Si, le nucléaire doit contribuer à sauver le climat!

Par Jean Doutefort
Blog : Le blog de Jean Doutefort
12 oct. 2018
 
Lettre ouverte aux signataires de la dernière tribune anti-nucléaire des MM Laponche et Dessus publiée par Alternatives économiques. En espérant sans trop y croire qu'elle sera vraiment la dernière.

Lecteur assidu, et abonné, de la revue Alternatives économiques, revue de grande qualité lorsqu'elle ne traite pas d'énergie, j'ai pris connaissance de la tribune "Non, le nucléaire ne sauvera pas le climat" à laquelle vous vous êtes associés. Comme certains d'entre vous, j'en suis atterré. Car le jour même où je découvrais le texte de MM. Laponche et Dessus, le GIEC publiait un rapport aboutissant à des conclusions sensiblement différentes, pour ne pas dire parfaitement opposées. J'ai longtemps hésité entre les affirmations de votre tribune , soutenues par un panel des plus brillants économistes du lobby antinucléaire français et les démonstrations des experts internationaux du GIEC, sans doute moins brillants, plus besogneux, mais sachant de quoi ils parlent. J'ai finalement opté pour la deuxième option, permettez moi de vous expliquer pourquoi.

L'affirmation centrale de MM. Laponche et Dessus tient en peu de mots: "cette filière n’a aucune chance d’apporter une solution à la hauteur des enjeux climatiques au niveau mondial dans les délais nécessaires (d’ici 2030 ou 2040)". Pourtant, le GIEC, dans son rapport , a étudié quatre scenarii pour limiter le réchauffement à 1,5 °c et son analyse est claire: "Dans la production d'électricité, les modèles retiennent une part du nucléaire et des hydrocarbures avec captation de carbone croissante dans la plupart des scenarii."

En fait, les arguments apportés par MM. Laponche et Dessus ne sont pas nouveaux. Ces messieurs, sont de grands spécialistes du recyclage des matières anti-nucléaires. Passons sur les plus usagées tels les risques d'accident, la prolifération et les déchets. Nul ne met en doute qu'ils soient des préoccupations majeures. Mais doit-on renoncer ou se donner les moyens de maîtriser? Quarante ans d'expérience et de débats ont montré qu'il existait des solutions: la maîtrise publique, les accords internationaux, les nouvelles technologies de production et la recherche.

L'argument un peu plus à la mode avancé par nos deux auteurs est que la contribution du nucléaire à la limitation des émissions de gaz à effet de serre serait marginale puisqu'elle ne permettrait d’éviter que 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! Petite supercherie qui pourrait tromper un lecteur peu attentif. Rapporter la contribution du nucléaire à l'ensemble des émissions n'a pas de sens. Car le nucléaire ne contribue qu'à limiter les émissions dues à la production d'électricité. Il n'a pas vocation à se substituer au kérosène des avions ni à réduire le méthane des pets de vaches. C'est pourtant ce que voudraient nous faire croire ces messieurs. Sans les quelque 2500TWh d'électricité nucléaire, les émissions annuelles de CO2 du parc électrique mondial pourraient être supérieures de 1.5 à 2,5 milliards de tonnes. Ce qui n'est pas marginal, quand "tout dixième de degré compte" comme l'a déclaré Roland Séférian, co-auteur du rapport du GIEC. Et si MM. Laponche et Dessus qualifient le nucléaire de "marginal", que devraient-ils dire de l'éolien et du solaire qui pèsent deux fois moins dans la production mondiale d'électricité!

En fait, MM. Laponche et Dessus tirent leur argumentation d'un rapport publié par WISE en 2015 "L'option nucléaire contre le changement climatique" . Ils en reprennent mot pour mot les principaux arguments. Mot pour mot? Pas tout-à-fait. MM. Laponche et Dessus concluent leur contribution d'un péremptoire "Non, le nucléaire ne sauvera pas le climat!" Le rapport qu'ils plagient , lui, présente une conclusion plus nuancée: "Le nucléaire, si ses risques parvenaient à être maîtrisés et si ses plus faibles émissions de carbone que les énergies fossiles lui permettent d’avoir une certaine efficacité, ne peut cependant pas suffire à lui seul à faire face au changement climatique et doit, s’il est employé, être combiné à d’autres options."
Conclusion tout à fait sage. Personne n'a jamais dit qu'à lui seul le nucléaire résoudrait le changement climatique. Mais prétendre qu'il ne peut y contribuer en rien est , au mieux, un aveuglement ridicule, au pire une malveillance coupable.

Malveillance illustrée à grand renfort de perspectives cauchemardesques: "Il faudrait ... pour ...atteindre des chiffres de l’ordre de 10% des émissions évitées, démarrer un nouveau réacteur chaque semaine". Lequel d'entre nous ne se sentirait pas interpellé par une telle perspective? Peut-on imaginer pire ?

Oui.

Oui, car atteindre ces mêmes 10% des émissions évitées avec de l'énergie éolienne supposerait de démarrer une nouvelle éolienne tous les quarts d'heure!!! Et encore, en priant pour que le foisonnement compense l' intermittence, sinon il faudrait encore ajouter deux à trois centrales à cycle combiné au gaz chaque semaine, compromettant définitivement l'objectif initial. Est-ce préférable? Tout cela n'est pas sérieux.

