1789, Journal de Jean-Baptiste Humbert, Langrois, qui le premier, a monté sur les tours de la Bastille, épisode I

  Je me nomme J.B Humbert, natif de Langres, travaillant et demeurant à Paris, chez M. Belliard, horloger du Roi, rue du Hurepoix.
  Me croyant du district de Saint-André-des-Arts, je me rendis à cette paroisse, le lundi matin, ainsi que tous les citoyens, avec lesquels je fis patrouille le jour et la nuit du lundi au mardi, mais avec des épées, les districts n'ayant point de fusils ou n'en ayant que quelques-uns.

  L'église Saint-André-des-Arts, entre 1619 et 1679. @parismuseescollections.paris.fr/sites/default/files/styles/pm_notice/public/atoms/images/CAR/lpdp_46557-8.jpg?itok=RBgXMrEB

   Située dans le quartier latin actuel, l'église Saint-André-des-Arts était établie dans une des parties urbanisées les plus anciennes. Toutefois, il est difficile de connaître avec précision son origine. Aussi, selon une charte attribuée à Childebert, il est envisageable que Saint André des arts succéda à une petite chapelle, Saint Andéol, établie sur le territoire du monastère Saint Vincent, devenu ensuite Saint Germain des prés. Ainsi, dans cette hypothèse, sur ce lieu, une église existerait depuis le VIe siècle.@.histoires-de-paris.fr/saint-andre-arts/

 

  Place Saint-André-des-Arts. Paris VIe. Vers 1866. Elle résulte de la démolition de l’église de même nom, devenue bien national à la Révolution. L’église est fermée en 1794, vendue le 21 août 1797 et démantelée dans les années qui suivirent. Le terrain ainsi libéré est acheté par la Ville en 1809 afin de réaliser une place. @vergue.com/post/715/Place-Saint-Andre-des-Arts

 
  Place Saint-André-des-Arts. Paris VIe, aujourd'hui. Le même bâtiment toujours présent. @tripadvisor.fr/Attraction_Review-g187147-d10180828-Reviews-Place_Saint_Andre_des_Arts-Paris_Ile_de_France.html

   Accablé de sommeil, de fatigue et de besoin de nourriture, je quittai le district à six heures du matin.   J'appris dans la matinée qu'on délivrait aux Invalides des armes pour les districts je retournai aussitôt en avertir les bourgeois de Saint-André, qui étaient assemblés vers les midi et demi. M. Poirier, commandant sentit la conséquence de cette nouvelle et se disposait à y conduire des citoyens mais retenu par les demandes de l'un et l'autre sur différentes choses, il ne pouvait partir ; ne voyant dans ces affaires que fort peu d'importance auprès de l'avantage de procurer des armes aux bourgeois, je me saisis du sieur Poirier et l’emmenai comme de force, avec cinq ou six bourgeois. Nous arrivâmes aux Invalides environ deux heures, et nous y trouvâmes une grande foule, qui nous obligea de nous séparer. Je ne sais ce que devint le commandant ni sa troupe.
  Je suivis la foule pour parvenir au caveau où étaient les armes.Sur l'escalier du caveau, ayant trouvé un homme muni de deux fusils, je lui en pris un et remontai, mais en haut de l’escalier, la foule était si dense que tous ceux qui remontaient furent forcés de se laisser tomber à la renverse jusqu'au fond du caveau. Ne me sentant que froissé et non blessé de cette chute, je ramassai un fusil qui était à mes pieds, et je le donnai à l'instant à une personne qui n'en avait point.
  Malgré cette horrible culbute, la foule s'obstinait à descendre ; comme personne ne pouvait remonter, on se pressa tant dans le caveau que chacun poussa les cris affreux des gens qu'on étouffe.
  Beaucoup de personnes étaient déjà sans connaissance ; alors tous ceux dans le caveau qui étaient armés profitèrent d'un avis donné de forcer la foule non armée de faire volte-face en lui présentant la baïonnette dans l'estomac. L'avis réussit ; alors nous profitâmes d'un moment de terreur et de reculée pour nous mettre en ligne et forcer la foule de remonter.
  La foule remonta et l'on parvint à transporter les personnes étouffées sur un gazon, près du dôme du fossé. Après avoir aidé et protégé le transport de ces personnes, voyant l'inutilité de ma présence, armé de mon fusil, je cherchai, mais vainement, mon commandant ; alors je pris le chemin de mon district.
  J'appris en chemin qu'on délivrait de la poudre à l' hôtel de ville. J'y portais mes pas ; on m'en donna, en effet, environ un quarteron [habituellement, un quart d'une livre], sans me donner les balles, n'y en ayant point, disait-on.
  En sortant de l'hôtel de ville, j'entends dire qu'on assiège la Bastille [Depuis le cardinal de Richelieu, la Bastille a été transformée en prison d' Etat et elle relève désormais de la justice extraordinaire, celle de la mise au secret et des « lettres de cachet » signées du roi et ordonnant un emprisonnement sans jugement] Le regret de n'avoir point de balles me suggéra une idée que j'accomplis aussitôt, c'était d'acheter des petits clous, ce je fis chez l'épicier du coin du Roi à la Grève.



