Les Vues imprenables vous invitent à prendre connaissance des témoignes des différents acteurs de l' énergie qui se sont succédés devant la Commission. Chacun à leur manière et selon leurs intérêts particuliers décrivent remarquablement la chronique annoncée d'un suicide climatique, économique et écologique pour la population et la France dont le nom est Transition énergétique. Ils confirment aussi que plus personne ne s'est comment arrêter la "machine" à perdre et comment revenir en arrière.
Les nuisances sanitaires ne sont pas abordées dans ces premiers témoignages.
Plus dure sera la chute!
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Compte-rendu de réunion n° 12
Morceaux choisisp116
M. François Brottes, Président du directoire de Réseau transport électricité (RTE), accompagné de M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, de M. Arthur Henriot, chargé de mission au cabinet du Président, et de Mme Lola Beauvillain-de-Montreuil, attachée de presse.
M. le président Julien Aubert : RTE est l’entreprise publique en charge de la gestion du réseau de transport d’électricité à haute et très haute tension. À ce titre, elle doit veiller en permanence à l’équilibre entre la production d’électricité, ou plus précisément sa disponibilité sur le réseau, et la consommation nationale. La montée en puissance des énergies renouvelables (EnR), majoritairement intermittentes, représente un défi d’adaptation du réseau de RTE et justifie à elle seule cette audition. Elle suppose, pour votre entreprise, de programmer d’importants investissements. L’insertion sur le réseau n’est-elle pas « la grande oubliée », « la Belle au bois dormant », lorsque l’on évoque la question du coût complet des EnR ?
M. François Brottes, président du directoire de RTE : RTE n’est pas un acteur parmi d’autres ; nous sommes en situation de monopole. Ce n’est pas un gros mot : il ne peut y avoir plusieurs opérateurs de lignes à très haute tension en France, pas plus que nous ne pouvons organiser à plusieurs l’équilibre du système. De façon permanente, seconde après seconde, RTE doit veiller à ce qu’il n’y ait pas de black-out – le dernier est survenu en 2006. Nous disposons de quatre secondes pour éviter le black-out. Commençons par rappeler que la consommation en France est stable depuis six ans. Ne l’oublions pas, la maîtrise de la demande d’énergie est la première des énergies renouvelables. Si jamais un infléchissement survenait et que la consommation repartait à la hausse, la situation serait encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui. La fermeture des centrales au fioul et au charbon, depuis 2012, a représenté 13 gigawatts. La fermeture annoncée de Fessenheim et, potentiellement, de cinq tranches au charbon représenterait 5 GW supplémentaires. Or le pic de consommation en 2018 était de 96,66 GW. On aura donc fermé l’équivalent de 19 % des besoins aux moments des pics de consommation. Les interconnexions, sur lesquelles je reviendrai si j’en ai le temps, ont un potentiel de 11 GW, mais il faut imaginer devoir partager avec nos voisins : il peut arriver qu’ils en aient besoin en même temps que nous. Cela donne une idée du gap auquel nous sommes confrontés : même si la consommation reste somme toute raisonnable, la situation risque de se compliquer si l’on se dégrée de moyens de production sans leur substituer d’autres éléments. Les États européens sont eux aussi confrontés à ce phénomène : la Grande-Bretagne a réduit son parc au charbon de 13 GW depuis 2012, l’Allemagne veut réduire son parc au charbon lignite de 15 GW d’ici à 2025, avec une sortie annoncée en 2038, l’Italie veut réduire son parc au fioul de 15 GW d’ici à 2025 et la fermeture en 2020 de dix centrales au charbon a été annoncée en Espagne. Autrement dit, nos marges de manœuvre se réduisent fortement. Le gisement hydraulique reste très faible. Les centrales thermiques ne font pas partie de l’avenir car elles sont polluantes. [...] Trop souvent, les producteurs, forts de l’accord des élus et de la population, demandent à être raccordés rapidement, sans songer que le premier poste électrique auquel leur installation serait raccordable peut se trouver à 50 ou 70 kilomètres de distance, que cela suppose des travaux de raccordement, des délais pour trouver les voies et moyens juridiques d’éviter les recours, etc. Autant de considérations qui souvent ne faisaient pas partie des pensées premières des promoteurs. Ensuite, ce n’est pas parce que les installations sont raccordées au réseau de distribution – ce qui est le cas de plus de 92 % des capacités en GW – que l’on n’a pas besoin du réseau de transport. Il faut savoir que, lorsque la consommation n’est pas suffisante pour écouler la production locale, le réseau de distribution refoule la production vers le réseau