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Dans son rapport annuel 2018, rendu public mercredi 7 février, la Cour des comptes dissèque le déploiement du compteur communicant Linky. Elle juge l’investissement « utile » mais « coûteux », qualifie de « généreuse » la rémunération du distributeur Enedis, regrette que le consommateur ne soit pas aussi bien traité et déplore le manque de pilotage de l’Etat. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) lui répond vertement, en critiquant l’analyse des magistrats financiers.
La modernisation du système de comptage électrique est « utile » mais « coûteuse » ; tous les acteurs concernés n’en tirent pas des bénéfices équivalents. Dans son rapport annuel 2018, publié mercredi 7 février, la Cour des comptes dresse un bilan contrasté du déploiement, en cours, du compteur communicant Linky. Ce faisant, elle mécontente ses plus ardents promoteurs – le distributeur, qui en est le pilote opérationnel, et le régulateur (CRE), qui supervise l’ensemble du processus. A contrario, elle satisfait les représentants des consommateurs, comme l’association UFC-Que Choisir.
Une rémunération « généreuse » pour le distributeur
Les nouvelles fonctionnalités demandées aux compteurs dans le cadre de la transition énergétique « ont rendu nécessaire leur remplacement », tranchent les magistrats financiers, en approuvant ainsi « le choix de ne pas attendre l’obsolescence des compteurs actuels pour déployer les compteurs Linky ». Ils évacuent du même coup la question de la pertinence de l’opération, contestée par des associations d’opposants. Mais le diable est dans les détails, et ceux-ci ont un coût : près de 5,7 milliards d’euros. Or, le rapport décèle « des conditions avantageuses » pour le gestionnaire du réseau de distribution (GRD) Enedis.
Après avoir salué le respect tant du calendrier – plus de huit millions de compteurs déjà installés, soit plus de 20% du total – que des coûts prévisionnels, le rapport critique le dispositif financier approuvé par la CRE. Il loue, certes, l’intention du régulateur d’avoir fait en sorte de ne pas répercuter le programme Linky sur le consommateur jusqu’en 2021, lorsque 90% des compteurs seront posés. Mais, en contrepartie de l’avance de trésorerie consentie par Enedis, il désapprouve les conditions du mécanisme de « différé tarifaire » défini par la CRE, accordant au distributeur une rémunération qu’il juge « généreuse ».
De même, la Cour des comptes regrette un plafonnement des pénalités en cas de dérives financières. D’autant, observe-t-elle, que, dans ce cas, le surcoût à compenser serait « répercuté à l’usager ». Elle considère encore que l’intégralité des coûts des systèmes d’information « n’a pas été prise en compte » et que les investissements « pourraient devoir être majorés ». Elle doute aussi de la rentabilité « économique », et non plus stricto sensu financière, du projet pour le GRD.
Le consommateur n’est pas au centre du dispositif
Les magistrats financiers s’interrogent sur les bénéfices pour le consommateur, qu’ils aimeraient voir « mis au centre du dispositif ». Sous-entendant qu’il ne l’a jusqu’ici pas été. Or, s’il trouvera avantage à la télérelève et à la réalisation d’opérations à distance par le distributeur, ainsi qu’à recevoir des fournisseurs des offres tarifaires personnalisées, adaptées à son profil, quid des gains annoncés en matière de maîtrise de ses consommations ? « L’étude technico-économique commandée par la CRE a montré que les gains pour les usagers variaient très fortement en fonction des hypothèses de maîtrise de la demande d’énergie (MDE) retenues », s’inquiètent-ils.
De plus, ils considèrent « insatisfaisants » les moyens mis en place pour permettre à l’usager de connaître sa consommation détaillée. Or, c’est là « un préalable à toute action de MDE ». De surcroît, ils sont convaincus que l’assurance pour le consommateur d’être gagnant avec Linky « contribuerait à relativiser les craintes d’ordre sanitaire ou portant sur la protection de la vie privée », sur lesquelles des organismes publics comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) ont apporté des garanties.
« Le numérique dans le monde de l’énergie »
En conclusion, la Cour des comptes demande à l’Etat « un véritable pilotage du programme sur toutes ses composantes, notamment la MDE ». Elle estime en effet que le projet « a pâti d’une coordination insuffisante » des acteurs par le ministère (DGEC). Elle suggère à Enedis de « définir un plan d’actions pour valoriser toutes les potentialités du programme Linky ». Elle recommande à la CRE de « faire évoluer le dispositif de différé tarifaire pour en réduire le coût pour le consommateur » et de « faire évoluer la régulation incitative pour réduire la rémunération maximale dont pourrait bénéficier Enedis ».
Déclarant « partager le constat d’un besoin de meilleure communication autour du projet et des fonctionnalités du compteur », le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, regrette toutefois que la Cour « mentionne très peu les bénéfices apportés par le compteur, une composante indispensable de la transition énergétique, notamment en termes de développement des énergies renouvelables (ENR), d’autoconsommation et de gestion du réseau ».
Plaidant la cause d’un projet qui « fait entrer le numérique dans le monde de l’énergie », le président d’ Enedis, Philippe Monloubou, lui, « conteste les critiques de la Cour sur le coût du financement du projet ». Il dénonce une approche « impropre et de nature à fausser l’appréciation du lecteur sur la rémunération » de son entreprise.
Le président de la CRE sermonne la Cour des Comptes
Fervent défenseur du compteur, un élément de la « révolution écologique indispensable à la maîtrise du réchauffement climatique », le président de la CRE, Jean-François Carenco, dresse la liste des domaines d’intervention présents et à venir de Linky : stockage décentralisé ; recharge de véhicules électriques ; effacement, et avec lui, réduction de la demande de pointe, permettant d’économiser des investissements en moyens de production ; etc.
Il envisage aussi le développement d’une filière d’exportation du compteur. Il juge « erronée » l’analyse de la Cour « qui, pour estimer le projet insuffisamment rentable, se limite au périmètre du seul distributeur ». Il reproche au rapport de « retenir les éléments venant augmenter les coûts, mais d’omettre ceux venant les réduire ».
« En matière de projets publics portés par des entreprises en situation de monopole, chargées d’une mission de service public, l’analyse socioéconomique permettant de décider ou non d’un investissement ne peut se faire à la maille du seul opérateur », écrit-il. « Elle se fait sur un périmètre pertinent qui englobe les bénéfices pour la collectivité : c’est cela le service public », assène-t-il. En assurant que le projet Linky sera « largement bénéficiaire pour la collectivité ».
Le président de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, Alain Bazot, ne partage pas cet avis. Il voit, lui, un projet « trop tourné vers l’intérêt exclusif du gestionnaire de réseau et des fournisseurs d’énergie, et bien peu vers celui des consommateurs ».
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