Les Vues imprenables vous invitent à prendre connaissance des témoignes des différents acteurs de l' énergie qui se sont succédés devant la Commission. Chacun à leur manière et selon leurs intérêts particuliers décrivent remarquablement la chronique annoncée d'un suicide climatique, économique et écologique pour la population et la France dont le nom est Transition énergétique. Ils confirment aussi que plus personne ne s'est comment arrêter la "machine" à perdre et comment revenir en arrière.
Les nuisances sanitaires ne sont pas abordées dans ces premiers témoignages.
Plus dure sera la chute!
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Compte-rendu de réunion n° 9 au n° 11
Morceaux choisisp64
M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence.
M. le président Julien Aubert : par leurs objets, ces deux avis paraissent liés. Ils révèlent de profondes divergences de méthode et d’analyse sur les situations de marché entre la CRE et l’Autorité de la concurrence. Dans son communiqué de presse officiel du 25 mars, l’Autorité de la concurrence « déconseille d’augmenter les tarifs réglementés de vente sans clarifier au préalable les objectifs qu’ils doivent poursuivre ». En cela, l’Autorité de la concurrence se déclare opposée à l’entrée en vigueur prochaine de l’augmentation calculée par la CRE. Le même communiqué de presse précise la philosophie de l’Autorité de la concurrence en affirmant qu’« augmenter les TRV [Tarifs Réglementés de Vente] et les utiliser pour pallier les limites de l’ARENH » fait « supporter la charge financière aux consommateurs plutôt qu’aux fournisseurs et semblerait donc contraire à la volonté du Parlement ». Selon l’Autorité de la concurrence, il est nécessaire, avant de procéder à l’augmentation que prône la CRE, d’engager une réflexion approfondie sur l’évolution du marché de l’électricité et d’en tirer des conséquences. Nous souhaiterions savoir si vous considérez, par exemple, que les énergies renouvelables (EnR) ont un rôle important dans l’évolution à la hausse des tarifs réglementés, que ce soit directement, par la production et son impact sur les marchés de gros, ou indirectement, par exemple par l’effet que cela peut avoir sur le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), ou même, de manière plus générale, à travers des dispositifs comme les certificats d’économie d’énergie (CEE). Vous voudrez bien, monsieur Berkani, nous faire part de ce qui, selon les analyses de l’Autorité de la concurrence, devrait aller dans le sens d’une meilleure adaptation du cadre juridique de la régulation aux évolutions du modèle économique du marché de l’électricité, lequel est pris entre l’évolution du mode de production et celle de la structuration du marché, avec des fournisseurs alternatifs qui se nourrissent de l’électricité nucléaire et qui proposent des offres dites « de marché ». Ces fournisseurs ont acquis 25 % des parts de marché auprès des particuliers et presque 40 % pour les sites non résidentiels à finalité professionnelle ou industrielle. L’ ARENH [ Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique] a été conçu, dès l’origine, comme un dispositif transitoire d’accompagnement du marché. Son terme est prévu en 2025. Ne conviendrait-il pas de ramener cette échéance à une date moins lointaine ? Nous aimerions également que vous nous aidiez à résoudre ce mystère : comment se fait-il que la concurrence, qui est censée faire baisser les prix, provoque plutôt, si on en juge par les résultats, une augmentation ? Par ailleurs, et alors qu’on n’est pas censé subventionner des entreprises dans un marché concurrentiel, comment se fait-il que certains modes de production le soient lourdement ? Cela ne fausse-t-il pas le jeu de la concurrence ?
M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence : Comme vous l’avez souligné, ces deux avis ont des points communs. Je ne pense pas qu’il faille se focaliser sur les divergences avec la CRE : il vaut mieux s’intéresser à ce qui ressort de ces avis. En l’occurrence, ce que nous apprennent nos réflexions et les discussions qui ont eu lieu au cours de l’élaboration de ces avis, c’est que le dépassement du plafond de l’ ARENH témoigne du fait que le système actuel de régulation a montré ses limites. En effet, dans notre pays, la situation est particulière, ce qui nous amène à composer pour mettre en place le système de régulation de l’électricité – du reste, on ne retrouve pas les mêmes problèmes pour le gaz. La commission Champsaur avait posé les bases de la loi NOME, et elle disait très clairement dans son rapport que, de son point de vue, le nucléaire n’était pas ce qu’on appelle une « facilité essentielle ». Dans les discussions qui s'en sont suivies, on a bien vu qu’il y avait une difficulté, ce que l’on appelle une « défaillance de marché » – le terme n’étant, d’ailleurs, pas forcément péjoratif. Le nucléaire crée des avantages non réplicables ayant des conséquences sur le fonctionnement du marché, conséquences que le droit de la concurrence, c’est-à-dire le contrôle ex post des pratiques anticoncurrentielles, ne peut ou n’entend pas résoudre. Le droit de la concurrence, c’est-à-dire le contrôle ex post des pratiques concurrentielles, ne peut pas traiter lui-même ces conséquences. C’est dans ce type de cas que l’on a besoin d’un système de régulation. [...]
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En ce qui concerne l’Autorité de la concurrence, la question de savoir ce que l’on devait faire s’est posée dès 2015. Fallait-il considérer que l’ ARENH était un dispositif transitoire, que l’on irait jusqu’au bout de ce dispositif mais que l’on s’arrêterait là ? Dans ce cas, il fallait commencer à anticiper une sortie progressive du dispositif. Ou bien, si l’on se rendait compte que le dispositif n’avait pas fonctionné ou, en tout cas, qu’il n’avait pas atteint tous les objectifs voulus, il fallait penser déjà au coup d’après. Dès cette époque, il nous semblait important de se positionner sur la poursuite ou non de l’ ARENH. En 2019, nous faisons face à une situation inédite dans laquelle le plafond de l’ ARENH est dépassé à un moment où – cela n’a pas toujours été le cas, comme en 2016 – le prix sur les marchés de gros est supérieur à celui de l’ ARENH. On voit bien qu’il y a une difficulté : ce système ne parvient pas à atteindre en même temps les différents objectifs qui lui ont été fixés. C’est une transposition du triangle d’incompatibilité : on ne peut pas avoir en même temps, dans le système actuel, un plafond qui reste fixé à ce niveau, des tarifs réglementés qui n’augmentent pas et protègent le consommateur, et des alternatifs qui peuvent entrer sur le marché et proposer des offres concurrentielles par rapport à EDF. Le point commun entre les deux avis que nous avons rendus est que nous sommes dans une situation dans laquelle on sent bien la tension entre les objectifs de la loi. On voit qu’il y a une difficulté et que la seule façon de la surmonter, en réalité, est de passer par la loi. Les principales composantes des objectifs ou des façons d’arriver à les réaliser sont, en effet, fixées par la loi. C’est une des difficultés avec le décret qui fait l’objet de notre premier avis. D’abord, l’esprit qui anime ce décret est présenté, en partie, comme résultant du jeu du droit de la concurrence. Sur ce point, nous essayons d’expliquer la différence entre, d’une part, les objectifs du droit de la concurrence et ce qu’il permet de faire et, d’autre part, d’autres objectifs, notamment de régulation, qui ont été fixés par la loi en France. S’il faut les changer, c’est aussi dans ce cadre. On sent qu’il y a dans le décret un changement de nature du dispositif de régulation, qui est peut-être le bon ou non – c’est peut-être une partie de ce qui pourrait être fait –, mais on voit mal comment ce changement de nature pourrait être réalisé par décret, sans débat public, sans que le Gouvernement et le Parlement se positionnent sur les objectifs que le dispositif de régulation doit atteindre. Autre problème que l’on sent poindre, on risque d’avoir avec cette logique, comme vous l’avez rappelé, une confusion entre les objectifs que les différents outils de régulation doivent atteindre, à savoir l’ ARENH et les tarifs réglementés de vente. Quelles sont nos conclusions dans le cadre du second avis ? Elles sont assez similaires aux précédentes. Pour être honnête, et compte tenu du serment que j’ai prêté, je dois rappeler que si l’Autorité de la concurrence ne s’est pas prononcée sur les tarifs réglementés de l’électricité, elle l’a fait à propos de ceux du gaz, avant le début de la procédure qui a conduit à ce que l’on en recommande la suppression prochaine. L’Autorité de la concurrence n’est pas fondamentalement, ou à l’origine, la plus favorable à ce type de tarifs car ils distordent la concurrence. C’est une exception au droit de la concurrence, et ces tarifs doivent être bien encadrés. Nous nous sommes prononcés, je le répète, sur les tarifs du gaz, mais pas sur ceux de l’électricité.
Le débat a, de toute façon, été tranché et ce n’est pas à l’Autorité de la concurrence de décider si ces tarifs doivent être maintenus ou non. Ce n’est pas son rôle. La France a défendu leur maintien et elle l’a obtenu, notamment devant le Conseil d’État. Mais il y a une difficulté : si on l’a fait, c’était pour faire bénéficier le consommateur d’une stabilité des prix et, d’une manière générale, de la compétitivité du parc nucléaire français. Or on arrive à une situation dans laquelle la mise en œuvre des différents instruments de régulation aboutirait à ce que les tarifs réglementés ne remplissent pas leur objectif. Il nous a semblé qu’il fallait discuter de cette difficulté, de manière à ce que le Gouvernement puisse se prononcer sur la question de savoir si une telle situation est effectivement une conséquence nécessaire et que, dans ce cas, on dise clairement que les tarifs réglementés, à l’heure actuelle, ne peuvent plus atteindre leur objectif, mais aussi que le Parlement puisse éventuellement se prononcer sur cette question.
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M. le président Julien Aubert : Nous allons essayer de défricher un peu le terrain. Vous avez répondu très prudemment, et je vais maintenant vous poser des questions très précises.
L’Association nationale de défense des consommateurs et usagers dit que « pour maintenir la concurrence, on augmente les prix. Cela va à l’encontre de ce que l’on a présenté comme les bénéfices de la concurrence quand on a ouvert le marché. [...]. En fait, il s’agit d’augmenter le prix de l’électricité de telle sorte que le plus mauvais des fournisseurs privés puissent encore exister face à EDF. Ce n’est pas cela, la concurrence ». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
M. Umberto Berkani : Je n’ai pas les chiffres exacts, mais il me semble que les prix en France restent encore relativement attractifs et compétitifs par rapport au reste de l’Europe. Ensuite, il faut bien distinguer deux points dans notre analyse. Il y a une partie des augmentations de prix, notamment celles dont on discute actuellement, qui sont liées à une augmentation des coûts. S’ils augmentent, il n’existe pas d’autre solution que d’augmenter les tarifs. Il y a effectivement une partie de l’augmentation qui, de notre point de vue, revient à faire payer les consommateurs pour les limites du système de régulation et donc, d’une certaine manière, à faire supporter par eux, plutôt que par les fournisseurs, les limites de l’ ARENH. Si c’est ce que veut dire la deuxième partie de la citation, je suis d’accord.
