Par Benoît Rittaud
Source : https://mythesmanciesetmathematiques.wordpress.com/2018/02/13/de-linfluence-de-lacidification-des-oceans-sur-les-vitesses-moyennes-au-marathon/
By: Peter Mooney - CC BY 2.0
Selon une étude reprise par certains médias, le corps humain pourrait avoir atteint ses limites à cause du réchauffement climatique : décryptage d’un enfumage pseudo-scientifique par Benoît Rittaud.
Une nouvelle « étude » a fait son apparition médiatique dans le 12/13 de France 3 du mardi 6 février :
Selon une étude menée par l’ IRMES, le corps humain pourrait avoir atteint ses limites en termes de taille, d’espérance de vie et de performances.
Au-delà du réglementaire « selon-une-étude », ce reportage a toutes les formes classiques : chiffres, interview d’expert et champions français (Jeanne Calment, Kevin Mayer).
L’expert est encore plus crédible sur fond de courbes.
La taille et la durée de vie des humains ne progresseraient plus et « c’est le même constat pour les performances sportives qui ne progressent plus depuis les années 80, sauf exception ».
Sous-titre pour les malcomprenants : le gars, là, avec le survêt’ jaune, c’est l’exception.
Cette dernière phrase est évidemment très discutable, comme le montre par exemple ce récapitulatif des records du monde en athlétisme. Quant à ceux qui datent effectivement des années 80, comment dire… Il y a comme qui dirait quelques soupçons qu’ils correspondaient à des performances peut-être supérieures aux possibilités humaines de l’époque.
Mais au-delà de cette conclusion outrancière, le reportage comporte cette étrange assertion :
Si l’homme a pu repousser ses limites, c’est grâce aux progrès sociaux, médicaux ou encore technologiques. Des avancées aujourd’hui remises en cause par notre mode de vie ou encore par le réchauffement climatique.
Eh oui, forcément, le coupable idéal, responsable de tout est au cœur du problème. Avec notre mode de vie et ce déterminant possessif qui nous fait bien sentir notre culpabilité.
Ah, la limitation de la durée de vie à cause du réchauffement, un bel item à ajouter à la liste de Brignell et voilà qui mérite une enquête plus poussée.
Un autre article publié par franceinfo incrimine des suspects supplémentaires :
Selon une étude dont franceinfo a pris connaissance, mardi, les limites humaines ne pourront plus progresser ou très peu sous l’impact du réchauffement climatique, de la raréfaction des ressources et de l’acidification des océans.
Déception, l’article en question ne donne aucun argument pour étayer cette thèse séduisante, si ce n’est :
les scientifiques pensent que nous sommes sur une pente descendante sous l’impact du réchauffement climatique, de la raréfaction des ressources et de l’acidification des océans.
L’acidification des océans limite la durée de vie et la taille des êtres humains ? On n’en saura pas plus.
Poursuivons l’enquête auprès d’autres sources solides : BFM, Le Point et L’Express n’en disent pas plus, sinon que cette fameuse « étude » provient de l’ IRMES et a été publiée dans Le Quotidien du Médecin en accès réservé aux abonnés. Mais L’Obs nous vient en aide : après l’intertitre putassier « Merci le réchauffement climatique », il donne la référence de l’étude : il s’agit d’un article de la-très-sérieuse-revue Frontiers in Physiology, modestement intitulé « Atteignons-nous les limites d’Homo sapiens ? » (« Are We Reaching the Limits of Homo sapiens ? »).
L’étude apparaît enfin. Et il y a du beau linge.
L’article est en libre accès. Nous ne pouvons donc qu’inciter tous les lecteurs à perdre leur temps et s’abreuver de grande science en lisant ce texte signé par pas moins de dix auteurs.
Et pas n’importe lesquels : cette étude bénéficie de la valeur ajoutée de Valérie Masson-Delmotte (co-présidente du groupe de travail 1 du GIEC) et de nul autre que Jean-Marc Jancovici, expert en tout qui, lui, peut être invité à donner des conférences dans des lycées pour dire que les conflits au Moyen-Orient sont causés par le réchauffement climatique sans que personne ne proteste.
