publication 13/10/2017
Les résultats présentés dans les deux précédents articles ont montré que l’arrivée de la centrale de Fessenheim avait transformé les dynamiques démographiques ainsi que le profil sociologique de la commune d’implantation et de son voisinage. Dans ce troisième billet, on propose de s’interroger sur les conséquences de ces évolutions sur la géographie politique locale. Peut-on, aujourd’hui encore, déceler des spécificités attribuables à l’irruption de l’industrie nucléaire dans les choix électoraux à Fessenheim ?
Comment votent les territoires du nucléaire ?
La littérature scientifique ne s’est que très peu intéressée à la géographie politique de l’énergie nucléaire et aux conséquences électorales de son implantation, quels que soient les pays. Dans un article sur l’électorat « vert » en France, Michel Bussi et Loïc Ravenel ont toutefois montré que le vote écologiste dans les cantons abritant une centrale était généralement plus faible que la moyenne nationale et qu’il était, au contraire, légèrement plus important dans les cantons riverains.
Le site du ministère de l’Intérieur ne mettant à disposition les résultats des élections à l’échelle de la commune qu’à partir de 1993, il n’est pas possible, dans le cadre de ce travail exploratoire, d’estimer les transformations induites directement par l’arrivée de la centrale de Fessenheim. Il conviendra alors ici de voir si les comportements de vote à Fessenheim se singularisent par rapport aux communes voisines et au reste du département puis à voir si ces particularités peuvent s’expliquer par la présence de la centrale. Pour explorer ces questions, on s’arrêtera sur les résultats des élections présidentielles et européennes. On peut toutefois d’ores et déjà poser deux hypothèses :
Premièrement, considérant les travaux de Michel Bussi et de Loïc Ravanel, on peut s’attendre à relever des scores plus faibles pour les partis écologistes à Fessenheim, alors même que le Haut-Rhin est un territoire de force pour ses derniers depuis leur création.
Deuxièmement, l’industrie nucléaire et d’EDF constituant deux bastions historiques de la CGT, on peut anticiper des résultats proportionnellement plus importants pour les formations d’extrême gauche que dans le reste du département.
1- Un vote écologiste faible
Alors que les écologistes se distinguent dans l’ouest du département, et particulièrement à l’ouest de Colmar dans la région de Kaysersberg, la bande rhénane leur est bien moins favorable. Comme on l’a anticipé, le vote en faveur des partis verts est chroniquement plus faible à Fessenheim. Toutefois, l’influence de la centrale est plus difficile à distinguer dans les villages avoisinants où le vote écologiste fluctue d’une élection à l’autre.
2- Fessenheim, un bastion en déclin de l’extrême gauche
La géographie du vote pour les partis d’extrême gauche suit les grandes orientations du développement économique du département. Leur implantation est faible dans les territoires ruraux qui se déploient au sud de Mulhouse ainsi que dans la première couronne de villages viticoles à l’ouest et au sud-ouest de Colmar. Au contraire, en plus des pôles urbains, l’extrême gauche conserve ses territoires de force au nord de Mulhouse, dans les anciennes villes ouvrières du bassin minier potassique ainsi que dans les pôles industriels implantés le long du Rhin. On retrouve ici la commune de Fessenheim où les partis d’extrême gauche ont obtenu parmi leurs meilleurs scores du Haut-Rhin jusqu’en 2012. Les résultats de 2014 et 2017 montrent une diminution du vote pour ces formations à Fessenheim. Si cette hypothèse doit être confrontée à une étude plus précise sur le terrain, cette chute coïncide avec le changement de politique nucléaire du Front de Gauche, passant d’une position relativement neutre en 2012 à une campagne ouvertement antinucléaire et favorable à l’arrêt de la centrale de Fessenheim en 2017.
3- Des extrêmes droites peu implantées à Fessenheim ?
Le vote d’extrême droite dans le Haut-Rhin s’implante principalement dans les espaces ruraux du sud, à proximité de la frontière suisse, ainsi que dans une large bande s’étirant horizontalement entre les agglomérations colmarienne et mulhousienne. Située dans cet espace, la commune de Fessenheim montre, systématiquement, des scores plus faibles pour les formations d’extrême droite. Comme Alain Bihr et Bernard Schwengler l’ont analysé, le vote Front national en Alsace a d’abord percé dans les vallées vosgiennes avant de s’étendre aux territoires ouvriers et particulièrement au bassin potassique. Alors que la géographie électorale de ces formations est difficile à saisir, seul un travail de terrain pourra expliquer correctement la singularité de Fessenheim et révéler de potentiels liens avec l’implantation du nucléaire.
4- Le socialisme en déclin à Fessenheim
La lecture des cartes du Parti socialiste ouvre des analyses identiques à celles des formations d’extrême gauche. On retrouve une géographie du vote semblable, avec des territoires de force localisés dans les agglomérations colmarienne et mulhousienne, dans le bassin potassique au nord de Mulhouse ainsi que dans les pôles industriels du bord du Rhin. Ici aussi, la commune de Fessenheim apparaît comme un bastion du Parti socialiste jusqu’à 2012. Cette chute particulièrement nette coïncide avec le positionnement du candidat, puis du président, François Hollande en faveur de la fermeture de la centrale de Fessenheim. À nouveau, cette hypothèse devra être confrontée au terrain.
5- Un « effet Fillon » pour la droite parlementaire à Fessenheim ?
La géographie électorale de la droite parlementaire en Alsace est un négatif presque parfait de celle du socialisme. Tandis qu’elle est particulièrement bien implantée dans le sud et le nord du département, ses scores demeurent faibles dans l’espace situé entre Mulhouse et Colmar. Il est ici difficile de voir une spécificité propre à la commune de Fessenheim, exception faite des élections de 2017 où le score de François Fillon y est proportionnellement plus important que celui de ces prédécesseurs. Si cela ne reste qu’une hypothèse, cette augmentation pourrait être liée au militantisme du candidat des Républicains en faveur du maintien de la centrale nucléaire.
Conclusion
Il serait bien trop hâtif de tirer des conclusions définitives de l’unique analyse de ces cartes électorales et seule une étude de terrain pourra confirmer, ou infirmer, les liens entre les choix électoraux et la présence du nucléaire. Néanmoins, on peut clairement voir que les comportements de vote à Fessenheim se distinguent du reste du département.
L’extrême gauche y a profité d’une audience importante jusqu’au revirement antinucléaire de sa principale composante après 2012. Cette chronologie se retrouve, presque à l’identique, pour le parti socialiste. Inversement, alors que le Haut-Rhin est un territoire de force historique des écologistes depuis leur première participation aux élections, le vote pour les verts est resté faible dans la commune. L’extrême droite connaît également des difficultés à Fessenheim.
Le second tour de l’élection présidentielle de 2017 contredit toutefois ces observations. Comme dans les villages voisins, les électeurs de Fessenheim ont placé Marine Le Pen devant Emmanuel Macron. Il reste à explorer les liens entre ce vote et la position de la candidate du Front national en faveur du maintien de la centrale nucléaire.
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