" La débandade atteignit une incommensurable ampleur. Une foule affolée engorgea la route et les chemins, se répandant par les raccourcis, à la recherche de la frontière. Paysans et soldats, femmes et vieux, fonctionnaires, chefs et officiels, députés et particuliers dans toutes sortes de véhicules (...) traversaient une immense plaine à pied, s’entrechoquant tous contre la chaîne frontière de la Junquera (...) Désespoir de ne pas pouvoir passer, panique, pillages et une tempête destructrice (...) Les gens
campèrent à même le sol, sans manger, dans l’attente que les Français ouvrent la porte."
Manuel Azaña «Diarios completos : Monarquía, República, Guerra Civil», Barcelona. Crítica, 2000, p. 1261-1262.
40 ans d'exil, La Retirada et la protection des réfugiés espagnols par l’ Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides] (1939 - 1979)
Pour en savoir plus
1939, l'internement des Républicains espagnols
Retirada37 « Faire vivre les mémoires et les valeurs des Républicains espagnols exilés ».
campèrent à même le sol, sans manger, dans l’attente que les Français ouvrent la porte."
Manuel Azaña «Diarios completos : Monarquía, República, Guerra Civil», Barcelona. Crítica, 2000, p. 1261-1262.
40 ans d'exil, La Retirada et la protection des réfugiés espagnols par l’ Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides] (1939 - 1979)
Pour en savoir plus
1939, l'internement des Républicains espagnols
Retirada37 « Faire vivre les mémoires et les valeurs des Républicains espagnols exilés ».
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Photo prise aux abords du port de pêche de Collioure, Pyrénées-Orientales, en 1890, devenu lieu d’internement pour combattants de la Brigade internationale en 1939 – source : WikiCommons
Au début de l’année 1939, un camp d’internement pour combattants républicains revenant de la Guerre d’Espagne est implanté sur le sol français. Sa découverte fait scandale.
Grégory Tuban vient de publier aux éditions du Nouveau Monde une imposante somme historique à propos des camps d’emprisonnement bâtis en France à la suite de la Guerre d’Espagne, et destinés en priorité aux combattants républicains, communistes, socialistes ou anarchistes.
Avec son aimable autorisation, nous publions aujourd’hui un chapitre tiré du livre Camps d’étrangers : Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1945) consacré au camp de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales.
Le 14 mai 1939, le quotidien L’Humanité met Collioure à sa une. Sous le titre « Un bagne fasciste en France », le journal communiste révèle les dantesques conditions d’internement dans ce camp réservé aux « fortes têtes ». Plus de 350 étrangers, majoritairement des Espagnols, mais aussi d’ex-brigadistes internationaux, y sont détenus depuis le début du mois de mars 1939. Des hommes quasi séquestrés dans un fort, à l’abri des regards, sans droit de correspondance ni de visite. Si Collioure est connue comme la dernière demeure du poète Antonio Machado – mort d’épuisement le 22 février 1939 –, désormais, c’est le château royal surplombant ce petit port de pêche, situé à seulement une trentaine de kilomètres de la frontière, qui attire l’attention des derniers défenseurs de la République espagnole.
À quelques mois du 150e anniversaire de 1789, ils espèrent bien faire tomber cette « Bastille de Daladier », selon les mots de Jean Chauvet, secrétaire général du Secours populaire de France et des colonies. L’affaire des « séquestrés de Collioure » éclate grâce à la pugnacité d’un jeune avocat communiste présent à Perpignan pour le compte du Secours populaire. Pierre Brandon a découvert l’existence de ce « camp spécial » en rencontrant, clandestinement, des brigadistes italiens internés à Argelès-sur-Mer. C’est à leur contact qu’il a appris le départ de certains d’entre eux pour le château royal, notamment de Francesco Fausto Nitti. […]
C’est donc depuis le camp d’ Argelès-sur-Mer, situé à seulement quelques kilomètres du château royal, qu’ont lieu les premiers transferts, avec l’envoi d’un premier contingent de 77 internés le 4 mars 1939. Le camp d’ Argelès-sur-Mer enregistre pas moins de 167 départs vers Collioure en mars 1939. Ces transferts précèdent donc la circulaire de l’Intérieur du 5 mai 1939 sur la création de locaux disciplinaires. L’armée a ainsi anticipé les directives d’Albert Sarraut. La direction de la sûreté nationale est toutefois très vite informée de l’ouverture d’un tel site, pensé et conçu dès l’origine comme un espace d’isolement. Alors que les inspecteurs procèdent aux premières identifications des miliciens de la 26e division en Cerdagne, la Direction de la police du territoire et des étrangers semble attendre l’ouverture du camp spécial. Son directeur en fait part le 10 mars 1939 au préfet des Pyrénées-Orientales. Dans sa réponse, le préfet précise que le camp spécial de Collioure fonctionne depuis près d’une semaine déjà : « Par votre communication confidentielle, n° 3368, du 10 courant, vous avez bien voulu me demander de vous faire savoir à quel moment et dans quelles conditions il serait possible d’utiliser le centre de groupement spécial en voie d’organisation dans des locaux militaires de Collioure. J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce centre fonctionne depuis quelques jours. »
Le camp de Collioure permet donc aux autorités compétentes dans les camps, tant civiles que militaires, d’emprisonner hors du circuit judiciaire.