de transport, chargé de l’équilibre de l’ensemble. La part de l’énergie refoulée est de 25 %, en hausse de 40 % en 2018 par rapport à 2016. En décembre 2017, le refoulement a été de 180 % supérieur à ce qu’il était en décembre 2016. Il faut savoir que les auto-consommateurs ne sont pas coupés du monde ni du réseau : ils l’utilisent moins, ce qui les amène à penser qu’ils devraient moins payer ; à ceci près qu’ils ont besoin d’y avoir accès à tout moment… Le réseau de transport ou de distribution doit donc être disponible en permanence, ce qui suppose des charges fixes. L’autoconsommation n’est pas une façon de réduire le coût des nouvelles lignes ; elle permet uniquement d’éviter de payer des taxes sur la propre électricité. Il y a donc un effet de transfert vers les autres consommateurs, puisque le fonctionnement des réseaux induit essentiellement des charges fixes. Le bilan prévisionnel de 2017 montre que si 4 millions de foyers étaient équipés d’un système d’autoproduction en 2035, le gain pour chacun d’entre eux serait d’environ 100 euros par an, mais que le surcoût pour les foyers qui ne pourront pas s’équiper atteindra 17 euros par an. Quant au surcoût net pour le système électrique, il sera de 150 millions d’euros. [...]
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Il faut commencer par relier le parc de production considéré au réseau de transport et de distribution. Les coûts de raccordement sont pris en charge à 100 % par le producteur, dès lors que l’installation fait plus de 5 MW. Cela concerne environ 94 % des capacités d’éoliennes et un tiers des capacités photovoltaïques. Les installations plus petites bénéficient d’un taux de réfaction de 40 %, couvert par le TURPE. Mais le raccordement des installations suppose souvent, pour évacuer les nouvelles capacités de production, de créer de nouveaux ouvrages dédiés aux énergies renouvelables sur le réseau de distribution ou de transport. Ces ouvrages sont identifiés dans le cadre du S3RENR. Les vingt et un premiers schémas S3RENR, élaborés entre 2012 et 2016, prévoient, pour la France continentale, la création d’ouvrages dédiés pour un montant de 772 millions d’euros, dont 317 millions d’euros pour les ouvrages RTE, financés par la quote-part. Fin 2018, 53 % de ces montants avaient été dépensés ou engagés. Les travaux de renforcement d’ouvrages dédiés, financés via le TURPE, atteignent 261 millions d’euros, dont 189 millions pour les ouvrages RTE. Fin 2018, 56 % de ces montants avaient été dépensés ou engagés. Ces schémas sont dimensionnés pour accueillir 26 GW de production d’énergie renouvelable. La quote-part « transport et distribution » varie entre 0 euro le MW, quand aucun aménagement supplémentaire n’est réalisé, et 70 000 euros le MW. Le coût total des investissements pour le raccordement au réseau des énergies renouvelables, financé par le TURPE, représente 4,3 milliards d’euros par an, soit 8 % du tarif de vente résidentiel. Au total, les coûts d’adaptation du réseau de RTE au nouveau mix énergétique seront de 2,1 milliards d’euros sur la période 2019-2022, dont 1,2 milliard pour l’éolien en mer. Les producteurs rembourseront 300 millions d’euros ; le reste sera répercuté sur les tarifs, donc sur les consommateurs, via le TURPE. Je rappelle que les règles des premiers appels d’offres concernant l’éolien en mer ont été modifiées : le raccordement des parcs, autrefois financé par la CSPE sous son ancienne forme, est désormais « turpé » et assumé par RTE. La partie financée aujourd’hui est la partie « transport ». Le glissement n’est pas que sémantique. Ces investissements représentent 70 % des objectifs de la PPE option haute – 35 GW d’éolien terrestre et 45 GW de photovoltaïque en 2028 – et 100 % des objectifs de la PPE option basse – 34 GW d’éolien terrestre et 35 GW de photovoltaïque. Cela signifie que si la PPE tient sa trajectoire, au-delà des besoins liés aux seules adaptations structurelles requises pour le branchement de nouvelles sources d’énergies renouvelables, il faudra prévoir quelques bricoles en plus… Comme je l’ai expliqué, c’est le TURPE qui financera les coûts de raccordement et de transport de l’éolien en mer, qui s’élèvent à 300 millions d’euros en moyenne pour un parc de 500 MW, auxquels il convient d’ajouter le coût d’un poste en mer, de l’ordre de 100 millions d’euros. La part du transport et du raccordement, de 400 millions d’euros pour un parc estimé à 1,8 milliard d’euros, est significative. Le fait qu’elle soit prise désormais en charge par le TURPE, donc le tarif – ce qui est le cas dans la quasi-totalité des autres pays d’Europe – permettra aux candidats du projet au large de Dunkerque de faire une offre de tarif moins élevée. Ces actifs seront amortis sur quarante-cinq ans avant d’être éventuellement démantelés.
