Assemblée nationale, impact des énergies renouvelables : compte-rendu de réunion n° 13/14/15 et 21

Assemblée nationale

Les Vues imprenables vous invitent à prendre connaissance des témoignes des différents acteurs de l' énergie qui se sont succédés devant la Commission. Chacun à leur manière et selon leurs intérêts particuliers décrivent remarquablement la chronique annoncée d'un suicide climatique, économique et écologique pour la population et la France dont le nom est Transition énergétique. Ils confirment aussi que plus personne ne s'est comment arrêter la "machine" à perdre et comment revenir en arrière.
Les nuisances sanitaires ne sont pas abordées dans ces premiers témoignages.
Plus dure sera la chute!



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Compte-rendu de réunion n° 13/14/15 et 21

Morceaux choisis

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M. Édouard Sauvage, directeur général de GRDF, accompagné de M. Bertrand de Singly, délégué à la stratégie, et de Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, accompagné de M. Philippe Madiec, directeur stratégie et régulation, de M. Anthony Mazzenga, directeur gaz renouvelables, et de Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles.

M. le président Julien Aubert :  Le gaz naturel est une énergie fossile, à l’exception des biogaz dont celui issu de méthanisation principalement d’origine agricole. Sa consommation enregistre une croissance soutenue en Europe. Une différence fondamentale avec l’électricité est que le gaz est une ressource importée à 98 %, la production française restant très faible. 

M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz :  Premièrement, si l’on consomme en France environ 500 térawattheures d’énergie sous forme d’électricité, on en consomme pratiquement autant – entre 450 et 500 térawattheures – sous forme de gaz. Il y a donc autant d’enjeux à s’intéresser à l’électricité qu’au gaz. Deuxièmement, puisque vous vous focalisez sur les énergies renouvelables, il est important d’examiner la problématique des énergies renouvelables du point de vue du gaz et pas seulement de celui de l’électricité, d’autant plus que la caractéristique du système gazier est que la pointe de consommation, élément extrêmement important quand on dimensionne un système énergétique, est entre 1,5 et 1,7 fois plus « heurtant » que la pointe de consommation du système électrique. Autrement dit, quand la pointe d’hiver chez RTE atteint 100 gigawatts, – record historique enregistré en 2012 –, nous enregistrons, le même jour, entre 150 et 170 gigawatts si l’on inclut le deuxième transporteur qui existe en France. Il est extrêmement important d’avoir cela en tête : la question de la pointe est cruciale. Le troisième élément qu’il faut avoir en tête, c’est la question du stockage. Dans le système gazier, nous disposons de stockages souterrains qui permettent de stocker un tiers de la consommation annuelle de la France en gaz, soit l’équivalent d’un tiers de la consommation annuelle en électricité. C’est extrêmement important à un moment où l’on a des problématiques d’intermittence à gérer, avec un certain nombre de nouvelles énergies renouvelables électriques. Comme vous l’avez dit, le gaz est une énergie fossile. Si l’objectif est de décarboner notre système énergétique, il faut s’intéresser tout particulièrement au secteur du gaz car, alors que le système électrique est déjà largement décarboné grâce au nucléaire, le secteur du gaz utilise encore 99,9 % de gaz fossiles, émetteurs de gaz à effet de serre, même si le gaz naturel est l’énergie fossile qui émet le moins de CO2, comparé au pétrole ou au charbon. La première idée qui peut venir à l’esprit quand on réfléchit à la manière de décarboner ces 500 térawattheures, c’est de se dire que, puisque l’électricité est largement décarbonée, il suffit de remplacer le gaz par l’électricité pour résoudre le problème. C’est une idée que l’on entend parfois, un peu plus en France qu’ailleurs ; elle a circulé en Europe il y a quelques années mais n’a plus vraiment de succès dans la plupart des États européens et au niveau de Bruxelles. Quand on y réfléchit sérieusement, on s’aperçoit qu’augmenter de manière significative la consommation d’électricité et, du coup, encore plus significativement la pointe de consommation, car il faudrait remplacer la pointe gazière par une pointe équivalente, pose des tas de problèmes. A l’horizon 2050, dans un monde totalement décarboné en gaz et en électricité, selon qu’on a électrifié au maximum ou que l’on a décarboné le gaz, la différence de prix pour la collectivité au niveau européen est de 200 milliards d’euros par an – en ordre de grandeur s’entend. Et cela se comprend : comme je le disais tout à l’heure, si on électrifie tout, il faut remplacer les systèmes de chauffage des gens équipés de chauffage au gaz, probablement renforcer les réseaux électriques de distribution et de transport, revoir le système de production… Tout cela représente énormément de charges additionnelles. Notre message consiste donc à dire que, si l’on veut décarboner l’énergie en France, il faut décarboner le système gazier plutôt que de le supprimer. Il est intéressant de regarder ce que l’on consacre comme argent à la décarbonation du gaz. En 2018, on y a consacré, par le biais du soutien au biométhane, 64 millions d’euros, une technologie encore relativement peu diffusée, sachant que le gaz, au travers de la taxe carbone qu’il paye pour alimenter le compte d’affectation spéciale (CAS), a contribué l’an dernier à hauteur de 2,2 milliards d’euros. Ainsi, seulement 64 millions sur ces 2,2 milliards ont servi à décarboner le gaz ; le reste est consacré en réalité à des énergies renouvelables électriques, c’est-à-dire à décarboner une énergie qui l’est déjà largement. Ne ferait-on pas mieux d’utiliser cet argent à décarboner le gaz en priorité plutôt que de décarboner une énergie qui l’est déjà largement ? C’est une énergie dont la production est stable : contrairement à l’éolien ou au photovoltaïque, on produit toujours la même quantité toute l’année. Qui plus est, elle est stockable : notre système permet, j’en ai parlé, de stocker le tiers de la consommation annuelle, et donc constituer des stocks pour l’hiver pendant l’été. On ne peut donc pas comparer directement le prix des énergies renouvelables électriques et des énergies gaz sur ce simple critère « énergie ». Le gaz renouvelable, c’est en France aujourd’hui essentiellement le biométhane, par méthanisation, mais d’autres technologies sont en cours de développement : ainsi la pyrogazéification, qui consiste à chauffer des déchets, des combustibles solides de récupération ou des déchets de bois, pour en extraire le gaz. C’est une technologie intéressante, utilisée dès le XIXe siècle et qui revient aujourd’hui de manière plus moderne. Elle devrait venir épauler la méthanisation. Derrière se profile l’hydrogène ; il existe des scénarios dans lesquels l’hydrogène, qui est une molécule non carbonée, vient se substituer partiellement au méthane. Une des questions que vous avez posées porte sur le coût d’adaptation des réseaux. Là aussi, nous avons une bonne nouvelle : nos réseaux sont largement dimensionnés.Pour ce qui est des coûts de raccordement les installations de biométhane, nous sommes, pour donner un ordre de grandeur, sur un rapport dix en moins : autrement dit, parce que notre réseau est puissant, nous estimons que, pour accueillir 30 térawattheures, soit à peu près l’équivalent de 10 % de la consommation de gaz à l’horizon 2030, conformément au projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), il faut, au niveau du transport, à peu près 600 millions d’euros d’investissement jusqu’en 2030. Divisé par une dizaine d’années, vous voyez donc que ce n’est pas énorme : une soixantaine de millions par an. Cette question est donc pour nous plutôt secondaire.

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M. le président Julien Aubert : Pourriez-vous reprendre votre démonstration sur l’isolation et les chaudières ?

M. Édouard Sauvage :  Dans un logement, le rendement d’une molécule de gaz utilisée dans une chaudière à condensation est pratiquement de 100 %. Mais si vous la brûlez dans une centrale à gaz pour produire de l’électricité, le rendement tombe à 50 % – les plus performantes, assez minoritaires, ne dépassent pas 60 %. Ce à quoi il faut ajouter les pertes liées à l’effet Joule sur le réseau électrique, même si elles sont assez marginales. Globalement donc, le rendement d’une molécule de gaz est deux fois plus élevé si vous brûlez cette molécule directement dans le logement que si vous la brûlez de manière centralisée dans une centrale électrique. La seconde erreur consiste à ne pas tenir compte dans le bilan carbone de l’ensemble du cycle de vie d’un produit. Or les données sont connues : on sait, par exemple, que le biométhane, le nucléaire et l’éolien présentent des résultats à peu près similaires, soit une vingtaine de grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que le photovoltaïque atteint cinquante-cinq grammes de CO2, dans la mesure où une partie des panneaux solaires est fabriquée dans un pays où le mix électrique est très carboné. De ce point de vue, nous sommes convaincus, à GRDF, que le développement de la méthanisation doit être fortement encouragée, et ce pour plusieurs raisons.

 
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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : J’aimerais que vous reveniez sur la méthanisation, la pyrogazéification et le power to Gas, qui représentent respectivement 30, 40 et 30 % des gisements, pour distinguer les avantages et les problématiques propres à chacune des filières.

M. Thierry Trouvé :  En ce qui concerne les trois filières de production de gaz renouvelable, vos chiffres reprennent ceux de l’étude prospective de l’ ADEME parue l’an dernier et axée sur l’hypothèse d’un gaz d’origine verte à 100 % à l’horizon 2050, produit à partir des trois technologies que vous avez citées : la méthanisation, la pyrogazéification et le power to Gas. La méthanisation produit exactement le même méthane d’origine fossile qui circule aujourd’hui dans le réseau. Il s’agit d’une technologie qui, bien qu’elle soit plus récente que l’éolien ou le photovoltaïque, est plus que mûre, puisque les premiers mètres cubes de gaz issus de ce type de méthanisation ont été introduits dans le réseau il y a maintenant sept ou huit ans. La seconde technologie, la pyrogazéification, n’est pas encore industrialisée à l’heure actuelle mais demeure, en France ou en Europe, au stade de démonstrateurs ou de pilotes, sur lesquels travaille d’ailleurs GRTgaz. Il s’agit pourtant d’une vieille technologie, puisque c’est celle que l’on utilisait dans les usines à gaz. En effet, avant d’utiliser du gaz naturel extrait du sous-sol, la France utilisait du gaz de ville, c’est-à-dire un gaz manufacturé fabriqué dans des usines à gaz. Ces usines utilisaient des matières carbonées – le charbon, puis le pétrole – que l’on chauffait pour en tirer le gaz envoyé dans les réseaux. Dans le cas du gaz renouvelable, la technologie est la même, mais c’est la matière première qui change : au lieu de matières fossiles, on utilise de la matière renouvelable ou des déchets, notamment les combustibles solides de récupération parmi lesquels les plastiques qui posent de vrais enjeux environnementaux, mais également le bois de récupération, dont on ne sait souvent que faire et que l’on enfouit, ce qui est une aberration écologique. Une fois chauffées, ces matières produisent un gaz qui, comme dans le cas précédent, peut être injecté dans les réseaux.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : L’ ADEME table sur une production de gaz renouvelable à 100 % en 2050, mais à quel pourcentage en est-on aujourd’hui ?

M. Thierry Trouvé : Aujourd’hui, les quantités de biogaz injectées dans les réseaux sont extrêmement faibles, inférieures à 1 % ; il s’agit uniquement de gaz issu de la méthanisation.


