1789, Journal de Jean-Baptiste Humbert, Langrois, qui le premier, a monté sur les tours de la Bastille, épisode II et FIN

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de la largeur de quelques pouces ; on cessa de tirer : un de nous se détacha et fut à la cuisine [L'intérieur de la forteresse se trouvait divisé en deux cours, l'une de cent vingt pieds de long sur soixante-douze de large, l'autre de même largeur sur quarante-deux pieds de longueur : la première cour était qualifiée de Cour d'honneur ; la seconde s'appelait Cour des cuisines, et n'était à vrai dire que la basse-cour de la prison] chercher une planche, pour aller prendre le papier ; on mit la planche sur le parapet ; beaucoup de personnes montèrent dessus pour faire contrepoids ; un homme s'avança sur la planche, mais au moment qu'il allait saisir le papier, il fut tué d'un coup de fusil et tomba dans le fossé.
  Une autre personne, aussitôt, qui portait un drapeau, quitta son drapeau et fut prendre le papier dont il fit la lecture à haute et intelligible voix.
  Le contenu du papier n'ayant pas satisfait par la demande qu'il faisait d'une capitulation, on opina de tirer le canon chacun se rangea pour laisser passer le boulet.
  À l'instant où on allait mettre le feu, le petit pont-levis se baissa : à peine était-il baissé qu'il fut rempli ; je n'y fus environ que le dixième. Nous trouvâmes fermée la porte derrière le pont-levis ; après environ deux minutes, un invalide vint l'ouvrir et demanda ce qu'on voulait : qu'on rendit la Bastille, lui répondis-je, ainsi que tout le monde ; alors il laissa entrer. Mon premier soin aussitôt fut de crier qu'on baissât le pont ; ce qui fut fait.
  Alors, j'entrai dans la grande cour, environ à peu près le huit ou le dixième. Les invalides étaient rangés à droite et gauche des Suisses [Les Gardes suisses, également appelés régiment des Gardes suisses, sont un régiment d’infanterie suisse servant les rois de France de 1616 à 1830, exception faite de la période allant de 1792 à 1815 lors de laquelle l'unité n'existe plus] ; nous criâmes Bas les armes ; ce qu'ils firent, hors un officier suisse. J'allai à lui et lui présentait la baïonnette, pour l'y forcer, en lui disant Bas les armes. Il s'adressa à l'assemblée en disant : "Messieurs, soyez persuadés que je n'ai pas tiré".



Garde suisse, 1789.

  Je lui dit aussitôt : "comment oses-tu dire que tu n'a pas tiré, ta bouche est encore toute noircie d'avoir mordu ta cartouche." en lui disant ces mots, je sautai sur son sabre ; au même instant, un autre particulier en fit autant ; comme nous nous disputions, moi et le particulier, à qui aurait le sabre, ma vue se tourne du côté d'un escalier à gauche, et j'y vois trois bourgeois qui avaient monté cinq ou six marches, et qui les redescendaient avec précipitation ; je quittai aussitôt le sabre et muni de mon fusil, que je n'avais pas quitté, je me portai vivement sur l'escalier pour donner du secours aux bourgeois, que je croyais qu'on venait de faire rebrousser chemin ; je montai rapidement jusqu'au donjon, sans m'apercevoir que je n'étais suivi de personne ; j'arrivai en haut de l'escalier, sans avoir rencontré personne non plus. Au donjon, je trouvai un soldat suisse accroupi, me tournant le dos ; je le couchai en joue, en lui criant Bas les armes ; il se retourna surpris et posa à terre ses armes en me disant : "Camarade, ne me tuez pas, je suis du tiers-état et je vous défendrai jusqu'à la dernière goutte de mon sang ; vous savez que je suis obligé de faire mon service [La France comptait en 1789, 11 régiments suisses, à deux bataillons de 9 compagnies, sans compter les Cent-Suisses et le régiment des Gardes-Suisses, qui figuraient dans la Maison militaire du roi.En quoi consiste le service militaire des Suisses en France ? ] mais je n'ai pas tiré."

