La Corrèze a lancé le massacre des arbres

Florian Rochet (Reporterre)



Protéger le bitume des gouttes d’eau et déployer la fibre optique. Ce sont les raisons invoquées par le conseil départemental de Corrèze pour enjoindre aux propriétaires d’arbres surplombant les routes de les élaguer. Un abattage massif a commencé, mais les opposants à cette politique se mobilisent.


Tulle (Corrèze), correspondance

En septembre et en décembre, l’administration corrézienne a envoyé deux lettres à tous les propriétaires riverains des routes départementales, soit 28.000 pour un réseau de 3.700 kilomètres, afin de leur demander d’élaguer d’ici la fin du mois de février toutes les branches d’arbres qui dépasseraient au-dessus de la voirie, sous peine de mise en demeure. Il s’agit, selon le département, de faire place nette pour l’installation de la fibre optique par voie aérienne et de protéger les routes de l’érosion provoquée par les gouttes d’eau tombant
des feuilles…


La lettre du 8 septembre 2017 du conseil départemental de Corrèze.

Toutefois, couper des branches n’est pas à la portée de tous. Les services de la société Corrèze élagage coûtent jusqu’à 3.000 euros le kilomètre. L’entreprise De branche en branche, qui regroupe des arboristes-grimpeurs, donne quant à elle une base de 350 euros pour 7 heures de travail.

Compte tenu de tels chiffres et aussi parce que les professionnels ne peuvent répondre à toutes les demandes dans la période propice à l’élagage (l’hiver) et avant le début du mois de mars, une grande partie des personnes concernées préfèrent renverser les arbres. C’est le cas de Yves Vialney, forestier à Sarran : « Cela détruit le paysage, mais je n’ai pas le matériel. J’ai un feuillu qui fera du bois de chauffage et les douglas, je les vendrai à une entreprise. » Olivier Joye, agriculteur à Uzerche, a tronçonné un chêne centenaire. Il explique son geste : « Dans deux ans, il aurait repoussé et on aurait été obligé de couper à nouveau. Il faut accepter la loi » ; mais sans l’injonction du département, « on l’aurait laissé debout puisqu’il était élagué pour que les voitures passent ». Dans le courrier du mois de décembre, seuls les propriétaires forestiers se sont vu proposer une aide financière et un délai plus long s’ils acceptaient de grouper leurs travaux par le biais d’associations afin de valoriser leurs boisements.

Disparition de corridors écologiques
Résultat : d’après de nombreux observateurs et habitants de la Corrèze, de vieux arbres encore sains sont taillés en pièces et des haies sont rasées aux quatre coins du département, aucun bord de route ne semble épargné. À titre d’exemple, en remontant la D54, sur 10 km entre Uzerche et Saint-Martin-Sepert, une quarantaine de feuillus ont été abattus. Parmi ces chênes et châtaigniers, dix avaient plus de 100 ans, les plus vieux approchaient les 140 ans.

Au bord de la D54, des châtaigniers de 140 ans ont été abattus.

Le conseil départemental a certes le droit, en vertu de la loi pour une République numérique et du Code de la voirie, d’exiger des propriétaires qu’ils élaguent les branches au-dessus de la chaussée. Mais cela entraîne des problèmes que les élus n’ont pas anticipés, à commencer par la disparition de corridors écologiques. Qu’en est-il des espèces protégées qui trouvent refuge dans les vieux arbres à cavités ? La loi interdit la destruction de leurs gîtes et habitats. Plusieurs espèces emblématiques des contreforts du Massif central sont concernées : chouette de Tengmalm, chouette chevêche, pic mar, murin, noctule et pique-prune, pour ne citer que quelques exemples.
Un chêne centenaire, abattu au bord de la D54.

Du côté du patrimoine, des forestiers, dans la précipitation, procèdent parfois à des coupes illégales. C’est le cas au village d’ Aubazine, où un peuplement naturel de pins maritimes, à proximité immédiate d’un site classé aux monuments historiques, s’est vu amputé de cinq résineux qui avaient plus de 50 ans. L’architecte des bâtiments de France, par la voix de la préfecture, assure qu’aucune demande d’autorisation n’avait été déposée.

