, un parc éolien est souvent revendu à un exploitant puis à un autre.

Deux entreprises dominent en France le marché de l’exploitation des éoliennes : Engie (ex-GDF), qui a racheté en avril dernier l’historique Compagnie du vent ; mais surtout EDF-Energies nouvelles (ou EDF-EN), filiale à 100 % d’EDF. Absent du colloque éolien, EDF-EN est pourtant dans nombre de discussions. Et pour cause… En off, un développeur nous explique : « La plupart du temps, ce sont les plus brutaux ; ils arrivent sur les territoires comme des rois parce qu’ils peuvent se permettre de proposer des retombées financières importantes. » Mais leurs parcs éoliens sont souvent cités comme mauvais exemples en matière de concertation ou d’impact paysager mal pensé, comme en témoigne le plateau du Lévezou, en Aveyron ou dans la plaine narbonnaise. En bref, comme le résume ce développeur : « Là où EDF-EN est passé, derrière, on rame pour construire de nouveaux projets. » Installation des parcs par constructeur et exploitant, mi-2017.

Développer un projet éolien demande d’avoir les reins solides. Car, en moyenne, il faut dix ans entre la première rencontre avec les élus et propriétaires d’un terrain et la mise en marche d’une éolienne. Selon Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement et administrateur d’Enerplan (solaire), cela tient à la nature industrielle de l’éolien : « Comme pour tout projet important, il y a un grand travail en amont de concertation, de rencontres essentiellement avec les élus et les propriétaires mais aussi avec des réunions publiques. Sans l’appui des collectivités, je n’ai jamais vu un projet sortir de terre. »

Ensuite vient la phase des procédures administratives : étude d’impact pour les oiseaux, les chauves-souris, les paysages, la relation avec les Bâtiments de France, l’armée, les services préfectoraux, pour aboutir à une enquête publique, au bout de quatre ans de travail préalable.

Il faut également prévoir le raccordement au réseau électrique, avec un gestionnaire du réseau, Enedis, qui n’est pas toujours parfaitement coopérant. Est-ce parce qu’il s’agit d’une filiale d’EDF, qui n’a pas encore tourné la page du nucléaire ?

En moyenne, il faut cinq ans de plus en France que dans les autres pays européens pour finaliser un projet éolien. Pourquoi ? Essentiellement à cause des recours des opposants aux projets : « C’est rare de n’en avoir aucun. Même si ce sont des petites associations, la justice va mettre un ou deux ans pour se prononcer sur la forme et sur le fond », estime Arnaud Gossement. Et ces recours peuvent se multiplier : sur le permis de construire, sur l’enquête publique, sur le plan local d’urbanisme voire sur le schéma régional éolien. Avec, à la clef, un appel voire un recours au Conseil d’État.
Comparatif des recours contre le nucléaire et contre l’éolien.

Tous les acteurs de la filière rencontrés partagent ce sentiment d’être des victimes, de rencontrer des freins considérables sur leur route. Et pour eux, c’est l’appareil de production électrique, de l’École des mines à EDF, qui forme ce que l’écologiste Corinne Lepage appelait « l’État nucléaire » et qui freine leurs ambitions. Comme si les associations et riverains qui se lèvent ici et là n’agissaient pas de façon autonome, refusant, à tort ou à raison, que les éoliennes industrielles s’implantent sur leur commune.

Le dernier coup en date vient de l’armée, qui prévoit, selon un projet de décret, d’étendre les zones d’exclusion aérienne de ses radars de 30 à 70 km. Une concertation a démarré sous l’égide du ministère de la Transition énergétique pour trouver des solutions avec les acteurs de la filière. Résultats attendus d’ici le début d’année 2018.

Un changement du régime économique
2017 est une année charnière à de nombreux titres pour l’éolien. Depuis le mois de janvier, le système de rémunération a considérablement évolué. Pour comprendre, il faut faire un brin d’analyse de fonctionnement du marché de l’énergie.