Dans les premiers mois de fonctionnement du camp spécial, un « transfert d’autorité », pour reprendre la terminologie administrative, a valeur de punition. Les motifs des envois à Collioure ne sont toutefois étayés que par de courtes explications dans les dossiers consultés. Le lieutenant-colonel Marcelino Usatorre Royo et le commandant Isaias Alvarez Echaniz, internés à Saint-Cyprien, sont ainsi envoyés le 14 mars 1939 sur le camp spécial, après avoir été accusés d’avoir « facilité l’évasion de réfugiés communistes espagnols et manifesté des idées extrémistes », selon le commissaire spécial. […]
Les hommes transférés à Collioure proviennent de tous les camps. Un individu considéré comme « suspect » peut aussi être envoyé à Collioure afin d’être particulièrement surveillé. Une mesure préventive dont on retrouve les traces dans les archives. Ainsi, lorsque le contrôleur général Sallet demande fin mars 1939 au commissaire spécial d’ Argelès-sur-Mer d’exercer une surveillance toute particulière à l’encontre de Manuel Rodríguez, il lui précise qu’il serait préférable, en concertation avec le chef du camp, d’envoyer ce dernier au camp de Collioure.
Les services de police et de gendarmerie procèdent eux aussi à l’envoi à Collioure de réfugiés espagnols arrêtés hors des camps et estimés « dangereux ». C’est le cas de Miquel Ferrer Sanxis, transféré à Collioure le 30 avril 1939. Cet ancien secrétaire catalan de l’Union générale des travailleurs, proche du Parti socialiste unifié de Catalogne, a pu éviter les camps au passage de la frontière et trouver refuge à Toulouse où, avec l’aide de la CGT locale, il organise une structure de mise en relation entre les internés des différents camps et leurs familles. Miquel Ferrer est interpellé puis transféré à Collioure. Un jeune membre du Parti nationaliste basque fait aussi partie de ce voyage. Les deux réfugiés arrivent de nuit, escortés par deux gendarmes, avant d’entreprendre une longue marche à pied jusqu’au château royal. […]
Tous les réfugiés transférés à Collioure sont conduits menottés au fort, avant d’être soumis à des mesures d’identification criminelle avec prises d’empreintes digitales et mesures anthropométriques. Immatriculés, rasés, vêtus d’un uniforme de prisonniers, ils sont ensuite affectés à différentes sections. À la notion de « dangerosité » supposée de ces hommes répond ainsi un strict règlement militaire. La surveillance des parties communes et des abords du fort est en partie confiée à des détachements du 24e régiment de tirailleurs sénégalais basé à Perpignan relayés, plus tard, par ceux du 15e régiment d’infanterie et du 21e régiment d’infanterie coloniale. Les gardes républicains mobiles de la 12e légion sont chargés, quant à eux, de la surveillance des internés, sous la direction d’un chef de camp, ex-légionnaire, dont l’aversion contre les « rouges » est avérée. On retrouvera d’ailleurs ce capitaine, promu colonel, à la tête en février 1944 d’un groupe mobile de réserve, unité paramilitaire créée par Vichy, engagé contre les maquisards des Glières.