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M. le président Julien Aubert : On pourrait objecter à votre argument sur les 200 milliards d’euros par an d’économie en Europe que des stratégies bonnes à l’échelle européennes s’avèrent parfois mauvaises marginalement. Par exemple, il est possible que l’impact CO2 soit fort dans un pays qui n’a pas de nucléaire, mais nul dans un pays qui compte un important parc nucléaire. Cette analyse à l’échelle européenne s’adapte-t-elle au système français ? La France est-elle représentative de ce qui se passe au niveau européen ?

M. Thierry Trouvé : Vous avez raison de mentionner que la France a un parc de production d’électricité différent de beaucoup d’autres, du fait de son énergie nucléaire qui est décarbonée. On peut imaginer que les conclusions que j’ai citées soient un peu moins favorables pour la France que pour d’autres pays qui utilisent beaucoup le charbon. Cela étant, il serait très imprudent de mettre tous ses œufs dans le même panier, et donc de tout miser sur l’électrique, nucléaire ou autre. Il faut bien mesurer la fragilité qui en résulte, notamment la problématique de la pointe. J’ai mentionné la pointe de la consommation de gaz, mais nous pourrions aussi parler de la pointe de la consommation de fioul, dont nous cherchons à nous débarrasser. La gestion de la pointe pour un gestionnaire de réseau électrique est un véritable casse-tête : or la pointe est aujourd’hui extrêmement élevée en France car nous avons fait le choix il y a quelques années de donner une large place au chauffage électrique, qui représente la moitié de la pointe en Europe.

M. le président Julien Aubert : Sachant que le black-out gazier n’existe pas. Les conséquences d’une mauvaise gestion de la pointe ne sont pas les mêmes.

M. Thierry Trouvé :  Ce ne sont pas les mêmes, mais notre métier de gestionnaire de réseaux est de veiller à tout instant, comme le font nos collègues électriciens, à l’équilibre entre l’offre et la demande. Mais les constantes de temps sur un réseau de gaz sont beaucoup plus lentes que sur un réseau d’électricité ; et surtout, nous avons des stocks sous les pieds, ce qui nous permet d’envisager les choses avec plus de sérénité que nos collègues électriciens. Malgré tout, il nous faut toujours équilibrer l’offre et la demande, mais si la production est locale, c’est plus facile à faire. Ensuite, je ne suis pas spécialiste de l’électricité, mais nous devons mesurer les investissements qui seront nécessaires pour le grand carénage des centrales nucléaires et les nouvelles centrales. Si nous nous placions dans l’hypothèse d’un système électrique qui remplace toutes les autres énergies, il faudrait construire beaucoup de centrales nucléaires ou d’énergies renouvelables, et tout cela a un coût qu’il sera compliqué de payer.

M. le président Julien Aubert  : J’ai l’impression que ce n’est pas le scénario retenu : la PPE retient une part pour le gaz. S’il faut comparer deux options comme le fait l’étude à l’échelle européenne, ne faudrait-il pas plutôt chercher quel serait le coût pour couvrir les nouveaux besoins avec du gaz, ou avec de l’électricité nucléaire, ou de l’électricité intermittente ? N’est-ce pas plutôt cette étude qu’il faudrait faire, et à l’échelle de la France, plutôt qu’une étude européenne sur l’hypothèse d’une électrification à 100 % ?

M. Thierry Trouvé : Ma présentation était forcément simplificatrice, le scénario ne parlait pas d’électrifier à 100 %, mais d’installer l’électricité partout où c’est vraiment possible, et de ne continuer à utiliser le gaz que lorsque l’électricité n’a pas de sens, ou est techniquement impossible, notamment dans l’industrie lourde ou les transports lourds pour lesquels nous ne savons pas utiliser l’électricité. Le scénario n’est pas 0 % de gaz et 100 % d’électricité, mais la plus grande proportion d’électricité possible.

M. le président Julien Aubert : Entre 2008 et 2018, la facture d’électricité en France a bondi de 48 %. La facture de gaz a augmenté de 45 % pour le tarif B0, et de 28 % pour le tarif B1.L’augmentation de la facture d’électricité des années passées est essentiellement due au financement des énergies vertes électriques. Vous nous avez expliqué que dans le même temps, nous n’avions pas autant investi dans le gaz. Dès lors, comment expliquer que la facture de gaz ait augmenté dans les mêmes proportions que celle d’électricité ?

M. Thierry Trouvé : Le prix du gaz a augmenté ces dernières années avant de connaître une baisse de 2 à 3 % au 1er avril. Les deux années précédentes, le prix avait beaucoup baissé. Plus le gaz sera produit localement, plus son prix sera stable, car il ne dépendra plus des prix de marché et de la volonté de tel ou tel grand producteur de gaz russe, norvégien ou algérien. Les plans du Gouvernement prévoient d’augmenter le prix du gaz de manière significative pour payer les énergies renouvelables électriques. Nous ne sommes pas opposés à ce que le gaz supporte une taxe carbone – si les gilets jaunes y consentent –, mais dans ce cas, consacrons cet argent à décarboner une énergie qui a besoin de l’être, plutôt qu’à une énergie déjà décarbonée. 


M. le président Julien Aubert :  On a beaucoup parlé d’électricité dans ce pays ; les énergies fossiles ont été laissées de côté à l’heure de penser la transition énergétique. La facture d’électricité a massivement augmenté, notamment par le jeu de la CSPE, car c’était la manière de financer ladite transition énergétique. Mais dans le même temps, la facture de gaz aussi a augmenté, alors qu’elle n’était pas encore affectée par la TICGN [Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel]. Et il n’est pas question de volatilité du prix du gaz, mais de la tendance moyenne. Et la tendance moyenne est de + 28 % et + 45 %, indépendamment de la volatilité du prix du gaz, par ailleurs bien moindre que celle de l’électricité qui oscille entre des prix négatifs et 250 euros du MWh dans la même année. 

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M. Édouard Sauvage :  Pour juger de l’évolution du prix de la facture, il vaut mieux juger le tarif B1, qui correspond à un usage du gaz pour le chauffage. Le B0 s’applique aux tout petits consommateurs, qui historiquement payaient peu au regard de leur coût sur le système. Pour simplifier, le régulateur a souhaité faire évoluer la facture pour que la partie abonnement prenne de l’importance par rapport à la partie résidentielle. Cela vaut autant pour les distributeurs que pour les fournisseurs. Le coût de gestion d’un client est à peu près le même quelle que soit sa consommation, et les tarifs ont convergé. La hausse des taxes, et l’instauration d’une TICGN à un niveau beaucoup plus élevé pèsent aussi dans cette hausse des prix. De plus, même si la hausse est globalement plus contenue que celle du TURPE, les tarifs des réseaux de transport et de distribution ont également augmenté. M. Trouvé rappelait les investissements très importants demandés aux gestionnaires de réseaux de transports pour passer à une zone de tarif unique, qui se répercutent dans la facture.
S’agissant de la volatilité du prix, le gaz a été extrêmement stable sur les marchés internationaux et sur le marché de gros en France ces derniers temps, ce qui n’a pas toujours été le cas. De même, nous avons connu des prix du pétrole beaucoup plus élevés, et ils sont en ce moment dans une phase de stabilité. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que ce prix sera stable pour les vingt prochaines années, même si un certain nombre d’éléments sur les réserves prouvées et l’amélioration de la compétitivité du développement de certaines réserves nous incite à le penser. Nous ne sommes jamais à l’abri d’aléas géopolitiques.

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M. le président Julien Aubert : La TICGN a augmenté sur dix ans, était-ce dans l’objectif de lutter contre les émissions de CO2, ou un pur effet fiscal ? Pouvez-vous nous expliquer la transformation en cours ?

 
M. Thierry Trouvé : Le changement en cours porte plutôt sur le nom… Quant à l’objet de cette mesure, il faut plutôt poser la question aux gouvernements successifs. Aujourd’hui, la TICGN représente 8 euros du MWh. Le prix sur le marché de gros est d’environ 20 euros du MWh. Le rapport n’est pas négligeable.

M. Édouard Sauvage : J’ajoute que sur les six dernières années, le prix du gaz est resté stable. 


M. le président Julien AubertSi je résume, l’usager paie des montants de plus en plus importants sur ses factures d’électricité et de gaz, du fait d’un système fiscal qui s’est alourdi et qui a été à un moment donné habillé de la volonté de financer la transition énergétique. On aurait pu imaginer que les taxes sur l’électricité soient progressivement réduites car cette énergie est décarbonée, et que l’on augmente celles sur le gaz, qui ne l’est pas ; mais ce n’est pas la solution qui a été retenue. On a le choix entre deux transitions énergétiques, on n’a pas fait de choix à la base permettant d’orienter les usages, ni arrêté exactement l’effet recherché. Pour vous, la transition électrique ne décarbone pas, tandis que la transition par le gaz décarbone.

M. Édouard Sauvage : De la même manière, pour décarboner la chaleur, utiliser de la biomasse, du réseau de chaleur ou du gaz renouvelable est beaucoup plus économique que de passer par un vecteur électrique, qui n’est pas fait pour cela. Aujourd’hui, le prix des marchés de gros de l'électricité en hiver est significativement plus élevé qu’en été, entre 15 et 20 euros du MWh, ce qui est tout à fait normal. Or ce n’est pas répercuté dans le tarif réglementé électrique : le client final paie le KWh au même prix à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tous les jours de l’année. Le signal envoyé au consommateur est très mauvais. Vous estimez qu’il est important d’envoyer de bons signaux au consommateur pour permettre la décarbonation, et je vous rejoins ; encore faut-il trouver le moyen de prendre en compte le fait que le prix de l’électricité sur les marchés de gros n’est pas du tout la même en fonction de l’heure de la journée et du jour de l’année. Et cela va s’aggraver avec le développement des énergies renouvelables solaires ou éoliennes, qui vont encore augmenter cette volatilité. Voilà qui ramène au débat sur les moyens d’améliorer l’efficacité énergétique par l’effacement de la demande. Il n’y a aucune incitation à décaler sa consommation si elle est payée au même prix à toute heure du jour et de la nuit, toute l’année. Aujourd’hui, les outils vers le client final n’existent pas pour les réseaux électriques. De facto, ils n’existent pas non plus pour le gaz, mais le problème ne se pose pas, dans la mesure où il n’y a pas de variation du prix du gaz dans la journée, et la variation entre l’hiver et l’été est limitée, le coût du stockage étant réduit à quelques euros.

M. Thierry Trouvé : Je suis tout à fait d’accord avec votre synthèse, monsieur le président. Au départ, la CSPE était prévue pour que le consommateur électrique paie pour la production d’électricité renouvelable. Mais comme cette solution ne suffisait plus car la production d’électricité renouvelable coûtait très cher, les gouvernements successifs ont mis en place un système permettant de faire payer le consommateur de gaz pour la production d’électricité renouvelable. Si nous nous plaçons du côté de la consommation, j’ai cru comprendre que vous vous estimiez que l’électricité étant déjà décarbonée, il serait préférable qu’elle soit faiblement taxée et que l’on taxe fortement les énergies carbonées.