« Peut-être qu’il y a eu un problème d’interprétation »
Jean-Marie Taguet, vice-président du conseil départemental chargé du dossier élagage, se montre préoccupé par la situation : « Le premier courrier, c’était pour faire réagir les gens. On voulait leur dire, on veut savoir ce que vous allez faire, et ensuite il y a le temps. On ne va pas demander à tous les Corréziens de tout élaguer d’ici un mois, il faut préserver l’arbre par rapport à la montée de la sève, on ne peut pas bousculer la nature, c’est logique. Peut-être qu’il y a eu un problème d’interprétation. »

Cette coupe a été faite à moins de 500 mètres du site classé le canal des Moines. 

Sauf que ce point de vue est discordant avec les propos de la lettre adressée aux propriétaires terriens, signée Pascal Coste. En voici un extrait :
[…] à l’approche de la période hivernale qui est propice aux travaux d’élagage et d’abattage, j’ai souhaité mettre l’accent sur (vos) obligations et vous permettre d’engager des coupes utiles avant fin février. Aussi je vous invite à procéder à ces travaux d’enlèvement des bois empiétant ou surplombant le domaine public. En cas de non-réalisation, l’article L-131-7-1 du Code de la voirie routière autorise, après mise en demeure sans résultat, à procéder à l’exécution d’office des travaux nécessaires et à mettre à la charge des propriétaires qui n’ont pas réalisé ces travaux les frais engagés. Dans le courant du mois de mars, mes services procéderont aux reconnaissances sur le terrain. Le cas échéant, des courriers de mise en demeure seront adressés aux propriétaires afin que les travaux nécessaires soient réalisés dans un délai d’un mois. »

Aussi, au fur et à mesure de l’avancée des opérations, le département se heurte à une opposition de plus en plus vive. Une pétition, lancée sur internet il y a un mois, a rassemblé plus de 18.000 signatures contre ce que le collectif de personnes intitulé Défense de l’environnement arboré des routes du Limousin appelle un « massacre organisé ».

« Il y a des ambiances qui n’existeront plus »
La Société française d’arboriculture a demandé un moratoire au conseil départemental par la voix de son représentant local, Louis Dubreuil. Il souhaite que les coupes soient réalisées de manière soignée et qu’elles respectent les arbres. Il exprime son agacement : « De beaux arbres tombent en rafale, parfois ils sont mutilés, il y a des ambiances qui n’existeront plus. » Il reconnaît toutefois que « la Corrèze étouffe par endroits, il y a des résineux le long des routes qui apportent du gel ».

Les vestiges d’une haie de chênes remarquables.

Guy Puyfaucher, dirigeant d’une scierie en bordure de la D54, reçoit de nombreux appels — « pas tous les jours mais presque » — pour couper et enlever du bois. Toutefois, il ne cache pas son mécontentement : « Je refuse. Il y a des arbres dangereux, c’est sûr, mais de là à tout faire raser, je ne suis pas d’accord. On défrise le paysage. Les arbres qu’on coupe ne feront plus écran sur les routes et le vent prend de la puissance. On se plaint qu’il y ait des tempêtes, mais on a rien compris. »

Depuis octobre, un collectif de 15 élagueurs grimpeurs a aussi rejoint le mouvement de contestation et refuse depuis tout chantier en bord de route. Benoit Gilly, parle au nom des arboristes : « Ne plus vouloir de feuilles au-dessus des routes, c’est aberrant, tout comme de dire que les gouttes d’eau sont à l’origine de la dégradation des routes. Les arbres régulent la température en été, ce qui est bénéfique au goudron. Comment se fait-il que, pour un projet d’une telle ampleur, le conseil départemental n’ait pas fait appel aux professionnels pour connaître l’impact de cette opération d’un point de vue environnemental ? »

Dans cette annexe à l’un des courriers envoyés, le département demande d’élaguer en suivant les pointillés.

En effet, le département n’a pour le moment consulté que le conseiller forestier de la chambre d’agriculture, dont le métier est la promotion de l’emploi du bois et la valorisation économique des peuplements arborés, sans envisager d’autres interlocuteurs. Ces éléments laisseraient penser que, finalement, la fibre optique est l’arbre qui cache l’exploitation forestière.

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