Avec ce dernier article, cette série d'été va se terminer à l'endroit où
elle aurait pu commencer : 1789. La Révolution française est, en effet,
un des exemples les plus fameux d'influence de la météo sur l'histoire.
Peut-être même trop fameux pour être honnête...
Orage de grêle (illustration de 1708)
Cet article fait partie d'une série d'été consacrée au rôle du climat dans l'histoire. Retrouvez un nouvel article mercredi prochain et, en attendant, les articles déjà parus :
Orage de grêle (illustration de 1708)
Cet article fait partie d'une série d'été consacrée au rôle du climat dans l'histoire. Retrouvez un nouvel article mercredi prochain et, en attendant, les articles déjà parus :
- Introduction de la série
- Vagues de chaleur : hier et aujourd'hui
- La chasse aux sorcières et le petit âge glaciaire
- Hiver volcanique et littérature fantastique
- Le printemps 1907 : y a-t-il de bons changements climatiques ?
- Le climat dans l'ombre des révolutions ?
Au XVIIIe siècle, la France connaît un climat chaotique, tantôt
favorable tantôt pourri. La décennie 1780 ne fait pas exception. Elle
commence bien : 1780 et 1781 fournissent de belles récoltes qui ont
peut-être facilité l'engagement du royaume dans la Guerre d'Indépendance
des États-Unis, où du moins limité les effets inflationnistes de ce
conflit. Les années suivantes cependant sont plus mitigées et quand 1788
arrive les calamités semblent s'enchaîner...
"Un an avant la prise de la Bastille, le 13 juillet 1788, un orage de grêle traverse le nord de la France détruisant des récoltes déjà endommagées par une année trop chaude."L'hiver 1787-1788, d'abord, a été doux : quelques degrés de plus que la normale, ce qui favorise la prolifération des insectes ravageurs et des mauvaises herbes... Comme dit le proverbe : "il vaut mieux voir un voleur dans son grenier qu’un paysan en chemise en janvier".
Vient ensuite une fin de printemps trop chaude. Or les journées ensoleillées n'annoncent pas toujours de belles récoltes pour le blé : si un coup de chaleur survient lorsque les grains sont encore fragiles, ils peut interrompre la croissance et ruiner les cultures en quelques jours seulement. C'est ce qui arrive en 1788 : le blé est échaudé comme le confirment les observations de l'époque et des récoltes précoces et faibles.
C'est alors que survient, un an presque jour pour jour avant la prise de la Bastille, le fameux orage du 13 juillet 1788. Cette véritable tempête accompagnée de grêle abondante a marqué les esprits du temps par sa violence : au château de Rambouillet, où séjourne Louis XVI, 11 749 vitres et ardoises sont brisées ! Dans la bassin parisien et jusqu'aux Flandres, les récoltes sont malmenées.
En se cumulant, ces aléas météorologiques entrainent des récoltes inférieures de 20 à 30% à la normale - le niveau le plus bas depuis la Guerre de Farines de 1775. Le prix du pain monte. D'autant qu'ignorant la crise qui s'annonce Louis XVI a renouvelé en juin les autorisations d'exportation de blé. Malgré leur suspension à la fin de l'été, la population gronde.
Phénomène classique, l'agitation s'amplifie au fur et à mesure que la période de soudure - le moment où la récolte de l'année précédente est épuisée et ou celle de l'année est encore sur pied - s'approche. Nous connaissons tous la suite...
Assez vite, l'orage de 1788 devient un classique de l'histoire de la
Révolution. Dès 1789, Bernardin de Saint Pierre (dans Vœux d'un
solitaire) en fait, sinon une cause, du moins une métaphore des troubles
révolutionnaires.
On retrouve ensuite la grêle de juillet chez Chateaubriand (Mémoire d'outre-tombe, 1841) ou Michelet (Histoire de la Révolution, 1853) et jusqu'à aujourd'hui, par exemple chez Onfray (La Religion du poignard, 2009).
De la même façon, l'éruption du Laki en Islande en 1783 et le refroidissement qui a suivi sont souvent cités comme prémices de la Révolution. Là encore le lien n'est pas évident : l'effet des éruptions volcaniques sur le climat dure 2 à 3 ans, en 1789 l'ombre du Laki est dissipée depuis longtemps. D'ailleurs les malheurs de 1788 sont plus liés à la chaleur qu'au froid...
Fondées ou non, ces thèses sont omniprésentes chez les grands historiens de la Révolution - Georges Lefebvre, Georges Duby, Albert Soboul, Ernest Labrousse, etc. Voilà qui a de quoi surprendre : d'ordinaire, les historiens s'attardent peu sur le climat lorsque le lien de causalité n'est pas évident.
Ne serait-ce pas parce que l'événement paraissait trop inattendu, trop inconcevable que les contemporains, suivis par des générations d'historiens, ont cherché des causes et des signes qui rendraient la rupture moins brutale ? François Furet parle à ce sujet d'une "illusion rétrospective" qui rend tous les événements précédant la Révolution annonciateurs de la Révolution elle-même.
Ou bien est-ce parce que les hommes du temps ne parviennent pas à admettre qu'il a suffit d'une poignée d'individus pour renverser en quelques mois mille ans de monarchie ? Les penseurs contre-révolutionnaires comme de Maistre, qui fait des révolutionnaires les simples instruments d'une providence qui les dépasse, s'illustrent tout particulièrement dans cette recherche de causes cachées.
Climat et libertéOn retrouve ensuite la grêle de juillet chez Chateaubriand (Mémoire d'outre-tombe, 1841) ou Michelet (Histoire de la Révolution, 1853) et jusqu'à aujourd'hui, par exemple chez Onfray (La Religion du poignard, 2009).