Jusqu’ici, quand on produisait de l’énergie éolienne, on devait passer un contrat avec le distributeur EDF, pour une durée donnée et avec un tarif de rachat garanti à un prix donné. Un tarif d’achat largement subventionné, pour encourager la filière dans cette période naissante. Le financement s’opérait via une taxe sur les factures d’électricité, la « contribution au service public de l’électricité » (CSPE). En 2016, selon la Commission de régulation de l’énergie, l’éolien recevait 17 %, soit 1,3 milliard d’euros, du montant de cette taxe.

Mais l’Union européenne a accéléré la mise en concurrence du marché de l’électricité et des énergies, la France a donc dû adapter sa réglementation et supprimer ce tarif de rachat garanti pour le remplacer par de nouveaux dispositifs.

Pour Marine Bourboulon, chef de projet chez Boralex, « l’éolien commence à devenir mature et à se passer de subventions. Depuis le 1er janvier 2017, on aura donc désormais deux cas de figure. Pour les nouveaux parcs de maximum 6 éoliennes, l’opérateur vendra son électricité au tarif du marché, à laquelle s’ajoutera un complément de rémunération versé par l’État pour atteindre un tarif cible ». Si le tarif de rachat garanti permettait d’atteindre environ 80 €/MWh produit, le nouveau complément de rémunération se fonde sur un tarif de référence de 72 €/MWh pour les premiers mégawattheures produits puis descend à 40 €/MWh. 

 Rémunération et complément de rémunération des producteurs.
Un secteur en pleine concentration, avec des firmes de plus en plus puissantes


Mais surtout, pour les parcs plus importants (ou dépassant 6 MW de puissance totale), l’État procèdera désormais par appel d’offres et mise en concurrence. C’est lui qui choisira donc des lots en fonction de ses objectifs politiques. Ce 1er décembre sera fermé le dépôt des candidatures pour six tranches de 500 MW d’ici à 2020.

Mais tout ceci s’inscrit dans un contexte européen très libéral. Du fait des directives européennes, le marché a été en partie ouvert à la concurrence avec la fin progressive des tarifs réglementés. Si, pour le consommateur, cela s’est surtout traduit par une hausse des factures, les industriels sont engagés dans une grande course à la rentabilité. Conséquence : les moins puissants disparaissent ou sont rachetés. Le secteur des renouvelables n’échappe pas à cette concentration, qui provoque également des plans de licenciements.

La fusion de Siemens avec Gamesa Renewable Energy provoque déjà la suppression de 6.000 emplois dans le monde, un quart de ses effectifs. Les autres turbiniers ne sont pas en reste, avec une baisse des deux tiers de la valeur des actions en 2017 pour General Electric-RE, Nordex et Vestas, ce dernier annonçant mi-novembre une baisse de 6 % de son chiffre d’affaires. L’Allemagne, un puissant moteur du secteur, évolue elle aussi, selon Emmanuel Fayat, responsable commercial chez Enercon : « L’Allemagne, déjà avancée dans sa transition énergétique, a modifié cette année son niveau de réglementation et diminué le volume de puissance raccordé. D’où une baisse des prévisions d’installations. »

Pour les entreprises cotées en Bourse, Vestas, Siemens-Gamesa ou Nordex, la baisse des commandes d’éoliennes conduit directement à une chute du cours de l’action. À l’inverse, Enercon, entreprise d’origine familiale, reste relativement épargnée. « La France demeure un des marchés les plus stables, et le changement du mode de rémunération va se faire progressivement, avec un double système pendant quelques années », espère le constructeur.

Mais partout, les offres d’achat ou de rachat se multiplient. Il est fort à craindre que l’on aboutisse à une plus grande concentration d’entreprises qui écrase toutes les autres, notamment les plus vertueuses. Le renouvelable ne renouvelle pas les pratiques économiques. « Le secteur n’est pas plus vertueux qu’un autre », reconnaît Stéphane Châtelain, de Negawatt.

Derrière toute cette logique folle, les soucis écologiques pèsent finalement bien peu, les objectifs de réductions de consommation d’énergie semblent bien lointains. Et les problèmes posés par la technologie éolienne restent, eux, au second plan.
À suivre... demain

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