Au printemps 1939, le château royal de Collioure s’apparente plus à un bagne qu’à un camp. Durant une douzaine d’heures par jour, les internés sont contraints de réaliser des travaux de force à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du fort. Tous les espaces pouvant servir de zones d’internement, des souterrains aux remises, sont utilisés afin de faire entrer plus de 350 hommes dans l’ancien château médiéval réaménagé par Vauban en bastion militaire. Pourtant habitués aux conditions de vie spartiates des camps sur la plage, les internés de Collioure doivent s’accommoder de lieux humides et insalubres avec une paillasse en guise de couchage. Une fois la nuit tombée, ces cellules collectives, la plupart du temps sans fenêtres, sont fermées jusqu’au lendemain. Les hommes sont ainsi répartis par groupes dans différentes sections, dont une est réservée aux éléments jugés les plus dangereux. Dans cette dernière, dite « section spéciale », les internés sont soumis à un régime d’incarcération pénitentiaire avec l’interdiction de parler. Enfin, toute forme de rébellion, d’insoumission ou d’insubordination entraîne une mise au cachot. L’un d’eux ne permet pas aux punis de tenir debout. Les brimades sont ainsi quotidiennes. Les coups aussi, comme ce fut le cas pour Agustí Vilella, membre du PSUC, transféré à Collioure après s’être battu avec des gardiens au camp de Saint-Cyprien. Cette insoumission lui vaut, à son arrivée au fort, un tabassage en règle entraînant la perte d’un œil.
Les témoignages de mauvais traitements venant de Collioure sont nombreux. Les internés qui parviennent à sortir du camp accusent. D’autres entament des grèves de la faim. À la fin du mois de mars 1939, quatorze volontaires yougoslaves des Brigades internationales, qui ont refusé de s’alimenter, doivent être transférés vers l’hôpital de Perpignan. Un mois plus tard, une vingtaine d’Espagnols, de brigadistes bulgares et italiens tentent la même action. […]
Les autorités du camp décident de nourrir de force, à l’aide d’une sonde, les grévistes. Souffrant d’un ulcère à l’estomac, Mario Giudice est transféré de l’infirmerie du camp de Collioure à l’hôpital de Perpignan au 14e jour de sa grève de la faim, alors que sept de ses compagnons refusent toujours de s’alimenter. Il s’agit de membres du groupe libertaire Liberta o Morte dont une partie fut transférée depuis le camp d’ Argelès-sur-Mer lors de la purge du camp des internationaux. Ainsi, dans la promiscuité du château, les militants anarchistes sont mêlés aux communistes les plus orthodoxes. Les anarcho-syndicalistes catalans de la CNT se retrouvent mélangés à une partie de la direction du PSUC, alors que seulement deux ans auparavant les deux camps s’affrontaient dans une bataille sanglante lors des journées de mai 1937 à Barcelone. […]
Au début de l’année 1939, un camp d’internement pour combattants républicains revenant de la Guerre d’Espagne est implanté sur le sol français. Sa découverte fait scandale.
Grégory Tuban vient de publier aux éditions du Nouveau Monde une imposante somme historique à propos des camps d’emprisonnement bâtis en France à la suite de la Guerre d’Espagne, et destinés en priorité aux combattants républicains, communistes, socialistes ou anarchistes.
Avec son aimable autorisation, nous publions aujourd’hui un chapitre tiré du livre Camps d’étrangers : Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1945) consacré au camp de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales.
Le 14 mai 1939, le quotidien L’Humanité met Collioure à sa une. Sous le titre « Un bagne fasciste en France », le journal communiste révèle les dantesques conditions d’internement dans ce camp réservé aux « fortes têtes ». Plus de 350 étrangers, majoritairement des Espagnols, mais aussi d’ex-brigadistes internationaux, y sont détenus depuis le début du mois de mars 1939. Des hommes quasi séquestrés dans un fort, à l’abri des regards, sans droit de correspondance ni de visite. Si Collioure est connue comme la dernière demeure du poète Antonio Machado – mort d’épuisement le 22 février 1939 –, désormais, c’est le château royal surplombant ce petit port de pêche, situé à seulement une trentaine de kilomètres de la frontière, qui attire l’attention des derniers défenseurs de la République espagnole.