En raison de la présence de ces deux très grands esprits parmi les auteurs, nous désignerons par la suite l’article en question par la locution « L’œuvre de VMD et Janco ». Que les autres co-auteurs nous pardonnent, mais ils doivent déjà être bien contents d’avoir pu signer un papier avec de telles sommités.
Le résumé annonce l’ambition de ce texte, les auteurs ne sont pas là pour rigoler :
Suivant les progrès scientifiques et industriels, le vingtième siècle a été une période inédite d’amélioration des capacités humaines, avec des augmentations significatives de durée de vie, taille à l’âge adulte et performances physiologiques maximales. L’analyse de données historiques montre un net ralentissement ces toutes dernières années. Cela a provoqué de grands débats passionnés dans le monde académique, impliquant plusieurs disciplines car cette observation pouvait traduire nos limites biologiques supérieures. Une telle nouvelle phase de l’histoire humaine serait reliée à des limites structurelles et fonctionnelles déterminées par des contraintes d’évolution à long terme et les interactions entre les systèmes complexes et leur environnement. Dans cette approche interdisciplinaire (…)
« Approche interdisciplinaire », ça signifie : nous n’y connaissons rien dans les disciplines des autres et cela nous permet de nous affranchir de toutes les règles de méthode propres à chaque domaine, afin de pouvoir raconter n’importe quoi. Mais n’interrompons pas L’œuvre.
Dans cette approche interdisciplinaire, nous remettons en question la validité de ces prévisions et projections au travers de biomarqueurs innovants et reliés que sont les indicateurs sportifs, la durée de vie et la taille. Nous construisons un cadre théorique fondé sur la pertinence biologique et environnementale plutôt que d’utiliser une approche prévisionnelle sur une seule variable. Comme montré dans l’article, ce nouveau cadre aura d’importantes implications sociales, économiques et politiques.
(« Echoing scientific and industrial progress, the Twentieth century was an unprecedented period of improvement for human capabilities and performances, with a significant increase in lifespan, adult height, and maximal physiological performance. Analyses of historical data show a major slow down occurring in the most recent years. This triggered large and passionate debates in the academic scene within multiple disciplines; as such an observation could be interpreted as our upper biological limits. Such a new phase of human history may be related to structural and functional limits determined by long term evolutionary constraints, and the interaction between complex systems and their environment. In this interdisciplinary approach, we call into question the validity of subsequent forecasts and projections through innovative and related biomarkers such as sport, lifespan, and height indicators. We set a theoretical framework based on biological and environmental relevance rather than using a typical single-variable forecasting approach. As demonstrated within the article, these new views will have major social, economical, and political implications. »)
Oui, oui, « major social, economical end political implications ». C’est quand même du Masson-Delmotte et Jancovici, les grands visionnaires de leur époque, quoi !
Après l’introduction historique réglementaire, L’œuvre de VMD et Janco débute par quelques pensées fortes, sans peur de bousculer les idées reçues :
Depuis une cellule lors de la fécondation jusqu’à environ 3×1013 cellules divisées en plus de 300 types différents, l’organisme humain constitue un corps précisément délimité.
(« From one cell at fecundation to ~ 3×1013 cells classified into more than 300 different types, the human organism constitutes a precisely delimited body. »)
Après un long développement sur l’évolution biologique humaine au travers des âges, L’œuvre de VMD et Janco passe enfin aux choses sérieuses :
Cependant, l’humanité est maintenant le principal acteur des altérations de son propre environnement. Sapiens abime son écosystème alors que l’écosystème le modifie lui-même en retour. Nos activités ont été impliquées comme la cause dominante de la plupart des changements environnementaux et l’accélération récente pourrait avoir des impacts majeurs sur la santé humaine, même si quelques progrès ont été réalisés récemment, comme l’augmentation de l’usage des énergies renouvelables.
