Commentaire : toujours aussi passionnant et ce, quelque soit le sujet.
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Comment
un article scientifique illisible peut-il entrer en résonance avec un
dossier politique brûlant ? C’est le cas avec l’article publié par Paul Hoffmann et al. dans Science advances
la semaine dernière (1). Sujet ? Faire le bilan de trente années de
recherches discrètes, patientes, minutieuses et délicates sur un épisode
défiant l’imagination du climat de la Terre. Dit « snowballEarth », la
Terre-boule-de-neige, il a longtemps suscité d’excitantes controverses
dans les laboratoires de géosciences, tant sur son existence que sur les
mécanismes qui auraient provoqué son apparition puis sa disparition.
Imaginez, en effet, une Terre toute
blanche. Recouverte de glace d’un pôle à l’autre, sur terres comme sur
mer. Durant des dizaines de millions d’années. Et pourtant, la vie
survit. Un truc de fou ? En plus, comme diraient les Be-belges : deux
fois. Deux fois, entre il y a 717 et 659 millions d’années avant Game of thrones et son hiver qui vient, puis entre 649 et 635 millions d’années.
L’idée, lorsqu’elle est avancée par des
géologues dénichant des traces de glaciation sur des roches qui, à cette
époque, étaient en position tropicale, fait froid dans le dos. Comment
la vie a t-elle pu s’en remettre ? OK, à l’époque, la vie n’était pas
encore sortie de l’eau, la conquête des continents ne survenant pas
avant il y a environ 450 millions d’années. Mais tout de même. Un peu
long comme hiver total. Ce qui inclinait les biologistes à se méfier de
cette idée folle de géologue.
La glace renvoie les rayons du Soleil
Et puis, deux questions, dont l’une est
encore plus déroutante que l’autre. Comment la Terre a t-elle pu
s’englacer ainsi ? Pire : et comment en est-elle sortie ? L’énergie du
Soleil semblant incapable d’un tel exploit, la glace, blanche, renvoyant
impitoyablement vers l’espace 90% de ses rayons (c’est l’albédo des
planétologues). C’est d’ailleurs plutôt cette deuxième interrogation qui
inclinait la plupart des géologues à se méfier de cette idée folle de
leurs collègues. Et de grogner en insistant
sur
le caractère épars des indices de glaciation : aucune trace des fonds
d’océans de l’époque, tous disparus dans les profondeurs de la Terre et
si peu de roches continentales ayant la bonne volonté de nous léguer un
témoignage de l’épisode.
Or, après trente années de lente
maturation, d’allers-et-retours de la connaissance entre découvertes et
déceptions, entre théories fulgurantes et repli discrets, des dizaines
d’articles – le graphique ci-contre montre leur abondance dont
témoignent les 27 chercheurs de 27 laboratoires co-signataires de
l’article de Science advances qui comporte plus de 500 références à des
travaux antérieurs -, des thèses, des colloques… les scientifiques ont
fini par se convaincre que, oui, la Terre-boule-de-neige avait bien
existé. Et même que l’on en comprenait les ressorts essentiels. Tant
pour l’entrée dans cet hiver total que pour les mécanismes climatiques
qui ont permis à la Terre d’en sortir.
Encore le gaz carbonique
C’est là que la réponse cogne avec
l’actualité, celle de la COP-23, du dossier climat et de la maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre. Car la réponse aux énigmes initiales
tient en trois caractères : CO2. Le gaz carbonique, nom savant :
dioxyde de carbone.
C’est
sa lente mais irrésistible décroissance dans l’atmosphère qui explique
pour l’essentiel l’ englacement du globe terrestre. C’est son retour en
masse qui explique le mécanisme majeur de la déglaciation.
Gilles Ramstein, l’un des co-auteurs de
l’article, a dirigé plusieurs doctorants et post-doctorants sur le sujet
au fil des années dans son Laboratoire des sciences du climat et de
l’environnement, LSCE, (2) de Saclay. , en particulier Yannick Donnadieu et Guillaume Le Hir qui sont aussi co-signataires ont ainsi planché sur la modélisation de ces évolutions climatiques, en collaboration avec Yves Godderis (3), qui apportait une contribution décisive sur le cycle du carbone. Il résume l’affaire : «la glaciation résulte de la position des continents, (graphique ci-contre tiré de l’article de Science advances)
dont la fragmentation en zone tropicale a boosté l’érosion des roches
par les pluies. Une érosion qui a entraîné le CO2 de l’atmosphère vers
les océans à travers une série de réactions chimiques avec les silicates
ainsi exposés à l’air.»
