par Alain Cheilletz*
SPS n° 305, juillet 2013
Bénéficiant du statut protecteur de la fonction publique, les Écoles d’ingénieurs et l’Université ont conservé une partie de leur savoir-faire scientifique et technique dans ce domaine, et forment également une quantité non-négligeable de cadres et techniciens (entre 600 et 1000 diplômés par an avant le regain d’intérêt des dernières années).
Le boom économique mondial dû à l’arrivée sur le marché des pays émergents (BRICs notamment – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), facilité par la libéralisation totale des échanges, provoque aujourd’hui un certain nombre de tensions sur les fondamentaux économiques des matières premières minérales (prix et disponibilité notamment). Cela facilite l’intervention des spéculateurs pour qui déstabilisations et rumeurs de pénurie ont toujours rimé avec profits. Ces évènements ne doivent pas nous empêcher de tenter d’éclaircir ce débat à l’heure où notre pays et, plus généralement le monde occidental, s’interrogent sur leur avenir industriel.
Les ressources minérales : des réserves naturelles illimitées en pratique
Devant l’accroissement prodigieux de la demande en matières premières résultant de l’émergence des nouveaux acteurs continentaux que sont les BRICs, une première idée à laquelle il faut définitivement tordre le cou est celle de la limite supposée des ressources minérales à la disposition de l’humanité. Cette idée fausse s’est propagée par mimétisme avec l’annonce, justifiée, de la fin de l’ère du pétrole, du fait de l’épuisement des réserves disponibles dans un délai relativement court (quelques dizaines d’années environ). La méprise tient en fait à la nature géologique distincte de ces deux types de ressources. La formation du pétrole, du gaz et du charbon résulte de la transformation de la matière vivante dans le sous-sol spécifique à l’enveloppe très superficielle de notre globe (quelques kilomètres) dans laquelle interagissent les systèmes vivants, liquides, solides et gazeux. Ainsi le volume des réserves disponibles est limité et arrive à épuisement.
À l’inverse, les ressources minérales, qui concernent l’ensemble des éléments du tableau de Mendeleïev, sont présentes dès l’origine de la Terre et sont distribuées inégalement au sein de celle-ci, en enveloppes concentriques dont les deux plus externes - le manteau (épaisseur 2800 km) et la croûte (épaisseur entre 10 et 35 km) - échangent depuis l’origine une partie de leurs constituants sous l’effet de la tectonique des plaques [1]. Ainsi, pour le cuivre, et pour la seule région des cordillères ouest-américaines, on peut estimer les ressources disponibles dans une tranche de 3,3 km de profondeur suffisantes pour alimenter les besoins de l’humanité pendant plus de 5 millénaires (voir encadré).
La limite supposée des ressources minérales
Les ressources en pétrole, gaz ou charbon sont bien limitées, et leur
épuisement est en cours (avec toutefois une certaine incertitude quant
aux réserves, liée à l’accès à de nouveaux gisements du fait des efforts
de recherche et à l’amélioration des moyens techniques mis en œuvre –
l’exemple du gaz de schiste illustre ce propos). Cela tient aux
processus géologiques ayant conduit à la formation des hydrocarbures,
produits de la transformation de la matière vivante dans le sous-sol sur
de très longues durées.
Présentes sur Terre depuis sa formation, les ressources minérales (quantité totale sur Terre) dépassent certainement les besoins de l’humanité sur la durée de son existence, et les réserves (quantités accessibles avec les moyens technico-économiques donnés) dépendent uniquement de leur renouvellement grâce en particulier aux progrès des technologies d’exploration et d’exploitation.
Pourtant, sur Internet, de nombreux sites affirment régulièrement la fin imminente de nombreuses matières premières minérales. Des dates précises sont même avancées 1 : terbium (2012), hafnium (2018), argent (2021), antimoine (2022), palladium (2023), or, zinc et indium (2025), étain (2028), plomb et lithium (2030), tantale (2038), cuivre (2039), uranium (2040), nickel (2048), lithium (2050), platine (2064), fer (2087), cobalt (2120), aluminium (2139).
Ces chiffres sont publiés sans précision sur la nature exacte de la mesure, réserves ou ressources, ni sur la méthode de calcul utilisée.