  10 août 1792, le carnage aux Tuileries. Plus de 400 gardes suisses sont massacrés. «Jamais, depuis, aucun de mes champs de bataille ne me donna l'idée d'autant de cadavres que m'en présentèrent les masses de Suisses [...]» Napoléon.@swissinfo.ch/fre/l-horreur-aux-tuileries/242998

  Pendant ce discours, je ramassai mon fusil ; alors je lui commandait, la baïonnette sur l'estomac, de me donner sa giberne et de me la passer au col, ce qu'il fit.
  Aussitôt après, je fus au canon qui était perpendiculaire au-dessus du pont-levis de la Bastille, à dessein de le démonter de dessus son affût, pour l'empêcher de servir. Mais, comme j'avais l'épaule droite à cet effet sous la gueule du canon, je reçus un coup de fusil partant des environs, dont la balle m'atteignit au col en me perçant mon habit et mon gilet ; je tombai étendu sans connaissance ; le Suisse à qui j'avais donné la vie, me traîna sur l'escalier, sans pour cela que j'ai abandonné mon fusil, que je traînais avec moi, à ce qu'il me dit ; mais j'avais lâché le fusil pris aux Invalides.
  Revenu de mon évanouissement, je me trouvai assis sur l'escalier ; le Suisse m'avait secoué pour me faire revenir, et pour arrêter le sang qui sortait en abondance de la plaie, il avait coupé un morceau de chemise, qu'il avait mis dessus.
  Me trouvant abattu, je me décidai à descendre, en priant le Suisse de me soutenir, ce qu'il fît de très bonne grâce.
  Vers le milieu de l'escalier, nous rencontrâmes des bourgeois cuirassés et non cuirassés, qui montaient ; me voyant couvert de sang, ils crurent que c'était le Suisse qui m'avait blessé ; ils voulaient le tuer, je m'y opposai en les désabusant. Ils me crurent heureusement sur la parole, et je continuai, toujours
soutenu par lui, à descendre.
  Arrivés ensemble dans la cour, on ne voulut pas laisser sortir le Suisse ; je fus donc obligé de m'en aller seul, on me fit passage, en voyant mon sang et ma blessure.
  Vers la cuisine de la Bastille, je rencontrai un chirurgien-major, qui me sollicita de lui montrer ma blessure ; après l'avoir tâtée, il m'assura que j'avais dans le col une balle, qu'il ne pouvait seul la retirer et il me décida à aller dans un hôpital me faire panser.
  En chemin, je rencontrai un particulier qui sortait des Minimes [couvent des Minimes, était situé sur la place Royale], où il venait de se faire panser d'une foulure au poignet. Il me conduisit aux Minimes, où l'on voulut bien me panser. On n'y trouva point de balle.
  Pressé d'une violente soif, on me donna plein une écuelle d'étain de vin et d'eau, ce qui me rendit mes forces. Alors, je me levai, joyeux, dans l'intention de recourir à la Bastille.
  Je m'habillais aussitôt, je repris mon fusil et ma giberne ; mais je fus prié de changer instamment de résolution par les Minimes qui m'avaient pansé. Ils m'assurèrent que le mouvement pouvait rendre ma blessure très dangereuse, et ils me firent donner ma parole de retourner dans ma chambre pour y prendre du repos, ce qu'ils croyaient absolument indispensable. Ils voulurent me conduire, mais je les remerciai.

   Le couvent des Minimes de la place Royale était un couvent, fondé en 1610 par l'ordre religieux des Minimes.@tombes-sepultures.com/crbst_1681.html

  En chemin, le souvenir de quelques amis demeurant rue de la Ferronnerie me vint à la mémoire ; je les avis quitté le matin et ils avaient paru inquiets sur les dangers que leur faisait pressentir mon ardeur ; je fus chez eux et quatre bourgeois armés me conduisirent rue du Hurepoix. Je reçu partout des éloges en passant, mais arrivés sur le quai des grands Augustins [ il est situé sur la rive gauche de la Seine, dans le 6e arrondissement, entre le pont Saint-Michel et le pont Neuf ] la foule nous suivi en me croyant un malfaiteur, et dans deux fois elle proposa de me mettre à mort ; ne pouvant répondre à tout le monde, j'allai être saisi lorsque je fus reconnu par un libraire du quai ; il me força d'entrer chez lui et me sauva des mains de la foule ; je couchai chez lui et y reçus tous les secours dont j'eus besoin.

 Le quai des Grands-Augustins


  Je reposai jusque vers les minuit, quand je fus réveillé par les cris répétés Aux armes, aux armes! Alors je ne pus résister à l'envie d'être encore utile ; je me levai, je m'armai et me rendis au corps-de-garde, où je retrouvai M.Poirier, commandant, sous les ordres duquel je demeurai jusqu'au lendemain matin.
  Nous, soussignés, certifions que les détails faits dans le récit contenant seize pages sont exacts, en ce qui concerne la prise de la Bastille.
  Paris, ce douze août 1789
  Ducastel, canonnier, Maillard, Richard, Dupin, Georget.


FIN

Jean-Baptiste Humbert, Journal, 1789 août 12, Centre généalogique de Haute-Marne, Racines Haut-marnaises, n°79, 3eme trimestre, 2011.

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