Haute-Marne : émigrés bassignots et comtois aux Etats-Unis de 1830 à 1870, épisode V et fin

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   Dans la truculente galerie de personnages dépeints par de Massey n'apparait pas le nom de François L.A.Pioche. Cet homme d'affaires français passe pourtant pour avoir contribué au développement de San Francisco durant deux décennies ayant suivi la ruée vers l'or. Il n'est pas né à Paris comme on l'écrit généralement... mais en Haute-Marne. Précisément le 30 juin 1817 à Saint-Dizier, au domicile de ses parents domiciliés dans le faubourg de la Noue (17). Son père, Auguste Henri François-Léger, était alors receveur à cheval des contributions indirectes. Il s'est marié, l'année précédente, avec une Bragarde, Agathe Stéphanie Marin, fille de Joseph-François, négociant, et de Louise Ferrand.


La Noue, fin du XIXe, début du XXe siècle.



   Le quartier de la Noue, aujourd'hui. Il comporte 2 tours et quelques barres, un collège et un gymnase.

  François Louis Alfred Pioche travailla d'abord pour le ministère des Finances, avant d'être employé au consulat français au Chili. Selon une notice biographique que lui a consacré une société historique américaine, Pioche, qui avait hérité du pécule d'un oncle décédé alors qu'il n'avait que 23 ans, décida, avec un nommé Jules Barthélémy Bayerque, originaire d'Oloron-Sainte-Marie, de chercher fortune en Californie. C'est en février 1849 que tous débarquèrent à San Francisco.
  Le Bragard connu alors une success story chère aux Américains . À la tête d'un magasin, il importait des produits français. L'affaire fut si prospère que Pioche se lança dans l'activité bancaire. En 1851, il revint en France pour encourager les investissements de ses compatriotes en Californie. Co-fondateur de la société Pioche, Bayerque & Co, Pioche se lança dans l'immobilier, acheta des terres puis s'illustra dans une autre activité : l'introduction en Californie de l'industrie des chemins de fer. Sa société était également à l'origine de la fondation de la Société du gaz de San Francisco et de la Compagnie des eaux de la ville.




  François Louis Alfred Pioche , 1817-1872: " le 2 mai 1872 – on le trouva sans vie, tenant encore dans
sa main crispée le pistolet avec lequel il venait de mettre fin à sa carrière
" Photo : DR

  Lorsque de l'argent fut découvert dans le Nevada, en 1859, il se produisit une fièvre comparable à celle qui avait secoué la Californie avec l'or. Pioche ne rata pas l'occasion : il envoya des collaborateurs, qui découvrirent ce précieux métal, vers 1869, dans le district qui portera rapidement son nom. Dès 1874, des revues françaises parlaient du site de Pioche, aujourd'hui encore considéré comme l'une des villes les plus pittoresque du Nevada.


Pioche, Nevada, 1869.


  Pioche - Historical Marker


  Pioche, aujourd'hui.
Source
 
   Pioche se lança aussi dans l'exploitation d'une eau minérale dont la source avait été découverte près de San Jose. Mais, ayant eu des difficultés, probablement financières, il se suicida le 2 mai 1872.

c) Les inclassables
   François, dit Auguste, Truchot de Bussières-lès-Belmont, eut un autre destin. En 1852, il décida d'émigrer pour échapper à ses obligations militaires. Toutefois, il ne fila pas en douce puisque sa demande de passeport, à destination du Havre, fut enregistré le 10 décembre 1852. Outre-Atlantique, un compatriote pouvait l'aider : un cousin. Bien qu'il ait perdu l'adresse de son parent au cours du voyage, Truchot parvint à le retrouver et travailla un temps pour lui. Anecdote amusante : le jeune homme crut apprendre la langue anglaise avant qu'on ne lui fasse remarquer que c'était plutôt l' allemand qu'on lui avait enseigné à New York! Le Haut-Marnais commença sa vie de globe-trotter sur le continent américain en se rendant d'abord à Cincinnati, dans l' Ohio, puis, en 1854/1855, à La Nouvelle Orléans, Louisiane, et à Saint-Louis, Missouri. Il participa ensuite, comme employé civil de l'armée, à l'expédition du colonel Johnson, en 1857, contre les Mormons de l' Utah.[Guerre de l' Utah, 187-1858 ] C'est à cette époque qu'il s'installa dans un état qu'il ne quittera plus : le Montana, ancienne dépendance française située dans l' Ouest américain, à la frontière canadienne.



