L’intérêt personnel de l’autoconsommateur coïncide-t-il avec l’intérêt général ?

Georges Sapy
Publié le 20 mars 2018

Commentaire : Éclairant à souhait. 
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Réponse à la consultation publique de la CRE :
CONSULTATION PUBLIQUE N°2018-003 DU 15 FÉVRIER 2018 RELATIVE A LA PRISE EN COMPTE DE L’AUTOCONSOMMATION DANS LA STRUCTURE DU TURPE HTA-BT ET DES TARIFS RÉGLEMENTES DE VENTE

Le texte de base proposé à la consultation me parait de grande qualité et intellectuellement très honnête dans la mesure où la CRE reconnait que sur certains points, elle manque de connaissances et/ou de données de retour d’expérience suffisantes, ce qui rend difficile la délibération sur ces points. On peut donc en inférer que lorsque ces données seront disponibles, une nouvelle délibération aura lieu pour adapter les règles à la réalité. De plus, les questions sont bien documentées et clairement posées, et j’aurais donc personnellement tendance à répondre positivement à toutes.
Je regrette toutefois que ces questions soient fermées et appellent par conséquent des réponses limitées, alors que des problématiques de principe pourtant fondamentales ne sont pas évoquées. Je souhaite donc les évoquer ici dans le cadre de l’autoconsommation individuelle.

1) Il est écrit : la CRE se met à l’écoute de la volonté croissante des consommateurs de « consommer local ». Pourquoi pas ? Mais s’est-on assuré que ce « consommer local » à l’échelle individuelle est également conforme à l’intérêt général ? Il me semble que cette volonté réputée exprimée par un certain nombre de consommateurs est largement sous-tendue par une idéologie d’essence individualiste qui tend à rejeter le « centralisé » et à survaloriser le « local » en y attachant une valeur quasi-morale…
Or, c’est une vision complètement erronée concernant la production d’électricité. En effet le système de production et distribution actuel est certes « centralisé », mais c’est avant tout, grâce aux réseaux publics, un système de secours mutuel et de partage des moyens de production. Ce partage résultant du phénomène de foisonnement des consommations (c’est le fait que les consommateurs n’appellent pas tous au même instant la puissance maximale dont ils sont équipés) ce qui permet de diviser par 5 environ la puissance nécessaire pour alimenter en permanence la totalité des consommateurs ! En d’autres termes, en l’absence de foisonnement, il faudrait 5 fois plus de moyens de production répartis sur tout le territoire… Les réseaux permettent donc une économie considérable de moyens physiques et d’argent, qui totalement perdue dans l’autoconsommation individuelle.

NB : un petit calcul permet de mieux cerner cette perte. Si (hypothèse évidemment purement théorique car non réalisable) chacun des quelque 35 millions de logements du pays produisait sa propre électricité avec un panneau solaire PV de 3 kW associé à une batterie de 8 kWh, il serait à peu près capable (avec néanmoins le secours du réseau en hiver) d’alimenter sa consommation d’électricité spécifique (hors usages thermiques donc, qui sont les plus énergivores). Mais cela représenterait une puissance installée de… 105 GW en panneaux solaires PV ! Alors que le système actuel est capable d’alimenter la totalité des besoins du pays (industrie, transports, secteur tertiaire, agriculture, logements) avec seulement 130 GW de puissance installée pilotable… Soit à peine plus, pour un service rendu sans aucune commune mesure. Ce qui montre les faiblesses intrinsèques et l’inefficacité de l’autoconsommation individuelle dans les pays déjà pourvus de réseaux performants.

La conclusion est évidemment toute autre dans les pays et régions du monde dépourvus de réseaux publics, pour lesquels des modules constitués d’un panneau solaire PV + une batterie constituent une solution locale performante, qui peut en outre être mise en œuvre très rapidement pour le plus grand bénéfice des habitants alors que construire des réseaux demande des décennies.
En résumé et pour la France métropolitaine, la réalité est contraire à la doxa actuellement à la mode et peut se résumer par :
-Système centralisé et réseaux publics = partage et optimisation des moyens et des investissements dans l’intérêt général
-Autoconsommation = investissement personnel et intérêt individuel de l’ autoconsommateur
Le « consommer local » apparait donc en réalité comme une exaltation de l’individualisme qui se développe de plus en plus dans notre société, au détriment de l’intérêt général. Il est donc essentiel de préserver ce dernier, ce que la CRE s’efforce manifestement de faire, mais va-t-elle assez loin ? Plusieurs points ne me paraissent pas suffisamment soulignés :

2) Les autoconsommateurs individuels ne peuvent et ne pourront jamais être autonomes vis-à-vis du réseau. Pour une raison majeure : la seule solution réaliste étant la production individuelle par le solaire PV, ce dernier produit sous nos latitudes tempérées 4 fois moins en hiver qu’en été. C’est-à-dire produisent très peu quand on en a le plus besoin. Et le stockage de l’électricité par des batteries entre l’été et l’hiver n’a aucun sens physique et économique.
Conséquence : les autoconsommateurs individuels auront toujours besoin du secours du réseau public. La mode de l’autoconsommation conduit donc à investir collectivement deux fois : une première fois dans les installations locales d’autoconsommation, une deuxième fois dans les réseaux publics qui ne pourront faire d’économies significatives car ils devront être capables de fournir la même puissance maximale aux autoconsommateurs, paramètre dimensionnant pour les investissements. D’où la question :
Le pays a-t-il les moyens de gaspiller ainsi ses capitaux ? Ces derniers ne seraient-ils pas beaucoup plus utiles pour notamment isoler les logements et réduire leur consommation d’énergie ?