1 Par exemple http://terresacree.org/ressources.htm.
Un autre exemple lié à l’actualité récente convaincra sans doute les
sceptiques. Il concerne les terres rares (voir encadré) dont l’usage
croissant dans les applications de haute technologie a rapidement
entraîné une tension sur les marchés. Cela d’autant plus que la
production dans les années récentes était détenue à 97 % par la Chine.
L’importance « critique » ou « stratégique » de ces métaux, selon le
vocabulaire adopté (et les connotations associées), entraîna une crainte
de hausse fulgurante des prix, voire même de chantage aux
approvisionnements de la part du pays maître de la ressource. Ce dernier
annonça en 2010 un réajustement à la baisse de ses quotas d’exportation
pour favoriser ses industries nationales. Ce que les dirigeants chinois
oubliaient (le précédent premier Ministre Wen Jiabao était pourtant
géologue...), c’est que nous sommes environnés de gisements potentiels
de terres rares. C’est ce que démontrèrent très rapidement les services
géologiques des pays occidentaux alertés (Commission scientifique de
l’Union européenne, le BGS – British Geological Survey – et l’ USGS – US
Geological Survey).Présentes sur Terre depuis sa formation, les ressources minérales (quantité totale sur Terre) dépassent certainement les besoins de l’humanité sur la durée de son existence, et les réserves (quantités accessibles avec les moyens technico-économiques donnés) dépendent uniquement de leur renouvellement grâce en particulier aux progrès des technologies d’exploration et d’exploitation.
Pourtant, sur Internet, de nombreux sites affirment régulièrement la fin imminente de nombreuses matières premières minérales. Des dates précises sont même avancées 1 : terbium (2012), hafnium (2018), argent (2021), antimoine (2022), palladium (2023), or, zinc et indium (2025), étain (2028), plomb et lithium (2030), tantale (2038), cuivre (2039), uranium (2040), nickel (2048), lithium (2050), platine (2064), fer (2087), cobalt (2120), aluminium (2139).
Ces chiffres sont publiés sans précision sur la nature exacte de la mesure, réserves ou ressources, ni sur la méthode de calcul utilisée.
1 Par exemple http://terresacree.org/ressources.htm.
Les terres rares
Les terres rares, aussi dénommées REE en anglais (Rare Earth Elements), sont des éléments chimiques très utilisés aujourd’hui sous forme d’alliages magnétiques, de céramiques et de verres, et principalement utilisés dans les nouvelles technologies. On les retrouve dans des applications telles que les ordinateurs, les lampes fluorescentes, les écrans de télévision, les superconducteurs, les aimants permanents ou encore les lasers.
Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 400 projets d’exploration de ces
gisements qui sont en cours d’évaluation en dehors de la Chine, parmi
lesquels plusieurs mines en développement au Brésil, en Russie et en
Australie. La recherche-développement sur le recyclage des terres rares
est elle aussi extrêmement active. En témoigne, en France, le démarrage
d’une nouvelle unité de production de Rhodia à La Rochelle, consacrée au
recyclage des terres rares des aimants, des ampoules basse consommation
et des batteries NiMH (nickel-metal hydride, batteries rechargeables)
L’exemple du cuivre dans les cordillères ouest-américaines
Pour se convaincre de l’efficacité de la tectonique des plaques et de
ses conséquences en termes de concentrations minérales disponibles 1,
il suffit de prendre pour exemple le cas du cuivre dans les cordillères
ouest-américaines. Sur plus de 15 000 km de longueur, 200 à 300 km de
largeur et sur une profondeur encore inconnue, se développe depuis 550
millions d’années2 un processus de subduction de la plaque
pacifique et de recyclage du manteau terrestre sous-jacent. Cela aboutit
à un transfert vers la surface de métaux de base tels que le cuivre
auquel sont associés des métaux compagnons, en particulier le molybdène,
le rhénium, l’or, l’argent, le tungstène et l’étain et au volcanisme
toujours actif dans la région. Les concentrations minérales ainsi
formées (on parle de « gisements ») sont appelées porphyres cuprifères,
et sont exploitées depuis toujours dans ces montagnes, avec une
accélération bien sûr depuis l’âge industriel. Sachant que les quelques
centaines de gisements exploités dans cette région représentent chacun
un volume de plusieurs kilomètres-cubes seulement, et que les plus
profonds connus aujourd’hui atteignent au maximum trois kilomètres
(Chuquicamata au Chili par exemple, voir photo), il apparaît évident que
les ressources en cuivre disponibles dans les Amériques dépendent
uniquement des capacités de l’industrie minière à les exploiter. Un
simple modèle espace/temps prenant en compte les caractéristiques
géochimiques des porphyres cuprifères [2] conduit à estimer les
ressources en cuivre disponibles dans une tranche de 3,3 km de
profondeur suffisantes pour alimenter les besoins de l’humanité pendant
5500 ans. Aujourd’hui, la recherche des prolongements en profondeur des
gisements existants et de ceux cachés sous la couverture (on dit « non
affleurant ») sont l’objet d’une intense activité d’exploration,
encouragée par le prix élevé de la ressource minérale (une tonne de
cuivre vaut aujourd’hui plus de 7600 US $).
