Complément à l'article France, solaire : quel système faudrait-il pour "raccourcir la nuit" ?
"Sur le renouvelable oui il y a intermittence […] il y a une bonne méthode pour raccourcir la nuit, c’est d’avoir une interconnexion entre l’est et l’ouest"
Yannick Rousselet
Ah oui, vraiment ?
La question qui revenait le plus souvent concernait la surface au sol de tous ces panneaux photovoltaïques (3 x 60 GW en été, 5 x 370 GW en hiver). On va prendre pour exemple la centrale solaire de Cestas en Gironde. Inaugurée fin 2015, c’est la plus grande d’Europe avec 300 MW de puissance installée (presque 1 million de panneaux !).
Les panneaux de cette centrale ont la particularité d’être disposés selon un axe Est-Ouest au lieu de Nord-Sud, ce qui donne à la centrale un rendement à l’hectare entre 2 et 5 fois supérieur à une centrale classique.
Avec cet exemple on est donc dans le haut du panier en terme d’occupation au sol. Cette centrale de 300 MW s’étale sur 260 hectares. On a donc un ratio d’occupation au sol de ~8.5 km2/GW. Notre cas hypothétique de 60 GW en France en été occupera donc une surface de 510 km2.
510 km2, ça correspond à :
-la superficie du lac Léman,
-5 fois la taille de Paris intra-muros,
-10 fois la superficie de Bordeaux.
Cette surface concernant exclusivement la France, et il faudrait donc installer la même chose aux États Unis, et en Chine. Qui se chargerait d’aller leur indiquer ? Et accessoirement, d’acheter ou louer les terrains nécessaires ?
Stockage
Le sujet revient tout le temps dès qu’on parle d’électricité et des EnR intermittentes. Allons voir les chiffres en détail.
La seule solution qu’on a aujourd’hui en France ce sont les stations de pompage (STEP) qui remontent de l’eau dans des retenues en altitude lorsqu’on a trop d’électricité, et les font descendre lorsqu’on en manque.
Ces STEP ont une puissance totale en turbine de 5 GW, pour une capacité de stockage d’environ 100 GWh. (L’énergie stockée est donnée par le temps pendant lequel une STEP peut produire à puissance maximale). http://ecolo.org/documents/documents_in_french/STEP-en-France-Ursat-2011.pdf …
Dans le document on voit que certaines STEP ont une "capacité gravitaire" car elles sont alimentées par des fleuves. Ça correspond à de l’hydroélectricité classique, et non pas à un moyen de stocker un surplus d’électricité provenant d’une autre source (ex: panneaux solaires). A noter aussi que la puissance totale en turbine (=en restitution) est de 5 GW, mais la puissance totale en pompage (=en stockage) et de 4.1 GW. Ce qui signifie que le temps de recharge est plus long que le temps de décharge (on dépense plus vite qu’on économise).
Testons l’impact de ces STEP sur la production hypothétique de nos 60 GW photovoltaïque du 22 juin. Quand le solaire produit trop, on pompe (on stocke) et quand il produit pas assez on turbine (on déstocke).
(J’ai équilibré l’énergie entre le pompage et le turbinage pour que les deux soit égaux)
L’énergie en jeu est de ~100 GWh, soit la totalité disponible, ce qui veut dire que chaque jour on vide et on ré-remplit entièrement tous les lacs. C’est l’équivalent de descendre et de remonter ~367 millions de tonnes d’eau d’une hauteur de 100m chaque jour. Facile?
Sauf qu’on a oublié un truc... Car 100 GWh, c’est l’équivalent de fournir 5 GW pendant 20h, mais c’est oublier que les STEP n’ont pas la même réserve d’eau ! La plus petite se vide en 3h, la plus grande en 40h. Et donc la puissance varie énormément !
En gros on peut donc compter sur 5 GW pendant 5-6h au maximum, après on tombe à ~2.5 GW qui vont durer pendant encore 24h, puis on termine avec 1 GW pendant une dizaine d’heures. Et c’est tout. La courbe montre la puissance pour le turbinage (restitution), mais il se passe exactement la même chose pour le pompage (stockage). Je n’ai pas refait la courbe de production solaire en prenant en compte cet aspect, on verrait que le stockage serait encore moins performant (déjà que bon...). Et je rappelle qu’on a pris le cas idéal en été avec le plus long ensoleillement de l’année.
Bon alors, on construit plus de STEP ? Ça serait bien, mais on a déjà exploité la plus grande partie du potentiel en France (et la plus facile à construire aussi). Y a t-il alors autre chose que les STEP ?