À quelques mois du 150e anniversaire de 1789, ils espèrent bien faire tomber cette « Bastille de Daladier », selon les mots de Jean Chauvet, secrétaire général du Secours populaire de France et des colonies. L’affaire des « séquestrés de Collioure » éclate grâce à la pugnacité d’un jeune avocat communiste présent à Perpignan pour le compte du Secours populaire. Pierre Brandon a découvert l’existence de ce « camp spécial » en rencontrant, clandestinement, des brigadistes italiens internés à Argelès-sur-Mer. C’est à leur contact qu’il a appris le départ de certains d’entre eux pour le château royal, notamment de Francesco Fausto Nitti. […]
C’est donc depuis le camp d’ Argelès-sur-Mer, situé à seulement quelques kilomètres du château royal, qu’ont lieu les premiers transferts, avec l’envoi d’un premier contingent de 77 internés le 4 mars 1939. Le camp d’ Argelès-sur-Mer enregistre pas moins de 167 départs vers Collioure en mars 1939. Ces transferts précèdent donc la circulaire de l’Intérieur du 5 mai 1939 sur la création de locaux disciplinaires. L’armée a ainsi anticipé les directives d’Albert Sarraut. La direction de la sûreté nationale est toutefois très vite informée de l’ouverture d’un tel site, pensé et conçu dès l’origine comme un espace d’isolement. Alors que les inspecteurs procèdent aux premières identifications des miliciens de la 26e division en Cerdagne, la Direction de la police du territoire et des étrangers semble attendre l’ouverture du camp spécial. Son directeur en fait part le 10 mars 1939 au préfet des Pyrénées-Orientales. Dans sa réponse, le préfet précise que le camp spécial de Collioure fonctionne depuis près d’une semaine déjà : « Par votre communication confidentielle, n° 3368, du 10 courant, vous avez bien voulu me demander de vous faire savoir à quel moment et dans quelles conditions il serait possible d’utiliser le centre de groupement spécial en voie d’organisation dans des locaux militaires de Collioure. J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce centre fonctionne depuis quelques jours. »
Le camp de Collioure permet donc aux autorités compétentes dans les camps, tant civiles que militaires, d’emprisonner hors du circuit judiciaire.
Dans les premiers mois de fonctionnement du camp spécial, un « transfert d’autorité », pour reprendre la terminologie administrative, a valeur de punition. Les motifs des envois à Collioure ne sont toutefois étayés que par de courtes explications dans les dossiers consultés. Le lieutenant-colonel Marcelino Usatorre Royo et le commandant Isaias Alvarez Echaniz, internés à Saint-Cyprien, sont ainsi envoyés le 14 mars 1939 sur le camp spécial, après avoir été accusés d’avoir « facilité l’évasion de réfugiés communistes espagnols et manifesté des idées extrémistes », selon le commissaire spécial. […]
Les hommes transférés à Collioure proviennent de tous les camps. Un individu considéré comme « suspect » peut aussi être envoyé à Collioure afin d’être particulièrement surveillé. Une mesure préventive dont on retrouve les traces dans les archives. Ainsi, lorsque le contrôleur général Sallet demande fin mars 1939 au commissaire spécial d’ Argelès-sur-Mer d’exercer une surveillance toute particulière à l’encontre de Manuel Rodríguez, il lui précise qu’il serait préférable, en concertation avec le chef du camp, d’envoyer ce dernier au camp de Collioure.
Les services de police et de gendarmerie procèdent eux aussi à l’envoi à Collioure de réfugiés espagnols arrêtés hors des camps et estimés « dangereux ». C’est le cas de Miquel Ferrer Sanxis, transféré à Collioure le 30 avril 1939. Cet ancien secrétaire catalan de l’Union générale des travailleurs, proche du Parti socialiste unifié de Catalogne, a pu éviter les camps au passage de la frontière et trouver refuge à Toulouse où, avec l’aide de la CGT locale, il organise une structure de mise en relation entre les internés des différents camps et leurs familles. Miquel Ferrer est interpellé puis transféré à Collioure. Un jeune membre du Parti nationaliste basque fait aussi partie de ce voyage. Les deux réfugiés arrivent de nuit, escortés par deux gendarmes, avant d’entreprendre une longue marche à pied jusqu’au château royal. […]
Tous les réfugiés transférés à Collioure sont conduits menottés au fort, avant d’être soumis à des mesures d’identification criminelle avec prises d’empreintes digitales et mesures anthropométriques. Immatriculés, rasés, vêtus d’un uniforme de prisonniers, ils sont ensuite affectés à différentes sections. À la notion de « dangerosité » supposée de ces hommes répond ainsi un strict règlement militaire. La surveillance des parties communes et des abords du fort est en partie confiée à des détachements du 24e régiment de tirailleurs sénégalais basé à Perpignan relayés, plus tard, par ceux du 15e régiment d’infanterie et du 21e régiment d’infanterie coloniale. Les gardes républicains mobiles de la 12e légion sont chargés, quant à eux, de la surveillance des internés, sous la direction d’un chef de camp, ex-légionnaire, dont l’aversion contre les « rouges » est avérée. On retrouvera d’ailleurs ce capitaine, promu colonel, à la tête en février 1944 d’un groupe mobile de réserve, unité paramilitaire créée par Vichy, engagé contre les maquisards des Glières.