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À l’origine, on pensait devoir provisionner les coûts liés au démantèlement dès la première année, ce qui renchérissait le coût et accréditait l’hypothèse que la concession de vingt ans ne serait pas renouvelée. Nous sommes parvenus à un accord très pragmatique, et j’en remercie les services de l’État : trois ans avant la fin de la concession, nous aurons rendez-vous pour évaluer, selon les conséquences sur l’environnement, la nécessité ou non de démanteler. Je suis de ceux qui pensent que l’on provoque parfois plus de dégâts en démantelant qu’en laissant les choses en l’état, lorsque les câbles sont ensouillés par exemple. Nous saurons alors si le parc pourra encore être exploité. Le coût du démantèlement, qui sera forcément « turpé », n’est pas intégré dans les prix que je vous ai indiqués. C’est le quotidien de RTE : nous gérons en permanence 200 contentieux, car nous sommes toujours les premiers arrivés dans les projets d’installation de parcs. Je rappelle que l’éolien en mer est toujours pénalisé par les recours : aucune procédure n’est close pour le moment. [...]
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L’hydrogène, c’est un peu une tarte à la crème, si vous voulez bien me pardonner cette vulgarité, et cela prête à bien des confusions. Celle-ci porte d’abord sur les différentes sources d’hydrogène. Il y a de l’hydrogène « gris », pas propre, produit à partir du méthane selon un processus de vaporeformage émetteur de CO2, de l’hydrogène « bleu », produit selon le même processus de vaporeformage mais avec une capture du CO2 émis – c’est presque de l’hydrogène propre –, et de l’hydrogène « vert », complètement propre, produit par électrolyse après d’électricité issue d’énergie renouvelable. Il existe aussi une confusion en ce qui concerne les usages. On distingue les usages directs actuels, dans l’industrie, comme la fabrication d’engrais ou d’ammoniac, les usages directs futurs, par exemple la mobilité grâce à l’hydrogène, et les usages indirects via une injection dans le réseau de gaz, avec du méthane dans de faibles proportions – de 2 à 10 %. Dans ce dernier cas, on l’injecte après transformation en méthane de synthèse – c’est ce que l’on appelle la méthanation – en utilisant les infrastructures actuelles, avec beaucoup de perte.[...]
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J’ai senti que vous vouliez aussi m’interroger sur le véhicule électrique du point de vue de la flexibilité. Nous estimons qu’il y aura environ 16 millions de véhicules électriques en 2035. En tant que gestionnaires du réseau et garants de l’équilibre du système électrique, nous disons que cela peut être une chance considérable, à condition que le pilotage soit vertueux. Si tout le monde recharge où il veut, quand il veut, à la vitesse qu’il veut et pour obtenir le volume qu’il veut, on n’y arrivera pas : ce sera très compliqué. Pour donner une idée de la consommation d’énergie, 16 millions de véhicules représentent 35 térawattheures, soit l’équivalent de ce que consomme la région Nouvelle-Aquitaine – mais c’est moins que le chauffage électrique. Quel serait l’impact des appels de puissance sur le réseau et des pointes de consommation ? L’enjeu est là : un million de véhicules électriques représentent une pointe de près de 700 MWh s’il n’y a pas de pilotage. Seize millions de véhicules électriques, ce sont 16 millions de batteries que l’on peut piloter pour soutenir le réseau. C’est l’équivalent en énergie de dix fois les STEP dont on dispose aujourd’hui. Il faut bien avoir conscience que c’est colossal, si c’est bien piloté. L’intérêt est de pouvoir stocker et déstocker : on stocke quand il y a une abondance d’électricité, typiquement la nuit, et on déstocke dans des moments où une question de pointe va peut-être demeurer. Si l’on pilote bien, on peut réaliser entre 1 et 1,5 milliard d’euros d’économies par an pour le système électrique européen. Il y a donc un enjeu de pilotage. Le législateur et ceux qui font les règlements devront certainement adopter une approche un peu coercitive afin que ce ne soit pas « open bar » – pardonnez-moi cette expression triviale. Sinon, nous ne réaliserons pas les gains considérables que je suis en train d’évoquer. [...]