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M. le président Julien Aubert : On ne fait pas la concurrence pour la concurrence, mais pour atteindre un objectif, dont je rappelle qu’il s’agissait d’avoir des prix plus bas pour le consommateur et des acteurs capables de concurrencer le nucléaire, ou en tout cas l’acteur nucléaire, avec des modes de production alternatifs. À la fin, on a une hausse des tarifs, et le premier objectif n’est donc pas tenu. Vous nous avez également dit que le deuxième objectif n’était pas atteint. Si je reprends votre triangle d’incompatibilité, vous nous dites en fait que l’on ne peut pas avoir des tarifs réglementés, l’ ARENH et la concurrence. Il m’a semblé comprendre, d’après ce que vous disiez, que les tarifs réglementés sont peut-être le fautif, ou plutôt que s’il fallait choisir et bouger sur un point, ce serait plutôt là, selon vous. J’ai l’impression que pour la CRE ce serait plutôt du côté de l’ARENH. J’ai envie de vous poser une question un peu provocatrice : vu les résultats de la concurrence, n’est-ce pas le troisième objectif qu’il faut faire sauter ?
M. Umberto Berkani : Jolie question… Nous n’avons pas de préférence en la matière. Je vous ai dit, pour que mes propos soient clairs et transparents, que nous avons indiqué en 2013 nos doutes, s’agissant du marché du gaz, sur les TRV et leurs conséquences pour le fonctionnement de la concurrence. Depuis, la question des TRV avait été réglée, du moins jusqu’à ce jour : le choix avait été fait, et validé juridiquement, de les maintenir dans un certain objectif et selon certaines modalités. Il y a effectivement une première question qui se pose : quid de l’ ARENH ? Dans son avis 19-A-01, de janvier 2019, l’Autorité de la concurrence a dit que la solution technique la plus simple, en première analyse, serait de modifier le plafond de l’ ARENH, même si cela présente quelques difficultés. La première est qu’il faut passer par la loi, ce qui ne se fait pas comme ça, même si j’ai bien vu qu’un amendement visant à remonter le plafond de l’ ARENH a été déposé dans le cadre de la discussion sur le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE). Lors de l’adoption de la loi NOME, on s’était demandé, notamment dans des échanges de lettres et dans les débats qui ont eu lieu, s’il faudrait augmenter le plafond à un moment. On pensait à l’époque que ce serait très lointain et même que cela n’arriverait pas, parce que tout irait bien quand on arriverait au plafond, mais la question peut se poser. Seulement, le plafond actuel repose sur un équilibre qui a été décidé lors de l’adoption de la loi NOME et, si l’on change le plafond, il est possible que cela change l’équilibre – si on modifie un tout petit peu le plafond, peut-être pas, mais si on le change beaucoup ou si l’on déplafonne complètement, on change vraiment le système. Une première solution consisterait à modifier l’ ARENH, effectivement. Le problème qui se pose, en ce moment, est que si on ne le fait pas, cela revient de fait à faire bouger les TRV et à changer leurs objectifs. Nous n’avons pas d’opinion à avoir sur ce point. Nous soulignons quel est l’objectif actuel des TRV et que si l’on augmente ces tarifs, il faut le dire et être clair sur le fait que, parmi tout ce que l’on pouvait changer, on a décidé de faire bouger les TRV. Le problème est qu’en agissant ainsi, on remet en cause leur objectif initial.
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M. le président Julien Aubert : Faire bouger signifie augmenter ?
M. Umberto Berkani : Bien sûr. Il reste votre troisième point : faut-il abandonner la concurrence ? Vous imaginez bien quelle va être ma réponse. (Sourires). Néanmoins, il y a effectivement une question à se poser, qui est sous-jacente et même presque explicite dans notre rapport de 2015 sur l’ ARENH et dans nos avis actuels : quelle concurrence veut-on, et sur quel bout du marché ? Il y avait dans la loi NOME, ou en tout cas dans l’ ARENH, trois objectifs – ils concernaient le consommateur, le marché de gros et le marché de détail, pour faire simple. Quand un système atteint ses limites, on doit se demander si l’on peut réaliser tous les objectifs fixés et, si on ne le peut pas, s’il faut les hiérarchiser. Dans notre avis de janvier 2019, on voit bien que le principal « focus » pour tout le monde reste le marché de détail, quitte à ce que la concurrence soit plus régulée ou régulée différemment sur le marché de gros. C’est alors que se pose la question de savoir quel est le type de marché et le type de concurrence que l’on veut avoir : a-t-on besoin de réguler et éventuellement de limiter la concurrence sur un bout pour en avoir un peu plus ailleurs ? Derrière, il y a la question de savoir ce que l’on fait du nucléaire. Dans le rapport de 2015 sur l’ ARENH, nous avons indiqué que pour favoriser le développement et le dynamisme du marché de détail il faudrait peut-être trouver un moyen de rendre plus neutre, ou plus isolée, la question du nucléaire.
M. le président Julien Aubert : Pouvez-vous préciser ?
M. Umberto Berkani : Je peux préciser différentes hypothèses, mais elles ont toutes des conséquences et elles doivent toutes être expertisées.
M. le président Julien Aubert : Nous essayons d’analyser les causes. Ce sont des mesures techniques, mais il faut nous expliquer – en tout cas, il faut m’expliquer : je parle en mon nom propre – ce que cela implique quand on choisit une option. Quand vous parlez de faire bouger l’ ARENH, je comprends que l’on donnera accès à des fournisseurs alternatifs à une part plus importante de l’électricité nucléaire, en espérant qu’ils puissent remonter l’amont pour devenir de véritables producteurs – tout en sachant que cela n’a donc pas fonctionné. Quelque part, cela revient à considérer de plus en plus l’énergie nucléaire, alors qu’on veut en sortir, ce qui est peut-être un sujet, comme un bien d’intérêt général servant de moteur de la concurrence pour d’autres énergies. J’aimerais que vous précisiez les conséquences de ce que vous proposez – ou évoquez.
M. Umberto Berkani : Merci pour cette dernière précision. (Sourires). La question est effectivement de savoir pourquoi on mettrait à disposition plus ou moins de nucléaire.Pour l’instant, on a vu qu’il n’a pas été possible pour les alternatifs de remonter la chaîne de valeur, notamment pour de l’énergie de base pouvant concurrencer le nucléaire.[...] Si c’est atteignable à court ou moyen terme et si c’est en accord avec le mix énergétique projeté pour dans quelques années, on peut se dire que le système peut continuer à fonctionner d’une manière transitoire et qu’il faut juste le recalibrer, soit dans le temps soit dans les montants, ou plutôt les volumes, pour aboutir à cet objectif. Si c’est possible, on est bien dans un système transitoire, quitte à ce que la transition dure plus longtemps. Si ce n’est pas possible, ou si la perspective est tellement lointaine que l’on rencontrera des difficultés, alors il faut se poser la question de savoir si l’on doit pérenniser l’ ARENH, ou son équivalent. [...] Dans le décret que nous avons analysé en janvier dernier, on voyait un peu ce schéma se profiler. Sur plusieurs points du décret, on observait plus de symétrie par rapport à EDF. C’est un choix possible. Néanmoins, de notre point de vue, il ne se fait pas par décret. Il y aurait en tout cas cette solution, qui consiste finalement à isoler un peu le nucléaire en amont, puis à assurer une égalité entre les différents producteurs. C’est généralement l’image que l’on a en tête pour une facilité essentielle ou une boucle locale : on isole ce qui est au-dessus.
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M. le président Julien Aubert : Que veut dire « isoler le nucléaire » ? C’est comme la louve romaine qui donne la tétée ?
M. Umberto Berkani : Isoler revient à considérer qu’il y a bien un marché en amont. Je ne suis pas sûr de bien saisir votre comparaison (Sourires), mais je vais quand même répondre à la question.
M. le président Julien Aubert : C’est le symbole de la louve qui donne la tétée aux petits louveteaux.
M. Umberto Berkani : EDF serait alors un louveteau à côté des concurrents alternatifs. Vous voyez bien que ce serait un changement assez radical du point de vue patrimonial. Sur le plan théorique, c’est néanmoins un des systèmes que l’on peut envisager. L’autre système serait de considérer le nucléaire comme une sorte de bien public. Tout consommateur aurait sa part de nucléaire dans sa facture. On répartirait son coût entre tout le monde et la concurrence se ferait sur le reste. Je m’explique : au lieu d’avoir des fournisseurs qui récupèrent une part du nucléaire et la revendent ensuite, il y aurait un service public du nucléaire, ou un service public de la base, car une partie de l’hydroélectricité pourrait éventuellement en faire partie. Une partie du tarif de la facture serait fixée là-dessus, sans que cela puisse représenter, compte tenu de notre parc de production, l’intégralité. Sur l’autre partie, 25 % ou 30 % du total, on choisirait un fournisseur – les gens se fourniraient auprès du meilleur fournisseur sur cette partie. On peut sans doute imaginer d’autres systèmes théoriques, mais l’idée est de dire, en gros, que si l’on doit pérenniser le fonctionnement de la concurrence, il faut bien admettre que le nucléaire change la donne sur le marché français et trouver une façon de le rendre neutre pour la concurrence sur le marché de détail.
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M. le président Julien Aubert : Il y a deux choses que je n’arrive pas vraiment à concilier.
D’un côté, on nous dit que les énergies renouvelables, ou en tout cas certaines d’entre elles, deviennent matures, que c’est une question d’années. Le président de la CRE nous a dit que tout le monde serait à un étiage compris entre 60 et 80 euros le mégawattheure. On serait plutôt tenté d’en tirer comme conséquence qu’il faut laisser l’éolien, le photovoltaïque et le nucléaire se concurrencer, en matière de prix. La logique serait de se dire, alors, qu’il faut enlever les petites roulettes – on a un tricycle aujourd’hui – pour que tout le monde soit sur un vélo. En même temps, on nous dit qu’il faut quand même y aller lentement, car c’est mature mais pas tout à fait, et on nous présente la douloureuse, qui est déjà assez élevée. D’un autre côté, vous faites le pari que le nucléaire pourrait rester compétitif, dans la deuxième option, et qu’il faudrait donc le sortir de l’équation pour ne pas distordre la concurrence. Dans ce cas, le nucléaire aurait quand même une fonction très bizarroïde. On se demande pourquoi on agirait de la sorte si l’on considère que l’on va bien vers une maturation de la concurrence. À la limite, je n’ai pas de religion sur ce sujet, mais nous avons, en tant que représentants de la Nation, une responsabilité en ce qui concerne le coût. Il y a un climat social particulier, sur le plan de l’acceptabilité. Or toutes les options ne sont pas égales si, dans un cas, la facture d’électricité augmente de 30 % et, dans l’autre, de 5 % ou 10 %. Il faut prendre en compte cet aspect. J’aimerais comprendre si le fait d’avoir misé sur les énergies électriques vertes, dont on sait qu’on a les a subventionnées en faisant parfois des erreurs, et avec une stratégie descendante, a provoqué une augmentation naturelle du coût de l’électricité produite, ce qui expliquerait tous les problèmes… Si l’on continue, on va mécaniquement avoir une hausse du prix de l’électricité qui posera des problèmes structurels et systémiques de plus en plus importants : on n’arrivera pas à concilier un prix de l’électricité bas, notamment pour les ménages les plus précaires, le déploiement de l’énergie verte, qui coûterait très cher, et le risque pesant sur le moteur de l’ensemble – celui de voir la fameuse louve, que j’évoquais, devenir un peu rachitique parce que, entre la concurrence qu’elle subit et le fait que l’on partage, elle finit, à un moment, par ne plus arriver à alimenter tout le système. Avez-vous des éléments de réponse qui permettraient de m’éclairer ?