L'approche des experts du GIEC est à la fois rationnelle et pragmatique: réduire les émissions de gaz à effet de serre pour rester en deçà des 1.5 °de réchauffement en passera par tous les moyens à notre disposition et le nucléaire est de ceux là. Le nucléaire n'est pas un mal nécessaire, pas plus que la prostitution ou les œuvres de Bernard Laponche. C'est une filière industrielle qui, comme toute autre , présente des risques et produit des déchets. Il s'agit de les maîtriser plutôt que de renoncer à ses bénéfices

Les dernières convulsions de MM. Laponche et Dessus sont très loin des défis planétaires qu'ils prétendent relever. MM. Laponche et Dessus se moquent bien du changement climatique. Leur objectif est tout autre: en finir avec le nucléaire en France! Et ce, quelque soit l'argumentation. Il y a vingt ans , c'était les déchets, il y a huit ans Fukushima, aujourd'hui le climat. C'est une phobie qu'ils ont contracté très tôt et qui paralyse leur rationalité depuis un demi-siècle. Car on ne peut s'empêcher de remarquer que bien que partant de considérations mondiales, ils atterrissent très vite sur des récriminations bien franco-franchouillardes qui occupent plus de la moitié de leur tribune. EDF, Areva, l' ASN, toutes les vieilles haines ressortent.

Bien sûr, EDF est en difficulté pour maîtriser ses chantiers. Est-ce la faute de la technologie nucléaire ou d'une perte de savoir faire consécutive aux politiques commandées par le marché devenu roi? Bien sûr Areva a failli. Est-ce la faute de la technologie nucléaire ou des errances de Madame Lauvergeon? Les analyses de MM. Laponche et Dessus sont décidément bien courtes. Quoiqu'ils en disent, le nucléaire n'est pas en déshérence et la France n'est pas isolée dans ses choix nucléaires . C'est faire preuve d'une singulière ignorance de la situation mondiale. A moins que cela ne relève de la méthode Coué. Près de 60 réacteurs sont en construction dans une quinzaine de pays. Et d'autres Etats y viendront qui ne demanderont pas leur avis à MM. Laponche et Dessus. D'autres que nous, les chinois, les russes, maîtrisent parfaitement le développement nucléaire. Et ce sont eux qui satisferont la demande mondiale. Le risque d'accident ou de prolifération au niveau mondial ne sera nullement diminué, mais grâce à la persévérance de MM. Laponche et Dessus, la France aura enfin perdu sa dernière filière industrielle d'excellence, après la sidérurgie, l'aluminium, l'électronique, l'électromécanique et le ferroviaire.

Alors, à part fermer le nucléaire en France, que nous proposent-ils pour répondre à l'urgence climatique réaffirmée par le GIEC? Un tripode "Sobriété, efficacité, renouvelables". En commençant par sobriété. Et ce glissement sémantique n'est pas anodin. Il y a peu encore, on insistait sur l'efficacité, c'est à dire "consommer moins pour une même satisfaction ". Saine démarche, mais pas si simple. MM. Laponche et Dessus à l'instar de leurs griefs au nucléaire, ignorent presque tout des coûts, des délais et des filières industrielles et de service à mettre en place dans ce but. Aussi se rabattent-ils sur "sobriété".
Mais dans sobriété, il ne reste que "consommer moins". Comment MM. Laponche et Dessus comptent-ils y parvenir? Dans les pays riches on l'imagine assez bien. De sobriété à restriction , il n'y a qu'un pas. Et deux jusqu'à prohibition. Ce sera sans doute moins brutal que dans l'Amérique des années vingt. Cela se fera par l'impôt. Et ce seront toujours les plus défavorisés qui trinqueront.

Mais dans les pays en développement? Il faut bien le mépris du riche pour proposer "la sobriété " à une moitié de l'humanité ou deux milliards d'êtres humains n'ont même pas accès à une énergie moderne pour les besoins alimentaires les plus simples. Et deux millions d'entre eux en meurent chaque année rappelle régulièrement la Banque Mondiale.
Que peut-on économiser là où il n'y a rien? Même si les pays développés réussissaient à réduire significativement leur consommation d'énergie, un développement équitable nécessiterait une forte augmentation de la consommation , notamment d'électricité, dans le reste du monde. Ce serait au mieux un jeu à somme nulle. MM. Laponche et Dessus ne semblent pas très sensibles au sort de ces populations si loin de la Hague et de Bure qui restent leur petite obsession.

A moins que leur solution ne soit le troisième pied de leur tripode: les énergie renouvelables. Mais qui investira pour couvrir l'Afrique d'éoliennes dans le seul but de satisfaire des besoins insolvables? Certainement pas les groupes privés qui dominent le secteur. Car si l'énergie éolienne s'est développée au cours de ces dernières années, c'est surtout en raison de profits qu'elle génère , souvent alimentés par des subventions publiques. Ce qui explique que l'Afrique ne représente pas 1% de la capacité installée mondiale quand les pays du nord en concentrent près de 50%. Allons nous, comme le proposent MM. Laponche et Dessus, continuer à couvrir l'Europe d'éoliennes pour entrer dans "la modernité énergétique"? Car naturellement , MM. Laponche et Dessus ne doutent pas de la modernité de leur propositions et du passéisme de celles de leurs contradicteurs. Allégation éculée car tant de fois assénée... Comme il existe des points Godwin pour l'utilisation abusive du qualificatif de "nazi", ne faudrait-il pas créer des points Laponche pour usage excessif de l'argument de "modernité"?

Il faut raison garder. Personne ne souhaite parsemer le monde de centrales nucléaires, mais il est tout aussi extravagant de vouloir couvrir la terre d'éoliennes. Naguère, l'aveuglement conduisait à se battre contre des moulins à vent. Aujourd'hui, il consiste à se battre pour. A chacun sa modernité.

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