Mme Marie-Noëlle Battistel : [...] Pour ce qui est de l’effacement et de l’ interruptibilité chez les industriels, considérez-vous que la rémunération est suffisante à ce stade ? On sait qu’il coûte vraiment très cher d’importer quand on en a besoin. L’effacement et l’ interruptibilité sont rémunérés toute l’année même si l’on ne s’en sert pas, mais cette rémunération est-elle suffisante ? Si elle était plus élevée, ferait-on par ailleurs des économies ?
M. François Brottes : Nous avons d’abord travaillé sur les circonstances dans lesquelles on peut être garant au plan national, et pas seulement dans la région Ouest, du maintien de l’équilibre du réseau, ou non. Mais on peut aussi parler des coûts : je vous ai montré que l’on chiffrait des choses. Je voudrais d’ailleurs corriger une bêtise que j’ai dite tout à l’heure sous serment : le montant de 1,8 milliard que j’ai évoqué ne correspond pas au coût d’un parc. Nous n’avons pas le droit d’en savoir le coût, car il est soumis au secret des affaires. Il s’agit, en réalité, du cumul de ce tout ce que nous coûte le raccordement. Vous avez évoqué le coût des interconnexions. Oui, une interconnexion coûte cher. Nous sommes en train de lancer une interconnexion entre Bordeaux et Bilbao ou à peu près, qui passera par le Golfe de Gascogne, pour un coût d’environ 2 milliards d’euros ; on en est au stade de l’appel d’offres Il y a aussi un projet de 550 kilomètres entre l’Irlande et la Bretagne qui devrait coûter 1 milliard d’euros. Nous sommes en train de terminer une interconnexion de 190 kilomètres entre l’Italie et la France, à peu près dans la même fourchette de prix. Par ailleurs, nous construisons une nouvelle interconnexion entre le Royaume-Uni et la France L’Europe fait obligation aux États d’avoir un pourcentage d’interconnexion par rapport à leur production. Le premier motif invoqué est de rendre fluide le marché. Il est vrai que plus il y a d’acteurs qui peuvent jouer sur le marché de l’électricité, plus il y a d’interconnexion possible, et que moins l’intermittence ou la variabilité des renouvelables est grande – je pense à l’éolien –, plus il y a d’interconnexion aussi. Comme il y a toujours du vent quelque part, on est sûr qu’il y a quand même de l’énergie « intermittente » dans le réseau. Même nous, qui sommes le plus grand exportateur d’Europe, nous avons vraiment besoin des autres de temps en temps. Quel est le prix à payer d’un black-out ? L’ interruptibilité est-elle suffisamment rémunérée ? Soyons prudents : cette audition est publique et peut-être la regarde-t-on à la Commission européenne…