M. Umberto Berkani : Si j’avais osé, j’aurais moi aussi utilisé la métaphore des roulettes et du vélo dans mon propos liminaire ! Beaucoup de vos questions méritent des réponses techniques et prospectives dont je ne dispose pas. Effectivement, même si les coûts s’harmonisent, on peut se demander s’il ne faut pas conserver les petites roulettes un peu plus longtemps, au motif que tout fonctionnera bien quand on les enlèvera... Je ne suis pas capable de vous le dire. Pourtant, c’est l’une des questions fondamentales à laquelle il faut répondre avant de se projeter dans un système de marché. Il faut distinguer la réalité industrielle – le coût auquel on va arriver – et la réalité politique. Si, pour des raisons autres que celles du fonctionnement du marché et de la concurrence, on décide de réduire la part du nucléaire, il y aura plus de place pour d’autres producteurs et d’autres productions à moyen terme. Dans ce cadre, il n’y a pas de raison que les fournisseurs alternatifs ne récupèrent pas leur part de cette production. Cela aura-t-il une conséquence sur les coûts ? C’est une autre question, à laquelle je ne sais pas répondre.
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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Vous estimez qu’entre 2010 et 2015 les choses n’ont pas tellement changé. Mais dans la mesure où les temps de sortie des projets EnR sont longs – souvent de trois ou quatre ans –, le statu quo durant cette période n’est pas étonnant. N’est-il pas un peu tôt pour faire un bilan ? Dans quelle mesure est-on capable d’évaluer la fiabilité des projections ? Ces questions recoupent la deuxième partie des travaux de notre commission d’enquête. En résumé, rester sur ce modèle, est-ce de l’entêtement ou du bon sens – si l’on considère qu’il faut lui laisser le temps de maturer ?
M. Umberto Berkani : Le système de régulation était prévu pour une durée relativement courte. Certes, le bilan de 2015 a été réalisé rapidement – cinq ans après le démarrage du dispositif – mais cette période représente un tiers de la durée et ce n’est ni en juin 2025, ni en décembre 2024 qu’il va falloir se poser la question de la poursuite – ou non – du dispositif... C’est pourquoi en 2015, nous avons fait le constat qu’il ne s’était pas passé grand-chose. Par ailleurs, les experts estimaient alors qu’il ne se passerait peut-être pas grand-chose, non parce que les fournisseurs alternatifs n’avaient pas essayé de développer leurs capacités de production, mais parce qu’on ne savait pas s’ils seraient en mesure de devenir compétitifs en développant ces capacités de production.
M. le président Julien Aubert : Certes, il y a un problème lié à la taille. Mais quand vous savez qu’avec l’ ARENH vous pouvez obtenir un bon prix, cela vous pousse-t-il à vous structurer ? En réalité, la concurrence n’est-elle pas virtuelle ? En tout cas, elle est très particulière : il est rare d’aller acheter les tomates du voisin en lui disant : « Tu es obligé de me les vendre moins cher. Je les vendrai ensuite avec une marge, en faisant une meilleure communication que toi. ». Dans ce cas, en effet, pourquoi produire des tomates si on peut en acheter à bon prix et que votre concurrent est obligé de vous les vendre ? Le fonctionnement du système n’est-il pas partiellement vicié, ce qui expliquerait l’absence de fournisseurs associés dans une logique de production – de la production à la consommation – dans le secteur des énergies alternatives ?
M. Umberto Berkani : Pour filer la métaphore, votre question équivaut à se demander si on doit mettre des roulettes au vélo de son petit garçon ou si cela va l’empêcher de se lancer…
Devant l’Autorité de la concurrence, les acteurs prétendent que leur marché est particulier dans quasiment tous les dossiers ! En l’occurrence – et j’ai analysé différents marchés –, on peut dire que le marché français de l’électricité est particulier. D’une certaine façon, si l’électricité était la propriété d’un monopole, ce serait plus simple : on aurait une facilité essentielle et on procéderait comme pour la boucle locale.
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M. le président Julien Aubert : Si les fournisseurs alternatifs avaient remonté la chaîne de valeur et disposaient de leur propre mode de production, l’effet aurait-il été le même ?
M. Umberto Berkani : Non, effectivement, si leurs capacités de production étaient compétitives.
M. le président Julien Aubert : Le système tourne en rond.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Ils sont donc tous interdépendants. Dans votre avis, vous écrivez qu’avec ce système, la marge réelle passerait de 3,80 à 7,10 euros par MWh pour les tarifs bleus vendus aux ménages, soit une hausse de 87 %, et de 3,20 à 6,50 euros par MWh pour les tarifs bleus des petits producteurs, soit une hausse de 103 %. Comment passe-t-on de 5,9 % à 103 % d’augmentation pour les professionnels et 87 % pour les particuliers ?
M. Umberto Berkani : Quand votre marge passe de 3,2 % à 6,5 %, elle augmente de 3,3 points, soit 100 %.
Mme Laure de La Raudière : Dans l’absolu, c’est plus grave ! C’est incroyable : je connais peu d’entreprises où l’on constate de telles hausses !
Mme Marie-Noëlle Battistel : Je vais revenir sur l’ ARENH. Finalement, ne demande-t-on pas à l’opérateur historique – et donc un peu à l’État qui détient encore 85 % de son capital – de subventionner des concurrents qui captent des actifs existants sans pour autant investir ? Or ce manque d’investissement amont dans les énergies alternatives a pour conséquence l’absence d’une véritable concurrence et l’échec de la troisième partie du triptyque. Cette situation peut-elle durer ? Si l’on peut considérer qu’elle était nécessaire au début de la mise en concurrence, est-ce encore le cas ? Par le biais des tarifs, ne fait-on finalement pas porter aux consommateurs le subventionnement des concurrents ?
M. Umberto Berkani : Il y aura des choix à faire. Nous sommes prêts à y être associés, mais je ne peux dès à présent répondre à vos questions. Ces effets d’aubaine n’étaient pas voulus par les pouvoirs publics, ni à l’origine par les alternatifs, mais ils en ont profité autant qu’ils le pouvaient – c’est le jeu. Vous avez raison, si on réforme, prolonge ou pérennise l’ARENH, cela va forcément changer sa nature, donc ses mécanismes et donc les « trous dans la raquette » que sont les effets d’aubaine. Il n’existe pas vraiment d’autres solutions, sauf à tout arrêter, comme vous le suggérez. Mais cela me semble délicat, car cela sous-entend que les fournisseurs alternatifs sont responsables de ne pas avoir remonté la chaîne de valeur, ce qui n’est pas le cas.
Mme Marie-Noëlle Battistel : C’est un constat, et vous le faites aussi.
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M. le président Julien Aubert : Le montant de la facture a bondi de 30 à 40 % en dix ans. Donc un client qui payait 100 avant l’ouverture à la concurrence paie maintenant 130. Où est allée la différence, qui représente des dizaines de milliards d’euros ?
M. Umberto Berkani : Chaque fois que nous comparons une situation avant et après, il convient de faire le raisonnement contrefactuel permettant d’évaluer quelle serait la situation sans ouverture à la concurrence. Ceci étant dit, une part des sommes que vous mentionnez est allée à EDF, une autre est allée à l’État, et une autre aux opérateurs alternatifs. Une grande partie des tarifs de l’électricité est constituée d’éléments régulés, tels que le TURPE. Sur la partie résiduelle, l’essentiel de l’augmentation de la facture lié au jeu de la concurrence est allé vers EDF et l’État pour l’électricité vendue au tarif réglementé ou aux offres de marché d’EDF, et aux fournisseurs alternatifs et à l’État s’agissant des offres de marché des alternatifs.
Si votre question porte sur la part qui a été affectée aux dividendes, et celle affectée aux investissements, je ne peux pas y répondre.
Mme Naima Idir, présidente de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d’ ENI Gas & Power France, de M. Emmanuel Soulias, président d’ Enercoop, de M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie et de Mme Frédérique Barthélémy, directrice de la communication et des relations institutionnelles de Direct Énergie...
M. le président Julien Aubert : L’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) rassemble la quasi-totalité des entreprises traditionnellement appelées « fournisseurs alternatifs » sur les marchés de l’électricité et du gaz. Direct Énergie, un acteur désormais racheté par le groupe Total. Vous êtes donc une partie du total ! L’ouverture du marché de l’énergie est une donnée désormais établie en France, puisque dans les dix ans qui ont suivi 2007, les fournisseurs alternatifs avaient conquis près de 25 % des parts de marché des particuliers et 40 % des parts du marché des professionnels. Le marché du gaz suit une même tendance. Vous nous en préciserez les parts de marché. Il est également intéressant de noter que EDF, producteur et fournisseur historique d’électricité, fournit désormais du gaz à plus de 1,5 million de clients résidentiels. Pour sa part, Engie, héritier de GDF-Suez, joue désormais un rôle non négligeable sur le marché de l’électricité.
Les dérégulations du marché de l’électricité et du gaz restent cependant foncièrement distinctes : le marché du gaz, par exemple, n’est pas régi par un dispositif comparable à celui de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), sur laquelle nous avons travaillé ce matin. Ce système de l’ ARENH confère un droit de tirage à prix garantis aux fournisseurs alternatifs sur une partie de la production d’EDF – droit de tirage certes plafonné dans ses volumes mais qui autorise aux fournisseurs alternatifs une latitude favorable dès lors que les prix, qualifiés de « spots », dépassent les 43 euros du mégawattheure (MWh). Je ne doute pas que vous nous ferez part de vos arguments concernant votre revendication de relever ou peut-être d’abaisser – surprenez-nous ! – le plafond de l’ ARENH. L’ANODE est également en pointe dans la critique du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), du moins tel que mis en place, au titre de sa quatrième période, à la suite d’une décision du ministre de l’époque, Mme Ségolène Royal.
La commission d’enquête a pu comprendre que les CEE pèsent désormais de façon sensible – cela reste encore à quantifier – sur les factures d’énergie des ménages. Enfin, il semble utile à la commission d’enquête de savoir comment certains fournisseurs peuvent proposer des offres d’énergies « vertes » ou encore « 100 % renouvelables ». C’est le cas de la société Enercoop, ici représentée, et qui se conçoit comme « un acteur militant, de statut coopératif », ou encore de Plüm Énergie, également représentée.