Ce document de l’ ADEME date de 2013 mais à le mérite de poser les choses en rappelant les ordres de grandeur. https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/20140409_rapport-potentiel-stockage-NRJ.pdf#page180 …
Tous les autres systèmes de stockage à l’heure actuelle sont soit anecdotiques (batteries, volants d’inertie, ...), soit à l’état de démonstrateur (hydrogène, air comprimé, ...). Et la batterie géante de Tesla en Australie, la plus grande du monde à l’époque : puissance 100 MW pour 129 MWh d’énergie stockée, environ 40 millions d’euros. ? Petit calcul rapide
Pour stocker l’équivalent de nos STEP (100 GWh) il en faudrait donc 775, ce qui coûterait environ 31 milliards d’euros. Et ça c’est juste pour stocker 5 GW d’excédent solaire. Si on veut stocker 16 GW, soit la moyenne de la journée du solaire dans notre exemple (et donc le maximum stockable), on multiplie l’énergie et donc le coût par ~3 : 100 milliards € Boum!
Le prix des batteries va baisser ? Ah ben oui il peut ! Sachant qu’en plus de ça il faut rajouter le coût des moyens de production.
Bref, c’est pour ça que je n’ai pas parlé de stockage. Le seul moyen qu’on a (les STEP) est quasiment insignifiant lorsqu’on raisonne sur le pays entier. Et le but n’était pas de faire des plans sur la comète en anticipant un éventuel miracle technologique. Ensuite, j’ai appris grâce aux commentaires que les fameuses lignes haute tension HVDC étaient plus courantes que je ne le pensais, et il y en a un bon paquet qui existent déjà sur des milliers de km. Une des lignes les plus longues du monde est en Chine et relie Southern Anhui à Zhengzhou :
-2210 km
-800 kV
-8 GW
-~3 milliards d’euros
Ce qui donne ~170.000€/km/GW.
(Voir le communiqué de presse annonçant la mise en service du projet : http://www.cet.sgcc.com.cn/html/zdzb/col1310000085/2014-08/07/20140807102148815613177_1.html …)
Donc en extrapolant, relier nos 60 GW à 10 000 km de là en Chine coûterait à peu près 100 milliards d’euros. Et pour faire la liaison avec les États-Unis se monterait à 200 milliards en tout. 200 milliards donc, avec des hypothèses très conservatives sur le coût, et de grosses interrogations sur la faisabilité technique (lignes sous marines, climat polaire, ...).
Pour éviter d’installer 5 X 370 GW de panneaux pour l’hiver, regardons dans l’hémisphère sud.
En reprenant nos fuseaux horaires séparés de 8h, il faudrait donc installer 60 GW de panneaux solaires au Chili (pour compenser ceux aux États-Unis).
60 GW de panneaux en Afrique du Sud (pour compenser ceux en France)
Vous allez me dire pourquoi 60 GW, alors que le potentiel dans l’hémisphère sud est plus important d’après cette carte ?
C’est exact. Sur l’année il y a plus de jours ensoleillés donc plus d’énergie, mais la durée du jour est sensiblement la même, et vu la latitude la puissance fournie par les panneaux sera sensiblement la même. Donc pas de changement significatif dans la puissance à installer.
En résumé
-Pour l’été : 3 x 60 GW de panneaux + 20.000 km de lignes
-Pour l’hiver : 3 x 60 GW de panneaux + 35.000 km de lignes
Je vous laisse calculer le prix...
Tous les calculs que j’ai fait depuis le début concernent uniquement l’approvisionnement électrique de la France. Les panneaux solaire qu’on installerait aux États-Unis, en Chine ou dans l’hémisphère sud ne pourraient pas servir aux Américains ni au Chinois ni aux autres, ils ne serviraient qu’à nous. Et donc la réciproque, si les Américains ou les Chinois décident eux aussi de "raccourcir la nuit" avec du photovoltaïque, ils vont se poser la question d’aller mettre LEURS panneaux CHEZ NOUS. (et ils se contenteront pas de 60 GW...)
J’aimerais bien voir la tête des défenseurs de l’environnement si les Américains et les Chinois décidaient d'installer en France des centaines de km2 de panneaux solaires et les lignes haute tension qui vont avec, pour envoyer l’électricité chez eux...
Cette démonstration est bien évidemment caricaturale car uniquement basée sur le photovoltaïque. En général, c’est à ce moment qu’on me dit qu’il n’y a pas que le photovoltaïque dans la vie, et qu’il faut compter sur le mix énergétique. Certes, mais le sujet à la base c’était quand même de raccourcir la nuit avec uniquement du photovoltaïque. J’ai juste essayé de montrer l’absurdité profonde de ce concept de foisonnement solaire mondial. Le photovoltaïque peut être très bien adapté dans certains contextes et cas d’utilisation, mais clairement, pas pour assurer l’approvisionnement électrique d’un pays de façon fiable.
Et pour conclure ce complément d'informations, on n’a pas parlé de l’impact visuel de tous ces panneaux solaires et lignes à haute tension qui traversent la terre. Généraliser cette situation reviendrait quelque part à transformer la terre en Coruscant.
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