M. le président Julien Aubert Vous avez bien interprété… 

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M. Édouard Sauvage : [...] Ensuite, votre raisonnement ne peut fonctionner que si on adresse aux consommateurs utilisant de l’électricité pour se chauffer en hiver des signaux les informant clairement sur la réalité du signal prix et du signal carbone. Or ce n’est pas le cas : les tarifs réglementés prévoyant un prix unique, appliqué toute l’année – n’allez pas croire que je sois en train d’en souhaiter la suppression –, celui qui se chauffe électriquement n’est pas suffisamment conscient de ce que cela implique en matière de prix et d’empreinte carbone. Son choix individuel est pertinent sur le plan économique, puisqu’on ne lui fait pas payer personnellement l’incidence de son choix en matière d’empreinte carbone : le coût correspondant est payé par l’ensemble des utilisateurs par l’application d’un tarif totalement périèque, géographiquement et fiscalement, par le biais d’une répartition sur tous les clients de l’électricité.

M. le président Julien Aubert : Mettons-nous un instant à la place de l’usager, qui paye déjà une grosse facture d’électricité et une grosse facture de gaz : on peut difficilement envisager de lui expliquer qu’après avoir investi 100 milliards d’euros sur les ENR, on va développer le gaz afin de réduire l’impact carbone ! Comment voulez-vous lui faire accepter une nouvelle augmentation des taxes pour financer le soutien à la filière gaz ? Certes, le recours au gaz produit en France viendrait se substituer à des importations d’énergies fossiles, ce qui engendrerait quelques gains en matière de balance commerciale, mais cela ne réglerait pas complètement le problème. Dès lors qu’on s’en remet à votre argument, selon lequel la transition par le gaz est meilleure en termes d’émissions de CO2 que la transition par l’électricité, quelles solutions envisagez-vous pour réorienter la transition ? En d’autres termes, en admettant que le Gouvernement soit d’accord avec vous, ce qui ne semble pas vraiment être le cas au vu de la PPE, où le gaz est un peu le parent pauvre des énergies, comment le changement que vous appelez de vos vœux peut-il s’opérer sans que l’usager se retrouve taxé deux, voire trois fois ?
 
M. Thierry Trouvé : L’usager, le citoyen, le contribuable, sont-ils prêts à payer pour la transition énergétique, c’est-à-dire pour décarboner l’énergie à l’horizon 2050 ? Or, cette question ne me paraît pas complètement réglée, même à l’issue du grand débat, puisque si les gens se disent favorables à la transition énergétique, ils refusent catégoriquement que cela se traduise par une augmentation des taxes. Chacun doit prendre conscience du fait que décarboner l’énergie – qu’il s’agisse du gaz, de l’électricité, du pétrole ou du charbon –, cela coûte de l’argent… Dès lors, soit on le fait, et il faut alors qu’on détermine le moyen de répartir le coût qui en résulte, soit on ne le fait pas. En défendant le gaz vert, on se place dans l’hypothèse où on veut le faire à l’horizon 2050 ; pour cela, on estime qu’il faut essayer d’emprunter la voie la moins coûteuse pour la collectivité – la répartition du coût global constituant alors une deuxième question. Si vous optez pour une transition énergétique en installant des panneaux solaires dans les campagnes – une solution qui ne me paraît être celle que vous envisagez –, vous allez devoir acheter des panneaux photovoltaïques aux Chinois, ce qui va aggraver le déficit de la balance commerciale sans créer d’activité locale. À l’inverse, si vous optez pour le biométhane, vous créez de l’emploi dans les campagnes, vous sauvez des exploitations agricoles et vous réglez des problèmes de déchets. Tout cela a une valeur. Sans oublier les autres aspects du problème, notamment au fait que le biométhane se stocke beaucoup plus facilement que l’énergie tirée de l’énergie solaire.


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M. le président Julien Aubert : Vous admettrez que tout le monde ne partage pas votre diagnostic. Ainsi le président de la CRE nous a déclaré que, si les opérateurs d’énergie réalisaient des investissements dans le cadre de la transition énergétique, ce n’était pas dans l’objectif principal de décarboner : dès lors, tout votre raisonnement s’écroule ! En admettant même qu’on achète votre raisonnement – en partant du principe selon lequel le biométhane présente des avantages spécifiques, notamment la création d’emplois en milieu rural –, vous ne nous dites pas comment vous procédez au basculement : certes, si on ne peut pas augmenter, on peut ré-allouer, mais encore faut-il savoir comment !


M. Vincent Thiébaut : J’entends bien ce que vous dites sur le coût de la taxe carbone et sur le fait que sa répartition ne se fasse pas de façon optimale mais, dès lors qu’on admet la nécessité de retenir un mix énergétique, il me semble que la question du coût n’est pas la seule à prendre en considération : les choix à faire doivent tenir compte de différents facteurs et d’un équilibre global à maintenir, ce qui implique que les différents acteurs sachent travailler ensemble. Par ailleurs, on sait que le gaz présente des risques particuliers en termes de sécurité, notamment dans les villes – chacun se souvient de l’accident dramatique survenu à Paris il y a quelques mois. Enfin, la loi de décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement a fixé de nouveaux objectifs en matière de stockage du gaz naturel, puisque nous sommes passés de 90 TWh en 2017 à 138 TWh en 2018. Cet objectif a-t-il été atteint, et comprend-il le stockage du gaz issu de la méthanisation ? Sur le plan technique, comment le gaz produit à la campagne est-il acheminé vers les sites de stockage ? Le réseau permettant cet acheminement est-il déjà en place, ou faut-il prévoir des investissements destinés à permettre son installation ?

M. Thierry Trouvé : Pour ce qui est de l’opposition entre le gaz et l’électricité, Édouard Sauvage et moi-même sommes convaincus que la transition énergétique passe par une approche système, une vision holistique et une bonne complémentarité entre le gaz et l’électricité. Un autre exemple de notre complémentarité est la mise au point de chaudières hybrides associant gaz et électricité. [...]


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Deuxièmement, le stockage du biométhane est techniquement possible. Les opérateurs de stockage ont procédé à des études montrant qu’ils sont capables d’accueillir du biométhane dans leur système de stockage. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas de manière très concrète en raison du fait que peu d’installations de biométhane sont déjà raccordées au réseau permettant le stockage de la production. Si le biométhane est donc le plus souvent directement injecté dans le réseau de distribution, il arrive qu’en été, la consommation de gaz soit plus faible sur un petit réseau de distribution, ce qui peut aboutir à la constitution d’excédents. Transporteurs et distributeurs ont donc conçu ensemble des systèmes dits de rebours qui permettent de renvoyer l’énergie du réseau de transport à basse pression vers le réseau de distribution, où la pression est plus forte, grâce à de petits compresseurs – le coût correspondant est déjà intégré dans les chiffres que nous vous avons donnés tout à l’heure. Nous sommes actuellement en train de construire les deux premiers rebours dans l’ouest de la France, et prévoyons d’en mettre en place beaucoup d’autres, en collaboration avec les distributeurs. Ainsi, nous dessinons progressivement les réseaux qui vont permettre de collecter la production de méthane et de l’acheminer vers les sites de stockage. J’insiste sur la nécessité de prendre dès aujourd’hui les bonnes décisions. Si le signal politique émis, c’est qu’on n’a pas besoin du biométhane et que cette énergie n’est pas une solution d’avenir, on risque de voir les infrastructures de stockage, qui sont une chance pour la transition énergétique, fermer les unes après les autres, et ce seront autant d’investissements perdus pour la collectivité. En outre, le fait d’être en mesure de stocker un tiers de la production représente une capacité décisive, sur laquelle le réseau électrique a d’ailleurs intérêt à s’adosser, notamment sous la forme de systèmes hybrides au stade de l’utilisation finale, car de telles solutions permettent de lisser l’effet de pointe que j’évoquais tout à l’heure.


M. Vincent Thiébaut : On compte de nombreux projets de bio méthanisation en Alsace et, en tant que député du Bas-Rhin, je m’interroge sur le maillage de ces projets, au financement desquels l’ ADEME participe largement – je crois que le Grand-Est représente actuellement 75 % des projets de bio méthanisation en France. Est-il cohérent d’avoir des installations distantes les unes des autres de dix à quinze kilomètres, et ne faudrait-il pas prévoir des projets moins nombreux, mais plus importants ?

M. Édouard Sauvage :  Cela renvoie un peu à la question que j’ai évoquée précédemment de l’optimum à trouver entre la proximité du réseau et la taille du projet, qui est aussi celle de l’équilibre à trouver pour concilier acceptabilité et efficacité. Cette idée de la recherche d’un optimum économique global me permet de faire la transition avec la question posée par M. le président sur la mise en œuvre concrète du basculement. L’une des difficultés de ce sujet, c’est de déterminer ce que l’on cherche à obtenir avant tout : s’agit-il de procurer un bénéfice à l’État et au contribuable, ou à l’économie en général ?
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Mme Laure de La Raudière :  Il faut vraiment tenir compte de tous les coûts, y compris de celui du démantèlement des panneaux solaires et des éoliennes, qui n’est pas neutre !


M. le président Julien Aubert
: Si on devait réorienter la politique actuelle, quel serait d’après vous le niveau d’investissement public ou de soutien public adéquat pour verdir la production de gaz français ? Vous nous avez indiqué dépenser des sommes assez élevées, mais peut-être cela ne suffit-il pas…

M. Thierry Trouvé : Comme l’a dit tout à l’heure Édouard Sauvage, à l’horizon 2028, la PPE prévoit un soutien aux énergies renouvelables s’élevant à environ 8 milliards d’euros. Sur cette somme, il est prévu de consacrer 700 millions d’euros au gaz ; tout le reste va à l’électricité, déjà décarbonée. En conservant la même échéance, il nous semble qu’il ne serait pas anormal de multiplier par deux ou trois l’effort consacré au gaz – ce serait d’autant moins indécent qu’il y a plus à gagner en décarbonant le gaz, puisque ce n’est plus à faire pour l’électricité.

M. le président Julien Aubert : Dans la mesure où on substitue du gaz produit en France à du gaz importé, il y a sans doute une part du coût public qui se trouve minorée, du fait de la moindre importation de gaz fossile. Si vous devez justifier ce rééquilibrage, il serait donc intéressant que vous puissiez le faire au moyen d’une analyse économique annexe qui permettrait de déterminer ce qui relève réellement du soutien public et ce qui, d’un point de vue macroéconomique, va pouvoir être récupéré par la baisse des importations.

M. Édouard Sauvage :  Sur ce point, le cabinet E-CUBE Strategy Consultant a réalisé une étude que nous pourrons vous communiquer, d’où il ressort que, lorsqu’on produit du biométhane, le plus important c’est que la valeur ajoutée est 100 % européenne et très massivement française – seuls certains éléments, notamment les filtres, provenant de pays voisins. En tout état de cause, il n’y a aucune importation d’origine extracommunautaire et la quasi-totalité de la valeur ajoutée revient aux territoires. Je ne connais d’ailleurs aucun cas d’agriculteur qui, après avoir reçu des aides pour l’installation d’un méthaniseur, se serait empressé de vendre son entreprise et de s’exiler dans un paradis fiscal… L’argent investi dans les territoires ruraux ne l’est donc jamais à fonds perdus.
D’un point de vue macroéconomique, le retour est globalement positif si on tient compte des émissions de carbone évitées et de l’amélioration de la balance commerciale. La valeur ajoutée finira bien par être récupérée, puisqu’elle va à des acteurs implantés sur le territoire… C’est bien ce qui ressort de l’étude réalisée par E-CUBE, étant précisé que dans d’autres filières, la valeur ajoutée n’est jamais 100 % locale, comme elle peut l’être dans le cas de la méthanisation.