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Mme Naima Idir, présidente de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d’ ENI Gas and Power France : L’association ANODE regroupe les fournisseurs alternatifs de gaz et d’électricité, plus précisément onze fournisseurs de gaz et d’électricité issus d’horizons très divers puisque, parmi nos membres, nous comptons aussi bien des filiales de grands groupes d’origine énergétique comme Total, via Direct Énergie, ou ENI, mais également des filiales d’autres groupes français qui interviennent dans d’autres secteurs comme GreenYellow, filiale du groupe Casino. Citons également Gaz Européen qui est une filiale de Butagaz. Nous comptons également des pure players, tels qu’ Enercoop, Plüm, ekWateur, Énergie d’Ici. L’ANODE représente entre 80 % et 90 % de l’ensemble des consommateurs qui ont fait le choix de quitter le fournisseur historique et donc de se fournir sur le marché concurrentiel. Nous sommes également – et c’est un aspect qui nous différencie le plus – l’acteur qui met en avant le facteur « innovation ». Nous développons de nouvelles offres : des offres « vertes », des offres pluriannuelles, des offres indexées, des offres à prix fixe. Nous travaillons sur des offres incitatives à la consommation qui permettent aussi bien le suivi que les effacements de la consommation. Nous considérons que le plafonnement de l’ARENH ne permet plus au consommateur final d’atteindre l’objectif d’accès et de bénéfices de la compétitivité du nucléaire historique.
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M. le président Julien Aubert : Pouvez-vous nous donner une idée de la facture, pour l’électricité et pour le gaz, afin d’avoir une vue de l’évolution [CSPE ]depuis 2010 ? Que veut dire la fin du monopole en termes d’évolution de la facture ?
Mme Naima Idir : Ce sont des éléments que nous vous transmettrons. Nous pouvons déjà vous dire que les tarifs hors taxes (HT) de l’électricité ont été quasiment stables ces dix dernières années pour la partie « fourniture » ; Le TURPE a augmenté, mais dans une moindre proportion que les taxes qui, elles, ont fortement augmenté. La contribution au service public de l’électricité CSPE, ces dix dernières années, a suivi une hausse de plus de 70 %. Le gaz a suivi à peu près la même évolution, puisque la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) était à 1,19 euro du mégawattheure en 2013 pour atteindre 8,45 euros du mégawattheure en 2018. Le taux a donc été multiplié par sept. La TIGCN est l’équivalent de la TICPE pour les carburants. Il faut savoir que l’on souffre d’une accumulation de ces taxes. D’une part, cette taxe sur la consommation finale d’électricité ou de gaz vient s’ajouter à d’autres taxes prélevées en amont. La production d’électricité, par exemple, est elle-même soumise à l’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER). L’acheminement lui-même est assujetti à cet impôt. D’autre part, en aval, il convient d’ajouter la TVA. Nous considérons que le levier qui consiste à jouer sur les taxes spécifiques à l’énergie est à disposition des pouvoirs publics pour limiter la hausse de l’énergie, voire pour abaisser le montant des factures et le prix pour le consommateur final.
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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Vous attribuez aux fournisseurs « alternatifs « plusieurs effets positifs pour le consommateur qui se traduisent par une transparence sur les mécanismes de l’énergie et des offres plus innovantes. Mais derrière l’innovation, existe-t-il des gains réels pour les consommateurs ? Parfois, l’innovation peut se réduire à un joli habillage et ne pas se traduire par un vrai progrès. Je voudrais que vous développiez les gains réels pour les usagers.
Vous indiquiez que la facture d’énergie TTC a augmenté et que cette augmentation a été limitée par votre intervention sur la part fourniture. Pouvez-vous développer ce point ? S’agissant des CEE, avez-vous des obligations ? Les onze adhérents de l’association constituent-ils l’ensemble du secteur ? Enfin, parmi les fournisseurs "alternatifs", combien sont à la fois dans la distribution et la production ou purement dans la distribution, dans l’achat-vente de l’énergie ?
Mme Naima Idir : La situation s’est améliorée avec le temps, mais il faut garder à l’esprit le point d’où l’on part. Les activités en monopole sont réalisées par des acteurs en monopole, en particulier la partie raccordement au réseau. Quel que soit le fournisseur, le client bénéficie du même service, de la même qualité de service, il n’y a aucun changement lié au changement de fournisseur.
Les Français ont une très mauvaise connaissance de leur consommation. La majorité d’entre eux ignorent leur consommation annuelle et ne savent pas optimiser leur consommation. Certains d’ailleurs ne se posent pas la question de savoir si certains moments de la journée sont plus propices à la consommation, ce qui leur permettrait de réduire leur facture d’énergie. S’ajoutent des mauvaises compréhensions de la facture, concernant notamment la part sur laquelle il est possible de jouer, l’utilisation des taxes payées, l’utilité du TURPE, nous faisons de la pédagogie, mais il est dommage que ce soit au fournisseur de le faire.
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M. le président Julien Aubert : Pourquoi avoir supprimé Tempo ?
M. Vincent Maillard : Tempo n’est pas supprimé, il existe encore pour les clients résidentiels.
M. le président Julien Aubert : Je reformule : vous avez posé une question en ajoutant que vous n’y répondriez pas. Je vous propose de vous poser la question afin que vous y répondiez !
M. Vincent Maillard : L’offre « effacement des jours de pointe » (EJP) a été créée dans les années 1980, au moment où se posaient des problèmes de développement du chauffage électrique et une alimentation nucléaire qui couvrait les besoins de base. Il fallait répondre aux besoins en pointe. On a inventé un système intelligent, l’ EJP, qui était une formule très novatrice. De nombreux débats ont porté sur les avantages et les inconvénients du chauffage électrique. Personnellement, je suis un grand adversaire du chauffage électrique, qui crée des situations de pointe et de nombreux problèmes.
EDF était très favorable au chauffage électrique et l’est encore. Pour répondre à la question du chauffage électrique, il a créé Tempo, fondé sur un principe de saisonnalité, les clients payant plus en hiver qu’en été. Cette formule présentait l’avantage de refléter les coûts. Le biais, c’est que Tempo n’était pas obligatoire et n’a pas été imposé à tout le monde, avec une conséquence : EDF ne l’a pas développé. Consultez le site d’EDF et trouvez l’offre Tempo, appelez un centre-clients et voyez s’il le propose. Il faut leur poser la question. Je n’ai pas la réponse, j’ai une interprétation. Je constate simplement que la formule n’est pas favorisée.
M. le président Julien Aubert : Ne vous arrêtez pas en si bon chemin : livrez-nous votre interprétation !
M. Vincent Maillard : EDF n’y a pas intérêt. Il veut toujours développer le chauffage électrique, mais il ne veut pas résoudre les périodes de pointe par la demande, il veut la traiter par l’offre. Il veut un système de capacité qui rapporte une rémunération, et non un système qui réduirait ses revenus.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Je commencerai par une question qui fâche en évoquant un article, paru le 28 septembre dernier, suite au classement par l’organisation Greenpeace des meilleurs fournisseurs d’électricité « verte ». Pouvez-nous nous éclairer sur les garanties d’origine ? L’article explique : « Les fournisseurs se contentent généralement d’acheter un certificat dit de garantie d’origine qui atteste qu’une quantité équivalente d’électricité renouvelable à celle qui a été vendue au client a bien été injectée dans le réseau d’électricité en France ou ailleurs en Europe. Cela signifie qu’un fournisseur d’offre verte peut se contenter d’acheter de l’électricité produite dans une centrale à charbon ou nucléaire du moment qu’il achète aussi un certificat Vert," critique l’ONG . J’aimerais que vous nous éclairiez sur cet article qui est quelque peu à charge.
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M. Vincent Maillard : Nous avons choisi comme priorité l’économie d’énergie et l’accompagnement du consommateur. Nous n’avions pas indiqué notre priorité au moment de notre lancement. Or, ce classement porte sur Plüm Énergie au moment de son lancement. Nous comptions alors moins de mille clients – c’était vraiment le début. J’espère qu’un jour nous rejoindrons Enercoop. Et Enercoop reconnaîtra que nous pouvons faire encore mieux que ce qu’il fait aujourd’hui. Il reste encore beaucoup à faire – effectivement !
M. Fabien Choné : [...] J’en viens à la question des garanties d’origine, une vraie question que vous posez en de très bons termes. Le système électrique est ainsi fait que vous ne savez jamais ce que vous achetez, sauf s’il existe une ligne directe entre le producteur et le consommateur. Cela existe parfois, mais ce n’est pas une généralité en Europe. Vous achetez toujours un pot commun d’électricité que l’on appelle « grise ». La seule manière d’aider la traçabilité de la production d’énergie renouvelable passe par la création du système des garanties d’origine. Cela ne signifie pas que le système soit parfait. En théorie, un marché qui fonctionne correctement permet un prix d’équilibre entre les garanties d’origine disponibles et les consommateurs qui sont prêts à payer un peu plus pour avoir de l’électricité réputée verte. Voilà pour la théorie. Dans les faits, cela ne marche pas très bien, parce que ces garanties d’origine émanent de l’Union européenne, alors que les réglementations, notamment en matière d’énergie verte, se décident au niveau national. Mais les énergies vertes ne sont pas seules à poser question. Pour atteindre un équilibre entre l’offre et la demande, les marchés doivent être ouverts. Il faudrait que le marché soit correctement organisé pour que le fournisseur puisse se développer loyalement et sainement, ce qui n’est pas du tout le cas en France, notamment avec la persistance des tarifs réglementés qui posent de multiples problèmes. Vous en avez débattu ce matin, peut-être y reviendra-t-on cet après-midi. Pour l’ensemble de ces raisons, on peut critiquer le dispositif. En théorie, il peut fonctionner. Mais au lieu de critiquer le dispositif, on devrait plutôt essayer de résoudre les problématiques qui empêchent ce dispositif d’être totalement satisfaisant.
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M. Fabien Choné : Je m’inscris en faux contre l’idée d’un échec de l’ ARENH. Ceux qui l’affirment ont d’autres visées que celle d’analyser loyalement l’ ARENH.
Trois objectifs lui étaient assignés :
-premièrement, la compétitivité rendue aux consommateurs. Il s’agissait d’une inquiétude au moment de la loi NOME : l’électricité nucléaire qui serait vendue aux fournisseurs serait-elle bien rendue aux consommateurs ?
Tout le monde reconnaît que cela a bien fonctionné.
-Deuxièmement, cela allait-il permettre de développer la concurrence ? Insuffisamment, à notre goût, mais cela a permis de relancer le développement commercial de Direct Énergie. Juste avant la création de l’ ARENH, la situation économique était telle que nous avions arrêté notre développement commercial. L’ ARENH a permis de relancer l’activité de fourniture au détail en aval. Force est de constater que, depuis sa mise en œuvre, le nombre de concurrents a augmenté. Ce point ne fait donc aucun doute.
