La religion climatique

Par Guy Sorman
29/09/2014

Sommet sur le climat : l’idéologie climatique s’impose parce qu’elle est une croyance de substitution.



Le monde est à feu et à sang : le Proche-Orient est décimé par le terrorisme, l’Afrique de l’Ouest par le virus Ebola, la guerre civile perdure au Congo, les Tibétains et les Ouïghours sont écrasés par les Chinois, un tiers de l’humanité vivote au-dessous du seuil de pauvreté. En hâte, cette semaine achevée, deux cents chefs d’État et de gouvernements, escortés de ministres, conseillers et courtisans, se sont réunis sans discontinuer à New York, sous la coupole des Nations Unies, ce qui s’approche le plus d’un gouvernement mondial et si on en croit la Charte, du règne de la sagesse. Mais pas un instant au fil de cette assemblée, il ne fut question de la Syrie, du Tibet ou du Congo. La session toute entière était consacrée à lutter contre… le changement climatique qui préoccupe énormément, on s’en doute, les Syriens décapités, les Congolais mitraillés, les Tibétains incarcérés, et tous les affamés de la terre. Le changement climatique ne hante pas que les hommes d’État. Toute cette semaine, Manhattan fut perturbé par des manifestations hostiles au changement climatique : certains groupuscules qui, naguère, auraient été trotskystes ou anarchistes, occupèrent Wall Street, pour insulter les capitalistes qui, c’est bien connu, réchauffent l’atmosphère. Dans les quartiers plus élégants, du côté de Central Park, on vit un ministre français des Affaires étrangères bras dessus bras dessous avec Leonardo di Caprio, marchant ensemble pour « sauver le climat ». Sauver le climat : l’expression dénuée de signification ornait tee shirts et banderoles. Le Secrétaire général de l’ONU apporta son soutien aux insurgés de Wall Street, se félicitant publiquement que la « société civile » appuie les élites politiques. Une exception tout de même, et de taille, à cet unanimisme béat : le Premier ministre indien a déclaré que la croissance et la lutte contre la pauvreté l’emporteraient chez lui sur le climat et pour longtemps.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’entrer dans la querelle sur la réalité du réchauffement climatique (les politiciens prudents préfèrent maintenant parler de changement plutôt que de réchauffement), mais de nous interroger sur cette étrange unanimité idéologique. Car il y a d’un côté un débat sur le climat et de l’autre, une idéologie climatique : les deux ne coïncident que partiellement.

Les climatologues avertis envisagent que la terre se réchauffe, lentement, sans qu’existe entre eux un accord sur le début de ce réchauffement. Serait-ce depuis qu’on le mesure, dans les années 1970, ou depuis le début de la révolution industrielle ? On ne le sait pas puisque les mesures et instruments de mesure n’étaient pas naguère aussi précis qu’ils le sont devenus. Si la tendance au réchauffement est acquise, il ne règne aucune unanimité ni sur la vitesse, ni sur les conséquences, ni sur les causes. Au jour le jour, rien n’est mesurable : une chaude journée d’été ne veut rien dire et un tsunami ravageur révèle avant tout que les peuples pauvres habitent des zones connues naguère comme inhabitables. Si l’on se concentre sur les causes, le dioxyde de carbone est généralement désigné comme coupable, avant tout parce qu’on peut en mesurer les émissions. D’autres facteurs échappent au débat public, comme le méthane (on ne va pas mettre en cause les vaches et les rizières) ou les taches sur le soleil. Le dioxyde de carbone est coupable parce que mesurable et plus encore parce que sa production est liée à l’histoire de l’industrie, du capitalisme, du progrès matériel. Le dioxyde de carbone est le parfait élément qui a permis la transition de la science climatique à l’idéologie climatique. Cette idéologie est d’autant plus séduisante qu’elle n’apparaît non pas comme une idéologie, mais comme une science. On rappellera pour mémoire que Karl Marx, en son temps, considérait que « son » socialisme était scientifique. Les climatistes d’aujourd’hui sont comme les marxistes d’hier : arc-boutés sur une pseudo science, ils haïssent le capitalisme qui réchauffe. Comme les marxistes, ils n’acceptent aucun débat puisque douter serait une posture non scientifique. Al Gore, gourou du mouvement, qualifie de « négationnistes » ceux qui doutent : un sceptique au regard des climatistes est un quasi-nazi.



À quoi tient le succès de l’idéologie climatique ? À l’urgence de la menace ? En réalité, aucune mesure concrète n’est adoptée par aucun gouvernement. Le climatisme s’impose plutôt parce qu’il est une croyance de substitution. Ceux qui croyaient en Dieu croient maintenant au pouvoir rédempteur de la forêt amazonienne et des moulins à vent. Ceux qui croyaient au Grand Soir bolchévique, et durent y renoncer après la Chute du Mur de Berlin, ont retrouvé l’espoir d’abattre le capitalisme par d’autres moyens. Contre ce désir de croire, aucun critique ne saurait être entendu. Ce pourquoi les politiciens ont épousé la vague verte plutôt que d’y résister : c’est plus commode et cela n’engage à rien. Mieux encore, pour l’homme d’État contemporain, désemparé face à l’économie mondialisée et à l’individualisme des citoyens, le climatisme est une cause nouvelle et bonne : les États, contre le changement climatique, retrouvent une raison d’être, du côté des anges de surcroît. On exagère ? À peine. Si, véritablement, les dirigeants politiques voulaient contrôler non pas le climat, ce qui n’a aucun sens, mais au moins la production de dioxyde de carbone – ne serait-ce que par précaution -, il existe des solutions techniques relativement simples : le recours systématique à l’énergie nucléaire et la taxation mondiale du carbone. Mais les climatistes ne sont pas intéressés par des solutions concrètes : c’est de croire qui leur importe, de contester l’ordre existant, de défiler et d’être du côté du Bien.

Le climatisme a donc un bel avenir ; pour le climat réel, on ne sait pas. Nous serons tous morts avant que, d’ici un siècle, un thermomètre ne rende son verdict et départage les croyants et les sceptiques.


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