M. le président Julien Aubert : Pouvez-vous préciser, pour l’éducation de tous les membres de cette commission ?
M. François Brottes :Cette contestation nous a amenés à plaider, à RTE, qu’il s’agissait plus d’un pré-délestage que d’une interruptibilité. En gros, on déleste des industriels qui sont d’accord pour l’être plutôt que des citoyens qui n’ont rien demandé. Quand on est un peu ric-rac au niveau de l’offre et de la demande, il ne nous reste plus qu’à couper le courant de 20 % des consommateurs d’électricité. Nous avons dit à la Commission européenne qu’il valait mieux délester des gens qui ont donné leur accord plutôt qu’aller embêter des Européens qui n’ont rien demandé. Cela concerne vingt et un sites, ce qui n’est pas beaucoup, pour à peu près 90 millions d’euros. Est-ce suffisant ? Les industriels diront que non, la Commission que c’est beaucoup trop. La preuve est faite en tout cas, et nous n’avons pas forcé le trait, que cela peut être très utile. La contrainte, rappelons-le, dure entre 1 et 5 secondes ; mais on coupe sans prévenir. Cela suppose d’adapter son mode de production industrielle pour être sûr que l’interruption soudaine du process ne crée pas de casse. Ce n’est tant un travail visant à économiser de l’énergie qu’à préserver l’outil industriel. On a expérimenté ce dispositif : il y a eu quelques « bobos » chez un industriel, mais lui-même a reconnu qu’il n’avait peut-être pas pris toutes les précautions nécessaires. En tout cas, c’est extrêmement pratique d’avoir un tel dispositif sous la main : c’est presque l’équivalent d’un réacteur nucléaire et demi. On ne peut certes pas interrompre pendant trois heures, mais dix minutes, vingt minutes, une heure tout au plus. Ou alors, il faudrait trouver un autre système et cela renchérirait considérablement les coûts. Je suis, en tout cas, très partisan de ce dispositif car il est très utile et il aide beaucoup à la sérénité. Il n’est pas dans la culture des équipes de RTE de couper. C’est d’ailleurs un automate qui le fait. Il ne s’agit pas d’un acte humain, car on n’a pas le temps de faire un brain storming ou une réunion pour gérer le problème des 50 Hz : si on ne réagit pas en trois secondes, on est sûr d’avoir une catastrophe. Cela se fait automatiquement, en fonction de réglages préétablis, et cela a montré son utilité. Je ne répondrai donc pas vraiment à la question de savoir si la rémunération est assez élevée. Sans doute faudrait-il la revaloriser si l’on demandait des arrêts plus longs.
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Mme Laure de La Raudière : Je voudrais vous poser une question sur l’éolien terrestre. Avez-vous mesuré l’impact, pour les investissements, des raccordements récents qui sont à la charge de RTE, voire des producteurs – puisque, in fine, ce sont les Français qui vont payer, soit par le biais d’une taxe, soit par le prix de l’électricité –, du fait de l’absence de toute planification territoriale pour l’installation des éoliennes terrestres ? Elles s’implantent là où les promoteurs trouvent un accord avec les maires, les agriculteurs ou les propriétaires fonciers, là où il y a du vent, bien sûr, mais pas en fonction de l’organisation du réseau. Je pose cette question pour deux raisons. D’abord, nous avons supprimé les zones de développement éolien (ZDE), qui permettaient d’avoir une certaine planification. Ensuite, l’acceptabilité sociale de l’éolien terrestre est devenue nulle compte tenu des pratiques des promoteurs. C’est un peu l’anarchie dans nos territoires. Plusieurs grands élus, comme Dominique Bussereau et Xavier Bertrand, ont lancé des alertes sur ce sujet. J’aimerais savoir combien coûte réellement le raccordement de tous ces petits projets éoliens dans l’ensemble du territoire – qu’ils soient supportés par RTE ou par les producteurs, dans la mesure où, au bout du compte, ce sont tout de même les Français qui paient.
M. François Brottes : Comme je l’ai indiqué, le raccordement coûte 300 millions d’euros sur un montant total de 3 milliards. J’ai également indiqué le coût des quotes-parts et le coût qui revient à RTE. [...]
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M. le président Julien Aubert : Revenons aux chiffres et soyons clairs, monsieur le président. Vous avez indiqué que le surcoût lié aux énergies renouvelables pour 2019-2022 s’élevait à 2,1 milliards d’euros, dont 1,2 milliard au titre de l’éolien en mer et 300 millions sont remboursés par les producteurs. Le surcoût total des énergies renouvelables pour cette période s’élève donc à 1,8 milliard. Cependant, vous avez évoqué un autre montant de 1,8 milliard qui correspond au raccordement d’un parc éolien.