-Le dernier objectif était l’incitation à la production. Le fait d’être producteur peut être intéressant, peut être un droit, mais ne doit pas être une obligation. Il ne faut pas oublier que la production et la fourniture sont deux activités totalement dissociées. Je tiens à préciser une chose : la production peut soulever nombre de sujets un peu techniques et complexes de mise en œuvre de la concurrence : autour de la spécificité du nucléaire, autour des renouvelables, qui sont des filières subventionnées, autour des concessions hydroélectriques ou encore autour de la question de la sécurité de l’approvisionnement, qui est un bien public. Tout cela fait que la concurrence dans la production est certes un peu compliquée, mais que, dans la fourniture, ce devrait être très simple et immédiatement bénéfique au consommateur, à la fois en termes de prix – même si la part fourniture dans le tarif n’est pas prépondérante –, mais également en termes d’innovation. Dire que l’ ARENH n’a pas incité les opérateurs à investir dans la production, en tout cas pour ce qui nous concerne, est radicalement faux. Grâce à l’ ARENH, nous avons pu relancer notre développement commercial et lancer une stratégie d’intégration vers l’amont qui nous a permis d’atteindre plus de 800 MW de production d’énergies renouvelables. Nous investissons 200 millions d’euros dans des énergies renouvelables par an actuellement. Nous avons pu également nous lancer dans la production d’électricité à partir de gaz avec des cycles combiné gaz. Nous disposons aujourd’hui de trois cycles combinés gaz, un quatrième est en projet à Landivisiau, qui représente un investissement de 450 millions d’euros.
Ne serait-ce qu’en termes d’investissement pour les trois prochaines années, le groupe investira plus d’un milliard d’euros dans les éléments liés à la transition énergétique : le renouvelable et les cycles combinés gaz qui, grâce à leur flexibilité, garantissent la sécurité de l’approvisionnement.
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M. Vincent Maillard : Dans notre modèle, nous sommes trop confortables pour dire que si le client consomme moins, cela ne nous impacte pas, puisque nous achèterons moins sur le marché.
Nous avons un alignement des intérêts du client et de nous-mêmes à les accompagner dans la réduction de leur consommation, et plus généralement dans le « mieux-consommer ». Cela ne signifie pas que nous ne déciderons pas, à un moment donné, de produire, ou plus exactement de rechercher un partenaire producteur pour travailler avec lui dans la durée. Mais cela revient à la façon d’organiser l’aide au développement des énergies renouvelables. Aujourd’hui, toutes les énergies renouvelables se développent grâce à un régime d’aide, que ce soit sous la forme d’un complément de rémunération, d’une obligation d’achat ou d’appels d’offres. Seules les productions très anciennes peuvent sortir de ce système. Mais pour développer de nouvelles installations, par définition, on doit faire du nouveau. Si, en tant que fournisseur seul, nous voulions nous associer à un producteur, il conviendrait que celui-ci sorte du système de subventions. Sans quoi, il n’aurait pas besoin de nous ; sans subventions, nul besoin de travailler avec un fournisseur pour récupérer une subvention et développer un projet éolien ou photovoltaïque. Si un producteur veut s’allier avec un fournisseur, d’autres questions se posent, parce que c’est la double peine. Il ne récupérera pas la subvention du système de complément de rémunération et devra payer, via le fournisseur, la CSPE. C’est un problème qu’il conviendra de soulever à un moment ou à un autre. Peut-être ce modèle devrait-il être pensé dans la durée. Comment accompagner des fournisseurs qui souhaitent s’allier à un producteur, dans un modèle plus intégré ? Encore une fois, nous ne chercherons pas des intégrations à cent pour cent. Nous restons dans l’idée que nos intérêts doivent être alignés sur ceux des clients et ne pas trop verser « du côté productiviste de la force », si je puis dire.
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M. le président Julien Aubert : En quoi investir dans les renouvelables est-il bon pour la planète ? Le président de la CRE nous a expliqué que cela n’avait strictement aucun rapport avec le CO2.
M. Emmanuel Soulias : La planète ne se limite pas à la question du CO2. On trouve les enjeux environnementaux d’un côté, les enjeux du changement climatique ou des dérèglements climatiques de l’autre. Il ne faut pas réduire cela uniquement au CO2. L’approche décarbonée est large. D’autres impacts touchent à l’amont, pendant la phase de production et d’exploitation et pendant la phase de recyclage. Les énergies renouvelables, je suis un peu surpris de votre question, monsieur le président, s’appuient sur une source qui a priori est inépuisable, peu chère, qui est le vent, le soleil, l’eau, et sur les processus de dégradation et de méthanisation. La source en elle-même est inépuisable et non polluante. Une fois dit cela, il faut convenir du fait que tout est polluant. Pour exploiter ces sources et faire marcher des turbines, il faut développer des équipements divers et variés qui peuvent s’appuyer sur des ressources, qui sont, de manière générale, moins polluantes à l’usage, en amont et en aval, que certaines technologies, telles que le fioul, le gaz, le charbon et, dans une certaine mesure, le nucléaire.
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M. le président Julien Aubert : Reprenons les chiffres. Monsieur Choné, vous avez indiqué que le montant de la facture a bondi de 30 %, dont deux tiers des CSPE. Sur le site quelle énergie.fr, j’ai trouvé d’autres chiffres. « Augmentation de la facture d’électricité entre 2008 et 2018 : plus 44 %. Augmentation de la facture de gaz : plus 28 % pour le tarif B1, plus 45 % pour le tarif B0. » Comment expliquez-vous l’écart ? Ce matin, notre collègue Laure de La Raudière évoquait une progression de 35 %. Vous avancez plus 30 %. Il serait utile de clarifier les chiffres et de savoir de combien la facture a augmenté.
M. Fabien Choné : Je n’ai pas les chiffres en poche. Je vous promets de refaire les calculs. Si je me suis trompé, j’enverrai l’information à tout le monde. Mais il s’agissait des chiffres que j’ai retenus de la CRE. Mais peu importe, peut-être est-ce 40 % et non 30 %. Je me suis référé à la période 2010-2018 et non à la période 2008-2018, mais l’augmentation n’a pas été de 14 % en deux ans. La différence tient peut-être au fait de retenir les particuliers et non les particuliers ajoutés de tous les autres clients. Je ne sais pas. Mais une chose est certaine, la part fourniture liée à notre activité a baissé en euros constants. Dire que la concurrence a fait augmenter les prix est soit faux, soit mensonger.
M. le président Julien Aubert : Vous bénéficiez de l’ ARENH pour l’électricité. Il n’existe pas de mécanisme comparable pour le gaz. Pourquoi faudrait-il le conserver pour l’électricité si l’on s’en passe pour le gaz ? Quelles sont les contingences pratiques qui ont poussé à organiser différemment ces deux marchés ?
M. Fabien Choné : Si l’opérateur historique disposait d’un gisement de gaz en France particulièrement compétitif et totalement inconcurrençable par des approvisionnements à l’extérieur, il serait nécessaire, à l’instar du nucléaire, de mettre en place un « sourcing », un accès à ce gisement de gaz afin de permettre la concurrence en aval de la production. Il existe deux activités : la production et la fourniture de gaz. La production de gaz en France n’existe plus ou quasiment plus – et l’on n’en veut plus. Ce sujet ne se pose donc pas pour le gaz. S’agissant de l’électricité, non seulement le nucléaire est très compétitif mais nous voulons le faire perdurer, voire allonger la durée de vie des centrales. Cette spécificité doit être traitée pour permettre la concurrence en aval qui, encore une fois, est bénéfique au consommateur. Je suis même étonné que l’on continue à en discuter aussi longtemps après l’ouverture du marché !
M. Vincent Maillard : Il existe une explication pratique. Le gaz voyage des milliers de kilomètres, l’électricité quelques centaines de kilomètres. La production du nucléaire se situe en France, et non à 10 000 kilomètres avec des obligations d’achat à même distance. Par ailleurs, l’énergie nucléaire est très compétitive au vu des conditions des marchés actuels. Les tarifs sont fixés sur cette base et l’on a toujours considéré que le nucléaire était un bien national dont tout le monde doit bénéficier. Je suis toujours étonné quand j’entends le président d’EDF déclarer : « C’est nous qui avons le nucléaire. » Le nucléaire appartient à tout le monde. Certains de mes clients habitent à la pointe de Givet, où est implantée la centrale de Chooz. Pourquoi dirait-on à une personne qu’elle ne peut s’abonner à Plüm Énergie ? Elle a la centrale nucléaire à côté de chez elle ; en cas de problème, elle prendrait des pastilles d’iode. Et elle serait obligée de s’abonner chez EDF pour bénéficier de la compétitivité de l’offre ? Ce n’est pas évident.
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M. le président Julien Aubert : Négawatt propose 100 % d’énergies renouvelables. Quel est votre avis ? Cela correspond à l’attrition du grand gisement de gaz. Imaginons que la France ait un grand gisement de gaz et que l’on décidait en 2040-2050 que plus aucun pipeline ne partirait de ce gisement. Quel est votre avis sur ces stratégies qui visent la disparition du moteur nucléaire dans le dispositif ?
M. Fabien Choné : L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique est absolument indispensable, en proportion de la part du nucléaire dans le mix. Aujourd’hui, la part est de 110 ; en 2035, elle sera a priori de 50 %. Le jour où elle sera à zéro, l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique ne sera plus utile. En revanche, si on atteignait 100 % d’énergie renouvelable sans aucun moyen de production flexible – nous disposerions cependant de concessions hydroélectriques qui, je l’espère, seraient partagées entre tous les consommateurs et tous les fournisseurs –, il faudrait développer de nombreuses solutions et services pour piloter la consommation des Français.
Mme Naima Idir : Soit d’autres moyens de production existeront qui pallieront l’intermittence des EnR, soit on aura réussi à développer les technologies de stockage.
M. le président Julien Aubert : En l’état, vous ne croyez pas à ce scénario, ou en tout cas vous ne le souhaitez pas ?
Mme Naima Idir : Non, nous vous livrons les conditions pour que ce scénario puisse se produire, sans remettre en cause la sécurité d’approvisionnement des consommateurs. Je ne me permettrais pas de porter de jugement de valeur.
M. le président Julien Aubert : Vous êtes un acteur du marché. Si vous étiez sur le marché du gaz et que vous aviez un accès aux grands gisements de gaz, vous pourriez émettre un avis justifié si le Gouvernement décidait de fermer le gisement de gaz à l’horizon de 2050. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur ; fondamentalement, cela vous obligerait à revoir votre modèle économique.
M. Emmanuel Soulias : Je veux bien illustrer la diversité qui vit parmi nous ; je le souligne à nouveau, c’est notre richesse. Négawatt fait partie des fondateurs de Enercoop. Pour répondre à votre question, nous sommes totalement en phase avec le scénario de Négawatt. J’ajoute que ce n’est pas le seul ; le scénario de l’ ADEME aboutit à peu près aux mêmes conclusions à l’horizon 2050. [...] Le scénario de Négawatt comme celui de l’ ADEME revêtent un sens dans une vision globale qui envisage un mix énergétique large, des usages plus larges et qui prend en compte la transversalité entre les différentes sources de consommation d’énergie. Je reviens d’un mot sur cette manne nucléaire qui aurait un coût moindre et que l’on pourrait donc se partager. Le coût de cette manne nucléaire doit être considéré dans son ensemble. On parle beaucoup des consommateurs et de leur pouvoir d’achat. J’entends aussi parler des contribuables citoyens qui, en payant leurs impôts, contribuent significativement à l’entretien des équipements nucléaires, qu’il s’agisse du grand carénage, du démantèlement, de la mise en sécurité ou de l’enfouissement des déchets. Je pense qu’il faut réévaluer le coût global du nucléaire, que l’on considère comme un coût aujourd’hui faible, à l’aune de l’ensemble de ces éléments.
