par jf.dupont
Publié le 22/11/2017
Commentaire : remarquable analyse lucide et sans ... mots de bois. Mais en Suisse comme en France, le poids du message simpliste et réducteur des ayatollahs verts ("tout sauf le nucléaire" ) pèse lourd dans la réflexion intellectuelle (?) du monde politique en général.
ZERO ÉOLIENNE et BASTA!
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La Transition Énergétique, ou Stratégie Énergétique 2050 (SE2050) a été votée le 21 mai 2050. C’est en principe un objet sur lequel il n’y a pas lieu de revenir avant longtemps. Oui, mais le débat a été en grande partie escamoté – et donc probablement faussé – parce que quelques questions essentielles n’ont simplement pas été analysées comme elles auraient dû l’être.
Parmi ces questions essentielles : la Transition Énergétique est-elle faisable ? Peut-elle garantir la sécurité d’approvisionnement ?
Deux évènements récents ont fait ressurgir ces questions : un séminaire conjoint DETEC-EPFL le 27 octobre dernier à Lausanne en présence de Mme la Conseillère fédérale Doris Leuthard et les déclarations à Paris de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire le 7 novembre à Paris.
Point de situation.
La question de la Faisabilité de la Transition énergétique
En préalable il faut souligner que c’est une question qui se vérifie. Pas toutes les questions sont de cet ordre, mais celle-ci oui. Ce n’est ni une question de goût, ni de couleur, ni de préférence. C’est comme la forme de la Terre : je peux avoir l’impression ou l’envie qu’elle soit plate, mais, après vérification, elle est ronde.
La question: est-il possible techniquement et à un coût économique acceptable de remplacer le nucléaire par des nouvelles énergies renouvelables, à savoir par des éoliennes et du solaire photovoltaïque (PV), sans augmenter la combustion d’énergies fossiles (charbon, mazout, gaz) ? La réponse et non : pour longtemps encore le solaire et l’éolien ne suffiront pas à eux seuls, sans nucléaire, à réduire la consommation des fossiles. Les raisons principales sont la grande dilution de ces formes d’énergie et leur intermittence. La dilution nécessite un effort de concentration énorme qui se traduit en masses de béton, acier et divers matériaux spéciaux qui ne sont ni gratuits ni sans impact sur l’environnement. L’intermittence doit être compensée par un stockage également très exigeant : pour la Suisse seule, si le stockage nécessaire à remplacer le nucléaire se fait avec des batteries au Lithium (les batteries de Tesla), la production mondiale de Lithium ne suffirait pas. Si le stockage se fait au moyen du pompage-turbinage, toujours pour la seule Suisse, il faudrait un volume égal à dix fois le bassin de Grande Dixence. Le nouvel aménagement de Nant-de-Dranse (Emosson) ne fait qu’un dixième de Grande-Dixence.
Le ClubEnergie2051 l’a dit dès les 1ères discussions en 2011 et l’a répété par la suite à plusieurs reprises, en mentionnant plusieurs analyses scientifiques probantes à ce sujet (documentation à disposition).
Faisabilité non vérifiée
Ce qui nous a le plus frappé, c’est que la faisabilité ne faisait pas l’objet d‘études. La documentation qui accompagnait le message du Conseil fédéral fixait des objectifs, en terme de réduction de la consommation d’électricité et de parts de l’éolien et du solaire, mais ne précisait pas les moyens, et les coûts, pour y arriver. Plus grave : la SE 2050 n’avait pas de « Plans opérationnels ». Giovanni Leonardi, 1er et ex CEO d’ Alpiq, l’a même dit dans une conférence publique à l’EPFL. Le plan de réalisation ne pouvait donc être vérifié, il n’existait pas.
Premier enjeu majeur : la sécurité d’approvisionnement en électricité
L’importance de l’électricité est certes reconnue : nos lumières, toute l’électronique et la numérique, nos outils ménagers et professionnels, la pompe du chauffage à mazout, la pompe de la colonne d’essence, etc… presque tout en dépend.
Ce qui est moins connu c’est la fragilité potentielle : quelques secondes de déséquilibre grave entre consommation instantanée et production instantanée du courant, et tout le réseau peut s’effondrer. Cela peut durer plusieurs jours parce que « remonter le réseau » est difficile.
De plus le manque d’électricité n’est pas un manque ordinaire. S’il manque du pain à la boulangerie à la fin de la journée, un ou deux % des clients devront se rabattre sur des biscottes. Mais s’il manque 1 ou 2 % du courant nécessaire au maintien de la stabilité du réseau électrique, c’est tout un pays, voire un continent qui plongent « dans le noir ».