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Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, accompagnée de M. Éric Allain, président de section, et de Mme Isabelle Vincent, rapporteure.



Mme Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre de la Cour des comptes : Durant la période récente, la Cour a publié plusieurs rapports traitant des questions qui intéressent votre commission d’enquête. Le 16 mars 2018, elle a ainsi remis au président de la commission des finances du Sénat un rapport relatif au soutien aux énergies renouvelables, qui lui avait été demandé en décembre 2016 et porte sur la période 2013-2017. Par ailleurs, les notes d’exécution budgétaire relatives au compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », ainsi qu’à la mission « Écologie, développement et mobilité durable » et en particulier au programme 345 « Service public de l’énergie » complètent et actualisent certains des éléments figurant dans le rapport de mars 2018. Je souhaite également vous signaler le référé du premier président du 22 décembre 2017 relatif à l’évaluation de la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), qui a occupé une partie de vos auditions et a été adressé au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l’économie et des finances, ces derniers y ayant répondu conjointement le 14 mars 2018. La Cour a en outre effectué en octobre 2013 une communication au Premier ministre sur les certificats d’économies d’énergie, qui a fait l’objet d’un suivi dans le cadre d’une insertion au rapport public annuel de 2016. Je vous signale également d’autres rapports de la Cour susceptibles d’éclairer vos travaux : le rapport préparé par la cinquième chambre et remis à la commission des finances de l’Assemblée nationale en mars 2019 sur les dépenses fiscales en faveur du logement, ou encore le rapport de la cinquième chambre de la Cour remis à la commission des finances du Sénat en février 2018 sur le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Citons également, parmi les travaux les plus récents, une insertion au rapport public annuel de 2018 relative à Linky et aux autres compteurs communicants. Concernant les objectifs poursuivis par la politique énergétique, notre rapport de mars 2018 sur le soutien aux EnR avait mis en évidence le retard persistant, déjà documenté dans le rapport précédent de 2013, entre les objectifs assignés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte et la place des EnR dans le mix énergétique. Il a également mis en lumière la non-compatibilité entre l’objectif et la trajectoire de développement des EnR de 32 % de la consommation brute d’énergie en 2030, arrêtée en 2016, et l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique en 2025. La Cour constatait dans ce rapport que l’objectif premier de la politique énergétique ainsi tracée était de réduire la place du nucléaire dans le mix énergétique plutôt que de lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où les deux objectifs assignés ne réduisent pas les émissions de gaz à effet de serre. Pour y contribuer, la politique énergétique aurait dû se concentrer sur les EnR thermiques en substitution principalement des énergies fossiles, fortement émettrices de dioxyde de carbone. La Cour a en outre, dans son rapport de mars 2018 sur les EnR, cherché à apprécier l’impact économique et industriel des énergies renouvelables. Son appréciation est la suivante : faute d’avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a en définitive peu profité du développement des EnR. Constatant que la France, contrairement à d’autres États européens, n’était pas parvenue à se doter de champions dans ce secteur, la Cour exprimait diverses recommandations. Elle préconisait ainsi, à l’occasion de la révision de la PPE prévue initialement en 2018, mais intervenant de fait en 2019, de définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d’énergies renouvelables électriques et l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix, et de clarifier les objectifs industriels français associés au développement des EnR. Il est difficile d’apprécier à ce stade la suite donnée à cette double recommandation, la PPE n’étant à ce jour qu’un projet dont l’adoption ne pourra intervenir avant la discussion et l’adoption de la petite loi sur la transition énergétique, dont le projet sera prochainement présenté par le Gouvernement. Concernant les modalités, la maîtrise et la transparence des financements des politiques de transition énergétique, je rappellerai en introduction quelques éléments clés sur les différentes modalités de soutien par l’État et leur répartition. Le coût budgétaire du soutien est nettement en faveur des EnR électriques, dans un rapport de 1 à 10 environ.

Les modes de soutien sont différents, fondés sur des subventions à l’investissement et des dispositifs fiscaux pour le thermique : je pense au fonds chaleur pour les subventions à l’investissement et, pour les dispositifs fiscaux, au crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et au taux réduit de TVA. Pour l’électrique, les soutiens sont basés sur des subventions d’exploitation, sous la forme de compensations et d’obligations d’achat visant à garantir un niveau de prix aux producteurs, l’État prenant à sa charge le risque pris. Le soutien à la production d’ EnR électriques est désormais alloué après appel d’offres. Les soutiens aux EnR sont, depuis 2015, financés par le contribuable et retracés dans deux supports budgétaires. 

-Le premier est le compte d’affectation spéciale « transition énergétique », financé en recette par une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui assure le financement du soutien aux EnR électriques et au biométhane, des charges liées au remboursement aux opérateurs du déficit de compensation de leur charge de service public de l’électricité cumulé au 31 décembre 2015 et des charges d’effacement de consommation.
-Le second instrument est le programme 345 « Service public de l’énergie », qui finance notamment les intérêts de la dette auprès des opérateurs, les dispositifs propres aux zones non interconnectées, le chèque énergie, le budget du médiateur de l’électricité et quelques autres éléments.
Le rapport de la Cour des comptes de mars 2018 sur les EnR et l’examen de l’exécution du budget de l’État ont conduit à formuler des observations et recommandations à l’adresse des pouvoirs publics. -Le premier constat est celui d’une forte dynamique des dépenses publiques de soutien aux EnR, avec 5,3 milliards d’euros en 2016 et une projection pour 2023 estimée à l’époque à 7,5 milliards d’euros. -La Cour notait également une forte concentration sur le soutien aux EnR électriques, avec 4,4 milliards d’euros sur 5,3 milliards d’euros en 2016. 

-La Cour soulignait en outre le poids des engagements passés, les charges contractées avant 2011 représentant environ deux tiers du volume de soutien annuel en 2017. Elle relevait également la disproportion entre certains montants de soutien et la contribution aux objectifs de développement des EnR, notamment pour le photovoltaïque et l’éolien offshore.
Ce déséquilibre en faveur du soutien aux EnR électriques était rappelé dans ce rapport, de même que les insuffisances du dispositif de connaissance des coûts de production. Le rapport de la Cour pointait enfin, parmi les trois principaux vecteurs de soutien public aux EnR – le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), le Fonds chaleur et la compensation des charges de service public – la place particulière de cette compensation récemment mise à la charge du contribuable et dont les dynamiques sont imparfaitement retracées dans le CAS et le programme 345. Nous en tirions les recommandations suivantes : il importait tout d’abord selon nous de renforcer l’efficacité et l’efficience du soutien au développement des EnR par un net renforcement de la transparence quant aux déterminants des choix opérés et par une meilleure association du Parlement à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR.
À cet égard, si la création du compte d’affectation spéciale transition énergétique a constitué un progrès, ceci ne permet pas de faire apparaître l’ensemble des coûts de long terme et se limite à donner une vision annuelle, si bien que le Parlement n’est pas en situation de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni d’apprécier la dynamique d’évolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. La Cour préconisait également de publier le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l’ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE et de l’utiliser pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs de la politique énergétique à court, moyen et long terme. La Cour recommandait de créer, à l’image du Conseil d’orientation des retraites (COR) et en remplacement d’autres instances existantes, un comité chargé d’éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l’avenir de la politique de l’énergie : cette instance de pilotage interministérielle serait placée auprès du premier ministre, considérant que la conduite de la politique de soutien aux EnR s’appuyait presque exclusivement sur la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et justifierait un dialogue interministériel renforcé. À notre connaissance, les suites données à ces recommandations sont les suivantes. Sur le premier point visant à mieux associer le Parlement, la Cour a, dans le cadre de ses travaux sur l’exécution budgétaire, été amenée à préciser ses critiques sur l’absence de transparence et les pistes pour y remédier. Nous constatons que l’information du Parlement sur le fonctionnement du dispositif de compensation de charges du service public de l’énergie reste incomplète : en effet, le rapport annuel de performances (RAP) 2017 mentionne l’existence de charges à compenser et le projet annuel de performances (PAP) 2019, même s’il apporte des informations un peu plus détaillées sur le chaînage, ne détaille pas la répartition des paiements entre exercices. Concernant la publication des coûts, de leurs modalités de calcul et de la mise en transparence des engagements de long terme, la Cour constate que la situation n’a pas évolué : les travaux conduits par les instances administratives ne sont pas publics et n’associent pas le Parlement, en dépit de la nomination au sein du comité de gestion des charges du service public de l’électricité d’un représentant de l’Assemblée nationale. Pour ce qui est de la gouvernance, de l’instauration d’une instance analogue au COR et du renforcement du pilotage interministériel, la Cour ne dispose pas formellement d’éléments permettant d’établir que ses recommandations ont été suivies. A été ajouté aux instances existantes un Haut conseil pour le climat, composé de treize experts, qui ne remplit pas exactement les missions attendues d’un conseil d’orientation de l’énergie, de par sa composition, mais aussi sa mission, qui est centrée sur la lutte contre le réchauffement climatique et n’embrasse donc pas toutes les composantes d’une politique en faveur des EnR.


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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Pourriez-vous tout d’abord nous faire part de vos recommandations relativement au dispositif des CEE ?

M. Eric Allain, président de la section « Énergie » de la Cour des comptes :  En l’état actuel des constats et recommandations de la Cour, les dernières données remontent à 2016. Les constats effectués en 2013 et ayant fait l’objet d’un suivi en 2016 pointaient les insuffisances des modalités de contrôle et d’évaluation de ce dispositif, qui donnaient matière à un certain nombre de dérives de la part des éligibles ou des obligés et conduisaient à ce que le dispositif ne garantisse pas l’atteinte des objectifs assignés. Nous avions à cet égard formulé plusieurs recommandations, dont le dernier suivi ne permet pas de penser que la situation a grandement progressé.
Concernant les études sur les économies réellement obtenues grâce aux CEE, nous avions formulé, en 2013 comme en 2016, la recommandation qu’elles soient rendues obligatoires ; or ceci n’a toujours pas été mis en œuvre. Il était également préconisé d’engager des contrôles a posteriori par sondage, qui n’avaient toujours pas été mis en œuvre en 2016, et de développer des procédures de contrôle a posteriori sur les justifications d’attribution de certificats. Nous avons constaté en 2016 que les contrôles restaient quantitativement insuffisants. 

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Quelles sont, selon les évaluations et analyses prospectives que vous avez pu mener, les conséquences de la transition énergétique sur l’emploi en France ? 

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M. Éric Allain La Cour n’a en effet pas étudié en tant que tel l’impact en termes d’emploi de la transition énergétique. Les travaux que nous avons menés sont essentiellement basés sur des constats dressés par l’ ADEME. L’un des principaux constats effectués sur ce sujet résidait dans la faiblesse des outils de suivi de l’impact du soutien aux EnR en matière d’emploi et plus globalement sur l’économie et le tissu industriel. Ce constat est à rapprocher de celui fait par la Cour des comptes dans son rapport précité sur les dispenses fiscales en faveur du logement, qui montre de manière générale sur ce sujet un déficit en termes d’évaluation des impacts des dispositifs fiscaux, y compris de ceux, dont le CITE, qui contribuent à la transition énergétique, dont on est aujourd’hui bien en peine d’indiquer quelles sont leur véritable efficacité et leur efficience réelle, concernant notamment les retours sur l’emploi et l’activité économique du pays. 