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M. le président Julien Aubert : Selon les travaux parlementaires, ce sont 40 milliards et 25 milliards d’euros. Le montant pour le renouvelables est évalué à 100 milliards d’euros. Le coût pour le consommateur n’est pas tout à fait le même.
M. le président Julien Aubert : L’an dernier, en 2019, certains d’entre vous, à l’exception d’Enercoop, ont été amenés à se fournir sur le marché au-delà des 100 TWh. Vous avez donc été amenés à vous fournir sur le marché de gros. Quelles ont été les pertes que vos entreprises ont subies en raison de ce dépassement du seuil de l’ ARENH ? Chacune des entreprises présentes peut-elle nous donner une évaluation du coût que cela a représenté ?
M. le président Julien Aubert : Nous avons compris ce matin que dans l’augmentation annoncée de 5,9 %, 2,2 % représentaient l’effet de rationnement de l’ ARENH. Des propos de la CRE, je retiens que l’augmentation du tarif prend en compte l’effet de rationnement. Selon vous, si c’est pris en compte, pour vous, cela devient neutre.
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M. Fabien Choné : Absolument, pour toutes nos offres qui sont indexées. Ce n’est pas forcément le cas pour les fournisseurs qui n’ont pas d’offres indexées au tarif réglementé. Mais pour nous, c’est le cas.
M. le président Julien Aubert : Mécaniquement, le fait de vous servir sur le marché de gros représente-t-il pour vous des pertes ?
Mme Naima Idir : Je suis dans l’incapacité de vous livrer des chiffres, tout dépend de l’anticipation de nos équipes en charge du sourcing vis-à-vis de ce plafond de l’ ARENH. Lorsque l’on est présent sur ce marché, toute la difficulté tient à ce plafond. Nous sentions bien que nous nous en rapprochions. Ce plafond réduit la capacité de développement de l’activité de nos entreprises. Soit on prend en compte la perspective d’un plafonnement et, dans ce cas-là, à un moment donné, on est moins compétitif, car nos prix sont comparés aux tarifs de vente réglementée qui n’intègrent pas un écrêtement ARENH. Soit on ne le prend pas en compte, et là c’est un risque que nous prenons sur nos marges, puisque le prix d’approvisionnement proposé dans notre offre ne sera pas en adéquation avec le coût de notre sourcing. En effet, au moment où nous allons demander de l’ ARENH, nous allons être écrêtés et nous devrons prendre davantage d’électricité sur le marché. En cas d’écrêtement, nous subissons un impact en amont et en aval, puisque nous sommes confrontés aujourd’hui à la même difficulté vis-à-vis de nos clients, auxquels nous proposons des offres, par exemple, à deux ans. Mais l’impact immédiat nous conduit à prévoir le volume d’ ARENH que nous pourrons obtenir par nos demandes ARENH et donc l’écrêtement potentiel susceptible d’en résulter pour essayer de minimiser le risque pour l’entreprise puisque nous assumons ce risque que nous ne transférons pas à nos clients.
M. Emmanuel Soulias : Nos offres n’ont pas augmenté depuis la création de Enercoop il y a dix ans de cela, nous n’avons pas eu recours à l’ ARENH. Enercoop absorbe jusqu’à présent le risque des fluctuations de marché. Même si nous fonctionnons avant en contrat direct avec les producteurs sur des durées moyennes et longues, chaque renouvellement de contrat est impacté par les évolutions du marché. En 2018, le marché a augmenté significativement, on est passé de 35 euros le MWh de base à près de 65 euros, et puis il est un peu redescendu. Cela a eu un impact sur le renouvellement de nos contrats. Cette année, nous ferons évoluer nos tarifs en raison de l’augmentation de notre coût d’approvisionnement ; de l’augmentation du coût des capacités que nous répercutons auprès de nos clients ; enfin, dans la mesure où nous dépassons cette année le seuil des 400 gigawattheures (GWh), nous sommes obligés de faire porter le coût des CEE à nos clients.
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M. le président Julien Aubert : L’État perçoit une partie du coût sous forme de taxes qui sont prélevées pour subventionner les énergies dont vous nous dites qu’elles arrivent à maturité. En abaissant les taxes et donc en aidant moins les énergies vertes, on pourrait penser que le coût d’approvisionnement baissera. Avec l’arrivée à maturité de ces énergies, le dispositif fonctionnerait « naturellement », avec peut-être un tarif moins distordu du fait de moindres taxes. S’agissant du mode de production, cela mettrait fin à des dispositifs d’aide. D’autres acteurs, à l’instar de M. Choné, marquent la nécessité de conserver l’ ARENH, mais quand je vois Enercoop, je me dis que si certains acteurs arrivent avec un modèle qui leur est particulier mais en adéquation avec les valeurs que porte le verdissement, pourquoi conserver ce dispositif ? Bien sûr, il y a ceux qui survivent et il y a ceux qui ne survivent pas, mais fondamentalement, c’est le jeu du marché.
M. Emmanuel Soulias : S’agissant des taxes, nous n’en sommes que les collecteurs ; elles ne viennent pas s’ajouter au chiffre d’affaires. Notre modèle économique ne se base que sur 30 % de la facture. Sur 100 euros que payent nos clients, nous redistribuons, via le TURPE ou les taxes, environ 70 euros. Nous n’avons la maîtrise que de 30 euros. Si notre coût de production ou d’approvisionnement augmente en toute transparence, nous le ferons savoir à nos clients et l’impacterons sur une partie minime de la facture. J’entends bien la réflexion qui sous-tend votre question, monsieur le président. Je me pose une question que je partage avec vous. Elle s’adresse à la collectivité des citoyens français : pourquoi s’empêcherait-on aujourd’hui de subventionner d’une manière ou d’une autre l’émergence des énergies renouvelables, alors que nous l’avons fait de manière significative il y a quelques dizaines d’années en faveur du programme électronucléaire français, avec des ambitions et des enjeux justes, à savoir l’autonomie énergétique et les multiples sujets qui en découlent et qui restent d’actualité ? Nous disposons aujourd’hui de technologies qui sont matures, qui deviennent économiquement rentables, voire très rentables, qui sont des aubaines en termes d’investissement, de créations d’emplois – on le voit dans le monde entier. Dès lors, pourquoi l’État s’interdirait-il d’investir dans ces nouvelles technologies créatrices d’emplois, bonnes pour la planète et pour la territorialisation ?
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M. le président Julien Aubert : Vous dites « investir ». Créeriez-vous un opérateur public « vert » qui investirait dans ces technologies ou souhaiteriez-vous que l’on continue de subventionner tel qu’on le fait par appels d’offres ?
M. Emmanuel Soulias : Investir est un terme général, qui peut revêtir plusieurs sens. Je n’ai pas la réponse à votre question. Faut-il un opérateur ? Oui, il y a l’outil fiscal ; oui, il y a les aides ; oui, il y a l’investissement, direct ou indirect, de l’État dans des technologies, en faveur d’acteurs ou de champions nationaux. L’État est en situation de devoir comparer et peut-être d’arbitrer différents types de coût ou différents types d’investissement entre les énergies renouvelables – je vais vite, c’est probablement très caricatural – et le maintien d’une technologie nucléaire coûteuse et qui ne présente plus aujourd’hui les mêmes avantages, notamment économiques et financiers, par rapport aux renouvelables qu’il y a encore quelques années. Votre question relève, en l’occurrence, d’un choix politique.
M. le président Julien Aubert : Monsieur Choné, peut-être pourrez-vous nous sortir de l’ambiguïté : soit le nucléaire est rentable, soit il est moins rentable. Si c’est la vache à lait, l’ARENH doit être maintenue ; si ce n’est pas le cas, il faut arrêter les subventions.
M. Fabien Choné : S’agissant des subventions en faveur des énergies renouvelables, depuis la loi de finances de 2016, la CSPE ne finance plus les énergies renouvelables, c’est-à-dire que les taxes que nous collectons au titre de la facture de l’électricité sont versées directement dans le budget de l’État.
M. le président Julien Aubert : Le principe de l’ ARENH repose sur l’idée que le nucléaire peut tracter le marché. On le maintient parce qu’on pense que l’on peut produire de l’énergie nucléaire à bas coût. Dans le même sens, on nous explique que les énergies renouvelables sont matures et que le coût du nucléaire, en réalité, n’est pas aussi bas et qu’il peut tendanciellement augmenter : la rentabilité du nucléaire serait plutôt derrière nous que devant nous. Mais on ne peut pas défendre simultanément l’idée que le nucléaire est rentable et qu’il faut maintenir un tarif historique pour financer le marché, et l’idée que le nucléaire sera de moins en moins rentable et qu’il faut investir dans les énergies « vertes ». Soit le nucléaire a un avenir, et dans ce cas il faut conserver l’ARENH et tracter le marché. Soit on considère que le nucléaire est fragile, et dans ce cas il faut peut-être arrêter de fonctionner avec l’ ARENH.
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M. Fabien Choné : Je crois qu’il faut distinguer le nucléaire ancien et le nucléaire nouveau. La vraie question est là.
M. le président Julien Aubert : On n’est pas obligé de faire du nucléaire nouveau. On peut faire un grand carénage et prolonger la vie des centrales de soixante ans.
M. Fabien Choné : De mon point de vue, même si le grand carénage suppose des financements élevés et soulève des questions, il est rentable sur la durée pour la collectivité. La question de la compétitivité des énergies renouvelables se pose, selon moi, davantage en rapport au nucléaire nouveau qu’au nucléaire ancien. Des déclarations du Président de la République, je comprends qu’il est envisagé, au titre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, de relancer le nucléaire nouveau en fonction des conditions économiques du moment. La question se posera, je crois, à la fin des années 2020, mais le grand carénage est confirmé. L’ ARENH et son évolution, en tout cas dans le cadre de la régulation nucléaire après 2025, ont été cités par le Président de la République.
M. Vincent Maillard : Je vais vous poser une question que vous pourrez peut-être poser à d’autres intervenants. Le propos de M. Soulias était intéressant. Même si l’on produit du renouvelable, on est très sensible à la situation des prix du marché de gros, qui sont passés de 35 à 65 euros le MWh pour descendre à 50 euros. C’est la question que vous pourriez poser à des spécialistes du sujet. En France, les coûts de production globaux ont-ils évolué de la même manière sur les différentes scènes ? Avec un mix énergétique qui comporte 400 TWh de nucléaire, pourquoi les coûts de production sont-ils passés de 35 à 65 euros le MWh ? Que s’est-il passé ? Pourquoi, globalement, les marchés ne reflètent-ils pas la situation des coûts ? C’est là un vrai problème : si on ne sait pas prévoir les conditions de marché, si les prix de marché explosent à 70 ou 80 euros le MWh, M. Soulias aura beaucoup de mal à atteindre 150 000 clients !