(« However, mankind is now the major actor implicated in its own environment alterations (Steffen et al., 2007, 2011; IPCC, 2014; McMichael, 2014). Sapiens alters his ecosystem, while the ecosystem also shapes him in return (Steffen et al., 2011). Our activities have been implicated as the dominant cause of most environment changes and the recent acceleration could have major impacts on human health, even if some progress has been recently made, such as the increased use of renewable energy (Steffen et al., 2007, 2011; IPCC, 2014; McMichael, 2014). »)
On notera les références aux Très Saints Rapports du GIEC, probable contribution de Valérie Masson-Delmotte.
Le marathonien craint le réchauffement climatique
Et on arrive enfin au cœur de L’œuvre de VMD et Janco :
En course à pied, les meilleures performances forment une courbe en U inversé, avec une température optimale à environ 10 °C pour le marathon et 23 °C pour le sprint (100 m). Une relation similaire lie la température et les taux de survie, avec un optimum entre 20 et 26 °C. Des élévations majeures de température pendant les changements climatiques actuels auraient des impacts défavorables sur notre capacité à atteindre nos maxima fonctionnels et nos limites physiques absolues.
(« In running, best performances describe an inverted-U shaped curve, with an optimal temperature at about 10 °C for marathon and 23 °C for sprint distances (100 m) (El Helou et al., 2012; Haïda et al., 2013; Berthelot et al., 2015). A similar relation links temperature and survival rates, with an optimum value between 20 and 26 °C (Laaidi et al., 2006). Major temperature elevations during current climate changes may have unfavorable impacts on our capacity to reach our functional maxima and absolute physical limits. »)
Et voilà le travail : l’existence d’une gamme de températures optimales pour pratiquer certaines épreuves sportives bien spécifiques débouche sur la difficulté à atteindre nos limites biologiques à cause du pandémonium climatique, puis, évidemment, sur le raccourcissement de la durée de vie. C’est simple, la science, surtout quand on n’a aucun argument sérieux à faire valoir.
Remarquons en passant que la détermination de la température optimale de 10 °C pour courir le marathon provient de cette « étude » (El Helou et al., 2012), libre d’accès aussi. Les auteurs ont corrélé les températures aux performances sur six grands marathons populaires pendant dix ans et les courbes donnant accès à cette histoire d’optimum à 10 °C sont les suivantes :
À gauche, vitesse moyenne du premier centile des concurrentes féminines et à droite vitesse moyenne du premier quartile des concurrents masculins. Chaque point représente un des soixante marathons étudiés et la courbe est le modèle polynomial du second degré corrélant au mieux les données brutes.
Cette étude pose évidemment des problèmes méthodologiques : par exemple, un temps froid le jour de la course dissuade les concurrents les moins motivés (et donc les moins préparés) de venir passer quatre ou cinq heures en short dans la rue et augmente donc mécaniquement la vitesse moyenne de l’ensemble des coureurs.
Et on peut admirer la qualité de la corrélation présentée… Il ne s’agit pas de nier que la température a une influence sur les performances au marathon, mais de dire que cette valeur de 10 °C est très approximative et que l’optimum est sans doute une gamme de températures assez large.
La Grande Faucheuse consulte la météo
L’étude sur les taux de mortalité en fonction de la température en France citée par L’œuvre de VMD et Janco (Laaidi et al., 2006) est aussi en libre accès. Elle signale en introduction que l’optimum de température donnant la mortalité minimum varie évidemment selon les régions. Alerte choc conceptuel 1 :
[Cette gamme optimum de température est] plus élevée dans les climats chauds (de type méditerranéen) que dans les froids (de type scandinave), suggérant que les populations se sont adaptées avec succès à leur environnement météorologique.
(« It was higher in hotter, Mediterranean-like climates than in colder, Scandinavian-like climates, suggesting that populations have adjusted successfully to their meteorological environment. »)
Ainsi donc l’être humain serait capable de s’adapter à son environnement. Incroyable !