Et la déglaciation ? C’est «encore le
CO2. Car les volcans continuent d’exister. Et émettent dans
l’atmosphère, lors des éruptions, de grandes quantités de CO2. Mais
comme il n’y a plus de sols exposés, et que les espaces océaniques qui
sont quasi englacés n’absorbent plus le CO2 atmosphérique , ce dernier
finit par s’accumuler dans l’atmosphère. Au point d’atteindre des
valeurs très élevées. Et donc d’enclencher un effet de serre si puissant
qu’il va réchauffer la basse atmosphère à des températures lui
permettant de dégeler la Terre.»
L’équipe de Gilles Ramstein a résolu le
paradoxe de la sortie de ces grandes glaciations. Au lieu d’une
gigantesque déglaciation, les géologues observaient des oscillations
glaciaires-interglaciaires. En utilisant des simulations numériques du
climat, l’équipe a démontré que lorsque le CO2 approchait lentement du
seuil de déglaciation, ce sont des oscillations orbitales rapides et
donc les variations de l’énergie solaire reçue qui expliquaient les
variations glaciaires-interglaciaires observées avant que la grande
débâcle ne se produise.
La puissance climatique passée de ce gaz à
effet de serre entre en résonance avec le dossier climat du 21ème
siècle. Et renvoie à leurs études les climatosceptiques qui lancent
imprudemment de vigoureuses sentences du type « comment un gaz qui représente une part aussi minime de l’atmosphère peut-il changer le climat de la Terre». Il le peut, le bougre.
Révolution thermo-industrielle
Avant la révolution industrielle – « thermo-industrielle »
écrivent désormais les historiens de l’Anthropocène – la teneur de
l’atmosphère en CO2 frisait les 280 parties par million (ppm). Cette
teneur s’est tenue entre 180 ppm et 300 ppm depuis au moins 800 000 ans,
nous disent les bulles d’air conservées dans les glaces de
l’Antarctique. Au plus bas lors des ères glaciaires, au plus haut lors
des interglaciaires. Aujourd’hui, après 150 ans d’usage massif du
charbon, puis du pétrole puis du gaz, elle dépasse les 400 ppm. Une
hausse fulgurante à l’échelle géologique. Et encore, Dame nature est
indulgente avec nous, puisqu’elle a caché dans les océans, les sols et
la végétation près de la moitié de ce que nous avons émis.
Avec une teneur passant aux environ de
800 ppm, la hausse de la température planétaire pourrait atteindre de 4 à
6°C en une centaine d’années, montrent les simulations numériques du
climat. L’équivalent de ce que la nature a fait pour sortir de la
dernière glaciation, il y a 20 000 ans… sauf que le processus prit,
alors, près de 5 000 ans. Ces 800 ppm, il suffit, pour y parvenir, de
continuer comme aujourd’hui. C’est à dire d’émettre de plus en plus de
gaz à effet de serre, surtout du CO2, responsable des trois quarts du
potentiel de réchauffement à 100 ans. Il y a largement de quoi y
parvenir avec le pétrole, le gaz et surtout le charbon que l’on peut
extraire du sous-sol.
La stagnation des émissions mondiales,
ces trois dernières années, ne s’est pas poursuivie, indiquent les
derniers chiffres disponibles, résumés dans le graphique ci-dessous :
(1) Co-signé par 27 chercheurs et 27
laboratoires impliqués et plus de 500 références à des travaux
antérieurs : Snowball Earth climate dynamics and Cryogenian
geology–geobiology. Science Advances. ISSN 2375-2548 DOI 10.1126/sciadv.1600983. Ou ici en pdf .
(2) LSCE, laboratoire commun au CEA, CNRS, Université Versailles St Quentin, membre de l’Institut Pierre Simon Laplace.
(3) au Géoscience Environnement Toulouse.
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