Au printemps 1939, le château royal de Collioure s’apparente plus à un bagne qu’à un camp. Durant une douzaine d’heures par jour, les internés sont contraints de réaliser des travaux de force à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du fort. Tous les espaces pouvant servir de zones d’internement, des souterrains aux remises, sont utilisés afin de faire entrer plus de 350 hommes dans l’ancien château médiéval réaménagé par Vauban en bastion militaire. Pourtant habitués aux conditions de vie spartiates des camps sur la plage, les internés de Collioure doivent s’accommoder de lieux humides et insalubres avec une paillasse en guise de couchage. Une fois la nuit tombée, ces cellules collectives, la plupart du temps sans fenêtres, sont fermées jusqu’au lendemain. Les hommes sont ainsi répartis par groupes dans différentes sections, dont une est réservée aux éléments jugés les plus dangereux. Dans cette dernière, dite « section spéciale », les internés sont soumis à un régime d’incarcération pénitentiaire avec l’interdiction de parler. Enfin, toute forme de rébellion, d’insoumission ou d’insubordination entraîne une mise au cachot. L’un d’eux ne permet pas aux punis de tenir debout. Les brimades sont ainsi quotidiennes. Les coups aussi, comme ce fut le cas pour Agustí Vilella, membre du PSUC, transféré à Collioure après s’être battu avec des gardiens au camp de Saint-Cyprien. Cette insoumission lui vaut, à son arrivée au fort, un tabassage en règle entraînant la perte d’un œil.
Les témoignages de mauvais traitements venant de Collioure sont nombreux. Les internés qui parviennent à sortir du camp accusent. D’autres entament des grèves de la faim. À la fin du mois de mars 1939, quatorze volontaires yougoslaves des Brigades internationales, qui ont refusé de s’alimenter, doivent être transférés vers l’hôpital de Perpignan. Un mois plus tard, une vingtaine d’Espagnols, de brigadistes bulgares et italiens tentent la même action. […]
Les autorités du camp décident de nourrir de force, à l’aide d’une sonde, les grévistes. Souffrant d’un ulcère à l’estomac, Mario Giudice est transféré de l’infirmerie du camp de Collioure à l’hôpital de Perpignan au 14e jour de sa grève de la faim, alors que sept de ses compagnons refusent toujours de s’alimenter. Il s’agit de membres du groupe libertaire Liberta o Morte dont une partie fut transférée depuis le camp d’ Argelès-sur-Mer lors de la purge du camp des internationaux. Ainsi, dans la promiscuité du château, les militants anarchistes sont mêlés aux communistes les plus orthodoxes. Les anarcho-syndicalistes catalans de la CNT se retrouvent mélangés à une partie de la direction du PSUC, alors que seulement deux ans auparavant les deux camps s’affrontaient dans une bataille sanglante lors des journées de mai 1937 à Barcelone. […]
L’affaire de Collioure éclate au printemps 1939. La présence de nombreux ex-brigadistes et de cadres du Parti communiste espagnol et catalan, n’est pas étrangère à l’intérêt que porte le parti communiste au camp spécial. Le Komintern, à travers Pierre Brandon qui est épaulé par André Marty, s’empare de l’affaire de Collioure pour dénoncer le sort réservé aux réfugiés espagnols en France par le gouvernement d’Édouard Daladier et obtenir en même temps la libération de certains de ses cadres enfermés dans la citadelle. Pour dénoncer le caractère illégal de ce camp disciplinaire, le jeune avocat communiste s’appuie sur l’article 615 du code d’instruction criminelle qui prévoit que « quiconque aura connaissance qu’un individu est détenu dans un lieu qui n’a pas été destiné à servir de maison d’arrêt, de justice, ou de prison, est tenu d’en donner avis au juge de paix ».
