Les terres rares, ultime moyen de pression de la Chine
la Chine a le quasi-monopole de la production des terres rares David Becker/Reuters
Le pays est le premier producteur mondial de ces minerais très utilisés dans les technologies de pointe. Il pourrait décider de se servir de cet atout pour sanctionner les États-Unis dans le cadre de leur conflit commercial. Mais la manœuvre s’annonce risquée.
L’escalade se poursuit entre les États-Unis et la Chine. Après avoir augmenté les taxes sur 200 milliards de dollars de produits chinois et menacé de faire de même sur l’intégralité des produits «made in china», Donald Trump a pris un décret interdisant aux réseaux de télécommunications américains de se fournir en équipements auprès de sociétés étrangères jugées à risque. Une mesure qui cible directement Huawei. En face, la Chine n’a plus beaucoup de marges de manœuvre pour répliquer car elle surtaxe déjà la quasi-totalité des produits américains qu’elle importe. Il lui reste toutefois un puissant levier d’action, susceptible de faire bouger les lignes: les terres rares.
• Qu’est-ce que les terres rares?
Ce terme désigne un ensemble de 17 éléments métalliques (le scandium, l’yttrium et 15 lanthanides) pratiquement toujours associés dans leurs gisements naturels. Leurs propriétés électroniques, catalytiques, magnétiques et optiques sont très voisines. Ces éléments sont devenus incontournables dans de nombreux secteurs, comme l’automobile, l’aéronautique, la défense et toutes les nouvelles technologies. Ils sont présents partout, dans les aimants (environ 20% de l’utilisation des terres rares en tonnage), les écrans plats, les smartphones, les tablettes, les batteries des voitures électriques, les éoliennes, les pots catalytiques, les panneaux photovoltaïques, les radars…
• Ces métaux sont-ils vraiment «rares»?
Contrairement à ce que l’on peut croire, ces métaux ne sont pas aussi rares que l’or ou l’argent. Ils sont même relativement abondants dans la croûte terrestre. Toutefois, les concentrations exploitables ne sont pas fréquentes et le fait qu’ils soient généralement mélangés à d’autres minéraux rend leur extraction et leur raffinage très coûteux et polluant. Les quantités disponibles, au regard des usages et du poids économique que ces métaux stratégiques représentent, sont donc faibles. Or la demande est en augmentation constante, portée par les industries de pointe. D’où cette notion de rareté.
• Qui contrôle ce marché?
La Chine maîtrise la quasi-totalité de ce marché. Sur les 170.000 tonnes produites l’an dernier, 71% (120.000 tonnes) l’ont été par cette dernière, selon le US Geological Survey. Les autres producteurs -Australie (20.000 tonnes) et États-Unis (15.000) - sont loin derrière. .
La Chine contrôle également 40% des réserves mondiales :
• Quel est le degré de dépendance des États-Unis à l’égard de la Chine?
Les États-Unis étaient autrefois l’un des plus gros producteurs de terres rares de la planète. Aujourd’hui, ils dépendent à près de 80% des importations chinoises. C’est la raison pour laquelle Donald Trump n’a pas inscrit ces minerais sur la liste des produits «made in china» surtaxés. Les Américains importent de Pékin des terres rares chinoises extraites et raffinées sur place, mais ils importent aussi des terres rares américaines transformées en Chine. «Contrairement aux États-Unis, la Chine maîtrise toute la chaîne de valeur, dont la transformation de la matière première», explique John Seaman, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Les États-Unis ont tenté de relancer leur production dans les années 2010-2011, lorsque les quotas d’exportation imposés par la Chine avaient fait grimper les prix. En Californie, la mine de Mountain Pass avait rouvert ses portes en 2012. Mais elle avait fait faillite après l’éclatement de la bulle. L’an dernier, elle a pu redémarrer grâce notamment... à des investissements chinois.
• Les Chinois peuvent-ils se servir de cette «arme» dans le conflit commercial?
En début de semaine, le président Xi Jinping et son négociateur en chef Liu He, ont visité le site de JL Mag Rare-Earth, un producteur de terres rares de premier plan dans la province centrale du Jiangx. Le message était clair: rappeler aux États-Unis et au reste du monde que la Chine contrôle ces métaux stratégiques. Une arme puissante qu’elle n’a pas hésité à dégainer en 2010 en durcissant ses quotas d’exportation. La mesure avait provoqué une flambée des prix et mis les autres puissances face à leur dépendance. «Il y a eu un procès à l’OMC en 2012. Cette pratique a été jugée contraire aux engagements pris par Pékin dans le cadre de l’OMC. En 2015, la Chine a donc renoncé à ses quotas», explique John Seaman. Le sujet semble aujourd’hui revenir sur la table alors que les relations avec les États-Unis s’enveniment. Pékin a d’ores et déjà décidé de relever au 1er juin les taxes sur les terres rares en provenance des États-Unis, les faisant passer de 10% à 25%.
• Quelles conséquences pour les États-Unis?
«La mise en place de quotas ou d’embargo sur cette matière première aura nécessairement un impact, notamment sur les industries pétrolières et automobiles sur lesquelles se concentre la consommation américaine de terres rares. Cela affectera les prix du pétrole raffiné et celui des pots catalytiques», explique l’expert de l’ Ifri. «Si l’embargo concerne la matière première, le secteur des télécoms ne devrait pas être affecté car il utilise surtout les produits transformés comme les aimants. En revanche, si la Chine restreint les exportations d’aimants, cela risquera de perturber le secteur», ajoute ce dernier.
Les États-Unis pourraient limiter l’impact de cette mesure de rétorsion en s’approvisionnant ailleurs. «Ils pourraient passer par des traders japonais qui achètent la matière première en Chine. Il y aura une prime à payer à l’intermédiaire mais c’est une solution à court terme», estime John Seaman. À plus long terme, les Américains pourraient en profiter pour relancer cette industrie sur leur sol en développant la chaîne de valeur. Le processus est d’ailleurs enclenché puisque le groupe américain Blue Line Corporation et le minier australien Lynas viennent d’annoncer la construction d’une usine de raffinerie de terres rares à Hondo, au Texas.
• La Chine osera-t-elle franchir le pas?
Rien n’est moins sûr. «La Chine a retenu la leçon des quotas de 2010 et du procès à l’OMC que cela lui a valu. Elle a vu l’image négative que cette mesure envoyait et la volonté immédiate des autres pays de se fournir ailleurs, voire de contourner son industrie. Elle n’a rien gagné. Agir sur les terres rares sera un levier d’action visible dans ce conflit mais la Chine sait que cette escalade n’aura qu’un impact réel limité aux États-Unis», juge John Seaman.
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