  Le colonel Albert Sidney Johnston a dirigé l'expédition de l'Utah pour réprimer une rébellion mormone contre l'Union. Pendant la guerre civile, il devient un général de haut rang dans l'armée confédérée et est tué à la bataille de Shiloh le 6 avril 1862

   Il travailla pour le compte du capitaine Grant, agent de la fameuse société, d'origine britannique, Hudson Bay Compagnie, conduisant du bétail. C'est à cette occasion qu'il fut amené à commercer avec les Amérindiens. Il fit plus que du commerce, puisqu'il vécut avec une Amérindienne.Un de ses descendants actuels, l'écrivain amérindien Clyde M. Hall, raconte que la femme de Truchot de la tribu des Lemhi Shoshones [Lemhi est la rivière qui a donné son nom au territoire ] lui donna, en septembre 1866, deux jumeaux, prénommés Frank et Erbert Louis. La gémellité [État d'enfants jumeaux] était un signe de mauvaise fortune chez les Shoshones, sa femme aurait alors quitté à cheval le ranch familial, emmenant un de ses deux enfants. Truchot serait parvenu à les rattraper et à ramener son fils.

 

  "... Le 12 février 1875, le président Grant a établi une réserve de 100 miles carrés par décret pour le peuple Lemhi-Shoshone dans la vallée de Lemhi. Connue sous le nom de réserve indienne de la vallée de la Lemhi, le décret a établi la réserve pour "l'usage exclusif des tribus mixtes d'Indiens Shoshone, Bannock et Sheapeater". (2) Cependant, presque dès le début, le gouvernement et les résidents locaux ont commencé à faire des efforts pour annuler la réserve du décret. Ils y sont finalement parvenus en 1905, et en 1907 les Lemhi ont commencé ce que beaucoup ont appelé la "Piste des larmes des Lemhi", qui a vu leur déplacement forcé de leurs terres ancestrales vers la réserve indienne de Fort Hall..." Source

   Son épouse amérindienne ne regagna jamais le foyer.Truchot, établi comme éleveur de bovins, se remaria en 1877. Il fit deux fois faillite et trois fois fortune. Ce qui fait qu'à son décès, le 10 janvier 1909, non loin de Choteau, Teton County [Montana], François Truchot fut qualifié de "citoyen riche et influent", laissant une fortune de 300 000 dollars.



  Choteau, capitale du comté de Teton, aujourd'hui. Source

  Arrêtons-là ces portraits de Haut-Marnais qui ont parfois fait contre mauvaise fortune bon coeur, tandis que d'autres la cherchaient, et que les derniers la trouvaient. Certains partaient sans envie de retour, d'autres avec l'espoir de revoir leur terre natale, mais combien périrent en mer ou de maladie? Les données concernant l'émigration qui étaient conservées par la Direction générale de la Sûreté publique disparurent, en mai 1871, dans l'incendie du bâtiment qui les abritait. Il fut alors demandé aux préfets de reconstituer partiellement ces statistiques. Celles-ci sont indéniablement sans aucune mesure avec la réalité, et sous-estiment largement le phénomène migratoire à destination des Etats-Unis. Outre-Atlantique, rien ne permet non plus de mesurer l'importance de l' émigration puisqu'il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour qu'à New York, un contrôle rigoureux des immigrants soit organisé, tout d'abord à Castel Garden, puis, à partir de 1892, à Ellis Island. On peut alors se demander pourquoi le législateur français aurait, dès 1855, réglementé le transport des voyageurs par bateaux si le mouvement migratoire était aussi faible que les statistiques semblent l'indiquer. L'arrivée des paquebots à vapeur, incitant aux migrations, n'expliquant pas tout, nous laisserons le soin aux historiens de répondre à cette question.

  Les immigrants arrivant à Ellis Island en 1902. Library of Congress/Wikimedia Commons

  Fin.

  Post-scriptum : les statistiques officielles sur le nombre total des émigrants haut-marnais à destination des Etats-Unis font état de :

- 1866 : 3
- 1867 : 1
- 1870 : 1
- 1871 : 5
- 1872 : 2
- 1873 : 10
- 1874 : 18

  Didier Desnouveaux, Émigrés bassignots et comtois aux Etats-Unis de 1830 à 1870, les Cahiers haut-marnais, pp. 36-38, n° 293, 2019/02.

17. Si la ville de Saint-Dizier n'est pas dans le périmètre de cette étude, la réussite de François Pioche est tellement fulgurante et exceptionnelle qu'elle mérite d'être évoquée. 

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