M. François Brottes : Ce montant de 1,8 milliard couvre la totalité du coût lié aux ENR.
M. le président Julien Aubert : Soit, les choses sont claires. Reprenons : l’éolien en mer représente 1,2 milliard sur un total de 2,1 milliards et, partant du principe que les producteurs de ce secteur remboursent à RTE à peu près dans les mêmes proportions que les autres, le surcoût de l’éolien en mer doit donc s’élever à environ 1 milliard, selon une règle de trois des plus basiques.
M. François Brottes : Non, ce n’est pas le cas.
M. le président Julien Aubert : Autrement dit, le montant de 1,2 milliard qui correspond à l’éolien en mer est un coût brut, sans remboursement aucun. Résumons : sur un surcoût total de 1,8 milliard lié aux ENR, 1,2 milliard provient de l’éolien en mer. Est-ce le cas ?
M. François Brottes : Oui.
M. le président Julien Aubert : Très bien. Ma deuxième question découle de la première : au-dessus de 5 mégawatts, la prise en charge du raccordement, nous avez-vous dit, incombe à l’opérateur d’ ENR, ce qui représente 94 % des unités de production. Qu’en est-il du surcoût de 1 milliard pour l’éolien que nous venons d’évoquer ? D’autre part, l’éolien en mer n’est pas pris en charge par l’opérateur mais quid des autres éoliens ?
M. François Brottes : En ce qui concerne les parcs d’une puissance supérieure à 5 mégawatts, l’opérateur supporte 100 % des coûts de raccordement. Pratiquement 95 % des parcs éoliens et 33 % des parcs photovoltaïques sont dans ce cas de figure ; les autres n’y sont pas et paient en gros 40 % des coûts de raccordement au lieu de leur intégralité.
M. le président Julien Aubert : Autrement dit, les 5 % de parcs éoliens dont l’opérateur ne couvre pas la totalité des frais de raccordement génèrent 1,2 milliard d’euros de surcoût pour le seul éolien en mer et sans doute une autre part pour l’éolien terrestre.
M. François Brottes : Ils remboursent 300 millions sur un total de 2,1 milliards.
M. le président Julien Aubert : Certes, mais ce montant de 300 millions englobe l’éolien en mer, l’éolien terrestre et le photovoltaïque. Quelle est la part de chacun de ces trois secteurs ?
M. François Brottes : Je ne peux vous faire une réponse improvisée sur ce point ; je vous adresserai une réponse écrite. Je sais néanmoins avec certitude que la plus grosse part de ce montant est assumée par l’éolien.
M. le président Julien Aubert : Il reste néanmoins une charge importante pour RTE.
M. François Brottes : Oui.
M. le président Julien Aubert : Pour comprendre la transition énergétique, cependant, on raisonne souvent en coûts de production. Il faut aussi rappeler que les choix qui sont faits ne se fondent pas seulement sur le critère de la production mais aussi sur celui de l’organisation. Toute la difficulté consiste à identifier les surcoûts générés par la modification de l’organisation électrique. Pour 2019-2022, ce surcoût est de 600 millions d’euros par an, mais il risque d’augmenter à court terme en cas d’amplification de l’éolien, comme le prévoit clairement la PPE. Ma deuxième question porte sur l’évolution du prix de sortie de l’éolien en mer ou de l’éolien terrestre. J’ai cru comprendre que ce coût ne tient pas compte du fait qu’en « turpant » une partie des coûts, on les transfère de la production vers le transport. Autrement dit, le « turpage » de l’éolien en mer, notamment à Dunkerque, se traduit par un meilleur ratio économique pour les opérateurs. Sans trahir votre pensée, j’ai également cru comprendre qu’en réalité, le provisionnement du démantèlement n’est pas inclus dans le coût de production puisqu’il est décalé à trois années avant la fin de la concession. En clair, la construction d’un parc à 60 euros par mégawattheure n’engage pas sur le démantèlement et que le « turpage » d’une partie du coût a permis d’alléger la facture. Est-ce bien le cas ?