"Les historiens, qui prêtent en général peu d'attention au climat, ont retenu la météo de 1788. Mais s'agit-il d'expliquer la Révolution française ou d'exorciser un événement trop brutal ?"Pourtant l'orage du 13 juillet n'est probablement pas aussi déterminant que cette littérature le laisse entendre : la grêle est un phénomène localisé et malgré son ampleur celle de 1788 a épargné la grande majorité du territoire.
De la même façon, l'éruption du Laki en Islande en 1783 et le refroidissement qui a suivi sont souvent cités comme prémices de la Révolution. Là encore le lien n'est pas évident : l'effet des éruptions volcaniques sur le climat dure 2 à 3 ans, en 1789 l'ombre du Laki est dissipée depuis longtemps. D'ailleurs les malheurs de 1788 sont plus liés à la chaleur qu'au froid...
Fondées ou non, ces thèses sont omniprésentes chez les grands historiens de la Révolution - Georges Lefebvre, Georges Duby, Albert Soboul, Ernest Labrousse, etc. Voilà qui a de quoi surprendre : d'ordinaire, les historiens s'attardent peu sur le climat lorsque le lien de causalité n'est pas évident.
Ne serait-ce pas parce que l'événement paraissait trop inattendu, trop inconcevable que les contemporains, suivis par des générations d'historiens, ont cherché des causes et des signes qui rendraient la rupture moins brutale ? François Furet parle à ce sujet d'une "illusion rétrospective" qui rend tous les événements précédant la Révolution annonciateurs de la Révolution elle-même.
Ou bien est-ce parce que les hommes du temps ne parviennent pas à admettre qu'il a suffit d'une poignée d'individus pour renverser en quelques mois mille ans de monarchie ? Les penseurs contre-révolutionnaires comme de Maistre, qui fait des révolutionnaires les simples instruments d'une providence qui les dépasse, s'illustrent tout particulièrement dans cette recherche de causes cachées.
Les révolutions suivantes permettent de prendre du recul sur la
question. Il semble bien exister une "météo des révolutions" : Les
années 1827 à 1831 sont froides et humides, les récoltes déficitaires...
Et tant pis pour Charles X. Pendant les années de 1845 à 1848, les
hivers sont neigeux (avec un maximum glaciaire dans les Alpes), les étés
humides favorisent la propagation du mildiou qui ruine la culture de la
pomme de terre et 1846 est aussi une année d'échaudage du blé, tout cela favorise la crise de 1846-1847 et le Printemps des peuples l'année
suivante.
Mais ces conditions ne sont pas suffisantes : 1840, par exemple, remplit aussi les conditions agro-météorologiques pour devenir une année révolutionnaire, il n'en sera rien malgré des émeutes de subsistance dans le centre et l'ouest de la France.
Les conditions météorologiques défavorables sont une cause d'agitation populaire mais celle-ci ne devient révolutionnaire que si elle rencontre un mouvement politique contestant l'ordre établi. Le soulèvement populaire lui apporte alors la force du nombre et la nécessité d'une action immédiate. De ce point de vue, le climat peut amplifier les convulsions historiques mais il ne les crée pas.
La réponse est bien évidemment oui : le contraire serait aussi absurde que de dire que la gravité ou l'alternance jour-nuit limite notre libre arbitre.
D'une manière plus générale, le climat fournit un cadre physique dans lequel les hommes agissent mais il ne les prive pas de leur autonomie. Et ne les exonère pas de leur responsabilité.
Même si ce cadre change, nous y restons libres aussi longtemps que nous ne nous résignons pas à le subir : étudier l'évolution du climat et la façon dont il interagit avec nous, ce n'est pas accepter une fatalité. Bien au contraire, c'est chercher à découvrir de nouveaux moyens d'action, de nouveaux possibles...
Alors au boulot !
Les principales sources de cet article sont :
Mais ces conditions ne sont pas suffisantes : 1840, par exemple, remplit aussi les conditions agro-météorologiques pour devenir une année révolutionnaire, il n'en sera rien malgré des émeutes de subsistance dans le centre et l'ouest de la France.
Les conditions météorologiques défavorables sont une cause d'agitation populaire mais celle-ci ne devient révolutionnaire que si elle rencontre un mouvement politique contestant l'ordre établi. Le soulèvement populaire lui apporte alors la force du nombre et la nécessité d'une action immédiate. De ce point de vue, le climat peut amplifier les convulsions historiques mais il ne les crée pas.
"Le climat fait partie du cadre physique dans lequel les hommes agissent, il ne nous prive ni de notre autonomie ni de nos responsabilités. "Si on se tourne maintenant vers l'avenir : l'évolution du climat détermine-t-elle déjà notre destin comme il a pu influencer certains événements passés ? Ou pour le dire plus brutalement : sommes nous encore libres au moment où nous nous engageons dans un changement climatique sans précédent ?
La réponse est bien évidemment oui : le contraire serait aussi absurde que de dire que la gravité ou l'alternance jour-nuit limite notre libre arbitre.
D'une manière plus générale, le climat fournit un cadre physique dans lequel les hommes agissent mais il ne les prive pas de leur autonomie. Et ne les exonère pas de leur responsabilité.
Même si ce cadre change, nous y restons libres aussi longtemps que nous ne nous résignons pas à le subir : étudier l'évolution du climat et la façon dont il interagit avec nous, ce n'est pas accepter une fatalité. Bien au contraire, c'est chercher à découvrir de nouveaux moyens d'action, de nouveaux possibles...
Alors au boulot !
Les principales sources de cet article sont :
- Trente-trois questions sur l'histoire du climat d'Emmanuel Le Roy Ladurie et Anouchka Vasak (en particulier les questions 21, 22 et 23)
- L'article de Anouchka Vasak, L'orage du 13 juillet 1788, publié en 2004
php
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire