Allemagne : la fermeture des centrales nucléaires a entrainé une baisse de la production de gaz compensée par une hausse de la production de charbon

Clément Limare
Analyste en stratégie dans l'énergie

  On entend tout et son contraire sur l’utilisation du charbon en Allemagne suite à la sortie du nucléaire. C’est donc l’occasion de vous ressortir quelques graphiques clés pour essayer de comprendre ce qu’il en est réellement.

Un peu d’histoire pour commencer
  En 1998, un gouvernement de coalition a été formé entre le Parti social-démocrate (SPD) et les Verts.  Suite à cette alliance, les deux partis ont décidé de modifier la loi sur la sortie du nucléaire. Précisément en juin 2000, un compromis difficile a été trouvé. Ce dernier permet de maintenir la production des centrales nucléaires qui étaient menacées mais va limiter leur durée de vie moyenne à 32 ans. Pas moins de 5 réacteurs sont fermés entre 2003 et 2009. Le choix s’est avant tout porté sur les réacteurs les moins rentables. Autre précision, l'accord de 2000 interdisait également la construction de nouvelles centrales nucléaires. En septembre 2010, un nouvel accord a été conclu et prévoit une prolongation de licence de huit ans, à partir des dates convenues en 2001, pour les réacteurs construits avant 1980, et de quatorze ans pour les réacteurs plus récents. En contrepartie, les industriels du nucléaire devront financer les nouvelles énergies renouvelables, éolien et solaire, à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros/an grâce à une taxe sur l’uranium et le plutonium.
  Retournement de situation en mars 2011 : le gouvernement déclare un moratoire de trois mois sur l’énergie nucléaire. Suite à ce moratoire, Angela Merkel décrète la fermeture de tous les réacteurs du pays ayant fonctionné avant 1980. Plus de 6% de la capacité de production du pays a été supprimée.   Cette décision n'était fondée sur aucun impératif de sécurité ni aucun argument scientifique, autrement dit cette décision était purement politique. 8 réacteurs ont été concernés suite au moratoire de 2011 : 7 réacteurs qui fonctionnaient depuis 1980 et Kruemmel, qui était à l’arrêt depuis quelques années, qui a
été rajouté dans cette vague de fermeture.
  En 2011, alors même que l’autorité de sûreté nucléaire allemande, l'équivalent de l' ASN en France, venait de confirmer la sûreté des réacteurs, le gouvernement décida de relancer le plan du dernier gouvernement et d'acter la fermeture des derniers réacteurs d'ici 2022. Pour remettre en perspective
l'impact de cette décision sur le mix électrique allemand :
En 2011, l’Allemagne produisait près de 25% de son électricité à partir du nucléaire grâce à 17 réacteurs. Désormais, la production à partir du nucléaire est descendue à 12%. Les derniers réacteurs seront fermés en 2022 ce qui marquera la fin du nucléaire en Allemagne, sauf revirement de situation. 

Quelles conséquences pour le climat et sur le mix électrique allemand?
  Suite à la fermeture des centrales nucléaires en 2011, l’Allemagne n’a pas rouvert massivement des centrales à charbon, leur puissance installée est restée globalement stable de 2011 à 2012.





  En revanche, suite au développement des ENR, dont la puissance nominale installée a doublé en l’espace de 20 ans, les capacités fossiles n’ont sensiblement pas baissé, entre 2002 et 2020 : -20% pour la houille et +3% pour le lignite.
  La puissance installée ne dit cependant pas tout et il faut surtout s’intéresser à la production d’électricité et aux émissions associées. Il est en particulier intéressant de regarder ce qu’il s’est passé après 2011 suite à la fermeture de la moitié du parc nucléaire. La fermeture des centrales nucléaires a entrainé une baisse de la production de gaz qui a été compensée par une hausse de la production de charbon. Résultat, les émissions de CO2 ont augmenté de 2011 à 2015 et ce n’est qu’en 2016 que l'Allemagne a retrouvé le niveau d'émissions de 2011.




Jarvis, Stephen, et al. (2019) soutiennent que la fermeture de la moitié du parc nucléaire allemand, suite à l'accident de Fukushima en 2011 qui a précipité la décision, a entraîné un remplacement de cette électricité principalement par du charbon et des importations nettes d'électricité. Ils estiment également le coût social de ce passage du nucléaire au charbon à 12 milliards de dollars par an depuis 2011. Plus de 70 % de ce coût provient du risque accru de mortalité associé à l'exposition à la pollution atmosphérique locale émise par les centrales à charbon.Si l’on regarde sur le long terme, on voit clairement que la perte de production du nucléaire a entrainé une sortie moins rapide que prévue du charbon et du gaz. L’Allemagne a donc surtout ralenti sa sortie des énergies fossiles en se privant du nucléaire.





   On devrait obtenir les mêmes résultats en 2022 avec la fermeture des dernières centrales nucléaires, à savoir une augmentation de la production d'électricité à partir de ressources fossiles, charbon/gaz, et une hausse des émissions de CO2. Le développement des ENR permettra de ramener les émissions de CO2 à la baisse quelques années plus tard, mais le mal sera fait. L’Allemagne devrait prendre 10 ans de retard dans sa Transition énergétique suite à la sortie du nucléaire.
  Dernières figures pour anticiper le futur. Bruno Burger, Chef du département "Nouveaux dispositifs et technologies", Fraunhofer ISE, à Fribourg (Allemagne)  montre qu’à long terme le prochain problème allemand ne sera plus le charbon…mais le gaz. À ceci près que ce dernier sera importé de Russie et réduira l’indépendance énergétique de l'Allemagne.



  Enfin, l’Allemagne, dans son document de politique énergétique, NECP 2020-2030 [ National energy and climate plan] remis à l’UE? estimait qu’en 2030 plus de 30% de son électricité proviendra encore du charbon. Force est de constaté que ce pourcentage aurait été inférieur si le nucléaire avait été encore présent dans le mix…


 

Sources
- Histoire du nucléaire
- CO2 emissions
- Puissance installée

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