Mme Laure de La Raudière : Ma question concerne les subventions d’argent public entre les filières. Avez-vous comparé un euro d’argent public dépensé sur l’éolien terrestre, le photovoltaïque ou les énergies thermiques en termes d’efficacité au regard de l’objectif recherché et du coût complet de la filière, incluant le démantèlement ? Avez-vous par ailleurs effectué une comparaison entre un euro d’argent public investi par exemple pour réaliser des économies d’énergie par la rénovation thermique de bâtiments et un euro d’argent public investi dans les énergies renouvelables ? J’ai l’impression que l’on poursuit toujours deux objectifs en France, à savoir à la fois le taux d’énergies renouvelables et la réduction des émissions de CO2. Avez-vous effectué des analyses et produit des recommandations relativement à ce double objectif ?


Mme Catherine de Kersauson
: Le soutien au photovoltaïque coûterait aux finances publiques, à l’époque où nous avions rédigé ce texte, 38,4 milliards d’euros sur vingt ans, pour un volume de production représentant 0,7 % du mix électrique.
Nous soulignions également qu’en matière d’éolien offshore, la pleine réalisation des appels d’offres lancés en 2011 et 2013 pèserait 2 milliards d’euros par an sur vingt ans, pour un volume de production représentant à terme 2 % du mix électrique. Nous mettions ainsi en évidence la disproportion entre le coût pour les finances publiques de ces investissements et leur part dans le mix électrique. D’une manière générale, la Cour a pointé le déséquilibre entre le coût pour les finances publiques du soutien aux EnR électriques vs. les EnR thermiques. 

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M. Éric Allain :  Bien qu’il soit assez rare que la Cour des comptes propose d’augmenter les dépenses publiques, le rapport de synthèse sur les EnR recommandait en l’occurrence à l’État d’augmenter les moyens consacrés au fonds chaleur. Ceci nous paraissait parfaitement légitime, compte tenu des objectifs que par ailleurs le législateur avait assignés à l’action publique en la matière.


M. Anthony Cellier : Il est spécifié dans le rapport que, pour les EnR électriques, l’État a d’abord mis en place des tarifs garantis, l’engageant financièrement lourdement sur le long terme. Les charges contractées à la suite de décisions antérieures à 2011 représentent ainsi près de deux tiers du volume annuel de soutien supporté aujourd’hui par les finances publiques. Le rapport fait état de 5,3 milliards d’euros de dépense publique de soutien aux EnR, dont 3,6 milliards d’euros ne correspondant pas à un soutien actuel, mais à des charges antérieures. Pouvez-vous me donner une temporalité ? Depuis quand est-on passé sur ce volume ? Quel est le montant exact de ces charges ? Quel est le tendanciel ?

M. Éric Allain : Il apparaît qu’un plafond est atteint aux alentours de 7 milliards d’euros pour la totalité des engagements pris jusqu’en 2017 inclus et que, fort heureusement, la courbe décroît ensuite progressivement. L’effet stock pèse assez lourdement sur la trajectoire. Aujourd’hui les mécanismes sont un peu différents. Il s’agit de mécanismes de compensation de prix, réputés moins coûteux pour les finances publiques, mais qui induisent un transfert du risque de marché des opérateurs privés vers l’État. Ceci correspond au principe même de l’incitation et constitue l’une des difficultés de la mise en transparence de ces questions. Il est en effet difficile de se projeter dans l’avenir et d’anticiper l’évolution de ces charges, puisqu’elles dépendent, dans une mesure assez importante s’agissant en tout cas de l’électrique, de l’évolution des marchés de l’électricité.

Mme Catherine de Kersauson : Le montant des charges prévisionnelles sur longue période, estimé dans notre rapport à 121 milliards d’euros en euros courants entre 2018 et 2046, est actualisé par la commission de régulation de l’énergie (CRE). Il est de 104 à 115 milliards d’euros fin 2018 et 120 milliards d’euros en 2019.

 
M. le président Julien Aubert : Concernant les objectifs, vous avez expliqué que la France avait fait le choix, au travers des moyens employés, de ne pas privilégier l’objectif carbone. Or selon moi, la transition énergétique a avant tout pour but de lutter contre le réchauffement climatique. Sur les sommes que vous avez mises en avant, quel pourcentage irait selon vous à l’objectif carbone par opposition aux autres objectifs ?

M. Éric Allain :  Pour le thermique, le rapport est d’environ 1 à 10. Les chiffres donnés dans le rapport, qui mériteraient d’être actualisés, faisaient état en 2016, sur un soutien total d’un peu moins de 5,3 milliards d’euros, de 4,5 milliards d’euros alloués à l’électrique et 689 millions d’euros au thermique. Si l’on raisonne en grandes masses, on peut considérer que les sommes dévolues au thermique bénéficient à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. le président Julien Aubert : En fait, lorsque l’on additionne les grandes masses que représentent le soutien au thermique et le CITE, on obtient finalement une somme voisine de 1,4 ou 1,5 milliard d’euros consacré à l’objectif CO2. Dans la sobriété énergétique, figure la réduction d’énergie. L’un des intervenants entendus ce matin nous indiquait qu’il était différent de réduire une consommation au gaz et à l’électricité. L’objectif de maîtrise de l’énergie peut donc avoir un impact carbone ou ne pas en avoir. Or il me semble que l’on ne discrimine pas forcément, aujourd’hui, parmi les outils de sobriété énergétique. Dans les outils de CEE, il n’existe aucune prime différenciée selon que vous fassiez de l’efficacité énergétique pour réduire les émissions de CO2 ou pas. Grosso modo, 1,5 milliard d’euros concerne l’objectif CO2, contre trois fois plus pour le soutien à l’électrique. L’une des difficultés tient au fait que l’on dispose d’outils qui se superposent. Avez-vous étudié, en matière d’efficacité, le doublonnement potentiel ? Avez-
vous par exemple regardé si, entre les CEE et le CITE, deux dépenses ne se superposaient pas ? Comment avez-vous abordé ce sujet, plus complexe que celui du soutien direct ? 

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M. le président Julien Aubert :  Vous constatez dans votre rapport que le Parlement voit passer le flux annuel, mais n’a de vision ni sur l’amont, ni sur l’aval, ni sur le long terme. Vous aviez d’ailleurs annoncé à ce propos des chiffres quelque peu effrayants, de l’ordre de 120 milliards d’euros.

Mme Catherine de Kersauson :  Dans notre rapport, nous soulignions que la PPE était adoptée par décret et était trop imprécise en matière d’impact sur les soutiens par les finances publiques. Nous n’en avons pas fait une recommandation, mais il ressort clairement du rapport que l’une des solutions pourrait être que le Parlement puisse se prononcer sur les éléments de programmation contenus dans la PPE et que cette dernière soit plus précise s’agissant des soutiens publics liés aux objectifs affichés.

M. Anthony Cellier : Je me permets de préciser à l’attention de nos concitoyens qui regarderaient cette audition retransmise sur le site de l’Assemblée nationale que les parlementaires ne sont malgré tout pas complètement démunis et peuvent agir a posteriori, dans le cadre de leur mission de contrôle.

 
M. le président Julien Aubert : Une fois que le train est passé, donc. Il existe donc des gisements d’amélioration non exploités. 

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M. Pierre Mongin, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe ENGIE, accompagné de Mme Valérie Alain, directeur institutions France et territoires auprès du directeur général, de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur régulation, de Mme Gwenaëlle Huet, directeur général de la Business unit France renouvelables et de M. Damien de Gaulejac, attaché de presse 2.

M. le président Julien Aubert :  Engie est aujourd’hui un groupe d’envergure mondiale dans le secteur énergétique, et plus précisément dans la production d’électricité et de gaz naturel ainsi que dans leurs infrastructures. Fort de 160 000 collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards d’euros, le groupe développe également de nombreuses solutions de service à destination des entreprises et des collectivités publiques.


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Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Je souhaiterais justement revenir sur le dispositif de chaudière à 1 euro, qui semble assez vertueux à de nombreux points de vue. Il comporte toutefois deux risques : le premier consiste en une difficulté, sous l’effet de la demande, à fournir des équipements qualitatifs en nombre suffisant, le deuxième dans la garantie de disposer d’installateurs fiables, susceptibles d’effectuer le travail de manière efficace et véritablement correcte. Comment travaillez-vous pour éviter ces deux écueils ?


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M. Pierre Mongin : Lorsque nous avons pris connaissance des débats autour du coût de l’énergie et de la taxe carbone, nous nous sommes très rapidement mobilisés et avons repéré, chez des industriels français, notamment en Bretagne, des fournisseurs de très grande qualité, en capacité d’accélérer fortement leurs chaînes de production de chaudières. Nous avons ainsi anticipé la production en France de ces équipements pour nos clients. Nous avons en outre essayé d’accompagner la croissance exceptionnelle d’activité que cette offre a occasionnée au sein du service clients par de nombreuses embauches, notamment par le biais de l’apprentissage. Enfin, une file d’attente se crée, afin de réguler les interventions chez les clients. Mais nous ne rencontrons pas aujourd’hui de souci majeur pour délivrer ce service.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Vous avez évoqué la problématique d’efficacité énergétique. Il est en effet important, lorsque vous intervenez chez des particuliers, que vous leur parliez des enjeux autour de l’isolation. Il faut mettre en avant le binôme enveloppe – élément. Est-ce bien un aspect que vous valorisez auprès de vos clients ?

M. Pierre Mongin :  Changer la chaudière permet en effet de gagner 25 % à 30 % de pouvoir d’achat et d’énergie, mais coupler cette opération avec une amélioration de l’isolation peut être source d’un gain supérieur.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Pourriez-vous revenir sur la question du complément de rémunération lié au solaire ? Vous avez indiqué qu’une bascule se produisait à un moment donné, permettant de passer du mode subventionné au mode contributeur. Je ne cerne pas totalement la partie concernant le complément de rémunération et souhaiterais que vous m’éclairiez sur ce point.

M. Pierre Mongin : On est passé d’un prix garanti immuable à un système beaucoup plus exigeant, qui prévoit que l’aide du budget de l’État par le compte d’affectation spéciale n’intervient que pour couvrir la différence entre le prix de marché, s’il est inférieur, et le prix de revient accepté, validé par appel d’offres après appel à la concurrence des fournisseurs d’énergies renouvelables. Si l’on considère les parcs solaires par exemple, le prix de marché est aujourd’hui inférieur des coûts des fournisseurs ; concernant les résultats des appels d’offres lancés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour avoir de la production française de solaire, nous savons que si nous prenons les « forwards inflatés », c’est-à-dire les prix prévisionnels achetés à terme sur le marché, qui sont des indications du futur non théoriques, que des gens sont prêts à payer en termes de transaction de marché, et que l’on prévoit une inflation de 2 % par an de ces prix, ce qui correspond à une prévision assez générale de la profession, alors, pour un parc solaire créé en 2019, l’État commencera à encaisser de l’argent à partir de 2029, puisque si le prix de marché devient supérieur au prix de revient qui est celui du contrat passé par appel d’offres de la CRE, alors le producteur rendra de l’argent à l’État. Ce phénomène fait que, dans un premier temps, une subvention publique est allouée, et dans un second temps, à partir du moment où les courbes se croisent, une restitution est effectuée au budget de l’État. L’opération devient alors contributrice nette au budget de l’État.