M. François Brottes : Je n’ai pas connaissance du coût de production. Vous avez néanmoins raison de rappeler que le coût de raccordement – voire celui de la plateforme – est « turpé ». C’est donc au titre de ce tarif d’utilisation qu’est assumé le coût de cette partie du démantèlement, qui n’incombe donc pas au producteur – lequel a tout de même à sa charge le coût du démantèlement du parc, étant précisé qu’il l’intègre certainement dans sa demande de tarif. J’entends votre raisonnement et je connais l’objectif de cette commission. Vous aurez néanmoins à cœur de vous pencher sur cette question : avons-nous besoin des ENR alors que nous dégréons des moyens polluants ou traditionnels qui ne sont plus au rendez-vous ? Je maintiens ce raisonnement que j’ai tenu en début d’audition. Le raisonnement en termes de coût doit tenir compte du coût dans son ensemble. On nous dit que l’ interruptibilité coûte 90 millions d’euros, mais ce coût est couvert par le tarif. Autrement dit, ce sont en partie les ménages qui paient cette disposition. À ceux qui s’en choquent, je réponds que si les industriels disparaissent ou cessent de rendre ce service, le coût résiduel sera le même et les ménages paieront encore plus ! Il faut donc accepter cette mutualisation. Si nous n’avions pas les ENR, en particulier l’éolien en mer dont le facteur de charge, de l’ordre de 45 %, est significatif – et en faveur duquel je plaide car il me semble que nous en avons besoin. Je ne peux me substituer à votre commission et mon propos porte sur le raccordement, mais je me dois de vous encourager à adopter une approche d’ensemble.
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M. le président Julien Aubert : L’article L. 100-4 du code de l’énergie prévoit que la politique énergétique vise entre autres à « réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Lors de son audition devant cette commission d’enquête, le président de la commission de régulation de l’énergie nous a déclaré d’emblée que le développement des énergies renouvelables ne poursuivait pas un objectif carbone. Vous avez quant à vous parlé de sécurisation du réseau. Pensez-vous que tous ces investissements visent encore un objectif carbone, ce qui justifiait un surcoût, ou que d’autres dimensions ont pris le pas sur cet objectif initial prévu dans la loi relative à la transition énergétique et qu’il est désormais plutôt question de s’adapter à l’évolution du marché de l’électricité et de sécuriser les réseaux ?
M. François Brottes : Je suis de ceux qui pensent qu’il faut toujours se fixer des objectifs ambitieux car le volontarisme aide à trouver une trajectoire. Cela étant, il est tout aussi vrai qu’il est rare d’atteindre les objectifs que l’on se fixe, quel que soit le domaine concerné. J’ai indiqué tout à l’heure que la fermeture des centrales à fioul et à charbon représentait un potentiel de 13 gigawatts, à quoi s’ajoutent cinq tranches de centrales à charbon, soit 3 gigawatts supplémentaires. Ce sont donc bien 16 gigawatts de production très carbonée qui disparaissent. Je vous ai également dit que nous étions dans une situation de plus grande vulnérabilité pour deux raisons : non seulement ces unités appelées à fermer représentent un volume de production significatif, mais elles se caractérisaient par un facteur de charge de 100 %, ce qui n’est le cas ni du nucléaire, où il est de l’ordre de 70 % à 80 %, ni des ENR où il est très variable. Enfin, aux yeux du gestionnaire du système électrique, les centrales au fioul ou au charbon sont extrêmement pratiques dans la mesure où elles peuvent être déclenchées très rapidement et fournir un service dans les meilleurs délais. RTE n’a naturellement pas d’autre obligation que d’adhérer à la politique nationale en matière énergétique et je comprends parfaitement le souci de décarboner, mais la décarbonation suppose, en plus des mesures d’efficacité énergétique, que certaines ENR soient au rendez-vous.
M. le président Julien Aubert : Au fond, n’y a-t-il pas deux phases dans cette transition ? La première consiste à fermer des centrales à fioul ou à charbon et à les remplacer par de l’énergie intermittente qui garantit la décarbonation, ce qui génère un coût lié à la modification du réseau qu’il faut mettre en regard de l’objectif carbone. Dans un deuxième temps, une fois les énergies les plus carbonées remplacées par du nucléaire – donc de l’énergie décarbonée –, le calcul économique est-il le même dès lors que l’objectif carbone a disparu ?
M. François Brottes : Ce que je sais, c’est que la construction d’une nouvelle centrale thermique ou nucléaire génère un coût de raccordement. Nous sommes bien placés pour savoir que quel que soit le mode d’énergie choisi, il faudra un raccordement au réseau. Il faut ensuite faire des comparaisons : les montants comparés, que je tiens à votre disposition, sont assez raisonnables.
