Par Francis Pisani, Laetitia Van Eeckhout
16/11/2017
Une équipe de géographes redessine l’espace urbain en fonction des flux et des réseaux entre territoires.
Nadine Cattan, géographe au CNRS Nadine CATTAN
Le terme de ville, comme celui de métropole, « ne raconte plus les dynamiques territoriales en cours », souligne la géographe du CNRS Nadine Cattan. La vitalité d’un espace urbain tient aujourd’hui moins à ses dimensions qu’à ses connexions. Figés, les périmètres administratifs ne rendent compte ni des discontinuités spatiales ni, a fortiori, des multiples relations qui connectent les territoires entre eux. Au lieu de regarder « leur répartition et leur localisation », il s’agit, explique la chercheuse, de se pencher sur « leurs articulations et leurs interdépendances » : de passer de la « ville-territoire » à la « ville-réseaux ».
C’est là qu’intervient la notion de « système urbain ». Un terme essentiel dont se réclame Nadine Cattan. Contrairement à celui de ville ou de métropole, il permet d’appréhender les territoires comme des espaces dont le fondement même est la relation, le lien. L’approche n’est pas totalement nouvelle. Mais la plupart des auteurs qui se sont penchés sur le sujet s’en sont tenus « à la théorie, à la conceptualisation », observe Nadine Cattan. Intitulé « Les systèmes urbains français », le travail mené en 2012 par la géographe avec son équipe pour la Datar, se veut, lui, « concret ».
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Interdépendance des territoires
Jusqu’alors, les lectures des relations restaient segmentées ou partielles. Elles se penchaient trop souvent sur un seul type de relation, comme les relations domicile-travail. Or celles-ci ne représentent plus que moins d’un tiers des déplacements des individus. « Pour voir l’interdépendance entre les territoires, insiste Nadine Cattan, il faut combiner plusieurs types de flux, de mobilités que génèrent nos sociétés du travail, des loisirs, de la connaissance, des affaires. » Elle et son équipe ont donc choisi de prendre en compte simultanément sept types de liens pour dresser une nouvelle carte des territoires : les mobilités domicile-travail ; les migrations résidentielles ; les mobilités de loisirs à travers l’emplacement des résidences secondaires ; les liens de la société de la connaissance via les partenariats scientifiques ; ceux de l’économie à travers les relations entre sièges sociaux et établissements d’entreprises ; et les mobilités à grande vitesse à partir d’un indicateur mixte sur l’offre aérienne et TGV.
Appliquée à toutes les agglomérations françaises de plus de 5 000 habitants, cette grille a permis de faire émerger 26 systèmes urbains de proximité, qui sont aussi abordés dans leurs relations entre eux et dans leurs liens avec Paris. L’outil est en place. La méthode est affinée après de nombreux tests. Les résultats sont visibles sur des cartes. Mais à quoi tout cela sert-il ?
Réponse sans ambiguïté : « Passer de ville à système urbain permet de changer nos grilles de lecture des dynamiques territoriales et ainsi de modifier nos politiques publiques. » « Élus et développeurs sont appelés à mettre l’accent, non plus sur l’accumulation des populations et des emplois à un endroit donné, mais sur les connexions entre les différents lieux, insiste Nadine Cattan. Il faut aujourd’hui penser les villes, les métropoles, en termes de complémentarités et non plus se focaliser sur leurs avantages concurrentiels. » L’ Eurométropole de Strasbourg, par exemple, réfléchit aux complémentarités concrètes qui permettront de favoriser, à l’échelle métropolitaine et au-delà, une intégration des territoires.
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Archipels métropolitains
A la notion de « métropole », Nadine Cattan préfère la notion d’« archipel métropolitain », parce qu’elle introduit « la multipolarité plutôt que le monocentrisme ». C’est un peu la différence entre le modèle centralisé de Londres ou de Paris et celui, distribué, de Los Angeles.
« On ne peut plus continuer à réfléchir en matière de hiérarchie, de centre-périphérie », estime la géographe. Bien sûr on ne gommera jamais l’existence de territoires plus denses que d’autres. Les flux transversaux relient évidemment les têtes de pont de chaque système urbain. Mais, relève-t-elle, « quelle que soit sa taille, chaque territoire a ses ferments d’innovation, de créativité, de rebond ». C’est pourquoi, lorsque l’on évoque les villes principales, il faudrait, selon elle, « ne plus parler de métropole mais de “gateway”, de porte d’accès, c’est-à-dire d’un lieu d’interface qui permette une réciprocité, une complémentarité entre les territoires et favorise ainsi un meilleur accès partagé aux ressources ».
Cette réalité des fonctionnements territoriaux appelle un profond changement des mentalités. Or aujourd’hui, observe la géographe, « on ne sait pas gouverner en dehors de cadres et de périmètres, on ne sait pas raisonner à différentes échelles. Car toute enveloppe budgétaire est affectée à un territoire, et l’élu représente les populations qui y résident. » Ce que certains appellent « la démocratie de la nuit » : les gens votent là où ils dorment.
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« La gouvernance devrait de plus en plus intégrer la fluidité des territoires, prendre en compte l’éphémère, à savoir aussi les gens qui sont de passage, qui viennent travailler », insiste Nadine Cattan, qui regrette que nous restions victimes d’une sorte de « métaphysique de la sédentarité ».
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