NB : là encore, ceci doit être fortement modulé sous les tropiques où il n’y a pas de saison et où la durée du jour varie peu tout au long de l’année. Un stockage journalier est alors suffisant et économiquement accessible et pertinent, ce qui change grandement la donne.

3) Injecter les surplus estivaux de production de solaire PV dans le réseau public entraine des inconvénients et des surcoûts importants. Ce phénomène est d’ores de déjà observé dans les régions fortement ensoleillées et s’amplifierait en cas de développement important de l’autoconsommation individuelle.
Les inconvénients consistant en particulier en des montées locales de tension du réseau de distribution (destructrices si on ne les maîtrise pas pour les appareils des proches consommateurs) et des refoulements d’électricité vers le réseau de transport. Ce qui nécessite des investissements supplémentaires et augmente donc les coûts de réseau. D’où la question :
Qui paiera ces surcoûts ? Ceux qui en sont responsables ou l’ensemble des consommateurs au travers des augmentations de TURPE qui en résulteront ?
4) Les autoconsommateurs vont-ils payer le juste prix de l’usage qu’ils font des réseaux ? C’est l’une des questions de fond qui est à juste titre largement abordée dans la présente consultation et à laquelle la CRE est manifestement soucieuse d’apporter une réponse équitable. Mais il faut rappeler à ce stade que les coûts des réseaux de distribution sont à plus de 80 % des coûts fixes (coûts d’investissement, de personnel, etc.) et dépendent très peu de l’énergie qui transite. Il en résulte que les autoconsommateurs individuels devraient payer des charges de réseau à peu près égales à 80 % des charges payées par les non consommateurs et ce, quelle que soit l’énergie qu’ils soutirent du réseau. D’où la question :
Est-ce ou sera-ce bien le cas ?

5) Les autoconsommateurs vont-ils contribuer équitablement au paiement des diverses taxes ?
Sauf erreur, cette question n’est pas abordée dans la présente consultation. Elle est pourtant essentielle car le paiement de ces taxes est actuellement assis sur l’énergie et non sur la puissance souscrite. Si rien ne change, les autoconsommateurs y échapperont donc en partie puisqu’ils soutireront moins d’énergie au réseau que les autres consommateurs. Or l’impact de ces taxes est tout sauf négligeable puisque leur somme (CSPE, Taxes locales, CTA et TVA) représente un gros tiers d’une facture d’électricité domestique. D’où les questions :
Est-il équitable d’exonérer les autoconsommateurs (en général aisés…) du paiement d’une grande partie de ces taxes ? La réponse est dans la question…
Ces manques à gagner seront-ils reportés sur les factures des non-autoconsommateurs (en moyenne moins aisés…) ou passés par pertes et profits pour les différents bénéficiaires de ces taxes : consommateurs bénéficiaires de la péréquation tarifaire (que devient-elle ?) collectivités locales et Etat.

6) En conclusion, l’intérêt personnel de l’ autoconsommateur coïncide-t-il avec l’intérêt général ? Deux conditions au moins seraient nécessaires pour cela :

* La première serait d’assurer une totale équité dans le paiement des charges (coût réel des réseaux et participation aux taxes) entre autoconsommateurs et non-autoconsommateurs. Le sujet est certes complexe, mais on peut espérer y parvenir à terme, c’est en tout cas un objectif affiché dans la présente consultation, dont on ne peut que se féliciter,
* La seconde serait d’éviter le gaspillage des ressources financières inhérent au double investissement noté plus haut. Sans solution en vue…

La conclusion s’impose : sous nos latitudes tempérées et compte tenu de l’existence de réseaux publics performants et fiables, l’autoconsommation individuelle n’apparait pas porteuse d’intérêt général… D’où la question :

Pourquoi, face à cette absence de participation à l’intérêt général, l’autoconsommation est-elle en PLUS subventionnée (pour les puissances inférieures à 3 kW) ? Et ses excédents injectés au réseau rémunérés au tarif élevé de 10 c€/kWh ? Alors que l’essentiel de ces injections aura lieu en été, quand le réseau n’en aura nul besoin et en sera même perturbé…
Tout cela in fine aux frais des consommateurs d’électricité non-autoconsommateurs !
Pourquoi ne pas laisser les autoconsommateurs assumer seuls leurs désirs d’autonomie ?

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