M. le président Julien Aubert : Je suis preneur, en effet, des coûts de raccordement des parcs éoliens maritimes et terrestres comparés à ceux d’une centrale nucléaire.
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M. le président Julien Aubert : Connaissez-vous le coût du raccordement de Flamanville ?
M. François Brottes : Il a été de 343 millions d’euros, rachat des maisons comprises. S’agissant du chauffage électrique, nous représentons à nous seuls 50 % de la thermo sensibilité européenne. Pendant les pointes de consommation, notamment en hiver, nous sommes très thermosensibles : un degré en moins, c’est automatiquement 2 400 mégawatts en plus, soit la consommation de Paris intra- muros. En termes d’investissement, le chauffage électrique est une modalité relativement accessible pour ceux qui construisent les appartements. Je constate également que les modes de chauffage électrique font des progrès significatifs et que, bien que nous soyons très thermosensibles, la consommation électrique n’augmente pas, car nous avons avancé en matière d’efficacité énergétique, y compris avec la RT 2012 dans les nouveaux appartements. Nous pouvons réaliser des économies significatives sur le chauffage en continuant l’effort d’isolation thermique. Quel que soit le mode de chauffage, quand on isole bien, on réalise des économies. Reste que nous sommes très thermosensibles et je pense que cela peut durer.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Je ne comprends pas très bien la théorie des prix négatifs. Y a-t-il un lien avec la question du refoulement ? Les deux sont-ils liés ?
M. François Brottes : Si votre production devient surabondante, si cela coûte plus cher d’arrêter vos machines ou si cela doit mettre en péril votre système de production, vous préférerez évacuer votre production, donc la donner, voire payer pour qu’on vous l’évacue… Surtout lorsque tous les systèmes ne sont pas pilotables, comme c’est le cas dans les anciens modes de production éolienne. C’est comme cela que se fabrique un prix négatif. Avec le stockage, nous aurons demain un potentiel important pour éviter cet écueil. Je suis de ceux qui pensent qu’il aurait fallu dès l’origine associer stockage et production variable, mais ce ne sont pas les choix qui ont été faits. À présent que nous sommes à peu près matures sur les technologies de stockage, ce genre de situation devrait disparaître.
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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Dans une interview, vous avez déclaré que les interconnexions « donnent la possibilité de mutualiser les moyens de production en faisant fonctionner ceux qui offrent le meilleur prix. Le réseau, colonne vertébrale de l’Europe de l’électricité, permet ainsi de bénéficier d’une électricité plus économique, plus sûre et moins carbonée. » On est donc sur le triptyque « économique », pour que cela coûte moins cher, « plus sûre », pour la fiabilité, et « moins carbonée », car, grâce au système européen de répartition, on ne déclenche les outils les plus carbonés qu’en dernier recours. Est-ce un peu cela, l’idée ?
M. François Brottes : C’est l’idée et, comme je l’ai dit, cela réduit l’intermittence ou la variabilité. Dans l’éolien, plus les parcs foisonnent, plus ils sont reliés à un réseau, plus il y a de l’éolien tout le temps sur le réseau. Ce n’est pas possible avec le photovoltaïque car il fait nuit à peu près partout en même temps en Europe… C’est une réussite européenne que d’avoir su mettre en place un réseau électrique maillé. Cela sécurise la montée en puissance du renouvelable et facilite la vie pour se décarboner. Les gestionnaires des réseaux de transport sont chargés de la sûreté des systèmes mais pas de la sécurité de l’approvisionnement. Cette donnée est à la main des États et les États ne se parlent pas assez pour coordonner leur mix électrique. Si les choses ne s’améliorent pas sur ce plan demain, nous pourrons nous retrouver en grande difficulté.
M. le président Julien Aubert : Vous nous avez cité le coût de raccordement de l’ EPR de Flamanville. Pouvez-vous donner le coût du raccordement d’un parc éolien en mer pour RTE ? Vous avez donné tout à l’heure un coût global.
M. François Brottes : C’est 300 millions, plus le coût du poste, pour une capacité de 500 mégawatts.
À suivre...
Les témoignages en totalité, commentés par Michel Gay. Michel Gay est membre de l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), de la Fédération environnement durable (FED), et de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).
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