M. le président Julien AubertÀ condition que le prix du marché devienne supérieur au prix de revient. Que se passe-t-il si le prix du marché baisse fortement ? Il n’y a pas alors de limitation du coût pour l’État.

M. Pierre Mongin : L’État garantit le prix de revient de cette génération de solaire après appel d’offres. Or à chaque appel d’offres, les prix baissent, parce que les technologies le permettent.

M. le président Julien Aubert : Il nous a été indiqué au contraire que lors des derniers appels d’offres, le prix avait augmenté.

M. Pierre Mongin : Absolument pas : lors de l’appel d’offres de la CRE de 2015, le mégawattheure était en France à 100 euros, alors que lors de l’appel d’offres de 2018 il était à 52 euros. La tendance sur les prix des appels d’offres est à la baisse.

M. le président Julien Aubert : Les représentants de GRDF, que nous avons auditionnés ce matin, nous ont transmis une courbe des appels d’offres montrant une récente remontée des prix, en raison notamment du fait que l’on ne trouvait pas preneur dans le domaine éolien par rapport au volume proposé.

Mme Laure de la Raudière :  Ma question prolonge celle-ci et porte en particulier sur l’éolien terrestre. Il existe une partie ne nécessitant pas d’appel d’offres, lorsque la puissance installée est inférieure à 18 MW. Dans ce cas, quel est le prix ?

M. Pierre Mongin
: Une légère remontée s’est en effet produite récemment, qui traduit peut-être la difficulté de déployer les énergies renouvelables dans le pays. Il s’agit d’un sujet qu’il convient d’aborder sérieusement. Mais pour l’instant, je me réfère aux propos du président de la CRE, qui a indiqué que l’on se situait dans un bandeau de 60 à 80 euros du mégawattheure pour toutes les énergies renouvelables ayant un effet de masse. L’intérêt de cette deuxième couche d’ EnR, qui viendrait s’additionner à celle du nucléaire, serait de permettre le foisonnement. En effet, nos éoliennes en Bretagne ne tournent pas en même temps que celles installées dans la région Provence-Alpes-Côte-D’azur : le climat français est complexe et cette diversité fait que tous les équipements ne fonctionnent pas en même temps. On a donc tout intérêt à organiser le foisonnement des technologies et des sites pour être statistiquement sûr qu’une source d’énergies renouvelables fonctionne toujours quelque part.

M. le président Julien Aubert : Vous me permettrez de souligner que c’est la conséquence de l’intermittence. Par définition, si nous n’avions pas affaire à des énergies intermittentes, le fait que les sources de production se situent en Bretagne ou en Provence ne ferait aucune différence.


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M. Hervé Pellois : La loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 prévoyait de porter la part des EnR à 10 % de la consommation de gaz. Or la nouvelle PPE de 2019 donne sur ce même sujet le chiffre de 7 %, témoignant d’un certain désagrément pour la filière, qui croyait au développement de la méthanisation. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les raisons de ce revirement ? S’agit-il de problèmes liés au prix de revient ? Est-ce dû à la difficulté de développer des outils ou encore à celle d’atteindre les réseaux de gaz, qui ne se situent pas nécessairement à proximité des installations ? Avez-vous des éléments d’explication ?

M. Pierre Mongin : Engie partage la déception des professionnels que vous évoquez, liée à une baisse d’ambition en matière de biogaz. Le gisement de biogaz en France est colossal. Cela cache manifestement une décision budgétaire, visant à limiter les coûts pour la collectivité ; un objectif de 10 % a dû paraître trop cher dans les arbitrages. Ce point de vue est respectable, mais à budget identique, notre conviction est qu’il faut mettre en œuvre cette démarche en début de période, et ce afin de faire le plus possible la démonstration que cela fonctionne pour entraîner ainsi le monde agricole et disposer d’outils de moins en moins chers. Aujourd’hui, les méthaniseurs viennent presque tous d’Allemagne, alors que l’on pourrait en fabriquer en France. Il faut créer cette filière, sur le modèle de ce qui a été mis en œuvre pour les turbines de l’offshore. Investissons l’argent au début, déclenchons une baisse des prix et nous pourrons ensuite aller plus facilement vers l’objectif des 10 %. Il faut en outre avoir en tête l’existence d’une solution européenne, bien que la question n’ait pas encore été abordée à cette échelle : cela concerne le taux d’incorporation obligatoire. Je vous rappelle qu’a été créée partout en Europe l’obligation de mettre dans l’essence ou le diesel des voitures un peu de biocarburants. Peut-être faudra-t-il un jour pour le gaz parvenir également à une obligation d’incorporation de biogaz dans les réseaux gaziers, de manière à inciter sans subvention à la création d’une filière permettant de satisfaire cette obligation. Aujourd’hui, ce sujet ne peut être traité qu’à l’échelle européenne ; la France ne peut prendre une telle décision isolément, d’autant que les réseaux sont européens.


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Mme Marie-Noëlle Battistel : Vous considérez que la maturité de la filière gaz vert est atteignable aux objectifs en 2030. Le palier défini pour 2023 vous semble-t-il également possible à atteindre ? Il me semble en effet que l’on peine un peu à démarrer. Je souhaiterais avoir votre point de vue à ce sujet. À partir de 2030, la filière est considérée comme mature et ne nécessitant plus de soutien public. Le complément de rémunération et le passage à ce dispositif correspondant à un tarif garanti immuable visaient, dans la loi de transition, à obtenir une dynamique plus rapide du développement des EnR et un croisement des courbes. Je pense que l’on est globalement proche de ce croisement, qui interviendra vraisemblablement dans moins de dix ans pour le solaire. Le gisement de biogaz, que vous qualifiez de « colossal », serait-il mobilisable en respectant l’utilisation limitée des cultures intermédiaires, c’est-à-dire en prenant en compte la réglementation en vigueur aujourd’hui ? Ne faudrait-il pas en outre une surveillance accrue, dans la mesure où l’on constate que dans certains domaines on qualifie beaucoup de choses de « cultures intermédiaires » ?

Mme Gwenaëlle Huet : La dynamique de gaz vert, et notamment de biométhane, s’enclenche maintenant. On observe par exemple que le nombre de méthaniseurs a beaucoup crû entre 2017 et 2018. La capacité a progressé de 75 % entre ces deux années, pour atteindre aujourd’hui 1,2 TWh injecté par an et 76 installations qui injectent dans le réseau. Notre objectif est de contribuer à cette dynamique de filière. Lorsque l’on démarre, avec peu de méthaniseurs, les coûts sont forcément plus élevés : notre but est donc d’industrialiser la démarche, avec une typologie de méthaniseurs, et de faire ainsi progressivement baisser les coûts. Il ne s’agit certainement pas pour nous de vivre sur une rente, mais bien d’industrialiser cette activité. C’est la raison pour laquelle nous avons par exemple conclu un partenariat avec la Fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole en commun (FNCUMA), la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ou encore l’INRA, afin de travailler avec eux sur les nouvelles technologies de méthanisation. Notre objectif est d’enclencher ce mouvement de filière. Certains méthaniseurs sont aujourd’hui en construction et 80 projets en cours de développement. Quelle est la cible en 2023 ? Au niveau de la filière, nous avons calculé que 8 térawattheures sont atteignables avec le gisement disponible. Nous nous engageons par ailleurs à enclencher une réduction des coûts de l’ordre de 2 à 3 % par an, en bénéficiant du régime actuel de guichet ouvert pour les petits projets et en réservant les grands appels d’offres pour les projets de plus grande ampleur. L’objectif est de faire baisser les coûts progressivement, grâce à l’industrialisation. Or cela nécessite du volume. C’est la raison pour laquelle nous tenons à conserver l’objectif de 8 térawattheures, car cela participera au volume nécessaire à l’industrialisation de la filière. Concernant l’étude détaillée menée avec l’ ADEME notamment, nous pourrons vous en communiquer la référence. Certains modèles ont pu être développés ailleurs. Notre objectif est d’être très vigilant sur la non-utilisation des surfaces agricoles notamment. Il ne faut pas engendrer de conflit d’usage. 


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Mme Laure de La Raudière : Dans la mesure où cela concerne de l’argent public, il est assez logique que l’on s’intéresse à la question de la rentabilité ultérieure, afin d’éviter l’existence de bulles de rentabilité trop importantes. Ma question ne concernait donc pas le risque pour l’investisseur. Concernant les projets de rachat, mon propos ne visait pas le repowering, mais le rachat d’éoliennes non encore installées, de projets purgés de tout recours, dans lesquels un promoteur éolien développe le projet, négocie l’aspect foncier, puis vend à un producteur plus important la capacité d’exploiter, alors même que les éoliennes ne sont pas encore installées.

Mme Gwenaëlle Huet : Concernant le démantèlement, sachez qu’une garantie financière de démantèlement, émise par l’exploitant, est obligatoire. Elle est de 50 000 euros par éolienne. Nous allons pour notre part un peu plus loin et travaillons sur le recyclage des éoliennes.

Mme Laure de La Raudière J’ai lu sur le site d’une préfecture un devis de démantèlement d’éolienne de 400 000 euros. Le différentiel avec la garantie de 50 000 euros est donc considérable. Il est logique que nous posions ce type de questions, dans la mesure où cela participe du coût complet.

Mme Gwenaëlle Huet : Dans tous les cas, la responsabilité est celle de l’exploitant : il est de son ressort de remettre le site en état. Cet élément est donc bien évidemment inclus dans le calcul de la rentabilité intrinsèque.


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M. le président Julien Aubert : Vous avez parlé de recyclage à propos des éoliennes. Or les pales des éoliennes sont en polymère. Comment procédez-vous pour recycler cela ?

Mme Gwenaëlle HuetOn ne sait pas, aujourd’hui, recycler le polymère.

M. le président Julien Aubert : Les éléments broyés doivent donc être stockés. Concernant le repowering, j’avais cru comprendre qu’il n’était pas possible de conserver le socle de béton initial et qu’il fallait construire un autre socle pour installer le nouveau pylône.

Mme Gwenaëlle Huet : Tout dépend de la taille des éoliennes. Les fondations ne peuvent effectivement pas être les mêmes si l’on parle d’éoliennes de 850 kilowatts (KW) ou de 3 MW. Aujourd’hui, on trouve toutefois des débouchés sur site ou hors site, auprès des cimenteries, pour fabriquer des enrobés bitumineux, etc.

M. le président Julien Aubert : Vous avez donc prévu de recycler les socles de béton. 


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Mme Gwenaëlle Huet
: C’est effectivement tout à fait possible.

M. le président Julien Aubert : Est-ce intégré dans le coût ?

Mme Gwenaëlle Huet : Nous prévoyons en effet dans nos coûts le recyclage des éoliennes, y compris de cette partie-là. 