Deuxième enjeu : concilier développement de notre niveau de vie et protection de l’environnement
C’est devenu un thème politique majeur : l’augmentation de la population et de notre niveau de vie peuvent menacer la planète et l’équilibre de son environnement. Certains le prétendent haut et fort : restreindre notre niveau de vie serait devenu inéluctable pour sauver l’environnement.
Je n’insiste pas ici sur l’importance de cet enjeu. Il faut pourtant prendre conscience de l’avenir sombre qui nous attendrait si restreindre notre niveau de vie devenait un objectif obligé dans chaque pays. Qui décidera de combien et qui devra se restreindre ?
Pour l’instant je souhaite juste remarquer que l’énergie en général joue un rôle déterminant dans une bonne partie des menaces annoncées sur l’environnement. Les fossiles, charbon, mazout et gaz (dans l’ordre décroissant de leurs impacts) en particulier. Il y a l’épuisement des réserves, le CO2 et le climat (avec des incertitudes sur la menace réelle), la pollution atmosphérique et les dégâts collatéraux de la géopolitique liée à l’emplacement des réserves de pétrole et de gaz.
Une conséquence : recourir à un mix énergétique qui permette de faire plus d’énergie utile (force, chaleur, lumière, électricité,… avec moins de nuisance) serait plus attractif que de se serrer la ceinture (et celle de nos enfants). Or chaque gramme d’Uranium fissionné remplace la combustion de 1,5 t de mazout.
Paradoxe : le nucléaire est particulièrement combattu, de manière idéologique, par les partis et ONG se réclamant de l’écologie : or c’est peut-être précisément sur le plan écologique que le nucléaire présente le plus d’avantages. Disent-ils
Oui mais il y a les déchets disent-ils. Or un gramme de produits de fission soigneusement emballé et étanche, sans contact avec la biosphère, vaut mieux que 4.5 t de CO2 et des dizaines de kg de NOx et autres polluants dilués dans l’air que nous respirons. Au point que la réduction de l’espérance de vie d’un Japonais vivant à Tokyo par la pollution atmosphérique et beaucoup plus élevée que celle, pratiquement pas mesurable, de celui qui serait resté dans la zone contaminée de Fukushima. Cette information est très peu diffusée. Elle se vérifie aussi (documentation à disposition).
Trois menaces sérieuses sur la sécurité d’approvisionnement en électricité
- Première menace : la SE 2050, qui prévoit de supprimer la part du nucléaire, 40 % sans dire comment les remplacer.
- Deuxième menace : l’ouverture du marché de l’électricité. La Suisse était assurée par ses entreprises supra cantonales (EOS, BKW, NOK,…) qui disposaient d’une large capacité de réserves avec leurs parcs hydraulique et nucléaire. Le marché, en leur retirant leur monopole, leur retire aussi la responsabilité de l’approvisionnement. À qui cette responsabilité est-elle transmise ? Ce n’est pas clair : au marché ? Aux distributeurs régionaux ?
- Troisième menace : la débâcle financière des grands barrages (60 % de notre approvisionnement). C’est aussi une conséquence de l’ouverture du marché : les distributeurs régionaux (SIG, SIL, RE, Groupe E,…) n’achètent plus les kWh de nos barrages, parce qu’ils vont à la bourse européenne de Leipzig, où le courant se vend entre 2 et 3 ct/kWh, soit bien en dessous des 7- 8 ct/kWh du prix de revient de l’hydraulique suisse. Comment ce prix si bas, en-dessous de n’importe quel prix de revient, est-il possible ? Grâce au mécanisme de la bourse, qui plonge en période d’excès de l’offre sur la demande. Est c’est le cas depuis quelques années à cause de la récession économique en Europe.
Notre ministre de l’énergie – et présidente de la Confédération – est venue en personne avec son entourage tenter de nous rassurer lors d’un séminaire DETEC-EPFL le 27 octobre dernier.
Programme et rapports sont sur : https://www.uvek.admin.ch/uvek/fr/home/detec/doris-leuthard-presidente-de-la-confederation/manifestations/infrastrukturtagung-2017.html
En consacrant ce séminaire à la sécurité d’approvisionnement, Mme Leuthard reconnaît implicitement que c’est une préoccupation. Préoccupation aussitôt balayée par une série de discours où il est affirmé de manière un peu incantatoire que « tout est en ordre ». Si on décortique un peu les documents, cet optimisme de commande tiendrait aux arguments suivants :
- Pas de soucis en vue jusqu’en 2030. La raison : les parcs hydraulique et nucléaire sont encore là. De plus 2030 est désigné comme du long terme, alors que le long terme est plutôt au-delà de 2030. On joue sur les mots
- Au-delà, voire avant en cas de pépin, il y aurait une panoplie de moyens de secours : les importations de courant de l’UE, des centrales au gaz suisses et la « numérisation » des réseaux. Or l’UE présente plus un problème qu’une solution en terme de sécurité d’approvisionnement. Les centrales à gaz seront difficiles à faire accepter : remplacer des centrales sans CO2 par des centrales qui émettent du CO2 est absurde. Quant à la numérisation des réseaux, c’est de la tarte à la crème, censée tout résoudre mais sans explication convaincante.
