Electricité : les paradoxes de la hausse du tarif

Veronique Le Billon
14/05/2019

Le tarif réglementé de l'électricité, auquel souscrivent plus de 25 millions de ménages
, doit augmenter de 5,9 % au 1er juin. Une hausse liée au développement de la concurrence et à la flambée des cours du carbone, ce qui montre les limites du mode de calcul actuel. Le gouvernement, EDF et les fournisseurs alternatifs sont en quête d'une nouvelle martingale, sous l’œil de la Commission européenne.




« Les tarifs sont faits pour dire les coûts, comme les horloges pour dire l'heure », rappelait il y a quelques années Marcel Boiteux, qui construisit après-guerre la tarification de l'électricité avant de présider EDF. Les horloges ont parfois du retard : après avoir gelé le prix de l'électricité cet hiver, sur fond de crise des « gilets jaunes », le gouvernement s'apprête à valider, le 1er juin, une hausse massive de 5,9 % du tarif réglementé. Une augmentation qui s'imposera non seulement aux 25 millions de clients du tarif bleu d'EDF mais aussi à toutes les offres indexées de ses concurrents - Engie, Total Direct Energie, ENI… Pour un ménage chauffé à l'électricité, la hausse représentera autour de 85 euros par an.

Au Conseil supérieur de l'énergie, qui examine le projet de hausse ce 14 mai, les associations de consommateurs expliqueront surtout que les tarifs ne disent pas, à leurs yeux, les bons coûts. De fait, l'augmentation proposée est en bonne partie liée, si on la résume crûment, à la montée en puissance de la concurrence - un comble - et à la hausse des cours du carbone - alors même que la production d'électricité française est presque totalement sans CO2. La situation, inédite, a d'ailleurs obligé le régulateur à adapter sa méthode de calcul, mettant en lumière les limites du tarif régulé.


Permettre la « contestabilité »
Car le tarif réglementé est construit non pour refléter directement les coûts du fournisseur historique, EDF, mais pour permettre aux opérateurs alternatifs de le concurrencer (selon le principe de « contestabilité »). Ils ont, pour ce faire, accès à un quota d'électricité nucléaire produite par les 58 réacteurs d'EDF. Un quota qu'ils ont dépassé l'an dernier en raison de leur montée en puissance, ce qui les a obligés à se fournir aussi sur le marché de gros, dont le cours flambait en raison de la réforme des quotas carbone, gonflant le coût moyen de la fourniture et, par ricochet, celui du tarif réglementé tout entier.

Au final, « loin de correspondre à la couverture des coûts de fourniture de l'électricité d'EDF, la hausse envisagée permettrait à EDF d'augmenter indûment de 87 % ses marges et priverait en conséquence les consommateurs du plein bénéfice de la compétitivité du parc nucléaire historique », critiquent les associations de consommateurs, se référant à un avis de l'Autorité de la concurrence et menaçant de saisir le Conseil d'Etat.

Il y a tout juste un an, le même Conseil d’État a pourtant justifié le maintien du tarif réglementé : « l'entrave » est réelle, mais acceptable du moment que la réglementation « répond à un objectif d'intérêt économique général », qu'elle ne porte pas atteinte au-delà du nécessaire à la libre fixation des prix et qu'elle soit « clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable ». Et l'Union européenne a validé à son tour la persistance de ce tarif réglementé. Un soulagement pour EDF, redoutant une extinction du tarif régulé qui aurait obligé ses 25 millions de clients à se poser la question de rester chez leur fournisseur historique ou de choisir l'un de ses concurrents.


Compromis défendable
Face à la forte hausse du 1er juin, qui pourrait se renouveler si les prix de marché restaient élevés, le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a déjà annoncé son ambition de réformer le mode de calcul du tarif , peut-être lors de l'examen du projet de loi sur l'énergie, cet été. Trois impératifs cohabitent désormais, qu'il va falloir concilier : préserver le pouvoir d'achat des ménages (pour le gouvernement), financer ses investissements (pour EDF), se faire une place dans un marché libéralisé (pour ses concurrents).

Le débat, loin d'être seulement technique, pose une question de fond : à qui appartient le parc nucléaire ? Pour continuer à se développer, les concurrents d'EDF demandent à profiter davantage de la rente nucléaire, en relevant le plafond de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), ce quota d'électricité produite par EDF auquel ils peuvent accéder à prix fixe. Une demande régulièrement critiquée par EDF : « nos concurrents se contentent qu'on leur livre notre électricité, », protestait récemment le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, réclamant un durcissement de l'accès à l'Arenh pour ses concurrents et une révision de sa valeur, inchangée depuis 2011.


« Qu'ils soient ou non clients d'EDF »
Devant les parlementaires, début mai, Jean-Bernard Lévy a toutefois esquissé dans une phrase ciselée ce qui devrait être la base d'un compromis défendable à Bruxelles, qui protège davantage ses revenus et assure un tarif de l'électricité plus stable pour les consommateurs : « je souhaite, a dit le PDG du groupe public, que la production d'électricité nucléaire, qui est le fruit d'une volonté politique ayant engagé toute la nation sur cinq décennies, puisse continuer à bénéficier réellement aux Français, qui en sont les propriétaires indirects à travers l'entreprise publique EDF, qu'ils soient ou non clients d'EDF ». Une réforme qui se traduira aussi par la réorganisation d'EDF .

Au-delà du prix des seuls électrons, le débat sur le tarif réglementé mériterait aussi d'être élargi à toutes ses composantes - la fourniture ne représente qu'un tiers de la facture. Car au prétexte que le consommateur français dispose encore d'une électricité meilleur marché que chez certains voisins en Europe, elle est alourdie de coûts, du financement d'une part des retraites d'EDF à la politique d'économies d'énergie (via les CEE) en passant par la fiscalité, qui représente plus de 50 % du prix hors taxes. Un poids très élevé pour un produit de première nécessité.


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