1 On parle de « métallogénie », discipline créée par Louis de Launay (1860-1938), ingénieur des mines français.
2 Cette période de l’histoire de la Terre est appelée le Phanérozoïque.
Un dernier exemple, français, concerne les gisements d’uranium. Ces
derniers ont produit jusqu’en 2001, en France, 76000 tonnes de minerai
au total (sous l’impulsion première du général de Gaulle avec la
création du CEA en 1945). Ces gisements sont situés dans et autour du
Massif Central, en Vendée et en Bretagne. AREVA a aujourd’hui totalement
transféré l’extraction du minerai d’uranium dans ses gisements du
Niger, du Canada et du Kazakhstan, officiellement pour des raisons
d’épuisement des réserves du territoire national, malgré des ressources
restantes estimées à 12 500 tonnes lors de la fermeture du dernier puits
à Jouac-Le-Bernardan (Haute-Vienne). Il n’y aurait donc plus d’uranium
en France, ou du moins des ressources insuffisantes (moins de 0,5 % du
total mondial) impropres à rentabiliser les investissements nécessaires à
leur exploitation. Pourtant, si l’on compare les gisements français
avec ceux géologiquement similaires du massif de Bohème exploités par
l’URSS pendant la guerre froide, on constate que ces derniers ont
atteint des profondeurs trois fois supérieures à leurs équivalents
français. Basée sur cette analogie, une estimation rapide des ressources
géologiques des gisements d’uranium français fait apparaître un
potentiel de 100 000 tonnes au total, pour des profondeurs
d’exploitation maximales d’un kilomètre. La supposée crise de la
ressource uranium, son épuisement à terme, est donc aussi un faux débat.1 On parle de « métallogénie », discipline créée par Louis de Launay (1860-1938), ingénieur des mines français.
2 Cette période de l’histoire de la Terre est appelée le Phanérozoïque.
La confusion entre « réserves » et « ressources »
En fait, la polémique qui accompagne en permanence le débat sur l’épuisement des ressources minérales de la planète tient également à la confusion qui existe entre les notions de « réserves » et de « ressources » minérales.
Les réserves correspondent à un potentiel de métal dont le volume a été prouvé aux conditions économiques d’exploitabilité d’un instant donné. Elles sont donc connues et limitées. Leur évaluation évolue constamment avec le temps et les investissements consentis pour les exploiter. Ainsi, le diamant, exploité aujourd’hui au Canada, était totalement inconnu dans ce pays jusqu’en 1988, date de sa découverte par des explorateurs de génie raisonnant sur l’analogie géologique du bouclier canadien avec la Sibérie ou l’Afrique du Sud.
Les ressources désignent un volume de substance théorique, mais non encore découvert, et correspondant à des conditions économiques d’exploitation non encore rentables. Ainsi en est-il pour l’estimation des ressources en cuivre dans les cordillères ouest-américaines, comme nous l’avons vu précédemment.
Modélisation 3D du gisement d’uranium de Jouac-le-Bernardan. Cette nouvelle technologie, appuyée par des sondages, a permis la découverte de trois colonnes minéralisées verticales prolongeant jusqu’à 500 m de profondeur l’exploitation du gisement en souterrain, sous la carrière en forme de chapeau renversé représentant l’exploitation à ciel ouvert.
