Finistère, Douarnenez : Joséphine Pencalet, une "Penn sardin" à la mairie en 1925

Mathilde Larrere

Allez je vous raconte l’histoire d’une femme assez franchement extraordinaire, une bretonne, une ouvrière, et l’une des 1ère femmes élue en France, avant même le droit de vote des femmes Joséphine Pencalet.



L'élection
On est le 6 mai 1925 l’humanité titre : : « Douarnenez, toujours à la pointe du combat social, a élu triomphalement une femme ! » C’est Joséphine Pencalet ! Elle a 39 ans.

Joséphine Pencalet – dont le patronyme signifie « tête dure » en breton – est la première femme non seulement candidate mais élue à Douarnenez, la première femme élue à l'échelle de la Bretagne et l’une des premières élues en France ! Et ce alors, qu’on est donc 20 ans avant le droit de vote et d’éligibilité des femmes !



Qui est Joséphine Pencalet ?
Née en 1886 dans une famille nombreuse de marins pêcheurs, elle est devenue ouvrière. Ouvrière à la conserverie de sardine, une Penn sardin comme on les appelle en raison de leur coiffe.



La ville de Douarnenez a une l’économie tournée vers la pèche et la conserve, avec une répartition bien genrée des taches, les hommes en mer, les femmes à l’usine.



Des usines où les conditions de travail sont particulièrement difficiles et les salaires très bas. A 80 centimes de l’heure, les sardinières sont purement et simplement exploitées. A titre de comparaison, le kilo de beurre est à l’époque à 15 francs.


Or justement, les usines de sardines connaissent d’importants mouvements sociaux, des grèves de femmes dont on parle peu, notamment une grande grève de novembre 1924 à janvier 1925 pour une augmentation salariale.



Joséphine y joue un rôle important et devient même secrétaire-adjointe du bureau du Syndicat des Métaux de Douarnenez, affilié à la CGTU (le fait qu’elle soit veuve explique pour partie la place qu’elle a pu prendre). Au niveau local, national, les sardinières reçoivent le soutien d’ouvriers, de syndicalistes, de politiques... (ci dessous la lettre d'un patron au préfet où il se plaint de la "gréviculture communiste " tout en évoquant « mes femmes d’usine » en parlant de ses ouvrières.).




La grève est aussi soutenue par la municipalité, communiste, qui organise des soupes populaires. Et au bout de 7 semaines de grève difficile, c'est la VICTOIRE ! Début janvier 1925, les patrons cèdent !



Pour conclure le mouvement, une manifestation de joie et un grand bal sont organisés dans la ville. 5000 personnes y participeront. Et l’élection municipale de mai 1925 est l’occasion de transformer politiquement l’essai marqué syndicalement. Or en 1925, les ordres de Moscou sont qu’il faut défendre le droit de vote des femmes et les porter candidates sur les listes ! Il s'agit pour les communistes de s'engouffrer dans une brèche du code électoral : si la loi de 1884 interdit en effet aux femmes d'êtres élues, elle ne les empêche pas explicitement d'être candidates. D’ailleurs, il y a eu plusieurs femmes candidates depuis le suffrage Universel masculin, Pauline Roland en 1848, Jeanne Deroin en 1849 par exemple.



Le contexte politique est favorable qui plus est : la question du vote des femmes a été posée à maintes reprises à la chambre des députés en 1924-1925. Le Sénat faisant à chaque fois blocage.





Il s’agit aussi pour le PC de doubler les associations de suffragettes, plutôt réformistes et bourgeoises, et critiquées pour cela. Voici ce qu’écrit le journal La Bretagne communiste par exemple :



L'hebdomadaire catholique Le Progrès du Finistère formule en revanche une critique acerbe à l'égard de la candidature de Joséphine Pencalet, où se mêle anticommunisme et antiféminisme :



Des femmes sont donc portées sur des listes municipales communistes, un peu partout en France. Bon cela étant dit, on les a mis sur les listes, mais il n’y a pas trace d’elles à la tribune dans les meetings…



Reste donc que Joséphine Pencalet est élue, au premier tour ! Comme d’autres femmes Marthe Tesson (Bobigny), Marie-Julienne Chaix (Saint-Denis), Mme Chapon (Villejuif), Augustine Variot (Malakoff), Émilie Joly et Adèle Métivier (Saint-Pierre-des-Corps). La presse nationale porte un intérêt limité à ces premières élues, les signalant généralement sans les nommer, sans les comptabiliser précisément et comme une incongruité sans lendemain. Les procédures en annulation trainent ce qui fait que les nouvelles conseillères municipales s’installent et commencent à bosser ! Bon, on leur souvent refilé... les commissions d'hygiène et des affaires scolaires pour J. Pencalet, attributions bien féminines…
Mais l’élection de Joséphine Pencalet est annulée le 16 juin par le Conseil de préfecture. Joséphine Pencalet fait appel de cette décision en introduisant une requête devant le Conseil d’État. Cette requête est la première du genre sur laquelle celui ci est amené à se prononcer. Il tranche par la négative en novembre. Reste que les archives conservent de nombreux documents où apparaissent des ratures, témoignage sans doute de l’embarras de ses membres. Mais bon là, ce qui est à la fois si emblématique, et triste, c’est que tout le monde s’en fout de cette annulation. La presse locale n’en parle pas, le PC local comme national n’en parle pas… Exit Joséphine Pencalet…

Elle disparaît de la vie politique locale, des archives, réduite au silence comme tant de femmes… oubliée avant que l’on se souvienne finalement d’elle, mais après sa mort en 1972, elle avait 85 ans.

Pour compléter

à lire
De l’usine au Conseil d’État, l’élection de Joséphine Pencalet à Douarnenez (1925)
« Joséphine Pencalet, une Penn Sardin à la mairie », de Fanny Bugnon, publié dans «Bretonnes, des identités au carrefour du genre, de la culture et du territoire», collectif, éd. PUR, 2016.
La révolte des sardinières de Douarnenez en 1924 – Les grèves en Pays Bigouden en 1926-27

à écouter
Fanny Bugnon raconte Joséphine Pencalet, 1ère élue en Bretagne


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