Refoulé aux portes du camp, bien qu’accompagné du juge de paix du canton d’ Argelès-sur-Mer, Pierre Brandon se lance alors dans une campagne de presse dans L’Humanité, sous le pseudonyme de Pierre Vergès, ainsi que dans La Défense pour le compte du Secours populaire. Il parvient à obtenir en avril 1939 la venue de la commission du Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine (Ciciear). Sous le titre « Le scandale de Collioure », Paul Bourgeois, le délégué du Ciciear, décrit sa visite à Collioure :
« Deux cents hommes environ revenaient du travail, des pelles et des pioches sur l’épaule. À six heures, sonnerie au drapeau ; les hommes se mirent à défiler un à un devant nous – j’en comptais 347 – sans un sourire, sans un mot, les yeux fixés sur le capitaine. Je ne parlerais pas de la situation matérielle.
La nourriture serait à peu près équivalente à celle des autres camps. Mais le défilé de ces 347 hommes, le silence que venait rompre le bruit des pas sur le pavé, témoignent de la terreur qui pèse sur ces hommes traités comme des criminels par des officiers qui ont sur eux un pouvoir illimité. »
Le rapport de Paul Bourgeois annonce la création du comité de défense juridique. Pierre Brandon prend alors la tête de l’Association pour la défense des séquestrés de Collioure, regroupant trente-trois avocats parisiens sous la présidence d’Henri Wallon, professeur au Collège de France. En écho à cette campagne orchestrée par le parti communiste, le « scandale de Collioure » va ainsi être dénoncé par une kyrielle d’organisations, Ligue des droits de l’homme et du citoyen, Amicale des volontaires de l’Espagne républicaine, Grande Loge de France, Centrale sanitaire internationale…, par des députés PCF et SFIO, et par la presse de gauche. Le camp devient ainsi le symbole de la politique la plus répressive à l’égard des réfugiés de la guerre d’Espagne. […]
La plainte mentionne cinq cas de mauvais traitements, deux Espagnols, dont Agustí Vilella, qui a perdu l’usage de son œil, et trois internationaux, et s’appuie sur de nombreux articles du code pénal et du code de procédure criminelle pour prouver l’illégalité d’un tel camp disciplinaire. Au mois de juillet 1939, la plainte est jugée irrecevable par le procureur général de Montpellier puisque, selon les termes de l’article 2 et 4 du code de justice militaire pour l’armée de terre, seuls les tribunaux militaires sont compétents pour juger cette affaire.
L’agitation autour du camp de Collioure porte toutefois ses fruits. Le préfet des Pyrénées-Orientales se rend sur place au mois de mai 1939 et fait état de sa visite auprès du ministre de l’Intérieur, alors que le général Lavigne autorise les visites d’organisations d’aide aux réfugiés, qui étaient jusqu’alors interdites. L’état-major déplace le capitaine, tout en lui adressant par courrier ses félicitations. 160 internés sortent du camp au mois de juin 1939. Il s’agit ici essentiellement de transferts vers d’autres camps et hôpitaux et, dans une moindre mesure, de départs vers le Mexique et d’engagements dans la Légion étrangère, accordés après l’examen attentif de chaque cas. Les sorties s’opèrent au compte-gouttes. En juin 1939, le député socialiste des Pyrénées-Orientales, Louis Noguères, passe par le préfet des Pyrénées-Orientales pour faire libérer cinq Espagnols internés au camp de Collioure. Ces réfugiés, fonctionnaires de police, auraient été assimilés à des membres du SIM, le service de contre-espionnage militaire, détenus aussi au château. […]
À partir du mois de mai 1939, les chefs de camp se montrent un peu plus prudents quant aux transferts au château royal, en raison notamment de l’instauration d’îlots disciplinaires. Ainsi, lorsqu’au début du mois de juin 1939 le commissaire spécial du camp d’Agde sollicite l’envoi à Collioure de six réfugiés soupçonnés d’influences politiques sur leurs camarades, le général Lavigne s’y oppose, en précisant qu’il n’y a pas lieu de transférer les intéressés sur ce « camp de représailles », tant que ces derniers n’ont pas commis à Agde d’actes contraires à la discipline. Le camp spécial de Collioure voit ainsi son effectif passer sous la barre des 200 internés au début de l’été.
