Quelle
est la politique d’Emmanuel Macron en matière d’énergie nucléaire ?
D’un côté il réaffirme souvent que cette énergie doit être utilisée pour
produire l’électricité dont le pays à besoin. De l’autre il a souscrit à
l’idée de réduire à 50% de la production d’électricité la part du
nucléaire.
Un échange épistolaire vient éclairer, mais en partie seulement, cette question. Un échange provoqué par André Berger. Ce climatologue Belge de renommée mondiale
et dont l’apport majeur à la climatologie consiste en des calculs et
des modélisations sophistiquées des bascules entre ères glaciaires et
ères chaudes depuis un million d’années dues aux variations orbitales de
la Terre. André Berger s’est souvent investi dans les débats publics de
son pays sur le climat et l’énergie. Fin août dernier, il a donc pris
sa plume pour écrire à l’Elysée la lettre suivante :
André
Berger y appelle le Président Emmanuel Macron à faire de la France un
leader du combat contre le réchauffement planétaire. En s’appuyant sur
sa capacité nucléaire qui lui permet d’être l’un des pays industrialisés
à présenter la plus faible intensité carbone de son économie. Si le
monde entier avait le même ratio entre richesses produites et carbone
émis, «ses émissions seraient divisées par quatre», affirme
t-il. Il suggère que le départ de Nicolas Hulot du gouvernement devrait
permettre à ce dernier de choisir une politique nucléaire efficace d’un
point de vue environnemental. Bien informé, André Berger fait même
référence au rapport de Yannick D’ Escatha et Laurent Collet Billon qui
propose de lancer la construction de 6 EPR d’ici 2025.
« Bien à vous« , du Président au Professeur
La réponse du Président de la République
s’est faite un peu attendre. Mais ses services ont du considérer qu’il
n’était pas possible de laisser sans réponse la lettre de
l’astrophysicien, curieusement rédigée en anglais (Berger parle très
bien français…) probablement dans l’objectif de lui donner, ainsi qu’à
sa réponse, une audience internationale. Donc, le 10 octobre dernier,
Emmanuel Macron a apposé un « bien à vous » sur la réponse suivante :
Le Président Macron s’y félicite des «performances» de l’intensité carbone de la France et de son «mix énergétique». S’affirme «convaincu
de l’importance particulière du nucléaire en tant qu’énergie décarbonée
pour garantir un niveau d’émission de gaz à effet de serre le plus bas
possible». Enfin, il se déclare «déterminé à poursuivre nos efforts en la matière et à accélérer la transition mondiale vers une économie bas-carbone.»
Cet échange épistolaire ne va pas réjouir
les partisans d’un arrêt rapide, ou même lent, du recours à l’énergie
nucléaire pour l’électricité puisqu’il ne mentionne aucune perspective
de ce genre. Ni même un quelconque bémol à l’usage du nucléaire à long
terme.
Politique énergétique
En revanche, il permet d’interroger le
gouvernement quant à sa politique énergétique, climatique et pour
l’électricité. Le recul, déjà acté, de l’objectif de limiter la
production d’électricité nucléaire à 50% du total à 2030, contre environ
75% aujourd’hui, et non 2025 comme prévu par la loi Transition
énergétique et croissance verte votée sous Hollande, ne fait pas une
politique de long terme (1). Surtout pour la composante nucléaire dont
les temps de réalisation et d’exploitation des outils de production se
comptent en décennies et la gestion des déchets en activité séculaire.
Or, il semble que le gouvernement d’Emmanuel Macron, pour agir
sérieusement sur ce sujet, devrait mieux prendre en considération
quelques questions clés :
► le cycle du combustible nucléaire.
L’industrie concernée a fait les investissements nécessaires à
l’extraction de l’uranium, sa conversion et son enrichissement (usine
Georges Besse 2 au Tricastin en particulier). Mais l’aval du cycle, avec
le choix du retraitement et du recyclage autant que possible du
plutonium extrait, suppose, pour équilibrer les flux entre arrivée de
combustible usé et sortie sous forme de MOX que les réacteurs capables
de l’utiliser soient en nombre suffisant. Aujourd’hui, seuls les
réacteurs de 900 MW, les plus vieux, sont autorisés à le faire. L’EPR de
Flamanville le sera aussi. Mais décider l’arrêt rapide des 900 MW
aboutirait à engorger le système. Quant à arrêter avant des réacteurs
plus récents et plus puissants à la place, ce serait du sabotage
économique.
Piscine de stockage des combustibles usés,La Hague (Orano)
Planifier le futur du parc de réacteurs en tenant compte de cet impératif de l’équilibre est une nécessité récemment soulignée par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (après de multiples alertes sur ce point lancées par l‘ex-Haut Commissaire à l’énergie atomique, Yves Brechet, y compris en audience devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques). Il ne semble pas que le gouvernement ait réellement pris conscience de cette nécessité.