M. le président Julien Aubert : Vous avez indiqué que les courbes allaient se croiser en 2030. Or le soutien aux EnR a commencé en 2000. Cela correspondrait donc à trente ans d’aides publiques. Vous savez comme moi que ces industries sont largement importées. Vous comprendrez donc la prudence nécessaire : imaginez que vous vous trompiez et que la maturité ne survienne pas en 2030, mais en 2040.
L’aide aura alors duré quarante ans. L’argent public n’est pas infini. Or vous déplorez par ailleurs le faible soutien au gaz et le fait que la PPE soit très largement électrique. Si l’on réfléchit à un rééquilibrage, les gaziers ont par exemple plaidé ce matin pour une plus grande ambition, avec une transition passant davantage par le gaz. Cela signifierait un transfert des financements publics d’un domaine vers l’autre. Si l’on doit toutefois attendre 2030 et l’arrivée à maturité des EnR électriques, le risque est, puisque l’on ne peut pas augmenter les impôts, que l’on reste dans les faits avec des ambitions mort-nées en matière de gaz, faute de pouvoir trouver les fonds nécessaires. Comment résolvez-vous cette redoutable dualité ?

M. Pierre Mongin : Honnêtement, les appels d’offres et la concurrence à l’œuvre aujourd’hui en France pour la production font que ce n’est absolument pas le cas. L’État, étant actionnaire d’Engie, est vigilant quant à la rentabilité de ce groupe. La question est celle du partage de l’argent public. Il appartient à l’État de choisir les filières qu’il entend prioriser. Concernant le biogaz, je crois que l’argent consacré à la filière est insuffisant. Ces financements permettront toutefois de démarrer raisonnablement. Cela suffira pour démontrer qu’en France, il est possible de parvenir à développer le biogaz. Nous sommes, au sein du groupe Engie, assez confiants de ce point de vue. Pour autant, le poids que nous traînons en termes de finances publiques relativement aux énergies renouvelables est le passé. Les technologies étaient coûteuses au départ. EDF a ouvert les vannes sur de petits projets, si bien qu’il existe aujourd’hui une dette de l’État vers EDF, qu’il faut rembourser et qui représente un volume très conséquent des sommes investies dans la transition énergétique et payées par le contribuable consommateur. Nous avons effectué des estimations, qui laissent à penser que la dette héritée du passé sera soldée aux alentours de 2035. Si l’idée est alors de continuer à investir sur un même niveau de financement, ce qui n’est pas certain, on pourrait, une fois débarrassés de ce boulet financier énorme, avancer très vite dans le développement de nouvelles technologies, y compris dans le domaine du gaz ou de l’hydrogène. Les premières années de développement des EnR ont été très coûteuses en France.

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M. le président Julien Aubert : Ne devrait-on pas, par conséquent, en tirant leçon des erreurs du passé, plafonner le montant d’aides budgétaires ? L’État pourrait ainsi se retirer au-delà d’une certaine somme. Je me rappelle avoir rencontré en 2008 M. Mouratoglou, président d’EDF Énergies nouvelles, qui m’avait expliqué, graphique à l’appui, que nous serions prochainement gagnants. Dix ans plus tard, ses calculs ne se sont pas révélés exacts. Quel serait l’impact, pour un acteur comme Engie, d’une décision consistant à conserver, sur l’éolien, sur le photovoltaïque, le principe d’un complément de rémunération versé par l’État, mais en le plafonnant ?

Mme Gwenaëlle Huet : Il existe déjà des plafonds de prix dans les appels d’offres.

M. le président Julien Aubert : Plafond de prix n’est pas plafond d’engagement. Si demain le prix du marché descend très bas et que cela représente un coût d’un, deux ou dix milliards d’euros pour l’État, ce dernier sera dans l’obligation de compléter. Lorsque la foudre tombe sur un circuit électrique, le disjoncteur entre en action. Ne manque-t-il pas un disjoncteur dans le système de transition électrique ?

M. Pierre Mongin : Pour l’instant, ce sont les appels d’offres de l’État qui fixent les volumes. Dunkerque est le dernier appel d’offres en date et nous n’en avons pas d’autres en perspective pour l’instant. Je ne suis donc pas très inquiet relativement à un hypothétique risque d’emballement de volume qui coûterait très cher au budget de l’État. Quant à la baisse des prix de l’électricité, l’expérience du vieillissement des centrales belges montre que le taux d’indisponibilité s’accroît. Voici dix ans, le taux de disponibilité dans l’énergie nucléaire y était supérieur à 90 % ; il est aujourd’hui inférieur à 80 %.


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M. le Professeur Jacques Percebois, économiste. 2.
 
Mme Laure de La Raudière, présidente
: Une étude récente commandée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) conclut à la possibilité d’un mix électrique presque totalement composé d’énergies renouvelables (EnR) : 85 % en 2050 et 95 % en 2060. Des études d’esprit comparable, mais réalisées avec d’autres modèles, concluent, elles, que les EnR ne peuvent économiquement évincer les centrales pilotables. Les premières concernent l’apport de la science économique. Quelle est la robustesse de modélisations, dont l’un des paramètres relatifs au comportement du consommateur, par exemple, s’est fracassé sur la révolte fiscale ? L’universitaire doit-il se borner à prendre acte des choix publics, ou bien son rôle consiste-t-il à s’interroger sur leur rationalité ? Ensuite, avec le recul, que l’économie politique et l’histoire économique nous apprennent-elles sur le lien entre énergie et croissance ? Par ailleurs, sur la rationalité des choix d’investissements, que recouvrirait la distinction entre une énergie « ancienne » et une énergie « nouvelle » ? A-t-elle un même un sens ? Le choix n’est-il pas plutôt entre technologie éprouvée et innovation, par exemple en matière de stockage de l’électricité ? 


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M. Jacques Percebois : Je préciserai d’emblée que lorsque l’on parle d’énergies renouvelables, il ne faut pas se limiter à l’électricité. En effet, il existe des renouvelables thermiques – je pense au bois, au biogaz ou au biocarburant – dont le rôle n’est pas négligeable aujourd’hui et peut devenir relativement important demain. Or, si l’on se focalise sur l’énergie électrique, on ne s’intéresse qu’à une partie de la politique énergétique. N’oublions pas qu’en prenant comme référence la consommation finale d’énergie en France, l’électricité ne représente que 23 % de la consommation, contre 20 % pour le gaz et 45 % pour les produits pétroliers. Par conséquent, si l’on veut réduire l’impact des émissions de gaz à effet de serre, il faut surtout penser au secteur des transports et au secteur domestique, et ne pas systématiquement se focaliser sur l’électricité. En électricité, les renouvelables sont essentiellement l’hydraulique, qui représente 12,5 % de la production globale, le solaire à hauteur de 2 %, et l’éolien dont la part se chiffre à 5 % – soit un total de 19 % environ. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit qu’ils devraient représenter 40 % de la production d’électricité à l’horizon de 2030 et que, corrélativement, la part du nucléaire devrait passer de 72 % à 50 % à l’horizon de 2035. C’est un choix politique, conséquence de contraintes à la fois politiques, géographiques et historiques desquelles la politique énergétique française a toujours résulté. Et pour cause, la France n’a pas la chance d’avoir beaucoup de ressources naturelles. Après avoir mis fin à l’exploitation massive du charbon, il a donc fallu faire appel aux ressources nationales et l’indépendance énergétique s’est largement appuyée – en tout cas depuis les chocs pétroliers – sur l’électricité nucléaire. Cela a permis à notre pays de retrouver un taux d’indépendance non négligeable, puisque l’indépendance énergétique, en termes d’énergie primaire, est désormais de l’ordre de 50 %, contre à peine 25 % lors du choc pétrolier. Il me semblait important de le souligner. Elle a d’ailleurs entraîné des rentes pour certains, dans la mesure où ce système a été mis en place sans contrôle des quantités. On a fixé un prix sans vérifier que l’on avait toujours vraiment besoin de la quantité mise sur le marché. Le résultat est que le surcoût est financé par le consommateur d’électricité à travers la fameuse contribution au service public de l’énergie (CSPE). Et cette CSPE n’a pas cessé de croître, si bien que depuis 2017, on a fait une sorte de swap : la CSPE, qui est maintenant stabilisée et qui a été plafonnée à 22,50 euros par mégawattheure (MWh), est versée au budget général de l’État, et c’est une partie de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE), en l’occurrence les produits pétroliers, qui finance désormais le surcoût des renouvelables. Et ce, pour une raison juridique. En effet, Bruxelles a considéré que la CSPE n’était pas conforme aux directives européennes. Je précise, en outre, qu’on l’appelle toujours CSPE alors qu’on devrait l’appeler taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Le consommateur paie la différence et que cette différence est assez importante puisqu’elle est de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. La Cour des comptes, dans un rapport de 2018, a montré que si l’on faisait le cumul de tous les contrats signés jusqu’en 2040, cela représenterait tout de même 121 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable. L’autre inconvénient de ce système est qu’on a assisté à un effet pervers sur le marché de gros. En effet, puisque cette électricité renouvelable est financée hors marché et injectée sur le marché de gros, elle fait baisser les prix de gros. Et paradoxalement, alors que le prix de gros baisse sur le marché spot, le prix payé par le consommateur final augmente – ce qui lui semble difficilement compréhensible. C’est la logique du fonctionnement du marché de gros, qui s’appuie sur ce que l’on appelle l’ordre de mérite – merit order – : on appelle les centrales en fonction de l’ordre de mérite, et le coût marginal, c’est-à-dire le prix auquel l’électricité participe aux enchères, est nul. Il y a même eu, parfois, des prix négatifs. C’est arrivé d’abord en Allemagne, mais quelques fois en France également. Encore récemment, des prix très légèrement négatifs ont été observés. On est obligé de payer quelqu’un pour vous débarrasser de cette électricité excédentaire ! Et pour cause, n’oublions pas que la contrainte de l’électricité est que l’on ne peut pas injecter plus qu’on soutire, ou soutirer plus qu’on injecte sur le réseau. Un équilibre physique doit être respecté. Un autre système se développe également, le power purchase agreement (PPA), qui permet à certains gros consommateurs d’acheter directement à des producteurs d’électricité renouvelable. Il est assez populaire aux États-Unis et dans les pays nordiques. Je crois que c’est un bon système. C’est un accord d’achat d’électricité Un gros consommateur qui souhaite montrer qu’il utilise de l’électricité renouvelable, par exemple, peut en acheter directement auprès d’un producteur. C’est le cas de Google qui, pour montrer qu’il utilise de l’électricité renouvelable, a passé un contrat bilatéral sur 10 ans avec un producteur d’électricité solaire, avec un prix fixé d’un commun accord. Cela évite de passer par la logique de prix garanti par l’État.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Une entreprise publique avec un gros volume de consommation peut donc directement s’arranger sur le marché pour être fournie en électricité renouvelable sur une période donnée ?


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M. Jacques Percebois : Oui.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : Et elle négocie le prix ?

M. Jacques Percebois : Elle le négocie de façon bilatérale. À la différence de l’Italie ou de l’Allemagne, la France compte peu d’auto-consommateurs – environ 40 000. Dès lors qu’ils ne pourront pas, sauf exception, toujours utiliser l’électricité qu’ils produisent, les auto-consommateurs ont besoin du réseau. Souvent, on les aide à y rester connectés. C’est ainsi qu’ils sont exonérés de la CSPE et de certaines taxes, en France. Ils peuvent également être aidés pour acheter leur équipement. C’est vertueux, puisque cela permet de développer l’autoconsommation. Mais il ne faut pas sous-estimer le fait que ces aides sont financées par d’autres et que, par conséquent, tout le monde ne peut pas recourir à l’autoconsommation. En outre, lorsque l’autoconsommation se fera à grande échelle, il faudra que l’auto-consommateur, qui sera aussi auto-producteur, reste connecté au réseau, donc le finance de façon correcte.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure : C’est la position de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), si je ne me trompe pas.

