Nucléaire + canicule : associer deux mots clés pour en faire une polémique stérile (tribune)

Tristan Kamin

Nucléaire”, “canicule”, date : “moins d’un mois”. Cette recherche, sur Google Actualités, retourne six pages de résultats. Si la canicule, quand ce n’est la sécheresse, est un sujet qui passionne les grands médias chaque été (au même titre que le froid passionne chaque hiver), la juxtaposition de cette canicule à des signaux inhabituels du côté du parc électronucléaire français était immanquable… Une tribune de Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.

« Les centrales nucléaires sont-elles en danger ? », pouvaient demander certains, ce à quoi d’autre répondaient du tac au tac « oui, elles sont inadaptées au changement climatique », prenant comme preuve l’arrêt d’un tiers du parc cet été, en partie à cause de la canicule !
Et, en effet, le parc nucléaire tournait, ce mois de juillet 2018, entre 40 et 45 GW (pour une puissance installée de 63 GW) : jusqu’à un tiers de la capacité était indisponible… Tandis qu’en juillet 2017 et 2016, le parc tournait à seulement 36-41 GW. Meilleurs scores les années précédentes : 40 à 48 GW en juillet 2015 et 2014, deux bonnes années !
Enfin bref… La « mauvaise » disponibilité du nucléaire de cet été n’a rien d’anormal, on est même plutôt dans une année correcte. Et l’impact de la canicule est… Indécelable. Dans le graphique ci-dessous, je trace, jour après jour, le nombre de tranches en service[1], regroupées par centrale. Ce nombre change chaque jour, de manière assez conséquente. Bien malin celui qui pourra déceler, au milieu de ces fluctuations, une variation qui serait une conséquence de la canicule…






De fait, la baisse (partielle ou totale mais toujours ponctuelle) de production de quatre tranches est peu conséquente devant :
  • les variations, nombreuses chaque jour, mais faibles en amplitude, de puissance pour réguler la fréquence du réseau électrique ;
  • les variations, une ou deux fois par jour, plus conséquentes, pour suivre les variations de consommation (et éventuellement de production éolienne / solaire) ;
  • les variations hebdomadaires très conséquentes pour adapter la production à une consommation plus faible le week-end qu’en semaine.

En un mot, à l’échelle du parc nucléaire… La canicule n’a eu guère d’impact. Et, à fortiori, elle n’a pas pu être une menace pour l’approvisionnement électrique national : le parc hydraulique avait de bonnes réserves de capacité et d’eau, les parcs gaz et fioul étaient peu sollicités.
Etant admis qu’il n’y a guère de sujet à l’échelle du parc électrique, qu’en est-il à échelle de chaque tranche ? Quel impact de la canicule sur les centrales d’EDF de Saint-Alban, Bugey, Fessenheim – et peut-être d’autres, demain ?
On pourrait séparer nos 19 centrales / 58 réacteurs, en trois groupes, en fonction de leurs systèmes de refroidissement.
Les centrales de Flamanville, Gravelines, Paluel, et Penly sont refroidies intégralement par la mer ou l’océan.
Les centrales du Blayais, de Fessenheim, Saint-Alban et Tricastin, ainsi que deux tranches de la centrale du Bugey, sont intégralement refroidies par l’eau des cours d’eau qui les bordent.
Enfin, toutes les autres sont refroidies « à air », au travers des immenses[2] tours aéroréfrigérantes devenues emblématiques, en France, des centrales nucléaires. Elles ne prélèvent dans les cours d’eau qui les bordent que de quoi compenser les pertes d’eau au travers de ces tours ainsi que de quoi refroidir certains systèmes auxiliaires.
Les centrales refroidies par l’eau de mer ou par air sont peu exposées au problème de refroidissement. En revanche, les centrales intégralement refroidies à l’eau des fleuves et cours d’eau dissipent plusieurs gigawatts de chaleur dans cette eau[3], conduisant à une élévation significative de la température de celle-ci.
Afin de limiter au plus raisonnable l’impact de cette chaleur sur la biodiversité des cours d’eau, la température maximale en aval d’une centrale est encadrée. Lorsque, canicule oblige, la température en amont approche de la limite légale pour l’aval, il va de soi que le refroidissement perd en efficacité, donc la puissance de la centrale doit être abaissée, jusqu’au cas limite où un ou plusieurs réacteurs doivent être arrêtés, comme ce fut le cas quelquefois cet été.
Mais il faut être clair : la centrale n’est pas en difficulté pour se refroidir, elle ne manque pas d’eau, on ne risque pas de perdre le refroidissement du cœur d’un ou plusieurs réacteurs. Le refroidissement peut toujours être assuré et l’est toujours ; si l’on doit arrêter un réacteur, c’est bien et uniquement pour éviter de trop échauffer les cours d’eau et leur biodiversité, pas à cause d’une sûreté en péril.
Par ailleurs, une fois à l’arrêt, les besoins de refroidissement d’une tranche chutent de plusieurs milliers de mégawatts à quelques dizaines de mégawatts. Le refroidissement d’un réacteur à l’arrêt ne pose aucune difficulté.

En remontant le fil de pensée, qu’observe-t-on ?
Que les réacteurs d’EDF à l’arrêt se refroidissent sans problème. Que les réacteurs en fonctionnement se refroidissent avec, pour seule difficulté, l’impact de la chaleur sur l’environnement, et pour certaines tranches seulement. Que ces tranches peuvent être arrêtées sans représenter un chamboulement à l’échelle du parc nucléaire. Que le parc nucléaire, en saison estivale, peut perdre en puissance sans mettre en danger l’approvisionnement électrique. Et, enfin, que 2018 n’est, en termes de disponibilité estivale du parc nucléaire, pas une année noire.
Il est évidemment tentant d’établir un lien entre la canicule que l’Europe – mais aussi l’Amérique du Nord ou l’Extrême-Orient – viennent de traverser, et le dérèglement climatique. Et le dérèglement climatique donne de nombreuses raisons de s’alarmer… Mais la résilience de notre parc nucléaire n’en est pas une.

[1] De sorte à ne pas considérer « en service » une tranche fraîchement démarrée, qui ne produirait que 10% de sa puissance nominale sans aucune flexibilité ; et à ne pas considérer « hors service » une tranche dont la puissance est réduite de quelques % pour les besoins du réseau, je considère ici comme « en service » toute tranche dont la puissance moyennée sur la journée atteint au moins les deux tiers de sa puissance nominale.
[2] Pas toujours immenses… Voir la centrale de Chinon.
[3] Les centrales nucléaires ont un rendement d’environ 33% : c’est-à-dire que la puissance dissipée sous forme de chaleur est le double de la puissance produite sous forme électrique. Ainsi, un réacteur de 900 MW produit autant de chaleur que 1800 MW de radiateurs électriques.

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