De ce fait, si le concept de ressources naturelles inépuisables est justifié lorsque l’on considère les ressources disponibles, l’exploitabilité de celles-ci demeurera toujours dépendante de la quantité d’énergie mise en œuvre pour y accéder. L’homme, grâce à la recherche scientifique et aux progrès technologiques, accède régulièrement à de nouvelles ressources entraînant ainsi l’exploitation de gisements aux teneurs minérales de plus en plus basses, et donc autrefois non rentables.Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, l’utilisation de la technologie de l’ hydrométallurgie pour extraire le nickel à partir de minerais de basse teneur de la couverture latéritique fera pratiquement gagner un facteur 10.
La limite à l’exploitation des ressources minérales sera donc toujours définie par le type et le prix des énergies disponibles en un temps donné. Ce raisonnement économique s’applique de la même façon aux industries du recyclage mises, fort judicieusement, en concurrence avec la production de matières premières primaires. Cela permet un bon ajustement des capacités des différentes filières de production et aboutit à percevoir les limites des technologies de recyclage : 90 % et non 100 % par exemple pour le recyclage de l’aluminium à partir des emballages légers [3].
Disponibilité des ressources ou gestion des ressources ?
Produire en quantité suffisante des matières premières traditionnelles (métaux de base) ou des matières aux nouvelles propriétés au service des nouvelles technologies est aujourd’hui un défi dans lequel toutes les industries du monde occidental et des pays émergents sont lourdement engagées. Des politiques de recherche privées et publiques très efficaces sont mises en œuvre et permettent un perfectionnement souvent spectaculaire des outils d’exploration et d’exploitation. Elles conduisent également à des découvertes remarquables permettant de renouveler continuellement l’offre de matières premières dans le monde.
Produire à partir des ressources naturelles, présentes en quantités infinies à notre échelle, se heurte cependant, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à une difficulté de taille : le respect de l’environnement et des contraintes sociétales associées.
Le concept de croissance perpétuelle, avec augmentation constante des flux de matières et d’énergie, même s’il repose, pour la plupart des matières premières minérales, sur une disponibilité infinie (à notre échelle), est en contradiction avec l’éthique d’un développement global respectueux des environnements. C’est pourquoi les programmes visant au recyclage des matières premières se généralisent : en Europe, par exemple, ce sont 33 % de la quantité d’aluminium consommée qui sont aujourd’hui recyclés, en attendant mieux, bien sûr. Plus intéressantes encore sont les initiatives poussant à l’économie circulaire obligeant les entreprises à penser les flux de matières dès la conception des produits pour pouvoir les réemployer totalement après usage dans une nouvelle production. Ce cycle vertueux conduit à diminuer le poids des décharges dues au système industriel (quatre milliards de tonnes de déchets dans le monde par an). Il pourrait, à terme, apporter de substantielles économies de matière et d’énergie. Les industries de l’automobile, des équipements industriels, de l’électricité, du textile ou de l’électronique sont les premières concernées. C’est là l’un des enjeux de la troisième révolution industrielle.
* Alain Cheilletz est Professeur Émérite des Universités, géologue métallogéniste à l’École nationale supérieure de géologie ENSG de Nancy, Université de Lorraine. La carrière d’Alain Cheilletz a été consacrée à la recherche des facteurs de concentration des métaux sur tous les continents avec, entre autres, des études détaillées sur le tungstène, le cuivre, l’or et l’argent, le plomb, le zinc et les émeraudes, en partenariat notamment avec les entreprises Penaroya, BRGM, AREVA, Compagnie Minière de Touissit aujourd’hui Osead, ERAMET, Mauboussin. Il a également exercé des responsabilités de chargé de mission au CNRS-INSU et a été président de la 35e section du Conseil national des Universités (CNU).
Références
[1] « Différenciation magmatique, métamorphique et pédologique : leçons de métallogénie », André Bernard, École nationale supérieure de géologie, ENSG Nancy, 1970.[2] « Earth’scopper resources estimated from tectonic diffusion of porphyry copper deposits, Kesler and Wilkinson », Geology, v. 36, p. 255-258, 2008.
[3] « The feedback control cycle as regulator of past and future mineral supply ». Wellmer et Dalheimer, Mineralium Deposita, 47 : 713-729, 2012].
1 AREVA pour l’uranium, ERAMET pour le nickel et le manganèse, Imerys pour les minéraux industriels, les cimentiers bien sûr, et quelques PME très performantes dans cette niche industrielle.
php
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