M. Jacques Percebois : En effet, et elle est justifiée. Aujourd’hui en France, le tarif d’accès au réseau est à 80 % fonction du kilowattheure (KWh) soutiré, et à 20 % seulement fonction de la puissance. Ainsi, un auto-producteur qui fait appel au réseau ne paie le réseau que lorsqu’il achète des KWh. Toutefois, il y reste connecté en permanence. Cela signifie qu’on lui garantit la puissance en permanence. Il existe donc un effet pervers : le consommateur modeste, qui n’a pas les moyens de mettre du photovoltaïque, paie le réseau tout le temps – il paie donc pour l’autre. C’est une subvention croisée.

M. Jacques Percebois : Il faut aussi envisager de développer le stockage. Il existe deux systèmes principaux, le premier étant la batterie. Il est important que la France développe des batteries. Ce sera même une nécessité dès lors qu’il sera fait appel aux véhicules électriques. En l’occurrence, il faut que l’Europe et la France comprennent bien que l’avenir est probablement au véhicule électrique, lequel passe par une industrie des batteries. Si l’Europe ne met pas en place une industrie des batteries, son industrie automobile sera condamnée, à terme. Pour leur part, les Chinois ont compris qu’il fallait développer à grande échelle le véhicule électrique. Ainsi, parmi les dix premiers producteurs de batteries dans le monde se trouvent sept chinois, deux coréens et un japonais – aucun n’est européen. C’est la raison pour laquelle l’idée d’un « Airbus des batteries » est importante. En tout état de cause, nous sommes très en retard. [...]


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Il faut bien avoir conscience que lorsqu’on remplace de l’électricité nucléaire par de l’électricité renouvelable, cela ne change rien sur le plan du bilan carbone. Et pour cause : on remplace du décarboné par du décarboné. Je pense donc que l’atout de la France reste son parc nucléaire qui, à l’horizon 2035, doit couvrir environ 50 % de la production d’électricité. La puissance installée sur le réseau est nettement inférieure à la somme des puissances locales. En effet, tout le monde n’appelle pas le réseau au même moment et à pleine puissance. On joue donc sur la loi des grands nombres. On n’a pas besoin d’un réseau qui serait la somme de tous les contrats signés par tous les Français. Heureusement, parce que l’on tient compte du foisonnement, la puissance installée en France est très inférieure à la somme de toutes les puissances installées chez les particuliers et les industriels.



Mme Laure de La Raudière, présidente :  Vous considérez qu’il convient d’avoir une vision ACV et de prendre en compte l’empreinte carbone dans l’ensemble du cycle de vie. Avez-vous effectué des comparaisons entre les filières, de l’achat jusqu’au démantèlement et à la gestion des déchets ? Par ailleurs, vous avez parlé de rentes. Qui en a bénéficié, précisément ? Est-ce le cas de structures françaises ? Ont-elles généré de l’emploi ? Enfin, existe-t-il une relation entre le prix de l’énergie et la croissance ?

M. Jacques Percebois : Les Français, par exemple, émettent peu de CO2. Mais dans la mesure où ils achètent des produits avec beaucoup de CO2, il faudrait leur imputer la quantité de CO2 émise par la Chine lorsqu’elle a fabriqué ces produits que nous importons. Et, au contraire, défalquer le CO2 inclus dans nos exportations. Nous avons fait la même erreur avec les prix garantis d’achat, à la différence près que si le beurre se stocke, ce n’est pas le cas de l’électricité – et l’on a donc des prix négatifs. Il faut toutefois reconnaître que ce système a quand même eu des vertus, puisqu’il a permis de baisser les coûts de production des renouvelables. Il faut aussi dire que la Chine y a beaucoup contribué par le dumping, qui a mis en péril l’industrie européenne du photovoltaïque et, dans une moindre mesure, de l’éolien. Par ailleurs, ont bénéficié de rentes ceux qui ont eu au départ des prix garantis très élevés alors qu’ils avaient des coûts relativement bas. Ces prix étaient qui plus est garantis sur quinze ans, sans que l’on ait prévu d’indexation. Il n’existe pas d’étude exhaustive sur les effets redistributif, mais il est sûr que certains gros agriculteurs ont bénéficié de ce système. C’est le cas de ceux qui ont mis du photovoltaïque dans leurs champs, mais aussi du secteur tertiaire – les supermarchés comme les industriels, y compris les producteurs d’électricité. Ainsi, le groupe EDF a bénéficié du système, car il est également producteur d’électricité renouvelable, notamment par le biais de ses filiales. Les subventions n’ont d’ailleurs plus vraiment de raison d’être, sauf cas exceptionnel pour les particuliers qui veulent être aidés dans ce domaine – mais le prix du marché est suffisant.

Mme Laure de La Raudière, présidente : Faut-il les aider ? Est-il pertinent de subventionner des petites productions ? ous avez également évoqué le système des enchères et des appels à projets pour les grosses installations. Il existe encore des projets d’éolien terrestre, qui passent systématiquement en dessous de la barre de l’appel d’offres ou des enchères. Est-il intéressant de conserver des projets de cette nature, d’un point de vue économique ?

M. Jacques Percebois : Je ne suis pas partisan du maintien des subventions à très long terme. D’autant que les coûts ayant baissé, la parité réseau est à peu près atteinte.

Mme Laure de La Raudière, présidente : Nous ferions donc mieux de les stopper dès maintenant ?

M. Jacques Percebois : Oui, relativement. Je pense que nous n’en avons plus tellement besoin. Les subventions ont joué leur rôle. Elles ont aidé au développement. Mais je ne suis pas certain qu’il faille maintenir durablement des subventions.

Mme Laure de La Raudière, présidente
: Quid du lien entre prix de l’énergie et croissance ?

M. Jacques Percebois : Le bas prix de l’énergie, notamment de l’électricité, constitue indiscutablement un atout pour les industriels. Pour la croissance économique, un bas prix de l’énergie est important, notamment pour les secteurs gros consommateurs d’énergie et d’électricité – ceux pour lesquels l’énergie représente plus de 10 % des coûts de revient. C’est le cas de l’industrie de l’aluminium, du verre ou de la pâte à papier qui, en général, recherchent le meilleur système et font de l’efficacité. Pour elles, le bas prix de l’énergie est un facteur favorable. À tel point qu’un pays comme l’Allemagne, où le prix du kWh est près du double du prix français, aide beaucoup ses industriels en les exonérant d’un certain nombre de taxes et en les subventionnant. C’est un élément important pour les particuliers également. Le budget moyen des Français pour l’énergie représente 9 % du revenu – à moitié pour la mobilité et à moitié pour le logement. Mais pour les Français en situation de précarité énergétique, il représente le double. Le coût de l’énergie est un poste important dans certaines branches industrielles. Avoir une électricité bon marché est donc un élément favorable. Mais il l’est aussi pour le secteur domestique, car il ne faut pas perdre de vue que ce poste peut aller jusqu’à 20 % dès lors qu’on additionne la part du logement et celle de la mobilité, même si l’on a toujours tendance à parler du logement et à sous-estimer la mobilité.


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Mme Claire O’Petit : Dans une perspective d’autoconsommation croissante et dans la mesure où, vous l’avez rappelé, l’électricité ne se stocke pas, du moins pour le moment, les auto-consommateurs qui se transforment en producteurs en fonction des éléments climatiques ne risquent-ils pas de déséquilibrer les réseaux ? Pensez-vous que les compteurs Linky en cours de déploiement peuvent réellement contribuer à l’équilibre du réseau global de distribution, dans cette perspective d’autoconsommation croissante ? Vous avez également parlé du coût très élevé des véhicules électriques. Il faudrait aussi citer l’impossibilité de les revendre après quatre ou cinq ans compte tenu des avancées opérées en matière de batterie. Ne faudrait-il pas demander aux constructeurs de prévoir un emplacement permettant de changer de batterie et d’installer une nouvelle batterie, plus petite, sur un même véhicule ? Cela pourrait favoriser l’acquisition de véhicules électriques.

M. Jacques Percebois : Indiscutablement, l’autoconsommation et l’autoproduction d’électricité intermittente posent des problèmes au gestionnaire du réseau. En effet, 95 % des injections d’électricité renouvelable se font sur le réseau de distribution. Mais à certains moments, quand trop d’électricité entre sur ce réseau, il faut la remonter sur le réseau de transport. En principe, le réseau est fait pour aller du sommet vers la base, pas l’inverse. Remonter l’électricité a donc un coût. D’autres coûts tiennent au fait qu’il existe des variations assez importantes. Il faut d’ailleurs développer le réseau de distribution à certains endroits, pour pouvoir récupérer cette électricité renouvelable. En résumé, le gestionnaire du réseau de distribution, Enedis en l’occurrence, doit tenir compte des coûts liés à l’autoconsommation et l’autoproduction. À cela s’ajoute le fait que l’auto-producteur décide de faire appel au réseau quand cela l’arrange. Il faut donc au moins un tarif de secours, pour éviter ce que l’on appelle la « spirale de la mort » : tout le monde aura intérêt à mettre de l’autoproduction sur sa maison, et les pauvres ruraux qui n’auront pas les moyens de mettre du photovoltaïque paieront pour tout le monde sur le réseau. Cela n’est pas tout à fait logique. Il faut tenir compte de cet aspect redistributif. Cela suppose de mener une réflexion sur la tarification d’accès au réseau, le fameux tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Par ailleurs, il est vrai que les nouveaux outils numériques, parmi lesquels le compteur Linky, permettent d’arbitrer à distance : obliger à de l’effacement à certains moments et à certains types de stockage, pour une meilleure gestion. Aujourd’hui, le maître mot est la flexibilité sur le réseau, qui passe par une flexibilité de la production thermique classique, par l’effacement plus marqué de la demande à certaines heures et par du stockage/déstockage. Actuellement, le stockage est hydraulique à 95 %. Nous avons la chance, en France, d’avoir 12,5 % d’électricité hydraulique et beaucoup de stockages, grâce aux barrages. Mais y a-t-il encore un potentiel de stations de pompage, c’est-à-dire de barrages permettant de stocker l’électricité ? À mon avis, oui – sur le papier, du moins. Mais il n’est pas très facile de construire des barrages aujourd’hui, tant l’opposition est forte : nous ne construirions pas aujourd’hui les barrages que nous avons construits dans les années 1950. Personne ne le conteste. Pour le reste, je partage vos propos concernant le véhicule électrique. Aujourd’hui, la plupart des bornes sont installées chez les particuliers. Un effort plus important doit être consenti pour développer les bornes publiques. Il faut aussi anticiper qu’il y aura beaucoup de progrès techniques. En l’occurrence, je considère que les personnes modestes ne doivent pas se lancer dans l’acquisition de ce type de véhicule, car elles peineront à faire face aux progrès techniques dans les prochaines années. Il me semble que c’est le rôle de la puissance publique d’anticiper les progrès qui peuvent être attendus dans ce domaine.



À suivre...

Les témoignages en totalité, commentés par Michel Gay. Michel Gay est membre de l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), de la Fédération environnement durable (FED), et de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).
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