Mme la Professeure Anna Creti (Université Paris-Dauphine), de M. Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de M. Nicolas Berghmans, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
M. le président Julien Aubert : Une des préoccupations de notre commission d’enquête est de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la transition énergétique trouve, particulièrement en France, une traduction massive en termes de fiscalité, car la transition énergétique est davantage une transition fiscale qu’écologique. Ces propos, je le précise, n’appartiennent qu’à moi… Les niveaux d’imposition pèsent de plus en plus sur les consommateurs, au point de générer des doutes et, chez certains, un réel rejet de la transition écologique. Le climat social actuel traduit pour partie ce désarroi de l’opinion. Vous comprendrez qu’il nous importe de connaître vos analyses et observations, notamment si vous disposez de comparaisons internationales. Pour l’heure, nous avons largement éclairé le sujet des recettes, ce que l’on prélève au nom de la transition énergétique. Le coût complet des énergies renouvelables, qui reste à définir plus précisément, est, bien évidemment, un des thèmes de réflexion de notre commission.
Mme Anna Creti, professeure à l’université Paris-Dauphine : [...] L’Italie marque une volonté forte d’intégrer les renouvelables dans le mix énergétique d’un pays qui est essentiellement consommateur de gaz. Sa consommation est très pauvre en matières fossiles. Il consomme du charbon en faible proportion.Les énergies renouvelables portent leurs effets tout au long de la filière. Des coûts sont liés à l’investissement, d’autres sont liés, de façon plus subtile, à la modification du paysage énergétique en termes d’acteurs, d’autres encore au financement de ces investissements. La France a opéré une transition fiscale. L’Italie n’a pas utilisé de la même façon l’instrument fiscal. Un deuxième effet se répercute en amont. Quel est l’apport de ces énergies dans les marchés de l’électricité ? L’Italie a bénéficié d’un avantage sous la forme d’une baisse des prix de l’électricité. En dix ans, en moyenne, les prix de l’électricité sont passés, sur les marchés amont, de 70 et 80 euros par mégawattheure (MWh) à moins de 30 euros aujourd’hui, s’alignant ainsi quasiment sur les prix français.S’il faut évaluer les coûts et les avantages de l’intégration des énergies renouvelables, il convient de ne pas oublier d’évaluer les bénéfices en amont sur l’ensemble de la filière, aussi bien que les coûts pour les consommateurs en aval. Un consommateur français qui s’équipe de panneaux solaires ne le fait pas pour obtenir uniquement un gain, y compris futur, sur sa facture d’électricité actuelle, mais aussi parce qu’un fournisseur aura réussi à le convaincre qu’il s’agit d’un investissement intéressant et parce qu’il est animé d’une conscience verte.
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M. le président Julien Aubert :Je voudrais clarifier un point. Nous sommes confrontés à une petite contradiction. Nous avons reçu, ce matin même, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui nous a expliqué qu’investir dans les énergies vertes électriques ne contribue pas à l’objectif de réduction du CO2. Il ajoute qu’en France le nucléaire est décarboné, et qu’investir dans des éoliennes ou le photovoltaïque n’a pas d’impact sur le CO2. Par ailleurs, nous appliquons une taxe carbone qui finance le développement de ces énergies en disant aux usagers qu’elle sert à la planète. S’il s’agit d’un choix autre de diversification énergétique, pourquoi l’habiller d’une approche environnementale ? Vous avez déclaré que nos scénarios futurs prenaient en compte la bioénergie, l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire. Tout dépend à quoi ils se substituent. Au niveau mondial, on parie sur une substitution des énergies fossiles vers des énergies renouvelables. En France, ce n’est pas le cas puisque la transition est plutôt vue sous l’angle du nucléaire vers les énergies renouvelables. Je voudrais que vous réagissiez à cette première question : quel est l’objectif de la transition énergétique ? Pourquoi, finalement, « transitionne-t-on » ? J’avais longtemps cru que c’était pour sauver la planète. Or, je me rends compte, un peu comme Brassens, que l’on s’est trompé d’idée... Je voudrais avoir votre point de vue. J’y joins une seconde question : pourquoi introduire la concurrence ? J’avais compris que c’était pour faire baisser les prix. Mais, en discutant avec les différents acteurs, on s’aperçoit que, globalement, les prix de l’électricité n’ont pas forcément baissé en France. D’ailleurs, personne n’est capable d’expliquer comment nous sommes passés de 65 à 35 euros le MWh au niveau européen, alors qu’en France les coûts de production n’ont pas évolué dans les mêmes proportions ? D’où vient cette augmentation des prix. Est-elle due, éventuellement, à des investissements subventionnés dans les énergies « vertes » ? Vous aurez compris que c’est un questionnement intériorisé… J’aimerais que vous puissiez réagir et éventuellement m’expliquer pourquoi on pratique la concurrence et pourquoi on fait la transition énergétique, afin que tout cela soit cohérent pour le citoyen.
Mme Anna Creti : L’impact des énergies renouvelables a été plus fort que celui de la concurrence. Le marché électrique est très complexe et y introduire la concurrence n’a pas été aisé. Pendant dix ans, on a tapé sur les doigts des anciens opérateurs historiques. Il s’agit d’un secteur très intensif en capital. Il s’est constitué pour être un marché où la concurrence ne peut être très forte et très dispersée comme l’avait imaginé la Commission européenne quand ont été élaborées ses directives ; elles ont en fait été plaquées sur le modèle des télécommunications. Or, on n’arrivera jamais à avoir une concurrence aussi dispersée. L’intensité de la baisse du prix de l’électricité a donc été relative. La position de ces opérateurs historiques a été bousculée par l’entrée de nouveaux opérateurs parce que les investissements dans les énergies renouvelables ont été subventionnés. Les énergies renouvelables peuvent présenter des défauts, dont l’intermittence. Il n’en reste pas moins qu’on a constaté une baisse du prix sur tous les marchés européens de l’énergie et une petite augmentation de la volatilité, qui est inhérente au marché de l’électricité. Cela répond en partie à votre question, qui est de savoir pourquoi nous faisons tout cela. L’objectif européen est très important, il vise à la fois la concurrence et le verdissement du secteur de l’électricité. Bien sûr, les modèles ne sont pas toujours adaptés aux deux objectifs en même temps. Mais, selon moi, la réponse est claire : si l’on se reporte au montage des prix de l’électricité en amont, là où les opérateurs échangent – offre et demande –, les prix ont baissé. La composante « hors énergie » du prix pour le consommateur final, en revanche, a augmenté, en différenciant les prix pour les industriels et ceux pour les résidentiels. Les premiers sont peu touchés par la fiscalité, qu’il s’agisse de la répercussion des subventions aux énergies renouvelables ou d’autres formes de fiscalité comme la TVA. Les prix pour les industriels ont donc très fortement baissé, ce qui est une bonne chose pour la compétitivité, et les prix pour le consommateur final européen sont restés stables ; s’ils ont un peu augmenté au cours des quatre dernières années, c’est en raison de mécanismes différents de taxation. Je terminerai en citant l’exemple du Danemark, qui est intéressant. Le Danemark a un mix énergétique composé à 95 % de renouvelables. Il a beaucoup investi dans l’éolien et utilise l’hydraulique de la Norvège et de la Suède pour pallier l’intermittence des autres énergies renouvelables. Le prix au consommateur final danois figure parmi les plus élevés en Europe parce que la fiscalité énergétique est concentrée sur le consommateur final résidentiel, les industriels ne payant quasiment aucune taxe sur l’énergie. Si l’on se reporte aux statistiques, le prix moyen du KWh en Europe est estimé à 20 centimes d’euro. La France se situe juste en dessous et le Danemark quasiment au double.
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M. le président Julien Aubert : Donc, ce n’est pas lié au choix énergétique, mais au choix fiscal ?
Mme Anna Creti : Oui.
M. le président Julien Aubert : Vous confirmez aussi qu’en mettant en place la concurrence, la Commission européenne avait l’intention de faire baisser les prix ?
Mme Anna Creti : Cela n’a jamais été formulé ainsi. L’objectif des directives sur la concurrence était de permettre aux consommateurs européens d’accéder aux mêmes conditions d’achat de l’électricité partout en Europe. Il s’agissait d’un alignement des prix plutôt que d’une volonté de faire baisser le prix de l’électricité, qui n’est écrite nulle part.
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M. le président Julien Aubert : Les prix en France étaient déjà très bas.
Mme Anna Creti : Ce n’étaient pas les plus bas en Europe. Aujourd’hui, les prix les plus bas sont ceux de certains pays de l’Est qui, il est vrai, avaient des prix historiquement bas.
M. le président Julien Aubert : Lorsque les prix augmentent tendanciellement en France, on peut dire que la concurrence a rempli son objectif. Si l’idée était de les harmoniser, on constate que certains ont baissé et que ceux de la France ont augmenté.
Mme Anna Creti : Les prix s’alignent, en effet, pour le consommateur final.
M. le président Julien Aubert : Dans la pensée de la Commission, l’objectif du verdissement était-il la diminution des émissions de CO2 ou la diversification industrielle ?
Mme Anna Creti : La diminution du CO2. C’était un objectif explicite de la directive de 2008.
M. Cédric Philibert : Monsieur le président, je reviens à votre première question : qu’est-ce que la transition ? L’objectif est-il le climat ? D’un point de vue mondial et européen, il y a aucun doute, c’est bien le climat. Les renouvelables, en essor en Allemagne, ont progressivement remplacé le nucléaire mais n’ont pas permis la décroissance de la consommation d’énergies fossiles, du moins jusqu’à présent. On a même enregistré une légère augmentation de 2 % pendant deux années consécutives.Ce n’est pas considérable, mais c’était une augmentation et non une réduction. Les Allemands ont donc choisi de réduire le nucléaire avant de s’occuper des émissions de CO2. En France, on a décidé de mettre en place des éoliennes et du solaire pour remplacer le nucléaire.
Selon moi, il faut s’attacher à la perspective des trente années qui viennent. On a construit un parc impressionnant en un temps extrêmement court. Personne ne pense possible de réitérer le même exploit aujourd’hui avec la renouvelable ou quelque autre source d’énergie décarbonée que ce soit. Personne n’imagine qu’on va faire du nucléaire neuf, encore moins dans des quantités comparables à celles du passé. Une des questions est donc de savoir combien de temps on peut prolonger les centrales actuelles, dont l’âge moyen avoisine aujourd’hui les trente ans. On va certainement les prolonger, sous réserve des investissements supplémentaires qu’exigera l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour amener les centrales actuelles au niveau de sécurité, plus élevé, qui avait été exigé au moment de la conception de l’ European Pressurized Reactor (EPR), et dont je ne pense pas qu’il puisse ni doive être réduit. On parle des investissements du grand carénage à hauteur de 40 milliards d’euros. Le montant des investissements ne sera sans doute pas le même dans toutes les centrales. J’exprime là une opinion personnelle et non pas une vue officielle.[...]