Alors que les autorités annoncent sa fermeture, des Espagnols s’affairent toujours dans des travaux forcés au pied du château afin d’aménager le monument aux morts pour les commémorations du 150e anniversaire de 1789…
Refoulé aux portes du camp, bien qu’accompagné du juge de paix du canton d’ Argelès-sur-Mer, Pierre Brandon se lance alors dans une campagne de presse dans L’Humanité, sous le pseudonyme de Pierre Vergès, ainsi que dans La Défense pour le compte du Secours populaire. Il parvient à obtenir en avril 1939 la venue de la commission du Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine (Ciciear). Sous le titre « Le scandale de Collioure », Paul Bourgeois, le délégué du Ciciear, décrit sa visite à Collioure :
« Deux cents hommes environ revenaient du travail, des pelles et des pioches sur l’épaule. À six heures, sonnerie au drapeau ; les hommes se mirent à défiler un à un devant nous – j’en comptais 347 – sans un sourire, sans un mot, les yeux fixés sur le capitaine. Je ne parlerais pas de la situation matérielle.
La nourriture serait à peu près équivalente à celle des autres camps. Mais le défilé de ces 347 hommes, le silence que venait rompre le bruit des pas sur le pavé, témoignent de la terreur qui pèse sur ces hommes traités comme des criminels par des officiers qui ont sur eux un pouvoir illimité. »
Le rapport de Paul Bourgeois annonce la création du comité de défense juridique. Pierre Brandon prend alors la tête de l’Association pour la défense des séquestrés de Collioure, regroupant trente-trois avocats parisiens sous la présidence d’Henri Wallon, professeur au Collège de France. En écho à cette campagne orchestrée par le parti communiste, le « scandale de Collioure » va ainsi être dénoncé par une kyrielle d’organisations, Ligue des droits de l’homme et du citoyen, Amicale des volontaires de l’Espagne républicaine, Grande Loge de France, Centrale sanitaire internationale…, par des députés PCF et SFIO, et par la presse de gauche. Le camp devient ainsi le symbole de la politique la plus répressive à l’égard des réfugiés de la guerre d’Espagne. […]
La plainte mentionne cinq cas de mauvais traitements, deux Espagnols, dont Agustí Vilella, qui a perdu l’usage de son œil, et trois internationaux, et s’appuie sur de nombreux articles du code pénal et du code de procédure criminelle pour prouver l’illégalité d’un tel camp disciplinaire. Au mois de juillet 1939, la plainte est jugée irrecevable par le procureur général de Montpellier puisque, selon les termes de l’article 2 et 4 du code de justice militaire pour l’armée de terre, seuls les tribunaux militaires sont compétents pour juger cette affaire.
L’agitation autour du camp de Collioure porte toutefois ses fruits. Le préfet des Pyrénées-Orientales se rend sur place au mois de mai 1939 et fait état de sa visite auprès du ministre de l’Intérieur, alors que le général Lavigne autorise les visites d’organisations d’aide aux réfugiés, qui étaient jusqu’alors interdites. L’état-major déplace le capitaine, tout en lui adressant par courrier ses félicitations. 160 internés sortent du camp au mois de juin 1939. Il s’agit ici essentiellement de transferts vers d’autres camps et hôpitaux et, dans une moindre mesure, de départs vers le Mexique et d’engagements dans la Légion étrangère, accordés après l’examen attentif de chaque cas. Les sorties s’opèrent au compte-gouttes. En juin 1939, le député socialiste des Pyrénées-Orientales, Louis Noguères, passe par le préfet des Pyrénées-Orientales pour faire libérer cinq Espagnols internés au camp de Collioure. Ces réfugiés, fonctionnaires de police, auraient été assimilés à des membres du SIM, le service de contre-espionnage militaire, détenus aussi au château. […]
À partir du mois de mai 1939, les chefs de camp se montrent un peu plus prudents quant aux transferts au château royal, en raison notamment de l’instauration d’îlots disciplinaires. Ainsi, lorsqu’au début du mois de juin 1939 le commissaire spécial du camp d’Agde sollicite l’envoi à Collioure de six réfugiés soupçonnés d’influences politiques sur leurs camarades, le général Lavigne s’y oppose, en précisant qu’il n’y a pas lieu de transférer les intéressés sur ce « camp de représailles », tant que ces derniers n’ont pas commis à Agde d’actes contraires à la discipline. Le camp spécial de Collioure voit ainsi son effectif passer sous la barre des 200 internés au début de l’été.
Alors que les autorités annoncent sa fermeture, des Espagnols s’affairent toujours dans des travaux forcés au pied du château afin d’aménager le monument aux morts pour les commémorations du 150e anniversaire de 1789…
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