  La Bastille. Façade orientale, dessin de 1790 ou 1791. Dessin à la mine de plomb et lavis à l'encre brune.@gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b103025059



  Plan de la Bastille, gravure de J. Chapman, publiée à Londres vers 1792. © Wikimedia Commons,
domaine public.

  Là, j' arrangeai et graissai mon fusil.
  En sortant de chez l'épicier, comme j'allais charger mon fusil, je fus accosté d'un citoyen qui m'annonça qu'on délivrait des balles à l' hôtel de ville ; alors j'y courus et reçus en effet six petites balles appelées chevrotines.
  Je partis aussitôt pour la Bastille, et je chargeai mon fusil en chemin.
  Arrivé par les quais dans la seconde cour de l' Arsenal [ancien dépôt de munitions et d’armes de guerre royal]  , je me joignis à quelques personnes disposées à aller au siège.
  Nous trouvâmes quatre soldats du Guet-à-pieds armés de fusils et je les engageai à venir au siège ; sur leur réponse qu'ils n'avaient ni poudre ni plomb, on se cotisa pour leur en donner à chacun deux coups alors ils suivirent de bonne volonté.
  Au moment où nous passions devant l' hôtel de la régie, on venait de briser deux caisses de balles qu'on donnait à discrétion ; j'en emplis la poche de mon habit, afin d'en donner à ceux qui en manqueraient j'en ai encore plus de trois livres à présenter.
  À quelques pas de là, j’entendis crier au secours par une femme, j'allais aussitôt à elle et elle m'apprit qu'on mettait le feu au magasin des salpêtres elle ajoute que c'est une injustice puisque ce magasin avait été ouvert et livré aux bourgeois aussitôt qu'ils l'avaient désiré je me fis conduire seul par cette femme au magasin, et j'y trouvais un perruquier, muni dans chaque main de tisons allumés, avec lesquels il mettait le feu en effet. Je courus sur ce perruquier, et lui donnai un grand coup de crosse de mon fusil sur l'estomac, qui le renversa. Alors, ayant vu qu'un tonneau de salpêtre était enflammé, je le renversai sens dessus dessous, pour l'étouffer, ce qui réussit.
  Pendant cette action, deux domestiques de la maison vinrent me supplier de venir les aider à chasser des gens mal-intentionnés qui étaient entré malgré eux et avaient forcé la salle des archives ; je les suivis, je chassai des appartements plusieurs particuliers qui avaient déjà brisé des armoires, sous le prétexte de chercher de la poudre.
  Je sortis alors de la maison, comblé de bénédictions, et ayant retrouvé les soldats du Guet à qui j'avais donné de la poudre et du plomb, j'obtins de l'un d'eux qu'il se plaçât en faction devant la porte.
  Je dirigeais aussitôt mes pas vers la Bastille par la cour de l' Arsenal ; il était trois heures et demi environ ; le premier pont était baissé, les chaînes coupées ; mais la herse barrait le passage, on s'occupait à faire entrer du canon à bras, les ayant démonté à l'avance ; je passai par le petit pont, et j'aidai en dedans à faire entrer les deux pièces de canon.
  Lorsqu'ils furent remontés sur leurs affûts, d'un plein et volontaire accord, on se mit en rang de cinq ou six, et je me trouvai au premier rang.
  Ainsi rangés, on marcha jusqu'au pont-levis du château : là je vis deux soldats tués, étendus à chacun des côtés ; à gauche, où j'étais, l'uniforme du soldat étendu était de Vintimille [régiment d’infanterie du Royaume de France, 1647. En 1789 : habit blanc, collet blanc, revers cramoisi, parements blancs liserés cramoisi, retroussis blancs, boutons blancs, poches en long] ; je ne pus distingué l'uniforme du soldat étendu à la droite.
  On braqua les canons, celui de bronze en face du grand pont-levis, et un petit en fer, damasquiné [ réaliser un damasquinage : art et action d'incruster, au marteau, dans les entailles préalablement pratiquées sur un objet de fer, d'acier ou de cuivre, de petits filets d'or, d'argent ou de cuivre formant décor] en argent en face du petit pont.
  Ce canon m'obligea de quitter mon rang ; et comme on désirait à cet instant savoir si, sur le donjon, on ne donnait pas quelques nouveaux signes de paix, je me chargeai de parcourir la terrasse.
  Pendant cette mission on se décida à commencer l'attaque à coup de fusil ; je me hâtai de revenir à mon poste ; mais mon chemin se trouvant barré par une foule de monde, malgré le péril, pour le reprendre, je revins par le parapet et repris mon poste ; je fus même obligé de mettre le pied sur le
cadavre du soldat de Vintimille.
  Nous tirâmes, chacun environ six coups.
  Alors il parut un papier par un trou ovale...

À suivre...

Jean-Baptiste Humbert, Journal, 1789 août 12, Centre généalogique de Haute-Marne, Racines Haut-marnaises, n°79, 3eme trimestre, 2011.

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