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La situation d’autres centrales est meilleure, qui ne nécessitent que 300 millions ou 500 millions d’euros d’investissements. L’exploitant sera heureux de le faire et de prolonger ainsi leur fonctionnement. Tout cela entraînera une décroissance progressive du nucléaire, que cela participe ou non d’un objectif politique, tout simplement parce que c’est inscrit dans les faits et qu’il peut difficilement en être autrement sur un plan pratique. On en prolongera certaines, non toutes, ce qui engendrera un déficit d’énergie. La question est de savoir si ce déficit d’énergie sera complété par d’autres énergies sans carbone, ou si l’on remettra plus de carbone dans le système, par exemple avec des centrales à gaz.
M. le président Julien Aubert : Vous excluez donc le nouveau nucléaire.
M. Cédric Philibert : Non, je ne l’exclus pas. [...] D’une certaine manière, à court terme en tout cas, tant que le niveau de pénétration des énergies renouvelables n’aura pas dépassé les 50 %, ce qui supposerait éventuellement des coûts d’intégration importants, les renouvelables constituent l’offre économique qui s’imposera.La transition est une bonne solution pour éviter de remettre du carbone dans le système dans les dix, vingt, trente ans qui viennent, à mesure que la part du nucléaire décroîtra inexorablement en France. Si nos scénarios suggèrent qu’elle va augmenter, c’est parce que d’autres pays passeront éventuellement de 1,5 % à 1, 2 ou 3 % de nucléaire dans leur mix.
M. le président Julien Aubert : Vous avez expliqué que le solaire était très cher il y a quelques années. Si j’avais déclaré il y a quelques années que le solaire ou l’éolien ne pourrait remplacer le nucléaire parce que trop onéreux, on m’aurait répondu quatre ans plus tard que les prix ont baissé… Pouvons-nous nous fonder sur les coûts des premiers EPR pour justifier le coût du nouveau nucléaire, sachant que les Chinois vont en construire et que, si l’on construisait dix en France, il est probable que le dixième n’aura pas le coût du premier, au même titre que le démantèlement ?
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M. Cédric Philibert : Oui, encore que l’expérience historique du nucléaire montre plutôt une hausse régulière du coût qu’une baisse drastique.
M. le président Julien Aubert : Savez-vous combien a coûté le parc nucléaire français ?
M. Cédric Philibert : Non, mais il se mesure en milliards d’euros...
M. Nicolas Berghmans : Comme l’a expliqué Mme Creti, nous sommes sur un marché électrique européen interconnecté. Les énergies renouvelables ne se substituent pas nécessairement au nucléaire, mais elles peuvent aider à substituer des synergies fossiles au-delà de nos frontières. Nous sommes, à mon sens, dans une perspective de décarbonation. Je reviens à votre question sur la facture des ménages. Les prix de l’énergie sont élevés, mais ce n’est pas le seul facteur qui impacte la facture des ménages. Le consommateur veut bénéficier des services que rend l’énergie. Cela dépend aussi beaucoup de l’efficacité du fournisseur de services selon qu’est concernée sa maison, sa voiture, etc. Dans cette optique, on ne peut pas se limiter aux prix pour évaluer la facture des ménages, il faut aussi s’attacher à la consommation, par exemple, des bâtiments. Le sujet-clé en Europe et pour la France est la rénovation énergétique. Rénover les logements permet de vivre dans un monde où l’on peut supporter des prix de l’énergie plus élevés parce qu’on en consomme moins. Vous avez indiqué que la taxe carbone est affectée aux énergies renouvelables (EnR). Ce n’était pas le cas jusqu’à récemment. Les EnR étaient financées par une taxe sur l’électricité, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), née d’un jeu d’arbitrages. L’État a décidé que les recettes de la taxe carbone seraient destinées aux énergies renouvelables. Dans les faits, les contrats ont été passés avec les exploitants et une large part de la rémunération des producteurs d’énergies renouvelables, hors marché électrique – car ils se rémunèrent aussi par le marché électrique –, est issue des coûts des contrats passés. Si, demain, on décidait de ne plus financer les énergies renouvelables par la taxe carbone, il faudrait trouver une autre ressource pour les financer. Une partie est liée aux futurs développements des EnR, mais elle est relativement modeste en raison de la forte baisse des coûts des énergies renouvelables ces dernières années.
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M. Cédric Philibert : [...] Le faible loyer de l’argent aujourd’hui, le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt, démontrent la présence, dans le monde, d’une abondance d’épargne qui ne demande qu’à se porter sur des investissements longs mais sûrs. On le constate aujourd’hui avec le faible coût des énergies renouvelables. J’en parlais il y a peu avec un banquier qui finance ce type d’investissement en Espagne, où les énergies renouvelables sont désormais un investissement privé totalement rentable. Les gens investissent et vendent l’électricité sur le marché de l’électricité ou via des accords bilatéraux avec des acheteurs. Il n’existe aucun système public de subventions ou de financements cachés, et le solaire est à 30 ou 35 euros le MWh. Cela s’explique, certes, par la bonne ressource espagnole, mais aussi par le très faible coût du capital exigé pour y parvenir. L’Espagne signe en effet un accord d’achat sur quinze ans, à un prix garanti pour des quantités garanties et une technologie totalement garantie. Elle sait donc exactement quel sera le retour sur investissement. Elle trouve auprès des banques des prêts aux mêmes taux que ceux qui s’appliquent à l’achat d’un logement, soit 1,5 %. Elle finance ainsi du solaire avec un coût moyen pondéré du capital de l’ordre de 3,5 % ou 4 %, taux qui couvre à la fois la rémunération de la part d’investissements propres et la rémunération du banquier. L’épargne abonde, il faut donc trouver le moyen de la diriger vers la transition énergétique. Il ne s’agit pas forcément de dépenses publiques.
Mme Anna Creti : Qui investit dans quoi ? Nous disposons de nouveaux instruments, de nouvelles conceptions, de nouvelles façons de revitaliser les territoires, de les rapprocher des citoyens, de proposer des modèles de vie différents. Voilà pour la potentialité. Il convient ensuite de contrôler les effets redistributif et d’éviter que l’activisme de certains territoires ne soit qu’un exemple isolé. Avoir accès au PTEC [portefeuille territorial d’évènements culturels] suppose d’être une agglomération, donc d’atteindre un certain niveau d’agrégation, mais certains effets peuvent « percoler » jusqu’au citoyen. Il n’y a pas seulement des dépenses et des investissements, il y a aussi de nouvelles opportunités, qu’il s’agisse de bâtiments ou de nouveaux modes de vie sobres en carbone. Les investisseurs ne sont pas ceux du passé. L’investissement peut être diffus et porté par des financements verts. Cyniquement, je dirais qu’il y a de l’argent à gagner, qui viendra soutenir des investissements revêtant une dimension intéressante parce qu’ils sont adaptables, et d’une taille moindre que celle, massive, du nucléaire. J’ajoute qu’il est très difficile de comparer les investissements dans le nucléaire et les investissements dans les renouvelables. Aujourd’hui, si vous demandez à un opérateur neutre, autre que l’opérateur dominant qui a construit son passé dans ce secteur, s’il veut investir dans le nucléaire, votre proposition ne suscitera pas un grand enthousiasme, pour toute une série de raisons que je pourrais détailler. Les montages financiers pour les énergies renouvelables, dans une optique de marché, sont en revanche perçus avec intérêt, et attirent des investissements, petits ou grands.
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Mme Laure de La Raudière : Monsieur Philibert, vous avez dit que le scénario prenait en compte quatre énergies renouvelables majeures : la bioénergie, l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire. Vous avez précisé que 50 % de la contribution passait par la bioénergie, 20 % à 25 % par l’hydroélectricité et 20 % à 25 % pour l’éolien comme pour le solaire – soit un total, si l’on vous suit, de 125 %.
Mme Laure de La Raudière : Ma deuxième question, importante pour la commission d’enquête, concerne la baisse des prix des énergies renouvelables comparée au prix du nucléaire en France. Par rapport au parc existant et installé, à quel moment les courbes se croiseront-elles ? Le prix d’un appel d’offres sur le solaire se situe aujourd’hui à 65 euros le MWh. Le parc existant, lui, tourne plutôt aux alentours de 200 euros. À quel moment pouvons-nous imaginer que les courbes se croiseront et, surtout, à quel rythme faudra-t-il implémenter l’énergie renouvelable ? Il ne sert à rien d’aller trop vite si les prix continuent de baisser et que le coût du nucléaire augmente. Peut-être convient-il de prévoir cette séquence dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui intègre ces calculs économiques. Ma troisième question concerne l’investissement en matière d’énergies renouvelables, donc d’investissement d’argent public. Si on parle d’investissement, on peut parler de rentabilité. Quelle serait la rentabilité d’un euro d’argent public investi dans les renouvelables aujourd’hui, si l’on se réfère aux coûts actuels, en comparaison d’un euro d’argent public investi dans la rénovation des bâtiments ? Quelle est la meilleure rentabilité de la dépense publique de notre pays, entre rénovation des bâtiments et énergies renouvelables ?
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M. Cédric Philibert : Si nous devons préparer de nouvelles énergies pour remplacer les anciennes, il convient de comparer les coûts des constructions actuelles, que ce soit dans le nucléaire, dans le thermique, ou dans le solaire ou l’éolien qui sont à construire. Celles du solaire et de l’éolien sont aujourd’hui moins onéreuses que celles du nucléaire. Excusez-moi, mais il n’y a pas beaucoup de sens à comparer l’électricité et ce qui est amorti, car l’hydraulique, par exemple, est de loin l’énergie la moins chère : elle supporte très peu de coûts de fonctionnement, contrairement au nucléaire.
Mme Laure de La Raudière : Sur le plan de la rentabilité, qu’en est-il de l’argent public investi dans les renouvelables par rapport à celui investi dans la rénovation de bâtiments ?
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Mme Anna Creti : L’énergie renouvelable est rentable dans une optique de marché, ce n’est pas spécifiquement un problème qui se pose à l’État. L’investisseur investira dans les renouvelables. Les critères reposeront sur la parité réseau. Les coûts de l’investissement dans les énergies renouvelables sont-ils similaires au coût de l’électricité produite par les énergies fossiles et que l’on peut acheter sur les réseaux ? Nous avons quasiment atteint cette parité réseau. Dans la mesure où nous sommes en retrait et en retard sur les objectifs de rénovation des bâtiments, il faudrait …
Mme Laure de La Raudière Diminuer les subventions aux renouvelables ?
M. le président Julien Aubert : Ces énergies vertes électriques étant matures, la décision publique devrait être d’orienter l’argent public, non pas vers le subventionnement des énergies « vertes » électriques mais plutôt vers d’autres priorités, comme le bâtiment.
Mme Anna Creti : C’est cela.
À suivre...
Les témoignages en totalité, commentés par Michel Gay. Michel Gay est membre de l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), de la Fédération environnement durable (FED), et de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).
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