►Disposer de l’atout nucléaire sur la longue durée suppose d’organiser le mieux possible l’introduction des futurs EPR au fur et à mesure de l’arrêt de réacteurs les plus anciens. Le mieux possible d’abord en sûreté sous la surveillance sévère de l’ ASN.
Mais aussi en termes industriels, et d’abord pour la construction de
ces réacteurs. La « chance » financière, c’est qu’il ne sera pas
nécessaire de suivre un rythme aussi rapide que la construction du parc
actuel, ce qui permet le lisser les besoins financiers d’investissement.
Mais il y a un revers industriel : l’outil de production des
équipements lourds et le savoir-faire des ingénieurs et techniciens
doivent être entretenus sur une plus longue durée. C’est ce savoir-faire
qui a fait défaut pour la construction de l’ EPR de Flamanville. Cela a
coûté très cher, accentué par la mauvaise gestion du chantier par la
direction d’EDF. Pour la suite, il convient de planifier les futurs EPR
en tenant compte de cet aspect décisif (on voit bien que les Chinois ont construit leur EPR bien plus vite que les Français).
Cela suppose une feuille de route sur 30 ans. Où est-elle ? EDF peut
l’écrire, mais si elle n’est pas validée par le pouvoir politique, elle
n’a aucune valeur.
►Le recours au nucléaire au delà de la moitié du 21ème siècle
relève de la prospective. Donc pas des certitudes. Mais si nul ne peut
savoir quel sera la place du nucléaire dans le mix électrique Français,
Européen et mondial à la fin du 21ème siècle, il serait très imprudent
de décider maintenant d’agir comme si elle devait décliner puis
disparaître. Or, dans le cas inverse, il est nécessaire de disposer
d’outils pour s’y préparer. Deux outils semblent indispensables. Tout
d’abord un réacteur de recherche dont les capacités d’irradiation de
matériaux permettent les tests nécessaires. C’est le réacteur Jules Horowitz en construction à Cadarache.
Là aussi, le chantier a souffert de pertes de compétences engendrées
par l’absence longue d’activité, par exemple pour la structure du cœur
du réacteur pour laquelle l’ex-Areva et ses sous-traitants ont été en
difficulté. Il faut le terminer au mieux (surtout qu’en bonus il
fournira à la médecine les précieux isotopes utilisés en diagnostic
auparavant fabriqués par le réacteur Osiris à Saclay, aujourd’hui arrêté).
Mais il y a aussi la suite possible,
représentée par les réacteurs dits « à neutrons rapides », dans le
double objectif de multiplier par 50 l’électricité que l’on peut tirer
d’une même quantité d’uranium naturel, mais aussi de gérer les stocks de
plutonium en les fissionnant en fin de cycle afin de réduire au maximum
ce qui pourrait devenir un déchet ultime. La Russie et la Chine sont
aujourd’hui en pointe sur ce sujet, avec un réacteur de 800 MW en opération dans le premier pays et un de 600 MW en construction dans le second.
Les équipes françaises demeurent toutefois les plus performantes sur
les combustibles de ces réacteurs. Or, il semble que la feuille de route
donnée au nouveau Administrateur Général du CEA, François Jacq, annonce
l’abandon du projet Astrid
de réacteur rapide, même à puissance réduite, et la dispersion des
équipes travaillant sur ce sujet. Un tel retournement de stratégie
mérite un débat approfondi, car la France prendrait le risque d’une
perte définitive de compétences sur un enjeu majeur si cette abandon
était confirmé.
Sur tous ces sujets dont la temporalité
excède de très loin les calendriers politiques et les visions budgétaire
à court terme, le gouvernement demeure dans des indécisions qui
reviennent à s’enfermer dans les contraintes techniques des choix
passés. On se demande du coup où se niche l’ambition climatique dont se
pare le Président de la République.
(1) Un chiffre plutôt étrange d’ailleurs,
puisque son intérêt, son objectif et le calcul d’où il sortirait ne
sont pas connus. L’intérêt ? Les partisans d’un arrêt total du nucléaire
ne le voient que comme une étape vers 0%. C’est donc logique. Mais le
gouvernement actuel, comme le précédent, dit que ce n’est pas son
objectif. Du coup, pourquoi 50%, et pas 45% ou 60% ? Aucun calcul
technico-économique n’est venu à l’appui de ce chiffre et encore moins
du calendrier annoncé comme à la nouvelle date. Bref, il ne subsiste que
la piste politicienne (c’est un « bon chiffre » de communication
politique) pour expliquer ce curieux 50% dont le calendrier a déjà
explosé en vol. Il serait temps d’aborder cette question avec plus de
sérieux afin d’établir un objectif évolutif dans le temps, en liaison
avec l’ensemble des enjeux de la politique énergétique et climatique et
tenant compte des réalités industrielles et financières de la filière
nucléaire comme des impératifs de sûreté.
php
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