Commentaire : Relisons "L' Établi" de Robert Linhart (1978). 2018, synonyme de progrès social?
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L’auteur de cette tribune a travaillé pendant plusieurs mois dans une usine de tri des déchets. Indigné par les conditions de travail, il a décidé de raconter son expérience dans un livre à mi-chemin entre le journal intime et le reportage en immersion.
François Haslé a 31 ans. Il a écrit un livre autoédité, Ordures. De presque journaliste à vraiment ouvrier, relatant son expérience personnelle dans les coulisses d’une entreprise de
tri de déchets.
François Haslé
Après une trop longue période de chômage et de RSA, je me suis retrouvé ouvrier dans une usine de tri de déchets industriels et ménagers. Un contrat de quatre mois en insertion (cas désespéré oblige), renouvelable à quatre reprises. J’arrive donc dans une Scop (société coopérative et participative) avec un statut de personne à « aider », ou au moins à « accompagner ».
Me voilà employé dans une entreprise respectée dans la région, fleuron de l’industrie locale, soucieuse de l’environnement et de l’avenir de la planète. Pêle-mêle, on y trie de l’électroménager (congélateurs, machines à laver), les petits appareils en mélange (PAM) type appareils de chauffage ou de ventilation, jouets, outils de bricolage électrique, ou encore les écrans, le bois, le verre, la liste est longue.
Mais au-delà du credo environnemental et social de la boîte, les conditions de travail n’ont rien d’idyllique.
Derrière l’entreprise d’utilité publique et le projet forcément positif, il y a les femmes et les hommes qui y travaillent. Et c’est bien là le revers de la médaille. En effet, les conditions de travail difficiles, le manque de communication sur les règles de sécurité élémentaires, l’absence de formation préalable sont autant de pièges qui ne sont pas évités.
Chacun son histoire. A chaque jour sa peine
Il est évident que le travail à l’usine n’est pas une sinécure. Le vivre dans son corps est une tout autre histoire. Le port de charges lourdes, la répétition infernale des mêmes gestes, le manque de reconnaissance de la part des chefs et j’en passe.
Dès le départ, j’ai occupé un poste qui consistait à ouvrir des micro-ondes pour en retirer le condensateur avant de les envoyer à la ferraille. C’est à grands coups de masse que j’ai opéré pendant des heures et des heures. Sans casque antibruit et sans manchettes (qui permettent respectivement de résister aux décibels et de ne pas se blesser les bras) puisqu’aucune consigne de sécurité ne m’avait été donnée à ce moment-là. J’aurai finalement ma « visite sécurité » plus d’un mois et demi après le début de mon contrat. Comme les autres.
Les anecdotes ne manquent pas : un collègue est à la limite du malaise à force de respirer l’odeur de piles brûlées dans une pièce minuscule et à peine aérée, une collègue me dit travailler avec un doigt cassé, un autre se fait ouvrir la main avec un objet en ferraille.
Certains postes sont débilitants ; l’un d’eux consiste à empiler des unités centrales d’ordinateur sur une palette, faire une sorte de tour, puis l’enrubanner d’un genre de scotch pour faire tenir le tout et le déplacer un peu plus loin.
- Ordures. De presque journaliste à vraiment ouvrier, de François Haslé, autoédité, 2018, 88 p., 8,43 €.
Chacun son histoire. À chaque jour sa peine.
Citons également les allergies, sciatiques et la respiration de tonnes de poussière (sans masque la plupart du temps, même quand on balayait l’usine pendant les moments de panne) comme autres désagréments majeurs.
Et dire que certains chefs trouvaient que l’on manquait d’énergie…
L’impact des conditions météorologiques m’a également marqué ; le froid en début de contrat dans un entrepôt ouvert aux quatre vents, la chaleur extrême une fois l’été venu, le thermomètre dépassant les 40 °C à l’intérieur de l’usine.
Je n’invente rien en parlant de la difficulté du travail d’ouvrier, bien sûr, mais en ces temps de glorification de la « start-up nation », il me semble important de le faire. On ne peut pas dire que la parole ouvrière soit surreprésentée, d’où la sortie de mon livre Ordures : de presque journaliste à vraiment ouvrier.
Être une Scop s’avère utile et efficace en matière d’image
Cette entreprise, hormis le projet environnemental, met en avant deux choses : le format Scop et le processus d’insertion. Le site internet de la boîte résume le tout en un titre : « un homme = une voix ». Je n’ai pas remarqué à quel moment la voix des ouvriers a été entendue, toutes les modifications majeures (ou pas) n’ayant pas donné lieu à débat (même quand on a été amené à commencer à 5 h au lieu de 6 h).
Quoi qu’il en soit, être une Scop s’avère utile et efficace en matière d’image, surtout en tant que « nouvel acteur » du territoire.
L’insertion est également un argument massue contre les détracteurs. Comment une entreprise qui crée de l’emploi, et d’autant plus pour des personnes en difficulté (les parcours sont cependant assez différents), pourrait-elle exploiter ses ouvriers ?
Il est vanté que « nul n’est a priori inemployable » ; esprit mal tourné peut-être, je lis que justement, ils embauchent des personnes inemployables. Car eux font du social. N’oublions pas que ce sont ces « insérés » qui font tourner l’usine et contribuent à son rayonnement et surtout à sa rentabilité, tout en n’étant pas ou peu considérés.
De plus, le Conseil général et l’État apportent une aide financière à chacun de ces contrats, et l’employeur bénéficie d’un allègement des cotisations sociales. Finalement, payer à moindre coût une main-d’œuvre désireuse de se remettre au travail semble être une bonne opération à tous les niveaux. « L’audace sociale », toujours…
Reste un bel outil de communication pour le monde extérieur, qui n’a pas idée de la réalité de ce quotidien.
Source : Courriel à Reporterre
Dessin : © Tommy/Reporterre
Photo : DR
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