- Et toujours pas de plan opérationnel pour la SE 2050. Pas d’éclaircissement sur les contradictions entre une SE 2050 qui interdit une certaine énergie et en subventionne d’autres et un marché qui devrait laisser le client choisir librement et l’industrie investir à bon escient et librement aussi.
Le slide no 4 de la présentation de Mme Leuthard mérite le détour : https://clubenergie2051.files.wordpress.com/2017/11/slide-4-ouv-marchc3a9-d-leuthard-sc3a9minaire-detec-epfl-27-10-2017.pdf
Si c’est son message, il est plutôt inquiétant. Ou est-ce de l’humour ? À quel degré ?
Nicolas Hulot, et la France, le reconnaissent enfin: la faisabilité n’a pas été vérifiée
Ministre de « la Transition Écologique et Solidaire » Nicolas Hulot est venu déclarer le 8 novembre dernier, au nom du gouvernement français, que la réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans la production française d’électricité ne pourrait pas se faire d’ici 2025, mais plus tard.
Argument principal avancé : mes prédécesseurs ont fixé des objectifs sans vérifier leur faisabilité. Or constat : une telle réduction du nucléaire ne pourra pas être compensée que par de l’éolien et du solaire. Il faudrait recourir de manière importante au gaz et au charbon. Ce ne serait pas acceptable sur le plan écologique.
Plusieurs études sont à l’origine de cette prise de position (documentation à disposition).
Suisse et France : similitudes et différences
La principale similitude : dans chaque pays il y a une forte inclination politique et idéologique vers une transition énergétique.
Mais la France a maintenu, plus que la Suisse, une capacité d’analyses factuelles rigoureuses au sein de plusieurs institutions: ses Académies des sciences, ses services comme France Stratégie, RTE,…
Ces institutions ont publié ces analyses, qui se révèlent être bien faites. Exemples:
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/124000083-energies-2050
http://www.academie-sciences.fr/fr/Libres-points-de-vue-d-academiciens/libres-points-de-vue-d-academiciens-sur-l-energie.html
http://www.strategie.gouv.fr/publications/transition-energetique-allemande-fin-ambitions
En Suisse une partie du monde académique a très vite fait allégeance à Mme Leuthard depuis Fukushima. On a entendu un professeur de l’EPFL déclarer que la faisabilité ne pose pas de problème, précisant même que cela ne coûterait pas beaucoup plus. Nous avons voulu vérifier et nous lui avons demandé son analyse : nous n’avons pas eu de réponse probante.
L’annonce de Nicolas Hulot a été reprise et fortement commentée dans tous les médias français
On a vu sur un plateau de TV français un journaliste politique se prendre la tête entre les mains et déclarer : « … mais comment est-ce possible qu’ « ils » n’aient pas vérifié ? »
En Suisse nous n’avons rien vu des déclarations de Nicolas Hulot dans les médias Le ClubEnergie2051 a le sentiment que nos propres analyses et celles repérées en provenances de sources scientifiques sérieuses, signalées sur notre site Internet ( www.clubenergie2051.ch ) ont été considérées comme des arguments de « pronucléaires », donc comme de l’autojustification sans crédibilité.
Le fait qu’un Nicolas Hulot le dise, semble un peu changer les choses. Il est vrai que c’est difficile de le taxer de pro nucléaire. Mais cela ne semble changer que pour la France.
Au final
Dommage quand même. Le terme de Fake News est devenu très à la mode. Beaucoup de médias dénoncent cette tendance à suivre ses émotions plutôt que pratiquer l’analyse rigoureuse et exigeante des faits. Mais en même temps, il ne tout se passe comme si Donald Trump était le seul auteur de Fake News…
Ce qui doit faire réfléchir : si on se trompe, les risques sont graves pour tous, c’est notre niveau de vie et la qualité de notre environnement qui sont en jeu. Au nom de lendemains écologiques qui devraient chanter, on nous conduit par idéologie vers une baisse de notre niveau de vie et une aggravation des impacts sur l’environnement. Cela vaut la peine de vérifier les recettes proposées.
JFD / 22-11-2017
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