Alerte choc conceptuel 2 : cette étude signale également à plusieurs reprises que les périodes froides provoquent plus de décès que les périodes chaudes.
Enfin, elle conclut :
Néanmoins, nos découvertes donnent des raisons d’être confiants pour le proche avenir : le réchauffement relativement modéré (2 °C) prévu pour le prochain demi-siècle ne devrait pas augmenter le taux de mortalité. À plus long terme, la question la plus importante concerne les risques liés aux vagues de chaleur au cours desquelles les températures dépassent les gammes que nous avons étudiées ici.
(« Nevertheless, our findings give grounds for confidence in the near future : the relatively moderate (2 °C) warming predicted to occur in the next half century would not increase annual mortality rates (Besancenot 2003). In the longer term, the main outstanding question concerns the risks related to heatwaves in which temperatures exceed the range we have studied here. »)
Bon, la dernière phrase permet de justifier le financement de cette étude par le programme de Gestion et Impacts du Changement Climatique du Ministère de l’écologie et du développement durable de l’époque (2006), mais la conclusion est clairement en totale contradiction avec ce que lui fait dire L’œuvre de VMD et Janco. Mais peu importe puisqu’il n’y est pas question de science…
Ils ne savent rien mais ils nous diront tout
D’ailleurs, une autre preuve que L’œuvre de VMD et Janco n’est pas un article scientifique est son plan : la conclusion assénée à propos du climat est écrite avant même que les observations sur les marqueurs biologiques (performances sportives, durée de vie, taille) ne soient présentées.
Le message est clair : ce que les auteurs observent à propos de ces marqueurs n’a aucune espèce d’importance pour eux et l’extrapolation d’optimums de température pour des performances sportives à la durée de vie est évidemment une énorme escroquerie. Mais peu importe : le but est uniquement d’habiller de science des recommandations politiques.
La conclusion de L’œuvre de VMD et Janco est d’ailleurs sans ambiguïté à ce sujet :
Connaître les limites de l’espèce humaine donne des buts clairs à toute nation ; les États devraient gouverner pour que la taille humaine, la durée de vie et les performances physiques augmentent afin d’atteindre leurs valeurs les plus élevées pour le plus de gens. Quand des plateaux sont atteints, l’attention devrait être portée à éviter une régression même si rester près de la limite supérieure peut devenir plus coûteux. Cet objectif sera un des plus grands défis de ce siècle, surtout avec la nouvelle pression des activités de l’anthropocène responsables d’effets délétères à la fois sur les humains, l’environnement et la santé. Cependant, des solutions devraient être trouvées et des actions collectives restreindraient cette pression et, dans une vue optimiste, garantiraient la possibilité d’atteindre les plus hautes limites et de s’y maintenir.
(« Knowing limits of the human species indicates clear goals for any nation ; states should govern in such a way that human size, lifespan, and physical performance increase in order to reach their highest values for most people. When plateaus are reached, care should then be taken to prevent regression even if remaining close to the upper limits may become more costly. This aim will be one of the most intense challenges of this century, especially with the new pressure of anthropocenic activities responsible for deleterious effects on both humans, environment and health (Rockström et al., 2009; Steffen et al., 2011, 2015; Carnes et al., 2014; Finch et al., 2014; McMichael, 2014). However, solutions may be found and collective actions may taken to restrain this pressure and, in an optimistic way, maintain the possibility of reaching and remaining at the upper limits (United Nations, 2016). »)
Voilà donc un article d’une pauvreté scientifique affligeante, où le mot « climate » n’apparaît qu’une seule fois et où l’acidification des océans n’est jamais évoquée. C’est pourtant ce qui ressort des reprises dans la « grande presse » française, en dépit du plus élémentaire bon sens, mais comme par habitude. La science ne ressort pas grandie de ces manipulations et il est dramatique de voir des scientifiques éminents bien installés s’en faire les complices.
php
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire