Greenpeace, ou l’écologie partisane

Maxence CordiezFollow
2018/10/ 15
Ingénieur



Les ONG environnementales ont un rôle à jouer dans le débat public. Pourtant, comme l’illustre Greenpeace, rien ne garantit a priori la neutralité ni même la rigueur scientifique de leurs positions. Il convient donc de toujours garder un regard critique quant à leurs annonces.

Le 28 septembre, l’ONG Greenpeace a publié une étude comparative des fournisseurs d’électricité, censée arbitrer entre ceux qui proposeraient de l’électricité « verte » et les autres. Cette étude engagée se révèle très souple avec la réalité.

Qu’est-ce que de l’électricité « verte » ?
La question se pose. En effet, aucune source d’énergie n’est neutre pour l’environnement. Si cela semble évident pour les énergies fossiles du fait de leur contribution au changement climatique, ça l’est aussi du nucléaire et des énergies renouvelables. Pour leur fabrication, les panneaux photovoltaïques nécessitent par exemple beaucoup de matière en regard de l’électricité produite, qui doit être extraite de mines et transformée avec de l’énergie (charbon essentiellement).
Pour Greenpeace, les énergies « vertes » sont les énergies renouvelables. En pratique, dans la notice méthodologique jointe à l’étude[1], l’ONG explique attribuer une note sur 5 (++, +, +/-, - ou --) à chaque technologie en fonction de ses émissions de CO2 et de ses externalités environnementales. Cette dernière notion, aussi vague que vaste, n’est pas définie dans la notice et peut donc être considérée comme arbitraire.
Concentrons-nous sur l’empreinte carbone de chaque technologie, c’est-à-dire la quantité de CO2 émise par unité d’énergie produite. Elle est aisément vérifiable par comparaison avec les données publiées par le GIEC (référence internationale)[2]. L’ONG attribue une note (++) au solaire photovoltaïque mais (+/-) à l’énergie nucléaire, quand pour le GIEC le premier émet en moyenne quatre fois plus de gaz à effet de serre que la seconde sur la totalité du cycle de vie ! On pourra également s’interroger quant à la note (+) attribuée aux centrales à biomasse alors qu’une étude scientifique récente parue dans Nature Communications pointe le risque que cette technologie « accroisse grandement le carbone aérien pendant des décennies » et promeuve la déforestation[3].




Figure 1 — Intensité carbone de plusieurs sources d'énergie électrique, sur le cycle de vie (d'après des données du GIEC et de RTE)

Juge et partie ?
En réalité, le parti pris de l’ONG, la conduisant à faire preuve d’une souplesse osée avec la réalité, peut s’interpréter de plusieurs manières. L’association, fondée en 1971 pour lutter contre les essais nucléaires militaires, a toujours été farouchement antinucléaire (quitte à modifier les faits si ceux-ci, tels l’intensité carbone de cette source d’énergie, ne correspondent pas à leur argumentaire).
Ensuite, c’est là que ça devient particulièrement intéressant, Enercoop, fournisseur d’électricité co-fondé en 2005 par Greenpeace, occupe la première marche de ce classement… réalisé par Greenpeace ! On comprend pourquoi EDF, en dépit de son énergie parmi les moins carbonées d’Europe, se retrouve à la dernière place.

Les limites des offres 100% renouvelables
Quand un client souscrit une offre 100% renouvelable auprès de son fournisseur d’électricité, ce dernier s’engage à posséder des garanties d’origine attestant qu’une quantité d’électricité renouvelable au moins équivalente à la consommation a été injectée sur le réseau. Notons que ce n’est pas forcément le fournisseur qui l’aura produite, celui-ci peut s’être contenté d’acheter un certificat auprès d’un producteur d’énergie renouvelable et vendre une électricité produite autrement (c’est d’ailleurs ce que reproche Greenpeace au système).
Mais la limite principale ne se situe pas là. À la fin de l’année, une quantité d’électricité renouvelable au moins égale à la consommation des souscripteurs aura été injectée sur le réseau. Cependant, le client veut pouvoir utiliser de l’électricité même les nuits sans vent, quand ni le solaire ni l’éolien ne produisent. Or les capacités hydroélectriques françaises sont limitées et l’électricité se stocke mal. La plupart du temps, il devra donc quand même consommer de l’électricité nucléaire ou fossile. Projetons-nous dans le cas extrême où tous les particuliers et entreprises souscriraient de tels contrats. On aurait alors de fortes surcapacités à midi et lors d’épisodes venteux, et une production électrique très faible le reste du temps. Ce système fonctionne donc tant que ceux qui l’utilisent sont minoritaires…

En conclusion
Si l’on a tendance à se méfier naturellement (et à raison) des « lobbies » industriels, notre vigilance est souvent amoindrie vis-à-vis des ONG. Cela étant, rien ne garantit leur neutralité ni leur rigueur scientifique. Les ONG environnementales défendent la vision qu’ont leurs membres de l’écologie. Or, l’enfer est pavé de bonnes intentions, surtout quand on touche à des sujets techniquement complexes et subtils tels que la stratégie énergétique.
Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur le travail des ONG, qui mènent pour beaucoup des combats salutaires (même Greenpeace pour certaines de ses campagnes). Il convient seulement de garder à l’esprit qu’il s’agit d’organisations militantes, pouvant obéir à de louables intentions, mais dont l’action ne repose pas nécessairement sur des fondements scientifiques et n’est astreinte qu’à la rigueur qu’elles-mêmes s’imposent.


[1] Marché de l'électricité : Qui sont les fournisseurs les plus verts?, Notice méthodologique, Edition 2018 du classement Greenpeace France

[2] Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change, Intergovernmental Panel on Climate Change, 2014

[3] T. D. Searchinger, T. Beringer, B. Holtsmark, D. M. Kammen, E. F. Lambin, W. Lucht, P. Raven et J.-P. van Ypersele, Europe’s renewable energy directive poised to harm global forests, Nature Communications 9, 3741 (2018)

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